Un Tramway nommé désir
En attendant d’assister au spectacle grec curieusement nommé 6 a.m. – How to disappear Completely et qui se tient en fait à 6 p.m. (18 h), nous nous sommes laissé tenter par le Tramway… de Tennesse Williams, attiré en particulier par la tête d’affiche, Francis Lalanne, dans le rôle de Kowalski, le mari de Stella, la sœur de Blanche. Stella est la figure centrale de la pièce, celle autour de qui se noue la rivalité entre les deux autres protagonistes. Mais Stella n’intéresse pas le spectateur : elle est trop sage, trop lisse, trop naïve. Il en va autrement des deux autres, les faux durs, Kowalski, dit « le Polak » par Blanche, un être frustre mais dont les colères sont dévastatrices, et Blanche, dite « dame Blanche » par Kowalski, élégante, hautaine avec l’humour qu’il faut et un physique à damner un saint. Ils ne sont pourtant que de faux durs comme la pièce le fait découvrir progressivement.
Bien nous a pris d’aller voir cette pièce, pas seulement à cause de F. Lalanne, bien qu’il remplisse très honnêtement son contrat, surtout à cause de Julie Delaurenti qui campe une Blanche souveraine. Elle a tout ce qu’il faut pour interpréter ce personnage complexe à force d’en faire trop : trop de bagout, trop d’œillades, trop de mensonges, trop de réparties assassines, trop de robes moulantes, trop de décolletés plongeants, enfin trop de tout ! Pour jouer un tel personnage, il faut une forte personnalité d’acteur, et de la personnalité, J. Delaurenti en a à revendre. Il n’est pas nécessaire de faire l’éloge ici de la pièce de T. Williams. Ceux qui ne connaissent que le film d’Elia Kazan constateront que la Blanche de la pièce n’est pas exactement la même que celle campée par Vivien Leigh : elle effraye les hommes bien plus qu’elle ne les séduit. Dieu sait pourtant qu’elle est séduisante… mais elle a des failles et elle fait peur.
6 a.m. – How to disappear Completely
Retour au IN. Pour les lecteurs qui ne fréquenteraient pas le festival d’Avignon, il faut préciser qu’il y a un monde, ou plutôt un gouffre (financier) entre les spectacles du IN et du OFF. Le IN dispose des lieux emblématiques du festival, d’un budget conséquent et peut se permettre d’inviter ou de coproduire des spectacles « prestigieux ». Le IN est d’abord la vitrine du théâtre contemporain. Et il en va du théâtre contemporain comme de le l’art contemporain. Ce n’est pas parce qu’un Jeff Koons, par exemple, est exposé dans les plus grands musées et se vend à prix d’or aux quelques collectionneurs et musées qui font le marché de l’art, qu’il est un artiste authentique. De même, ce n’est pas parce qu’une pièce de théâtre est invitée dans le IN qu’elle doit être automatiquement considérée comme un chef d’œuvre… On a trop souvent fait l’expérience du contraire. C’est encore le cas avec 6 a.m., l’œuvre d’un collectif grec (le Blitztheatregroup) inspirée du poème d’Hölderlin, « Ménon pleurant Diotima ». Avignon n’a pas de chance avec Hölderlin. Déjà, il y a deux ans, Hypérion mis en scène par Marie-José Malis n’avait pas soulevé l’enthousiasme. C’est pire ici et l’on s’en rend compte dès l’interminable prologue pendant lequel une comédienne, à l’avant-scène, débite dans un micro en brandissant une hache et sur un ton monocorde les vers d’Hölderlin en grec surtitré en français. La suite sera à l’unisson de ce prologue prodigieusement ennuyeux. Les comédiens évoluent dans un décor d’échafaudages, dont une sorte de tour mobile. D’une manière répétitive, des pierres tombent des cintres sur la scène. On entend de temps en temps quelques vers supplémentaires du poème. Des bruits divers évoquent (peut-être) une usine à l’ancienne. Il y a un certain jeu avec des cordes et des plaques de métal (voir photo). Ce théâtre essentiellement sans parole et sans narration repérable dégage un ennui pesant. La plupart des spectateurs applaudissent néanmoins, certes sans chaleur excessive. On imagine que, parmi eux, certains furent donc saisis par « la puissance des images à la beauté stupéfiante » du spectacle, comme l’écrit un confrère – lequel ne craint point les hyperboles – dans I/O – La Gazette des festivals.
Ils tentèrent de fuir
Après l’épreuve de 6 a.m., un petit tour aux Doms paraissait tout indiqué. Ce théâtre sélectionnant les meilleures créations de la Belgique francophone, la qualité y est généralement garantie. Elle est au rendez-vous avec l’adaptation du bref roman Les Choses, de Georges Perec, par Soufian El Boubsi et Joachim Olender qui signent également la mise en scène. Une adaptation au sens fort du terme puisqu’il s’agit non seulement de donner à entendre le texte de Perec (publié en 1965) mais encore d’en donner, parallèlement, une version actualisée. La réussite est totale, même si l’on aime moins les moments – brefs – où les comédiens se contentent de lire des extraits des Choses. Le roman est une méditation allègrement désenchantée sur la société de consommation, en forme de récit. La version 2016 est différente puisqu’elle prend souvent la forme d’un dialogue, parfois très vif, entre les deux comédiens présents sur le plateau. Au-delà des fantasmes, de nos fantasmes de consommateurs, la pièce fait apparaître la panique de celui qui prend soudainement conscience de la vanité d’une course après les « choses » sacrifiant l’être à l’avoir.
Les deux jeunes comédiens sont parfaits aussi bien dans la drôlerie que dans la colère, la dispute ou l’émotion. Une mise en scène imaginative évite la confrontation permanente entre les deux interprètes tout en faisant de leur complicité un atout de ce spectacle. Ils sont jeunes et beaux, sympathiques, sachant communiquer discrètement avec le public. Leur texte est intelligent de bout en bout, tant celui d’aujourd’hui que celui – évidemment – de Perec. Que demander de plus ?