En mémoire de la chanteuse, mais aussi de la comédienne et de l’écrivaine : Oh ! Pardon, tu dormais
Jane, pour toujours, s’est endormie… Le 13 de ce mois de janvier 2024, il était attendu que Jane Birkin fasse escale à Rennes, au Théâtre National de Bretagne, pour son concert intitulé Oh ! Pardon, tu dormais, titre éponyme de la pièce de théâtre qu’elle produisit elle-même en 1992, et dont Étienne Daho, subjugué par « cette bagarre nocturne entre une femme qui réclame des preuves d’amour et cet homme qui fuit en silence », décida, vingt ans après, d’extraire certains passages, destinés à devenir des chansons – écrites dans les mots simples et directs de leur interprète. Que le directeur du TNB, Arthur Nauziciel, soit remercié d’avoir initié ce bel hommage à l’artiste et à la femme dont on connaît, au-delà de l’apparente fragilité, la force, la tendresse de cœur, et les engagements.
Un hommage en deux temps, sur la grande scène du théâtre Jean Vilar, dans une ambiance douce et feutrée, presque recueillie, et délicate comme Jane. Dans une chaude atmosphère, créée par les canapés rouges côté cour et côté jardin – où attendre son tour d’entrer sur le devant –, comme par la lumière intime de lustres de verre suspendus et des « servantes » alignées en bordure de plateau. Se trouvaient réunis, auprès d’Arthur Nauziciel qui lui-même ouvrit la soirée, des artistes ayant répondu “présent” à l’appel, parce que désireux de donner corps, en chansons, déclamations de textes ou poèmes, au fantôme encore si proche de Jane. Au chant, Keren Ann Zeidel et Albin de la Simone, à la lecture des écrits de Jane, Natacha Régnier et Pascal Grégory.
Il nous fut proposé ensuite une projection exceptionnelle, sur grand écran, de La Fausse suivante, la pièce de Marivaux mise en scène par Patrice Chéreau, filmée en juin 1985 au Théâtre des Amandiers, à Nanterre, et qui fut à l’origine de la carrière théâtrale de Jane. Un moment teinté de mélancolie, tant pour Jane que pour Chéreau, lui aussi disparu, qui a marqué toute une génération d’artistes et dont on redécouvre là l’importance qu’il accordait au corps des comédiens, faisant de Marivaux une lecture où la sexualité prenait toute la place que souvent on n’osait lui accorder. Une représentation où Jane, si jeune alors, servie par une silhouette androgyne qui donne au travestissement cher à Marivaux toute sa crédibilité, magnifiée par une sorte de douce innocence et par l’ingénue beauté de son visage, où Jane donc assume, non sans quelques maladresses de débutante mais avec une indéniable grâce, le rôle de la riche comtesse, déguisée en chevalier afin de connaître la nature véritable de celui qui prétend à sa main, mais n’en veut qu’à sa fortune.
Une soirée qui m’a fait redécouvrir la chanteuse sous un jour nouveau, et donné l’envie de lire, publié chez Albin Michel, le texte de la pièce de théâtre pour deux personnages, Oh ! Pardon, tu dormais,sorte de psychanalyse nocturne d’un couple qui se défait. La pièce devint, pour la chaîne de télévision Arte, un film réalisé par Jane Birkin elle-même, interprété par Christine Boisson et Jacques Perrin, avant d’être jouée au théâtre de la Gaîté-Montparnasse, à Paris : Jane y tenait le rôle de « ELLE », le rôle de « Lui » étant endossé par Thierry Fortineau. De cette œuvre, Jane écrirait : « La passion de l’amour, la jalousie, les regrets, la peine des coups de foudre, les remords, la culpabilité, tout y est exprimé. Une nuit de cauchemar, qui pourtant débute par une blague… Cette comédie qui vire au drame est peut-être ce que j’ai réussi de mieux… »
Rennes, le 21 janvier 2024