Le multiculturalisme, contrairement à ce que l’on agite médiatiquement dans la littérature pseudo savante, n’est pas ce pluriculturalisme qui verrait les cultures interagir jusqu’à se brasser, s’embrasser, comme le dessine le nouvel idéalisme messianique occidental issu du culturalisme et du relativisme des années 60. Le multiculturalisme affiche plutôt l’inverse, en tout cas dans le réel.
Il indique via telle ou telle culture, ou contre-culture, qui l’affirme haut et fort, qu’il veut moins affirmer sa particularité parce qu’elle serait singulière et devrait donc être protégée (à l’instar d’une espèce menacée) que se rendre étanche d’influences provenant des autres cultures (en particulier occidentale) parce que la pérennité de toutes ses traditions (jusqu’à la haine viscérale du bourgeois) sont, doivent être, considérées comme inamovibles, c’est-à-dire essentielles pour son existence même, autrement dit pour sa nature métaphysique et les statuts qui en résultent, telle l’initiation du jeune révolté occidental qui fait ses classes dans les contre-réformes étudiantes, Christopher Lasch en a fait une étude remarquable (1), avant de finir notable socialiste ou journaliste idéologue.
Martin Heidegger avait prévenu que chez Nietzsche le terme de “race” ne doit pas être pris dans son sens biologique mais métaphysique (2). Hannah Arendt nomme idéologie totalitaire ceux qui utilisent la notion de “race” (3) en se souciant peu de la race en tant que singularité mais ce qu’elle signifie comme “idée qui permet d’expliquer le mouvement de l’histoire comme un processus unique et cohérent.”
Bien sûr, sous sa forme moindre, l’on peut souligner que le désir de singularité des Juifs est d’ordre métaphysique, et, pourtant, on ne pourrait guère le taxer de totalitaire comme s’est empressé de souligner l’archevêque de Canterbury tout récemment en indiquant que la Charia avait sa place sous certaines conditions au Royaume Uni, et ce de façon semblable à ce qui est déjà permis pour les Juifs orthodoxes.
Sauf qu’il ne s’agit pas de confondre singularité, diversité, et donc pluriculturalisme, et ce multiculturalisme qui se pose en réalité comme nation à part entière c’est-à-dire précisément une race métaphysique qui cherche à protéger obstinément l’essence de son existence. Ce souci de soi s’apparente en réalité bien plus au différentialisme si cher à la Nouvelle Droite ; et celle-ci n’a de nouveau que le nom puisque cette acception descend précisément de cette différentiation raciste (au sens métaphysique) qui a milité, par exemple en Algérie, mais aussi en Inde, pour la construction d’une distanciation y compris constitutionnelle entre “communautés” ; distanciation voulue également par les essentialistes religieux comme les ulémas arabo-islamistes dans le but d’éradiquer toute influence occidentale, (entendez démocratique, progressiste, comme la place des femmes, le statut du Patriarche comme chef de famille décidant du sort de sa progéniture à tous les niveaux), quitte à créer des tensions sanglantes afin que l’Occidental tombe dans la provocation et donc réagisse violemment créant un fossé de sang entre les communautés ; par exemple Sétif en 1945 ou, aujourd’hui, le fait de se planquer parmi ses propres civils pour bombarder indifféremment la population israélienne, afghane, irakienne, les représailles en retour créant ces dommages collatéraux qui alimenteront la haine anti-américaine et anti-sioniste.
Sous cet aulne, le nazisme apparaît comme la pointe extrême de ce souci de purification métaphysique, souci désireux d’éliminer des inférieurs, mais aussi des concurrents comme pouvaient l’être les Juifs pour la domination aryenne du monde. Ce souci est certes bien distinct du geste soviétique désireux d’éliminer le bourgeois pour le bonheur de l’Humanité a prévenu Raymond Aron en ce sens que l’aboutissement de l’idée soviétique c’est “le camp de travail” tandis que l’aboutissement de l’idée nazie c’est “la chambre à gaz” (4). Mais on peut aussi soutenir que l’hostilité soviétique, d’origine léniniste, de tout ce qui peut ressembler à un bourgeois a non seulement abouti à l’extermination d’une population en tant que “classe”, mais a également fabriqué une haine viscérale contre tout ce qui mettrait en cause l’Idée prolétarienne telle qu’elle fut revisitée (c’est-à-dire déviée) par Lénine : une haine allant jusqu’à remettre en cause les idées mêmes de science, d’art, de moeurs, posées toutes comme “bourgeoises” (jusqu’à aujourd’hui avec son point d’orgue dans les années 1970), ce qui nécessitait d’écarter radicalement, viscéralement, tout ce qui pouvait ressembler à cette culture “dominante” pour créer une contre, une “autre” culture absolue, au sens métaphysique de ne plus se sentir du tout lié à une histoire commune (définition de la Nation chez Ernest Renan) et dont on voit les accomplissements aujourd’hui : par exemple dans la lutte contre les OGM, dans le soutien au voile islamiste, à tous les mouvements séparatistes y compris les plus violents, dans la fabrication et la prolifération d’une littérature encensant la violence dans les mœurs, les luttes sociales, alors que la violence, à laquelle est apparentée l’esprit de compétition, est censée devoir être bannie de la vie économique et des dessins animés pour enfants ; on voit également agir cette métaphysique dans l’obstination à utiliser le désir de procréation comme une arme auxiliaire visant à démanteler encore un peu plus la famille “bourgeoise” ; tout ceci, cette masse culturelle d’autant plus imposante qu’elle devient de plus en plus la norme du « bougisme » répercutée en long et en large par les médias, alimente évidemment le désir des autres cultures de se protéger de toute cette boue pour une grande part nauséabonde comme l’avait souligné, brutalement il est vrai, Soljenitsyne, lors de son retour en Russie.
Le multiculturalisme, cette métaphysique de l’ordre multipolaire dont on nous chante les bienfaits, loin d’être donc la solution aux dérèglements du monoculturalisme anthropo et ethnocentriste de ce grand papa gladiateur qui aurait prétendu uniformiser et codifier le monde connu, jusqu’à la manière de manger une pomme et d’écouter de la musique, ce multiculturalisme qui veut devenir hégémonique s’avère générer des contradictions nous éloignant encore plus de ce souci visant à ce qu’il n’y ait plus d’opposition fatale entre valeurs communes et diversité de leur mise à forme selon la singularité. Autrement dit, loin de nous aider à ne pas opposer de façon simpliste universalisme des valeurs favorisant un développement en qualité ou l’affinement de soi, et manière de les traduire selon des singularités historiquement situées, le multiculturalisme, dans son essentialisme de fait vise bien plus à s’affirmer comme État dans l’État qu’à renforcer l’échange et l’innovation, moteurs de l’Évolution depuis qu’elle existe comme terre de l’Esprit humain.