Il est navrant de constater que malgré l’évidence d’attentats, politiques, certains, comme Bertrand Badie, persistent à mettre en avant les causes “sociales” à la vague d’attentats qui secoue le Pakistan durant le mois de septembre 2008.
Quel est son propos ? En substance, ce qu’il expliquait sur Europe 1 dimanche 21 septembre consistait à souligner l’importance de ce qu’il appelle les désagrégations de mode de vie qui auraient en quelque sorte produit une telle radicalisation. D’autres sont moins subtils et parlent de réaction aux interventions américaines dans les zones tribales à la frontière pakistano-afghane.
Ces deux analyses pèchent par insuffisance factorielle semble-t-il car de telles conséquences meurtrières n’existent pas dans les contrées africaines ou sud-américaines alors que les facteurs « cause sociale » et « pression américaine » pourraient être aussi énoncés. En réalité, et par un paradoxe étrange, les analyses censées être les plus compréhensives envers les ressentiments habitant diverses populations du “Sud”, n’arrivent pas à concevoir que de tels états de conscience peuvent aussi et sans doute surtout dans ce cas avoir comme origine des motivations en propre qui s’appellent refus du changement, du mouvement, refus de l’étranger, refus de voir les femmes décider par elles-mêmes, se faire belles pour elles-mêmes, refus que les individus décident par eux-mêmes, ou, plutôt, utilisent d’autres sources que la seule religion pour (se) construire. Or, et cela reste étrange, le fait que les attentats au Pakistan puissent être d’origine non seulement islamiste mais que cette signature ne soit pas la simple réplique d’une misère sociale, ce fait, là, reste inaccessible pour la plupart de nos “experts”. Et, pour certains, cela reste si incompréhensible qu’il est préférable de voir derrière chaque attentat une main américaine, ou sioniste et pourquoi pas américano-sioniste tant qu’à faire. On pourrait ainsi expliquer pourquoi la théorie du complot stipulant que non seulement le Pentagone mais également les Twins auraient subi une destruction suspecte, ait tant de succès parmi les « people ».
Et si nos “experts”, moins complotistes il est vrai n’iront pas, officiellement, jusque-là, il n’en reste pas moins qu’ils chercheront “la” cause des attentats du 11 septembre 2001 dans la politique américaine conjoncturelle et les « inégalités », sans jamais avancer l’idée que les motivations en propre des assassins s’en prennent surtout aux occidentaux en général et à leurs alliés en particulier parce que ceux-ci les empêchent d’atteindre leur objectif, politique, celui de prendre le pouvoir. Et ce pour imposer leur conception de la causalité sociale issue d’une application juridique stricte du religieux (Sharia). Autrement dit, la politique serait uniquement l’application juridique de règles formatant tous les aspects de la vie quotidienne, vie intérieure, intime, en premier. Ce qui est, proprement, la définition, même, du phénomène totalitaire en réalité.
Il est dommage que nos experts en relations internationales réservent uniquement aux occidentaux la notion d’acteur stratégique, ce qui est visiblement faux, sauf à rejoindre les complotistes qui avancent que Ben Laden n’est qu’un pion produit par les États (Unis…) en vue de créer un tel sentiment d’insécurité qu’une demande de surveillance verra le jour, moteur économique et surtout prélude à la remise en cause de toutes nos libertés. Ben Laden n’aura alors jamais le loisir d’avoir une stratégie en propre visant à imiter parfaitement Mahomet et au fond toute l’histoire islamique lorsqu’il s’agit de contester le pouvoir en place et de se poser comme le successeur authentique. C’est cette sous-estimation de l’ennemi que nous payons aujourd’hui, « nous » les partisans de droits, humains, qui transcendent tous les particularismes sans pour autant s’imposer comme tels puisque c’est à chaque peuple et à chaque personne en son sein de décider de la forme qu’ils doivent prendre. C’est ce qui différencie l’universel pluraliste d’aujourd’hui à l’universalisme uniformisant des siècles précédents. Or, de deux choses l’une : soit l’on considère que ces droits humains sont au fond des techniques politiques permettant de bien vivre ensemble dans une singularité donnée ; soit l’on avance que ces droits humains ne méritent pas que l’on se batte pour eux lorsque la servitude se veut volontaire. Telle est, semble-t-il, la question, politique.