Robert Belot, Observer l’Allemagne hitlérienne à travers ses minorités à l’étranger – Henri Frenay au Centre d’études germaniques de Strasbourg (1937-1938), Lyon, Presse fédéraliste, 2022, 162 p. 15 €.
Le titre un peu trompeur recouvre en fait l’édition d’un précieux document, jamais publié jusqu’ici, le Mémoire présenté par Henri Frenay (1905-1988) à l’issue de son séjour au Centre d’études germaniques (créé en 1922 sous le double patronage de l’Université de Strasbourg et du Haut-Commissariat français à Mayence, en Rhénanie occupée par les force alliées conformément au Traité de Versailles). Suite à la démilitarisation de la Rhénanie, en 1930, le Centre se replia sur Strasbourg. Le jeune capitaine Frenay s’y fit affecter pendant l’année académique 1937-1938. Le choix de son sujet de mémoire apparaît particulièrement pertinent : c’est en effet au nom de la défense des minorités allemandes à l’étranger qu’Hitler développera sa théorie du Lebensraum (l’espace vital) et justifiera ses premières conquêtes territoriales.
Son mémoire qui occupe les 100 dernières pages du livre porte précisément sur « La minorité allemande en Haute-Silésie polonaise ». Il traite d’abord de l’histoire de ce territoire, puis de la situation effective de la minorité allemande (environ un million parmi quelque trente millions de Polonais) au regard de ses droits et se termine sur l’actualité alors brûlante des relations germano-polonaises. 1937 est en effet une année particulière, marquant la fin de la Convention de Genève (1922) qui régissait pour quinze ans le sort des minorités. Dès lors, à lire Frenay, il est indéniable que la situation des Allemands de Silésie s’est dégradée et ce en dépit de l’accord signé par l’Allemagne et la Pologne en novembre de cette année-là. Cela ne pouvait que renforcer le risque d’une confrontation militaire comme le souligne Frenay dans les dernières lignes de son mémoire.
Son texte est précédé d’une fort intéressante introduction par René Belot (1). Ce dernier montre combien la liaison de Frenay, à compter de 1934, avec Berty Albrecht a joué un rôle essentiel dans l’évolution de sa personnalité, celle d’un officier de « droite française, traditionnaliste, pauvre, patriote et paternaliste » (suivant ses propres termes) qui deviendrait le chef du mouvement de résistance Combat. Berty Albrecht (1893-1943), mariée mais séparée de son mari, était de gauche, féministe, membre du comité exécutif de la Ligue mondiale pour la réforme sexuelle… Par son intermédiaire, Frenay, élève à l’Ecole supérieure de guerre de 1935 à 1937, put connaître des intellectuels et des artistes, souvent marxistes, qui lui firent découvrir, avoue-t-il lui-même encore, « des horizons moraux, politiques et psychologiques tout à fait différents de ceux [qu’il avait] connus jusqu’alors ». C’est aussi dans le salon de B. Albrecht qu’il eut l’occasion de rencontrer des Allemands exilés à Paris et de prendre toute la mesure du péril nazi. Le séjour ultérieur à Strasbourg – où il lut Mein Kampf – et ses travaux sur les minorités allemandes ne feront que renforcer sa conviction à cet égard.
Même si comparaison n’est pas raison, il est évidemment tentant de rapprocher la stratégie mise en œuvre par Hitler pour étendre le Reich allemand de celle de Poutine aujourd’hui. On lira avec intérêt sur ce thème l’entretien de Robert Belot avec Chloé Fabre dans le précédent numéro de Pour le Fédéralisme (n° 192, mars 1922, p. 20-22).
(1) Voir l’ouvrage de Robert Belot sur Frenay résistant : Résistance et conscience européenne – Henri Frenay, de Gaulle et les communistes (1941-1947).