Tribunes

Liberté d’expression ou libre pensée ? Tolérance ou dictature républicaine ? « Moi et d’autres ne sommes pas Charlie ! »

A propos des attentats de Charlie-Hebdo et de la manifestation citoyenne qui s’en suivit :

 

 

 

Liberté d’expression ou libre pensée ?

Tolérance ou dictature républicaine ?

 

 

« Moi et d’autres ne sommes pas Charlie ! »

 

Ou

« comment oses-tu ! Ils ont assassiné « la Libre pensée » !

 

 

 

« […] les tyrans ne répriment pas depuis le sommet mais […] peuvent sévir et se multiplier à la base : l’oppression du peuple, par le peuple, pour le peuple. Cette dictature des masses fait rage également dans nos sociétés, dans des formes plus ou moins policées mais toujours avec l’alibi de la « tolérance », quand ce n’est pas avec l’injonction d’amour de l’Autre ainsi hypostasié, fut-il animé des plus troubles intentions. »

 

Pierre Ryckmans, allias Simon Leys. Le feu sacré d’un esprit libre

 

(Extraits choisis et présentés par Jean Bernard-Maugiron,

éditions La Dame-Jeanne)

 

 

 

***

 

Loin de moi l’idée de ne pas condamner ces assassinats perpétrés par des déséquilibrés mentaux dont leur acte de folie, non excusable, représente l’aboutissement tragique d’un endoctrinement fanatique qui a transformé ces individus en terroristes (1) . Et personne, oui, personne n’est à l’abri d’une telle dérive. Personne n’est définitivement écarté du péril à ne trouver un sens à son existence qu’à travers l’appui morbide d’un vade-mecum de la haine de l’Occident et le fanatisme religieux. Personne, et peut-être plus que jamais depuis que le nihilisme (2) est devenu un concept efficient dans nos sociétés grasses, indigestes et matérialistes, violentes, sans âme et individualistes (dans l’acception la plus négative du terme), depuis que la guerre à la consommation planétaire détruit la planète et exploite l’homme – anthropologiquement considéré comme un objet précaire, rouage jetable (recyclable, comme on dit) du productiviste industriel et capitaliste ; oui, personne qui, dans « cet ère du vide » rutilant de pognon et de frime, de mensonges, d’ersatz, de manipulations, d’insultes à la pauvreté et à la justice élémentaire, au bon sens sens humain (3), à l’esprit sain, ne ressente un jour ou l’autre l’envie de mettre à terre ce monde entier et l’ensemble des protagonistes qui s’en réclament, citoyens imbéciles se pavanant avec les pavois républicains de la « Démocratie », « des Droits de l’homme », de la « Liberté d’expression », etc.

 

Est-ce cette sordide réalité qui explique une telle recrudescence d’actions terroristes ? Il faut (faudrait) s’interroger, faire cet inventaire, cet examen de conscience. Mais personne le fera ; car ce serait remettre en cause le socle idéologique de la société qui abrite ces citoyens si satisfaits du monde tel qu’il est et va. Pourtant, oui pourtant, personne ne naît terroriste ainsi que, pour autre exemple, personne ne naît clochard. Un tel « parcourt existentiel », à ce point déviant, se joue dans l’enceinte des sociétés, et ce sont donc ces sociétés qu’il s’agit de juger.

 

La France a été touchée. Un attentat terroriste a mis temporairement fin aux activités de Charlie-Hebdo et à supprimé la vie de certains de ses rédacteurs.

« Nous sommes tous Charlie ! » C’est par ce « slogan » (cette injonction ?) que l’appel à un rassemblement collectif, solidaire et compassionnel, en hommage à ce journal  s’est trouvé formulé. Car, oui, nous sommes tous cette « liberté d’expression », nous autres peuple français, peuple démocrate issu des Lumières et de la Révolution, fiers de ses valeurs de tolérance et liberté, de respect et de laïcité, d ‘égalité et de fraternité, etc. En assassinant les rédacteurs de Charlie-Hebdo vous nous avez donc tous tués ! Vous avez attenté aux fondements de la Démocratie, à ce qui constitue (ou constituerait) notre A.D.N. historique et philosophique ; A.D.N. tissé sur de longues épreuves. Vous avez déchiqueté de vos balles l’intelligence critique de notre nation et de sa mémoire constituante dont nous autres, citoyens républicains, fils et petits fils en sommes (en serions)les dignes héritiers. Bref, vous nous avez bafoués et profondément dépossédés.

 

Si une telle réaction s’avère compréhensible en ce que l’agression perpétrée a été vécue symboliquement, mais aussi charnellement, comme une mise à mort, la réponse publique doit, elle, nous intéresser au premier chef – comme symptôme de la structure idéologique dont elle émane et qu’elle reproduit.

Et que représente donc cet appel à la mobilisation générale, si ce n’est une réaction à une déclaration de guerre. En somme donc la nation se mobilise, puis se précipite en un rassemblement général (des bougies sont même allumées, partout en France!).Un glissement sournois s’opère ; et l’idéologie patriotique la plus imbécile vient à la rescousse de l’agression : il s’agit de défendre La France, La Démocratie, La République, La Liberté d’expression ; bref de défendre la France actuelle, la République actuelle, la Liberté d’expression actuelle. Il s’agit d’aller au secours de ces principes inaliénables, ces principes qui font notre grandeur, notre fierté, notre supériorité sur les autres civilisations ; ces principes issus, rappelons-le, des Lumières, mais aussi et conjointement, et surtout, devrions-nous dire, de la guerre et de la colonisation culturelle, idéologique et commerciale des peuples, de la purge des modes de vie anciens, paysans et ancestraux, de l’extension et l’imposition forcée, sous l’égide du Droit (qui est toujours le droit du plus Fort), du capitalisme. C’est cette France, oui, cette France moderne dans son arrogance historique, dans sa violence, qu’il s’agit de défendre contre l’agresseur ; c’est cette France aux racines chrétiennes, qui a troqué sa spiritualité (aussi critiquable soit-elle)(4) pour le matérialisme de la marchandise, la dictature de l’argent et l’emblème de la Démocratie.

C’est donc cette France là qui, quasi spontanément, se soulève et se dresse, fraternelle – du moins le clame-t-elle – et nous rappelle que nous autres,  « Nous sommes tous Charlie ! ».

J’apprends donc, à mon étonnement, que moi aussi je suis Charlie ou que, sous entendu, si je ne le suis pas je dois l’être. Quelle présomption ! Je ne suis pas, n’ai jamais été Charlie-Hebdo, d’une part parce que je n’ai jamais pris, moi, dans ma vie, la responsabilité de créer un journal du genre de Charlie-Hebdo (et d’assumer les risques qui résultent de cette responsabilité) et que, d’autre part, ce journal me laissait, globalement,  indifférent ou m’agaçait : sa gouaille irrévérencieuse et son esprit satyrique railleur, plutôt vulgaire à mon goût, m’ont toujours paru sans substance, gratuits et « faciles » finalement ; ses « plumes » n’en étant que le reflet conforme.

Bien sûr je comprends l’évidence du message compassionnel : nous autres, endeuillés, prenant acte de la mise à mort de Charlie-Hebdo, réagissons collectivement et pacifiquement en nous associant à lui, en déclarant que nous-mêmes étions, continuons et continuerons d’être Charlie-Hebdo. « Nous sommes tous Charlie ! »

 

Ce soutien collectif qui s’est traduit par un rassemblement spontané de millions de personnes partout en France et ailleurs dans le monde, pose pourtant, au-delà de l’émotion légitime, de nombreuses questions. Les mêmes ressorts psychologiques et idéologiques que l’extrémisme et le fanatisme ne sont-ils pas actionnés ? Sous cet appel à défendre le peuple, le patriotisme imbécile – reposons la question – ne cache-il pas son visage ? Une « dictature douce », celle qui a lieu quotidiennement, n’éclate-elle pas au grand jour ? : une dictature des mœurs républicaines qui conspuent toute atteinte à la République, la Démocratie, « la Liberté d’expression » ? Et malheur à qui n’est pas dans le sens de l’indignation ! Malheur à qui critique ces valeurs sur lesquelles elle se dresse ! (5)

Car sous le principe de la « Liberté d’expression » s’abrite les tenants de l’idéologie progressiste en place(6) et ses valeurs canoniques : travail, libre entreprise (7), capitalisme, république, démocratie. Et c’est cette idéologie là qui se mobilise contre tous ceux qui s’en défient et tentent d’y résister. Un clivage des mentalités prend la piteuse forme  citoyenne du spectacle  : d’un côté les Pour, de l’autre les Contre. Ceux qui sont Pour la France actuelle, c’est-à-dire pour le règne de la marchandise et de l’homme réifié à celle-ci, et ceux qui sont Contre. Ceux qui sont Pour la Démocratie et ceux qui sont Contre. Car la démocratie est évidemment intouchable… Et les plus imbéciles des citoyens, dont le sens critique est au niveau d’exigence que forment depuis des décennies les écoles de la République française, n’ont sur cette question, comme sur tant d’autres, jamais porté le moindre regard critique. Faut-il pourtant rappeler qu’il y a démocratie et démocratie ? Qu’une démocratie indirecte (ou représentative) est en soi une contradiction dans les termes ; que le mot république signifie « chose publique » c’est-à-dire un « régime », et que donc un régime ne présage nullement de la construction politique qui en résultera ? (8)

 

C’est ici qu’un amalgame, depuis longtemps établi, se découvre : amalgame entre « liberté d’expression » et « esprit libre » (ou «  libre pensée »).

La liberté d’expression, « valeur suprême de la France » passe en effet pour le synonyme de la « liberté de pensée ». Pourtant rien, ou peu de choses, les réunit. La « liberté d’expression » n’est pas l’équivalent intellectuel de la « libre pensée » : elle n’en est au contraire qu’un ersatz amoindri ou populaire (dans le mauvais sens du terme), mais toléré politiquement. En effet, si la « liberté d’expression » est une licence à s’exprimer, octroyée libéralement par le système capitaliste, elle n’est pas pour autant dirigée contre le système, puisqu’il l’organise pour mieux revendiquer sa nature – précisément libérale. Cela traduit la puissance d’un État : il n’est jamais aussi fort que lorsqu’il organise et contrôle les moyens de sa  contestation potentielle. « Débattez, exprimez-vous librement ! – De toute façon la décision est prise, et sera appliquée ».(9) Il en va tout autrement de la la libre pensée ou de « l’esprit libre », parce qu’elle (il) est nécessairement critique, et donc agit essentiellement en marge et contre. J’appelle ici libre pensée la réflexion portant sur l’analyse de la cohérence efficiente des principes et valeurs politiquement institués et leur articulation avec les formes de pouvoir dont ils émanent. La libre pensée est donc un examen critique des paradigmes d’une époque et de ses dogmes. Elle une pensée qui rend compte d’elle-même, de sa bonne « foi », de son goût pour le vrai, le juste; libre pensée qui n’est libre que par les infinis objets qu’elle questionne sans tabou, mais qui se réfréne quand à ses modalités de les apprécier hors de toute rigueur et rationalité; qui se détourne comme de la peste des diatribes gratuites où s’y dédouane toute responsabilité, qui fuit les facilités langagières, les injures guerrières et autres « invectives dégradantes » qui n’honorent ni l’esprit ni l’épaisseur intellectuelle et existentielle qui en sont le fruit souvent douloureux. Car une telle libre pensée ainsi dévoyée ne fait nullement avancer d’un pas la réflexion et la prise en compte des problèmes qui touchent l’homme dans sa vie. Pire : elle les dessert pour ne se complaire qu’à n’être qu’un jeu d’esprit immature, finalement bourgeois et narcissique, à n’être qu’auto satisfaction où pointe une arrogance injustifiée et, à la longue, lassante – pour ne pas dire plus.

 

Si la « liberté d’expression » vaut, entre autres choses, comme exutoire des masses oppressées – comme satisfaction personnelle facilement obtenue -, la « libre pensée », elle, est un arrachement intellectuel subjectif, politique et existentiel aux structures idéologiques qui nous conditionnent. Elle est le témoignage d’une volonté personnelle déterminée à analyser le terrain social et politique sur lequel cette volonté est née puis s’est construite. Elle est un effort pour se comprendre soi-même et comprendre les types d’humanités fabriqués par le monde, et qui le fabriqueront à leur tour. Elle est un effort pour rejeter le faux et le médiocre injectés en nous ; l’effort aussi et surtout de se surmonter – et même dans son prochain.(10)

 

L’expression libre (ou la « liberté d’expression ») est, elle, au mieux, une expression non contenue, libérée donc, mais en aucun cas (ou très exceptionnellement) libérée des idées dominantes et des conditionnements sociaux et intellectuels qui la déterminent…

 

Cette autre réflexion me vient, à présent. Dostoïevski, Nietzsche et plus tard Camus ont trouvé l’acte écrit du nihilisme contemporain gravé dans la formule suivante : « Rien  n’est vrai tout est permis ». Chacun, avec gravité, et à leur manière, ont pris acte de cet événement gigantesque, de cet brèche dans la civilisation occidentale qui allait préfigurer notre monde actuel, monde libre ou soi-disant libre, et dont la « liberté d’expression » en est un rejeton, mais un rejeton qui dans ses manifestations les plus « extravagantes » s’avère de nature tout autant nihiliste.

Car si tout est permis en effet, puisque plus rien n’est vrai, juste et stable, alors l’acte gratuit, l’insulte et l’offense elles-mêmes gratuites ne sont plus répréhensibles. On peut même rire de tout ! On le doit, même ! On peut rigoler des crimes contre l’humanité, des pauvres, des noirs, des juifs, etc. ! On peut, sous couvert d’un déni de réalité,  blesser les peuples, leur histoire, leurs croyances, nier leurs spécificités, leur fragilité. On peut faire fi de l’emprise capitaliste qui reconfigure le monde entier, et des antagonismes sociaux et culturels qui se se jouent entre pays depuis des siècles, en font « plier » certains, les retranchant alors dans la crispation idéologique ou religieuse. Oui, on peut tout faire, et jeter sur le feu qui couve l’encre noire de l’humour qui ravivera ce feu au lieu de le contenir. Oui, on peut tout cela. On le peut puisque nous-même, peuple des lumières, sous couvert d’auto dérision, de liberté d’expression, nous rigolons de tout, de nous, que l’on doit surtout rire de nous puisque « le rien de l’individu » constitue le nouveau fondement métaphysique et sociétal de l’homme à l’époque industrielle, son ultime vérité contemporaine…

Mais ce que notre époque a oublié c’est que si plus « rien n’est vrai » tout, pour autant, n’est pas permis ; et qu’une arrogance creuse, sinistre et imbécile, vide de substance, remplit souvent le « tout est permis ».

 

Et c’est certainement cette outrecuidance française (11), cette bêtise, cette gratuité si insupportable pour les pays humiliés par la France et l’Occident, qui ont été la cible de ces attaques terroristes. Et je ne suis pas loin de penser, au risque de choquer, que ces meurtriers ont hélas exaucé les vœux imbéciles et criminels – vœux que la répression des pulsions d’agressivité inhérente à toute socialisation empêche de se réaliser – de nombreuses personnes pourtant et fort heureusement marginales et minoritaires. Reste qu’après cela, les victimes collatérales de ces actes terroristes sont les musulmans. Ce sont eux qui sont à plaindre. Eux et tous les croyants sincères ; tous ceux qui sont aux antipodes de telles pensées haineuses et de tels actes. Ce sont vers eux qu’il faudrait se tourner. Car finalement l’arrogance française, la rapacité du capitalisme occidentale et de son mode de vie, vont, eux, voir leur légitimité renforcée comme modèle planétaire… Car c’est évidemment un système qui a été attaqué, un modèle de société et qui se veut global, et qui ne se limite donc pas qu’à la France (il n’y a qu’à lister les soutiens reçus du « monde entier », c’est-à-dire, à quelques exceptions près, des systèmes capitalistes occidentaux triomphants). C’est l’Occident qui a aussi été visé.

 

Cela dit, je ne veux pas ici battre plus qu’il ne se doit la coulpe de la France ou de l’Occident, et exempter de condamnation absolue ces antichambres criminelles culturelles que sont Al-Qaïda, l’État islamique et autres associations de malfaiteurs, pourvoyeuses barbares et sadiques de terroristes, racistes, antisémites, anti-occidentaux, etc. Loin de moi, donc, l’idée de verser dans l’angélisme partial et partiel (il n’y qu’à observer l’attirance de l’Europe sur les populations immigrées, ou l’emprise religieuse et réactionnaire que vivent ces mêmes immigrés dans leur pays), mais il semble bien que ce soit cette outrecuidance (12) et ce mépris français qui ont été les raisons des attaques ; arrogance dont Charlie-Hebdo en était, sous sa forme propre, un des exemplaires médiatiques emblématiques.

 

Dès lors dans ce contexte-là – et pour continuer sur Charlie-Hebdo – contrairement à l’argument avancé, un simple dessin n’est plus un dessin. Il est plus qu’un dessin ; il n’a pas, n’a plus ce caractère naïf ou désintéressé tel que de jeunes enfants à leurs heures perdues peuvent en faire. C’est un dessin qui, s’il critique certes à sa manière (par le rire, l’humour, la satyre, etc.) le pouvoir dominant dont il est issu, n’en représente pas moins ce pouvoir et cette idéologie lorsqu’il traite notamment, et surtout, de la question religieuse, c’est-à-dire d’une des questions centrales (et brûlantes) sur laquelle ce pouvoir en place s’est fondé depuis des siècles pour accroître son hégémonie. Car qui ignore encore qu’avec la guerre la religion constitue le terreau quasi métaphysique des sociétés et de leurs luttes historiques ? C’est ici alors que le dessin d’un journal perd sa dimension simplement picturale et esthétique pour devenir une arme ; une arme contre les religions ; une arme politique qui, interprétée plus ou moins bien, devient alors une arme de guerre.(13)

 

Quelques mots pour terminer. Les actes terroristes qui ont touché la France avaient déjà touché d’autres pays, occidentaux et autres. Ces actes commis en France furent de nature racistes, antisémites et anti-occidentaux. La France en fut naturellement ébranlée et il convient de compatir pour tous ces morts et les blessures infligées. Le scandale fut que, parmi ces meurtres, un emblème fort de la nation était mis à terre. Il convenait de ne pas céder au terrorisme, et le « Nous sommes tous Charlie » peut s’entendre ainsi. Mais je ne peux disjoindre cette réaction de l’aspect spectaculaire que ces actes terroristes ont revêtu. On s’en est indignés, bien sûr, mais de la même manière que le spectacle de l’avarie d’un pétrolier échoué sur les côtes françaises nous indigne. A contrario, l’apparition sur notre planète – apparition visible (mais muette) – d’un 6ème continent composé de résidus toxiques engendrés par la production capitaliste planétaire ne nous révolte pas. Parce que ce n’est pas spectaculaire, même porté à notre connaissance (14) : parce que ce qui n’est pas spectaculaire ne nous émeut pas, ou plus. Pourtant, des atteintes à l’homme, des crimes contre l’humanité, à commencer par cette violence quotidienne de l’exploitation de l’homme par l’homme, sont perpétuellement perpétrés : cela ne nous indispose pas. Des crimes contre la terre et la nature, également. L’obsolescence de l’homme, au regard des machines, et la folie nucléaire qui a fait entrer la mort dans la vie devraient nous exhorter à cette vraie révolte : « Nous sommes tous la vie ! ». Mais le capitalisme continue de comploter avec le capitalisme – et forcera à s’y convertir les pays récalcitrants. La France pactise « diplomatiquement » (marchés juteux obligent)avec les puissances du mal : celles de l’argent, des dirigeants les plus corrompus et réactionnaires tenant le peuple en laisse – cela ne nous émeut pas. Le « Soft Power » – qui n’est « soft » que pour un esprit démoniaque – multiplie au jour le jour ses croisades (15) via ses hommes d’affaires et autres entreprises multinationales, – cela va de soi.

 

Ainsi va le monde, nous dit-on, qui va de soi. Ce n’est pas ainsi qu’ira le monde. Espérons que « Nous sommes tous la vie ! »

 

 

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(1) Concernant ces individus, adeptes de « l’Islam radical » comme ils semblent en avoir donné les signes, leur connaissance même rudimentaire de cette religion paraît certainement exagérée. Cela ne les en excuse en rien pour autant – bien entendu. Ils semblent plus certainement avoir été les victimes d’un endoctrinement à la haine ; endoctrinement dont, j’y ai insisté, nul d’entre nous n’est absolument à l’abri. L’un d’entre eux par ailleurs souhaitait devenir footballeur professionnel et aurait mal vécu cet échec. Footballeur…

Andy Warhol –  parangon du Pop art contemporain répugnant – aurait résumé notre époque (et par là-même les motifs cachés de ces soi-disant artistes…) par

cette formule visionnaire : « In the future everybody will be world famous for fifteen minutes. » « Dans le futur toute personne connaîtra son quart d’heure de célébrité dans le monde. )- Le football… : la célébrité, la gloire…

 

(2) Sur la question du nihilisme il ne semble pas inintéressant de rappeler qu’un des penseurs essentiels sur ce sujet, F. Nietzsche, employait ce terme pour qualifier la décadence même de la société européenne, décadence en cours au 19ème et 20ème siècle et qui allait inexorablement s’amplifier si les forces négatrices, entre autres les forces de l’esprit noble, ne parvenaient à contrebalancer le mouvement de la « médiocrité » puissamment incarné au travers

notamment de la Démocratie, des Droits de l’homme, du mensonge de l’égalité civique, de l’esprit de troupeau, du règne des masses, de l’opinion et du… journalisme…

(Voir, notamment, Ainsi parlait Zarathoustra, III « En passant ».)

 

– Il semble également important de noter que le concept de « nihilisme » a suivi par la suite une toute autre interprétation, que sa focale, pour ainsi dire, s’est modifiée pour ne plus se braquer que sur les seuls actes terroristes issus du fanatisme religieux. Ce « changement de focal » ayant ainsi le « mérite », confortable, d’évacuer la critique centrale de Nietzsche, de juger des actes terroristes isolés au détriment d’une analyse scrupuleuse de la société occidentale…

 

(3) Je n’ignore pas que se référer au « bon sens » peut nous conduire sur un terrain glissant… Car le « bon sens » est façonné par la société et sa propagande idéologique. Il évolue, donc. En cela il est relatif et non universel. Par exemple, voter aux élections républicaines suit « le bon sens » pour l’écrasante majorité des citoyens…

J’utilise donc le terme « bon sens » pour qualifier l’expression du sentiment immédiat de justice et d’injustice, de décence et d’indécence. Je l’emploie, à la manière de J.C. Michéa, comme un concept philosophique. Ce « bon sens » serait alors comme le substrat moral et « instinctif » de l’homme qui préexiste à sa socialisation et la conditionne, ou encore, métaphoriquement parlant, le sédiment originel qui subsiste une fois la marée d’indécence retirée de la plage souillée.

 

(4) Le christianisme est en effet critiquable. C’est un euphémisme de le dire à lire certains passages du Lévitique (Lévitique 11 : « Règles pour la femme qui enfante », 15 : « Lois sur les impuretés », 16 : « La fête des expiations », 18 : « Loi sur la pureté morale », 24 : « Les blasphémateurs et meurtriers », 25 : « Les années sabbatiques », 26 : « Bénédictions et malédictions »).

 

Difficile, en effet, de ne pas être choqué par la perversité qui s’en dégage, les sanctions de mort qui y sont prononcées (« œil pour œil, dent pour dent ») si, par malheur, la loi de Dieu n’était pas scrupuleusement respectée. En comparaison l’appel de l’Islam à la « guerre sainte » ne paraît pas plus, ni moins, « insensé ».

 

– Le sujet restant sensible (exigeant de surcroît une lecture approfondie), je fais seulement part ici de mon impression devant ces textes (qui ne représentent pas toute la Bible) et me garde donc de toute affirmation définitive.

 

(5) A ce propos l’appel à « la minute de silence » partout en France et dans les établissements scolaires est sur ce point terrifiant. La tyrannie républicaine ne tolérant ici aucune dissidence.

 

(6) A quelques exceptions près les partisans de ce qu’on appelle la « Sociale-Démocratie ». Dénomination dont on se demande bien à quoi se rapporte le socialisme et la démocratie.

 

(7) Dont la figure la plus accomplie et tant admirée est Bill Gates. Capitaliste milliardaire concentrant à lui seul la fortune additionnée de celle de millions de pauvres, et traité en véritable héros des temps modernes.

 

(8) On consultera à cet effet, et pour approfondir, François de Bernard,    L’emblème démocratique, aux éditions MILLE-ET-UNE-NUITS.

 

(9) De nombreuses illustrations ne manquent hélas pas à ce sujet. Récemment : l’opposition au projet d’un aéroport à Notre-dame-des-landes,  ou celle contre le barrage de Sivens. Plus datée (29 mai 2005) : Le NON au référendum français sur le traité établissant une constitution pour l’Europe. Les décisions sont prises et les oppositions sont éludées ou écrasées.

 

(10) Je fais mienne, ici, cette très belle formule de Nietzsche : « Surmonte-toi toi-même, même dans ton prochain […] » (Ainsi parlait Zarathoustra, III, Des vieilles et des nouvelles tables, § 4)

 

(11) Cette arrogance française ne s’exprime d’ailleurs pas seulement à l’extérieur de la France. En son sein même des comportements méprisants, de supériorité, de discrimination sont portés à ce qui paraît vieux, ringard, rêveur, « réactionnaire » ou pauvre. Ces attitudes sont observables chez certains jeunes (victimes entre autres des mœurs libéraux de leur famille qu’ils reproduisent) mais aussi chez de nombreux consommateurs adultes occupant une statut social élevé (dans le commerce, la technologie, les banques, l’industrie, la politique, etc.). Les signes extérieurs de richesse en sont, à ce titre, un exemple parmi d’autres. Et parmi ces signes, la voiture notamment. Ainsi un « cadre supérieur » au volant de sa voiture, une rutilante mercedes à plus 50000 euro, justifie fièrement son achat par le fait que lui ne « veut pas rouler dans une voitures de ploucs ! ». Cette tendance à l’insulte et à l’indécence, produite dans et par le système capitaliste, ne peut, dès lors que ce système s’exporte, qu’inévitablement dévoiler son visage intime et son rire, pour le moins sardonique.

Ce phénomène ne date d’ailleurs pas que d’aujourd’hui. Fin 19ème siècle, dans son roman « Le cœur des ténèbres » Joseph Conrad a décrit l’horreur colonialiste incarnée par le personnage central du livre, M. Kurtz, « ange exterminateur et prophète sanglant », comme l’annonce la 4ème de couverture, en qui un autre écrivain, précise-t-elle encore, T.S. Eliot, « voyait l’archétype de l’homme du 20ème siècle ».

 

(12) A titre d’exemple éculé d’outrecuidance on rappellera la fameuse « exception culturelle » dont se réclame la France.

 

(13) Je ne veux pas dire qu’il ne faut pas « s’exprimer librement » ; que l’on doit s’abaisser au « principe de réalité » (« Le réalisme c’est le bon sens des salauds » disait G. Bernanos (La France contre les robots). Je veux simplement dire qu’il est déraisonnable de mettre de l’huile (ou de l’encre) sur le feu lorsque ce n’est pas le moment. Doit-on, par exemple, dire à une personne lourdement dépressive en raison de l’implacable absurdité du monde ressentie qu’elle a la possibilité de sortir de cet enfer en se suicidant ? – Après tout, l’argument se tient, est cohérent…

 

(14) On pourrait évidemment multiplier les exemples en ce sens : l’énergie nucléaire, militaire et civile, l’extraction des gaz de schiste, l’énergie éolienne ; etc. A commencer évidemment par la production quotidienne de nuisances multiples et variées, d’objets idiots, inutiles, etc. perpétrées par le mode de vie capitaliste. Cela au nom du bonheur, de l’innovation technologique, du confort, de la consommation effrénée et de la croissance économique. – « Durant Le Progrès, le déluge »

 

15) L’origine du capitalisme est née en partie de la découverte de l’Amérique par Christophe Colomb. Par suite, d’autres initiatives privées d’explorateurs ont engendré le colonialisme et l’extraction de richesses (par l’exploitation des indigènes, le « commerce triangulaire », etc.) ; richesses confisquées et constituant un pactole non négligeable.

L’entrepreneur moderne représente encore, sous une forme nouvelle, l’explorateur du 15ème siècle. Le même paradigme domine : conquérir, non plus des terres, mais des marchés…

Réflexion et notes faisant suite à une émission sur Arte du 13/10/14. (Lire à ce ce sujet, Howard Zinn, Une histoire populaire des États-Unis – de 1492 à nos jours. Éditions Agone.)

 

 

Cédric Mesuron