Tribunes

L’inavouable

L’inavouable

Et si, après la reconnaissance faite par le Président de la république François Hollande que le 17 Octobre 1961, en France, à Paris, contre les Algériens, un crime d’état s’est produit, il s’avérait que la langue française, non seulement en Algérie, mais dans les autres pays du Maghreb, en plus de ses usages et enseignements, soit reconnue, enfin, acceptée, comme faisant partie, au même titre d’héritage historique que la langue arabe et la langue berbère ?
Entre la France et les pays du Maghreb existe, au-delà des différences de mémoires, de représentations, d’histoires, de territoires, un double contentieux inavouable : celui, du côté français, d’une guerre affreuse, qui n’aurait jamais dû avoir lieu, mais qui a eu lieu, en Algérie, de conduites répressives, policières, au Maroc, en Tunisie – la guerre de Bizerte, par exemple – et, du côté maghrébin, celui d’un usage persistant, présent de la langue française, inavoué, lui aussi.
En tant qu’enseignant, maître de conférences en littérature française en Algérie, puis, en littérature comparée, en France, écrivain, psychanalyste, aujourd’hui, je peux savoir, et, avoir expérimenté ce que provoque de dégâts, en plus des différences de mémoires, histoires, désastres psychiques, violences politiques et sociales, le refus et la non-reconnaissance d’un usage de la langue, quelle qu’elle soit.
En plus de la langue arabe, de la langue berbère, il est manifeste que la langue française fait partie de ce que l’on peut appeler l’entour affectif, intellectuel, imaginaire, symbolique, social, réel, politique, esthétique, architectural, historique et psychique des maghrébins. Aussi, malgré la colonisation, ses avatars, ratages politiques, la langue française fait partie de la culture des maghrébins, tout comme celle-ci, la culture maghrébine, fait partie de la culture française, de recherches, d’enseignements, de pratiques sociales, symboliques éducatives, et, pourrait-on ajouter, de rayonnements ; cultures au demeurant plurielles, émancipatrices, dans leurs rencontres d’aujourd’hui, riches de transformations, d’échanges, ouvertures, créations, même si ces cultures peuvent entrer en compétitions, rivalités, ruptures, selon les attitudes réactionnelles, mémorielles, opportunistes, politiques du moment.
Tables rondes, expositions, foires du livre, associations culturelles diverses, ici, en France, comme au Maghreb, rendent présentes, périodiques, constantes, ces rencontres qui maintiennent les liens humains, intellectuels, sensibles, entre les individus, les peuples, les collectivités, et, pourquoi pas les États.
Peut-être serait-il nécessaire, aujourd’hui, que les décideurs politiques des pays du Maghreb fassent preuve de la même ouverture, lucidité politique, dont vient de faire preuve, à travers les paroles de son président actuel, François Hollande, la France, paroles qui valent d’introduction à la reconnaissance des crimes commis sous colonisation, pour que, à travers l’avenir des langues, au Maghreb, l’espoir politique démocratique, devienne plus détendu, moins meurtrier, moins répressif, plus humain, plus proche, plus réel.
Si toute colonisation n’est pas faite seulement de crimes, les crimes, eux, existent ; et si toute langue, dans son apprentissage, est coercitive, existe, en elle, aussi, une liberté pour la rencontre et l’apprentissage, le respect, des autres langues.
Ce qui ne fut pas le cas, hélas, durant la colonisation française, au Maghreb. N’est-il pas alors temps que cela change : que l’Algérie, par exemple, sorte, par elle-même, de l’injustice coloniale, comme elle l’a fait pour son indépendance, et qu’elle reconnaisse l’existence de la langue française en Algérie, actuellement, au même titre que la langue arabe et berbère.
Si ce vœu ne manque pas d’actualité, disons alors, comme le disent, parfois, les maghrébins : « Alors, chiche ! »

Nabile Farès,
Écrivain, psychanalyste, Paris.