Comptes-rendus Publications

Vous avez dit « wokisme » ? (2)

Après la publication des Actes du colloque sur la Déconstruction (1), la Revue des Deux Mondes, dans son numéro de l’été 2023, a pris le parti de traiter le wokisme sous un angle humoristique. Ce « Bêtisier du wokisme » met le doigt sur les prises de position invraisemblables et pourtant défendues avec beaucoup de sérieux des partisans de cette nouvelle mode intellectuelle (à défaut d’être intelligente). Que tout cela puisse, chez certains, partir d’un bon sentiment (justice, égalité, réparation), nul ne le niera. Encore qu’on repère chez eux beaucoup de ressentiment, cette passion triste. S’il peut se comprendre au sein de certaines minorités qui se sentent, à tort ou souvent à raison, brimées, que dire de ceux, appartenant d’emblée à la majorité ou qui s’y sont parfaitement intégrés, qui veulent paraître encore plus « éveillés » que les autres ?

Il faut admettre que le ridicule ne tue pas, en tout cas pas immédiatement : les « perles » collectées dans ce numéro de la revue le démontrent abondamment. Les incroyables et les merveilleuses sont ressuscités qu’on ne remarque plus de nos jours à cause de l’extravagance de leurs tenues vestimentaires mais de leurs propos, oraux comme écrits, avec dans ce dernier cas les préciosités supplémentaires de l’écriture dite « inclusive ».

On ne rit plus mais on est atterré quand on voit des institutions a priori respectables et chargées de défendre le droit, comme le Conseil de l’Europe, faire placarder sur les murs de nos villes « La beauté est dans la diversité comme la liberté est dans le hijab ». Il faut être gravement intoxiqué pour penser une chose pareille, que dire alors quand il s’agit d’une institution où les décisions se prennent à plusieurs et sont en principe mûrement réfléchies ? Le Planning familial n’est pas en reste qui affichait crânement il y a peu : « Au planning, on sait que des hommes aussi peuvent être enceints » (sic!). Ce ne sont pas des cas isolés : Disney censure des dessins animés qui ont fait le bonheur d’enfants du monde entier pendant des décennies, l’Opéra de Florence modifie la fin de Carmen car « on ne peut applaudir au meurtre d’une femme », comme l’explique savamment le metteur en scène, etc., etc.

Quand des institutions réputées sérieuses atteignent un tel degré de stupidité, on peut s’attendre à tout de la part de personnes, publiques ou non, s’exprimant en leur nom propre comme par exemple Sandrine Rousseau qui ne veut faire confiance qu’à des  « hommes déconstruits », et déclare par ailleurs que « le monde crève de trop de rationalité », ou comme Rama Yade pour qui le simple fait de passer devant la statue de Colbert à Paris serait une « micro-agression ». Les animalistes ne sont pas en reste, depuis celle, élue de la Capitale, qui défend le droit à la vie des rats (d’ailleurs il faut renoncer selon elle à ce mot jugé trop dépréciatif et le remplacer par « surmulots »), jusqu’à celui qui interdit de tuer les moustiques, « des mères qui risquent courageusement leur vie pour leurs enfants en devenir » ! Quant à nous autres humains, gare à celui qui aurait, par exemple, pris une « personne non-binaire » pour un homme (ou une femme) : ce serait gravement « mégenrer ». La science elle-même n’est plus à l’abri de rien : puisque la rationalité est désormais de trop, on ne s’étonne pas si des professeurs professent qu’« un pénis peut être un organe sexuel féminin » ou que l’égalité 2 + 2 = 4 est l’expression du « suprémacisme du patriarcat blanc », sachant par ailleurs que les Blancs sont tous intrinsèquement racistes, à commencer par les anti-racistes… (Voir les citations complètes et leurs références dans la revue).

Des perles, on en trouve aussi chez les linguistes fémini.n.st.es à l’instar de celle qui voit dans l’alternance des rimes féminines et masculines un signe incontestable de la préférence perverse de la société patriarcale pour l’hétérosexualité. Dans la même veine, puisque les mots se terminant en « é » font des rimes masculines, notre linguiste à l’œil perçant explique que l’on a ajouté pour faire le son « é » un accent sur la lettre e parce que « l’homme se caractérise par un petit quelque chose en plus, qui monte quand il est dur » (sic). Incroyable et pourtant authentique (!)

Mieux vaut en rire et plusieurs contributeurs de ce numéro s’y emploient en imaginant quelques dystopies : un gouvernement présidé par Sandrine Rousseau, les mésaventures d’un employé confronté à un collègue « éveillé » ou la cuisine passée à la moulinette woke. Et comment prendre au sérieux ces soi-disant savants qui non seulement dissertent sur le langage des plantes mais prétendent le comprendre ?

L’examen de la bibliothèque d’une maison de vacances impose des coupes sombres. Exeunt Astérix et les Indiens, Tintin au Congo, Les Dix Petits Nègres ou la série des Martine (Martine petite maman, etc.), sans compter tous les livres qui, sous des titres apparemment innocents, dissimulent en réalité des horreurs, des personnages « gros » ou « laids » (les romans pour la jeunesse de Roald Dahl que l’on a entrepris d’expurger). Haro sur de tels ouvrages qui mettraient dans le cerveau des petites têtes (blondes ?) des idées irrémédiablement malsaines.

Pour les fidèles de la nouvelle religion, les adultes doivent tout autant être mis à l’abri – en tout cas avertis – des perversités contenues dans un trop grand nombre d’ouvrages littéraires émanant des plus grands auteurs mâles. Tout en jetant un voile pudique sur les aut.eur.ric.es qui se livrent à une propagande sexiste éhontée (les Catherine M. et consœurs).

Quant à l’art, il doit être lui aussi expurgé, quitte à détruire carrément des œuvres comme les statues de certains grands hommes, à commencer par Victor Schoelcher, père de l’abolition de l’esclavage dans les colonies françaises mais considéré comme un abolitionniste au trop petit pied, sans parler de Colbert – voir plus haut – jugé coupable d’un Code Noir publié après sa mort et qui cherchait pourtant à modérer les abus des maîtres. À défaut de tout casser, on peut réinterpréter. Ainsi, le buste célèbre de Carpeaux intitulé « la Négresse », dans lequel les contemporains ont vu ce qu’il voulait être, soit un «  appel inutile de justice, une protestation morne contre l’écrasement de la destinée » (Théophile Gautier), cette même statue est interprétée aujourd’hui par les « clair-voyants » du MET (New York) comme une œuvre érotique des plus ambiguës. Ce n’est là qu’un exemple : les religions sont pudibondes, le wokisme comme les autres. Quand les préjugés nourrissent l’ignorance, toutes les aberrations sont possibles.

On ne peut rire de tout. L’article qui traite de l’art ne prête pas à rire (le vandalisme n’a rien de drôle), pas davantage que celui qui soulève une question qui pourrait paraître secondaire mais qui concerne aujourd’hui toutes les sportives (les épreuves féminines doivent-elles accepter des compétitrices trans ?) ou le débat entre Jean-François Braunstein et Pascal Bruckner, débat ou plutôt conversation puisque les deux interlocuteurs sont des adversaires déclarés du wokisme. Ils soulèvent, entre autre, la question de son avenir : simple mode condamnée à terme par son ridicule ou nouvelle scolastique promise à s’installer durablement dans les universités… L’avenir tranchera mais l’on ne veut pas croire que la bêtise puisse s’imposer éternellement.

Rions, c’est l’été. Le bêtisier du wokisme. Perles et analyses. Revue des deux mondes, juillet-août 2023, 206 p., 20 €.

PS : Signalons également dans le numéro suivant de la Revue des deux mondes (septembre 2023) un dossier très substantiel sur le thème du déclin de la France.

(1) Michel Herland : « Vous avez dit wokisme ? »
https://mondesfrancophones.com/comptes-rendus-2/vous-avez-dit-wokisme/