Dark was the Night d’Emmanuel Meirieu
Quelques mots sur cette pièce écrite et mise en scène par Emmanuel Meirieu qui commence par une évocation en voix off accompagnée de projections sur le rideau de scène du « disque d’or de Voyager », ce disque portant divers témoignages sur la terre et les humains, qui fut expédié sur la sonde Voyager, en 1977, à destination d’éventuels extraterrestres. Le personnage en voix off explique qu’il était passionné de fusées dans son enfance et qu’un message de lui a été gravé sur le disque, un prologue humoristique quoiqu’un peu long qui passe néanmoins plutôt bien.
S’ouvre ensuite le rideau sur un superbe décor réaliste, en pente, représentant à jardin une forêt avec des troncs dénudés mais gigantesques puisqu’ils se perdent dans les cintres. Et à cour un terrain vague jonché de sacs de plastique. Deux paysages de désolation. Dans la forêt deux hommes blancs s’activent autour de quelques ruches malades. L’un deux est l’enfant du prologue, désormais âgé. Sur le terrain vague un homme noir en boubou bientôt rejoint par un comparse vêtu lui, à l’occidentale, qui nous apprend que ce terrain est un cimetière abandonné.
S’ensuivront deux discours parallèles dénonçant tous deux les maux présents ou passés de notre planète. À jardin le désastre écologique illustré par la mort des abeilles. À cour la misère, l’esclavage. Le titre Dark was the Night fait référence à l’un des morceaux gravés sur le disque, une chanson de Blind Willie Johnson (1897-1945), un musicien de blues et de gospel qui eut une grande influence sur ses contemporains mais n’eut pas moins un destin malheureux (aveuglé par sa belle-mère à l’âge de sept ans, finissant sa vie misérablement dans les ruines de sa maison incendiée).
Au fil de la pièce, il apparaîtra que l’un des apiculteurs fut donc l’enfant dont la voix est censément sur le disque et que Blind Willie Johnson a peut-être été enterré dans le cimetière à l’abandon. Deux histoires parallèles, des histoires qui sont racontées, illustrées : on assiste à l’euthanasie d’une ruche, à l’envol d’une petite fusée bricolée, on voit l’un des personnages fouiller le cimetière dans l’espoir de trouver la plaque du cercueil de Blind Willie Johnson ; le même personnage évoquera à un moment l’esclavage. Son compagnon en boubou ne parle pas mais il chante (fort bien). Une comédienne interviendra aussi, fugitivement. Mais tout cela ne fait pas théâtre, faute de dialogues (il n’y a que des monologues) donc d’interactions entre les personnages, faute de conflits, bref de tout ce qui fait l’essence du théâtre. La pièce se résume en effet à la dénonciation de quelques-une des maux certes bien réels dont souffre notre planète.
En tournée au Théâtre du Jeu de Paume, Aix-en-Provence, du 17 au 19 novembre 2022
Le Petit Garde rouge de Chen Jiang Hong – François Orsoni
Après l’Évangile selon saint Meirieu, un grand bol de fraîcheur et de beauté. Chen Jiang Hong était enfant, en Chine, pendant la Révolution culturelle. Il a connu intimement l’exil du père pendant plusieurs années dans un chantier de bûcheronnage, la pénurie confortée par les décisions des autorités locales, comme lorsque les habitants de son quartier ont été contraints de se débarrasser des poules qu’ils élevaient. Mais il connut aussi les bonheurs de l’enfance, un grand-père aimant, les joies de l’école dont il illustrait le journal et la fierté, le moment venu, d’endosser la tenue du garde rouge. Il raconte tout cela dans une bande dessinée intitulée Mao et moi, transposée au théâtre sous le titre Le Petit Garde rouge.
Disons tout de suite que cette pièce destinée autant aux adultes qu’aux enfants « dès six ans » est une très belle réussite. Cela tient avant tout à la présence sur le plateau de Chen dessinant lui-même son histoire à l’encre et au pinceau. Ces magnifiques tableaux projetés sur deux écrans géants, qui se construisent rapidement sous nos yeux (comme lorsque Clouzot filmait Picasso en train de peindre dans Le Mystère Picasso, 1956), représentent des paysages urbains ou de nature, les personnages de l’histoire, des animaux. Élégance, poésie, grâce et bien sûr beauté, on ne sait lequel de ces mots les caractérisent le mieux. Certains sont en noir et blanc et quelques-uns, par la grâce de la fonction négatif de la vidéo, en blanc et noir, d’autres en couleur. Avec quelque chose d’indéniablement asiatique dans le trait (chinois en l’occurrence – Chen a fait les Beaux-Arts à Pékin avant de s’exiler en France – mais ce pourrait-être aussi bien japonais ou coréen).
Un comédien, Alban Guyon, est le narrateur de l’histoire, donc un autre Chen qui raconte, celui-là, sa Révolution culturelle avec des mots et non des images. Bien que dans la quarantaine, il a un côté juvénile qui colle parfaitement avec le rôle. Il a de surcroît l’aisance et la diction qu’il faut pour se faire entendre aussi bien des jeunes enfants que des vieillards durs d’oreille. Il est entouré par deux danseuses d’origine asiatique chargées d’évoquer les sœurs de Chen et quelques autres personnages. Même si elles ne parviennent jamais à ravir la vedette au peintre, elles apportent sur le plateau un peu de la vie qui sans doute sans cela aurait fait défaut.
Que dire de plus, sans contredire la conclusion du compte rendu précédent, sinon qu’une pièce de théâtre n’a pas nécessairement besoin d’être construite dans les règles de l’art, qu’une « simple histoire » sans conflit ni coup de théâtre peut suffire si elle est une « belle histoire » et, naturellement, si elle est « bien servie », ce qui est à l’évidence le cas ici à commencer par Chen Jiang Hong lui-même. Grâce soit aussi rendue au metteur en scène François Orsoni et à toute l’équipe qui ont su l’accompagner et contribuer ainsi, chacun à sa place, à la réussite de ce spectacle tout public.
En tournée au Théâtre du Jeu de Paume les 23 et 24 novembre 2022