Dans une première approximation, l’œuvre peut-être considéré comme un méta poétique dans lequel se fait jour un projet de vie exprimé dans une longue plainte, c’est-à-dire un lamento très caractéristique. Dans ce premier cas, c’est le processus d’écriture qui est prévalent. Cependant dans une deuxième approximation, on peut envisager le recueil comme un regard sur soi mettant en cause un biographème et aussi un regard autour de soi, mettant en cause (le milieu environnant). C’est alors le contenu qui constitue l’angle de vue principal. Trois phases qu’il faut prendre en considération pour se faire une idée générale de l’ensemble de l’énoncé, cependant que nous figurons sous forme de deux problématiques pour faciliter nos commentaires, celle de l’écriture des poèmes eux-mêmes et le contenu déposé dans ces poèmes.
Problématique du contenu. Il s’évidente alors que ce que l’on est et ce que l’on ressent, et lieu où l’on est sont d’une grande importance dans la logique du texte. De manière concrète, il revient à dire les choses de la vie de soi, c’est-à-dire de son vécu sous forme de projet de vie ; et également ce qu’on dit du monde autour de soi et de l’au-delà. Alors il est évoqué tout ce que la poésie peut dire avec les moyens de la poésie au travers des motifs traités. Vient la politique sous forme d’envolées lyriques. C’est un regard sur le monde qui s’intéresse à l’Afrique (Ukulélé, Négresse). Avec insistances émerge le motif de la déchéance de l’homme (activité donnant ouverture sur l’au-delà) ; c’est en rapport à la quête de la femme morte qui a été source d’inspiration, donc source de poésie comme égérie ; justement cette créature partie concrètement pour l’au-delà revient sous forme de souvenir ou de fantôme. Ce qui donne lieu au motif de la nostalgie. Donc les caractères de l’œuvre s’affirment au travers de l’émergence des thèmes formés à l’occasion des mouvements de l’œuvre dans sa chimie sécrète.
L’œuvre affirme l’idée de l’existence de Dieu, mais sans préciser quelle place il occupe dans l’univers et la vie des gens. Flotte dans l’air un certain élan religieux demeuré à l’état latent mais jamais formulé ou concrétisé d’aucune manière.
Problématique de l’écriture poétique. Dans son articulation se pose la question de la méfiance du poète à déterminer la forme pour dire qui épouse sa vérité. Par ailleurs il y a comme le refus d’un tout organisé dans un univers qui promeut le fragment des visions ou images cubistes. On assiste à l’éclatement d’un monde, de saisons, en des éclats de discours obscurs. En l’occurrence, il y a effacement de tous les signes grammaticaux d’un discours articulé qui porte un message cohérent. On offre le chaos du texte pour exprimer le chaos d’un référent qui échappe à toute appréhension. Il s’agit d’éviter sciemment toute résonance entre signifiant et signifié.
On voit à l’œuvre l’esthétique de l’œuvre qui correspond à celle des « arts modestes » qui privilégie le commun, le quotidien, le prosaïsme, le banal, le petit, une diminution de soi qui frise l’effacement. D’une manière générale, tout est écriture ou l’écriture est tout, car elle mène à tout, ou au contraire, tout mène à l’écriture. Mais écriture équivaut à poésie, et vice versa.
Dans notre commentaire, nous prendrons en compte les points suivants comme objet d’études, savoir : la quête de la Femme qui se mire dans trois miroirs. Elle est celle par qui tout arrive ici-bas comme dans l’au-delà. C’est le poète tournant autour de soi. En deuxième point : Le poète, sa conception de l’homme et ses relations avec le monde. C’est le poète autour de soi. En troisième point : La poétique de l’œuvre qui donne les recettes de son écriture. Et l’œuvre comme méta poétique qui réfléchit sur la philosophie de la poésie.
La conclusion. Reprendre l’idée de la quête de la femme pour montrer le réel et l’irréel, le factuel et le fictif se combinent. Et finalement, il reste l’écriture qui est une machine à broyer à laquelle tout sert de carburant, qu’il s’agisse du factuel ou du fictif.
Le poète engagé en ses multiples casquettes. Si la poésie est une dans son essence, elle est multiple dans les thématiques traitées. Il en va autant du poète qui est susceptible d’arborer plusieurs casquettes. Tel est le cas de l’auteur des textes de notre recueil. Quand le poète lève la tête, il porte le regard sur le monde pour envisager ses problèmes en tant que poète philosophe réfléchissant sur la nature et le sort de l’homme ; ensuite en sa qualité de poète intellectuel il s’intéresse aux problèmes politiques de son pays et ses environs ; enfin en sa qualité de poète humaniste et cosmopolite, il plaide la cause de l’Afrique. A ce propos, il est bon de mentionner le poète homme spirituel féru de métaphysique qui élabore au sujet de la ville de Jérusalem dans sa dimension spirituelle.
Le poète et la politique. Dans le poème quelque chose de plus réel que le néant on a perçu un vrai élan politique dans lequel s’est élevé le cri du cœur du poète qui évoqué « le coup de feu de la révolte » (38). Dans un autre poème beaucoup plus long, savoir Bible Belgrade moi et le moulin de Také, il s’est fait plus explicite en exprimant sa joie à l’annonce de la mort de l’homme d’État dont la mort a symbolisé la fin de la dictature, et cela sur un ton de dérision. Il a écrit : « olé, olé Ceauşescu n’est plus ».
Le poète, sorti de sa tour d’ivoire, pose le bon regard sur le monde, c’est-à-dire un regard lucide capable de produire des analyses lucides et clairvoyantes, ce qui est à l’opposé du regard d’ivresse de l’homme ivre qui jette un regard trouble sur les événements. Généralement, l’ivresse atrophie notre capacité de jugement, ce qui, par voie de conséquence diminue notre capacité de participation. Donc sur le plan civil et social, l’ivrognerie est un crime contre la société, et les ivrognes sont condamnables. Le couperet du jugement tombe : ivrognerie revient à « gaspiller à son gré les années les plus belles ».
Autre mésaventure politique en temps et lieu : Situation géographique : les Balkans. Là mésaventure est présentée sous forme d’inconfort musicale du poète, mortellement incommodé par « la trompette du régiment ».
Selon toute évidence, cette sortie peut-être interprétée comme une protestation anti-militariste, exprimée dans une analyse restreinte ; mais si on veut élargir le spectre, on y lirait la condamnation générale du train administratif dans son mode de fonctionnement.
Par ailleurs, le poète se pose en victime d’un état de chose, d’une situation qu’il désapprouve, décrite en cet image négative « je suis un cheval / tombé dans une fontaine/ dans une fontaine dans les Balkans » (96).
Au demeurant, le poète dénonce une valse de gaspillage généralisé auquel tout le monde participe : gouvernants comme gouvernés. En effet, c’est tout le monde « qui se met à grignoter/ l’argent public »(97). Mais de manière particulière, le poète ne manque de s’autojuger en laissant percer l’idée d’autoculpabilité, mais fondue dans la sanction de culpabilité générale qui pèse sur la société tout entière. En définitive, c’est l’idée du « tous coupable » qui émerge à la surface.
Poète humaniste et africaniste. Dans deux longs poèmes, prenant le terme « négresse » pour motif, il présente un plaidoyer pour le Vieux Continent, célébré d’abord comme le centre de gravité du monde, ensuite c’est un bilan jouant le rôle de mise en garde à l’Afrique elle-même.
Comme centre de gravité. C’est l’Afrique, berceau de l’humanité tendant un miroir dans lequel la race humaine peut venir s’identifier et se reconnaître. L’image poétique de l’Afrique, c’est la « négresse », véritable totem qui cumule tous les traits humains, éprouve tous les sentiments humains dont le vaste cœur recèle de la place pour tout-venant. L’Afrique ouvre les bras à tout le monde.
Mise en garde. L’Afrique, le plus Vieux Continent, après des milliers d’années, a sombré dans un immobilisme et un attentisme inquiétants dont elle doit se réveiller. En effet « elle ne boit ni ne mange/ seulement s’arrête et attend/ l’air immobile, effrayant/ depuis des milliers d’années/ elle ne fait qu’attendre »(55).
Quant aux rapports personnels du poète avec l’Afrique, nous en ferons mention dans le motif ayant trait à la poétique.
Poésie et réflexions sur l’homme. Les réflexions sur l’homme fusent de partout au hasard des vers, réflexions qu’il suffirait de réunir en un bouquet pour les analyser. Cependant, le poète se fait plus constant et plus précis dans les allusions, dans le poème un sentiment vert en hiver. Déjà le mot « hiver » dans le titre, est une bonne indication de « saison humaine » ou « saison de l’homme », mais à condition de tirer la saison vers son sens symbolique de néant du blanc à perte de vue et de solitude. On débouche alors facilement sur le désert. Après le poète associe l’homme à l’oiseau chantant haut perché, puis « à une cage/ d’où pousse un rameau abîmé/ par le vent sous la lune ». Donc situation très inconfortable dans un monde presque désenchanté, voire même désespéré. Enfin, nous croyons comprendre que l’homme est fondamentalement poète, et ce dernier est identifié à un oiseau.
Poésie et métaphysique. Le poète dans ses envolées lyriques touchant à diverses préoccupations exhale aussi des plaintes métaphysiques sous forme de prières adressées à des entités supérieures appartenant à des sphères situées au-delà du monde humain. Dans un poème fleuve qui est en fait une adresse à Dieu, il prend pour référent tantôt comme totem, investie du pouvoir divin, sur un plan général, mais également comme l’être le plus intime à soi. Quand il s’agit de Dieu, on s’adresse à lui de manière récurrente sous forme de « Dieu emmène-moi » (quatre occurrences), ou sous forme de « Dieu fasse que j’arrive à Jérusalem ». C’est l’expression de l’homme conscient de son impuissance cherchant du secours auprès d’une instance supérieure. Dans ce contexte dialogique, Jérusalem, la ville sacerdotale par excellence, joue un rôle essentiel.
D’abord, sur un plan général, c’est le lieu de la présence de Dieu qui, de ce fait, facilite la communication ; sur un plan particulier, Jérusalem est personnifié et se confond à l’être aimé ; « la nuit quand j’embrasse// la femme de ma vie à venir/ / j’embrasse Jérusalem montant au ciel » (102). Des textes épars expriment la même pensée de l’existence de relations des hommes avec des entités spirituelles dont les religions se font l’écho dans leur doctrine. Ainsi l’on peut recenser tout un champ lexical du religieux dans ces poèmes qui attestent du penchant métaphysique du poète. C’est le cas du poème le franc-tireur qui est qualifié en sous-titre de (poème pascal) Déjà dans le texte le salon du refusé, il est question de « lampe métaphysique » (71).
Poétique de l’œuvre. Le point de vue du poète sur le sujet est résumé dans deux poèmes. Le premier qui a pour titre de l’art poétique 1983, nous donne une précieuse indication, dans la formule : « de la lumière, si peu » selon laquelle la poésie doit prioriser la sobriété, la juste mesure, le juste milieu en évitant tout excès de brillance, d’ornements excessifs, ni abonder dans l’art oratoire ou scripturaire emphatique ; c’est aussi abhorrer le spectaculaire ; encore moins verser dans un art de l’abondance expressive, encore moins la surabondance.
La seconde indication est suggérée par le poème : description d’après une autre nature. C’est une intention ou désir de rompre avec la poésie existante pour faire œuvre nouvelle ou d’avant-garde. Alors, c’est une perspective nouvelle ou une nouvelle esthétique qu’il importe d’analyser pour se rendre compte de quoi il s’agit. A nous d’en juger après analyse.
« De la musique avant toute chose »
Primauté du Signifiant. La poésie s’adresse à l’oreille en tant que flux phonétiques, et le sens émane du choc des sons vocaliques et consonantiques. L’œuvre articule avec précision la différence entre du signifiant en tant que tels beaucoup plus que du signifié. Le mot, reçu comme phonème, est considéré comme un système de sons composant une musique. En tout état de cause, l’accent est mis sur l’harmonie ou disharmonie sonore. Ce qui est en résonance avec la poétique de Paul Verlaine proclamant sa fameuse formule : « de la musique avant toute chose ».
Esthétique de la répétition. Cette esthétique vise le cumul, la redondance et le ressassement non seulement pour créer non seulement des résonances sonores, mais également souligner à l’eau forte les aspects jugés importants du texte. C’est donc un acte stylistique pour mettre l’emphase. Un premier exemple est fourni par le poème un hibou de dix tonnes où l’on lit : « et les chiens de garde : très lourd bruit des chiens de garde […] des chaînes- des chaînes ». Il s’évidente que cette reprise des termes vise à focaliser l’attention sur « chiens de garde » et « chaînes » (17).
Répétition et leitmotiv.Une autre manière de répéter est le leitmotiv, qui est la reprise d’un même terme ou thème (ce qu’on nomme refrain dans un chant ou hymne), expression ou apostrophe dont l’exemple type est donné dans le poème fleuve Jérusalem. On commence avec le vers « Dieu emmène-moi » (quatre occurrences), remplacé par un autre vers exclamatif « ah quel harmonica rouge brillant » (deux occurrences).
À l’intérieur des vers le groupe nominal « harmonica rouge » est repris à maintes reprises. Ensuite c’est le cas pour le terme « Jérusalem » et le terme « femme » déjà dès la seconde strophe : « Dieu emmène-moi / de femme en femme/ à la femme de ma vie » (100).
Donc au long des vers du texte courant sur quatre pages, on nage dans un bain de sonorités dans les mêmes mots ou expressions qui reviennent pour produire une symphonie agréable ou dissonante selon ses préférences musicales.
Description d’après une autre nature. C’est un art du minuscule qui refuse toute convention orthographique pour abolir les formes et les structures phrastiques qui épousent la structure et l’organisation du monde. C’est un appel au chaos exprimé par le chaos de la phrase qui met tout élément sur le même plan générique et identitaire. C’est l’abolition de toute hiérarchie symbolisée dans les préséances de nom propre, d’origine, et bannissement tout signé de noblesse, ou d’académique par rapport au profane ou populaire, ou différence en noble et roturier. Tout est ramené sous le même ciel bas de l’indifférence, de non hiérarchie, ramener sous un même pied d’égalité du règne de la minuscule. Cet art se positionne sur la scène des arts modestes.
C’est art qui rassemble les frontières, les marges et les périphériques pour les fondre en un tout toponymique nous où tout s’égalise et s’assimile.
Autre caractère de l’œuvre : un art pour dire qu’il s’agit, qu’il revient à verser dans le prosaïsme, le langage commun du quotidien afin de s’identifier à l’art populaire qui se situe aux antipodes des arts savants et académiques souvent pétri de préciosité prenant le langage savant et élitiste pour véhicule. Sans pour autant abonder dans le simplisme.
Enfin, une esthétique du kitsch. C’est une esthétique du commun qui privilégie l’expression des choses banales et communes du quotidien frisant le prosaïsme. Le poète prend le contre-pied de l’idée qui veut que la poésie participe de ce qui sort de l’ordinaire en utilisant un langage châtié qui véhicule des sentiments et des idées susceptibles d’élever l’âme. Cet art du commun et du banal émaille les vers de vocables ou d’expressions de tous les jours, que l’on pourrait qualifier de lieux communs Dans le poème « lumière, doucement » et la lumière, si peu/ que ce soit/ pour allumer une paille/ sur les eaux », on ne peut qu’être surpris par le dernier vers « au bistrot ». On l’est davantage en lisant le titre du poème suivant (p. 17), un hibou de dix tonnes, car le terme « tonnes » est si peu usité en poésie. Mais l’auteur ne craint pas d’associer ou confondre langage ordinaire et langage poétique qui supposent l’usage d’un lexique choisi. Il a aussi comme objectif de conférer une essence de l’inattendu par l’emploi d’oxymore tel que « le tonnerre de l’harmonie trop forte ». Tout aussi inattendu dans un poème, l’expression « une poignée d’os » (19).
Métapoétique. Notre étude sur la poésie de Marian Drăghici nous a conduit à faire le départ entre poétique consistant dans le mode de création et d’écriture d’une œuvre, et méta poétique qui cherche à savoir ce que l’œuvre dit d’elle-même dans un processus d’autoanalyse ou d’autocritique. Cela trouve sa résonance dans l’œuvre de Gaston Bachelard dans son étude sur la poésie de Lautréamont où il est dit qu’ « il est complice de son œuvre ». En effet, on y décèle un double projet : un qui se limite à une analyse littéraire descriptive et objective qui dévoile les ficelles de création de l’oeuvre, et l’autre qui s’oriente vers la recherche scientifique afin de parvenir à des théories rationnelles et rigoureuses susceptibles de s’appliquer à toutes les œuvres de même nature. (Lautréamont, par Gaston Bachelard, Éditions Corti / Les essais) Pour ce qui regarde notre objet d’études, on constate que le poète écrit et regarde écrire ; et le poème se juge et s’autoanalyse dans une perspective d’autoréflexivité. Il importe maintenant de voir le processus dans le détail de ses différentes phases.
Première autoévaluation. Le poète a jugé que son travail poétique s’inscrit dans une perspective avant-gardiste se matérialisant dans la proposition d’une nouvelle prosodie qui remet en cause la prosodie de la poésie existante. C’est ainsi qu’il a qualifié sa poétique de Description d’après une autre nature (19). L’auteur annonce un renouvellement de la veine poétique, une nouvelle conception.
Seconde autoévaluation sur l’écriture poétique. Le poète affirme de manière implacable que l’écriture corrompt. Et poésie et corruption, même s’il s’agit de l’idée vague « d’écriture », dans le poème Caracal ma Sighişoara » où il est affirmé que « NB. À remarquer, avec un sentiment de cœur naturel, que le métier d’écrire corrompt / même le meilleur caractère intègre d’un chien fidèle / comme mon vieux fox-terrier Carl Gustave< (88) Que faut-il en penser ? Dans une première analyse, nous pencherons pour l’idée que pour le poète l’écriture ne rend pas meilleur mettant en garde contre toute idée d’en faire une panacée ou thérapie contre les blessures de la vie, ni non plus être considérée comme une religion rédemptrice. Donc la poésie ne sauve ni ne rend personne meilleur. Cependant dans une seconde appréciation, notre analyse sera plus nuancée, c’est-à-dire moins affirmative. Ce qui nous a conduit à suggérer prudemment des interprétations. Alors nous croyons comprendre que le poète associe poésie et humour pour faire « crever de rire ». En tout cas, c’est ce qu’il semble affirmer dans les vers suivants : « dans ces ténèbres j’écris/ réécris/ ainsi pour faire crever de rire/ la négresse » (p. 51). Peut-être une valeur thérapeutique qui passe par l’humour, il y a insistance sur la même idée plus loin dans le même poème, savoir : « l’art c’est à faire crever, / à faire crever/ de rire » (Ibid) !
Omniprésence de la poésie. Il parle de l’omniprésence de la poésie qui occupe tous les aspects de l’existence dans le quotidien du monde ici-bas, comme du monde de l’au-delà accessible au travers du rêve. Pour le premier élément, c’est la visibilité obsédante ou obsessionnelle de la poésie exprimée dans les poèmes « photographier le poème » (p.76). Et le geste d’écrire (pp.61-77). On est toujours dans la poésie, soit parce qu’on est entrain de l’écrire, ou parce que le poème est là par sa présence obsédante sur la page ou support matériel.
Trois visages du poète. Il y a trois manières de se manifester comme poète : Le poète dans l’acte d’écrire « dans ces ténèbres j’écris/ récris » (p. 51), « poète par sa manière d’être » ; poète par son statut de médium, c’est-à-dire celui qui « photographie le franc-tireur » Il n’est qu’un médium, un photographe du texte poétique, qui émane ou s’origine du monde du rêve. Donc le poème est de source onirique.
Poésie et vocation et inspiration. On n’est pas loin d’assimiler poésie et religion compte tenu du fait que les deux obéissent au même mécanisme, aux mêmes exigences du sacrifice de soi. En effet, l’exigence d’un art requerrant une présence de tous les instants parce qu’il absorbe tout l’être dans son vécu quotidien et onirique ne souffre pas de concurrence. Ce sacrifice va jusqu’à la mort. Le rapport est vite établit entre poésie et mort. On parle alors de poésie tyrannique C’est comme un cas de possession quand la transe poétique vous tient : « depuis des jours et des nuits, depuis des semaines entières / un grand poème (gsp) me hante, son haleine surtout » (77).
Poésie et onirisme. La poésie vient du rêve d’où il sort tout armé, que le poème copie ou recopie comme un scribe. Alors ce qu’on nomme inspiration est un don du ciel accordé librement par les divinités. De plus, se fait jour la mise à contribution d’un imaginaire de l’air, selon les classifications de Gaston Bachelard. On a affaire au sommeil, au rêve (59).
Les trois piliers. Une œuvre bâtie sur trois piliers composant trois absolus : C’est à la fois l’absolu de la femme, l’absolu de l’écriture et l’absolu de la poésie, solidaires s’interpénétrant jusqu’à former un seul nœud ou triangle isocèle. Pour autant, chaque partie du triptyque pris séparément, conserve son autonomie fonctionnant selon sa logique interne, mais que l’on peut combiner pour obtenir un triangle dont les parties sont équidistantes et égales. On obtient le schéma suivant : La femme est poésie ; la poésie est femme, les deux s’obtenant par l’écriture qui est un processus sans fin. Parce qu’il s’agit de la poésie se faisant en tant que vaste d’exister. Les trois éléments ont des implications qu’il importe d’esquisser brièvement.
Pensée féministe ? Pensée féministe ou pas, il s’agit donc de l’absolu de la femme, mesure de toute chose, comme le croit Louis Aragon écrivant « la femme est l’avenir de l’homme », c’est-à-dire à la fois en poésie et dans la vie. La femme est donc source de vie (comme amante ou épouse), et source d’écriture (comme muse et égérie). C’est alors Elsa. Avec André Breton, on verse beaucoup plus dans le mysticisme, dans l’idéal, dans le merveilleux avec une femme évaporée, mystérieuse comme venue d’ailleurs. C’est alors Nadja qui fait entrer ou descendre la littérature sur le macadam du quotidien, et selon le mouvement inverse fait basculer le réel dans la littérature.
L’écriture et l’écriture poétique. Il apparaît clair que le poète a quelque chose à dire sur la poésie : œuvre à thèses pour autant ? Nous n’irons pas jusque là. Seulement nous devons assumer que si le poète a quelque chose à dire sur sa poésie qui s’étend à la poésie tout court, il fait alors œuvre de « métapoétique ». Et si, dans sa démonstration on découvre les ficelles de construction du recueil, il s’agit d’un travail de « poétique ». Il se trouve que l’auteur fait coup double : en disant quelque chose sur la poésie, celle-ci parvient à dire quelque chose sur l’humanité et sur l’humaine condition.
Si, pour finir, nous devons insister sur la fonction de métapoétique pour mieux l’établir, nous nous contenterions de noter quelques vers du poème ukulélé où on lit : « pendant toute ma vie (n. 1953-m. 2009) / j’ai déchu en écrivant des vers/ à Lima dans un bar. […] les vers ne m’aidant à rien. / ni à porter le plus discrètement en moi la tombe de ma / femme » (92).
Filiation de la poésie de Marian Drăghici. Filiation surréaliste par le rôle de la femme. Le surréalisme, après tout, ne se départit pas d’une auréole de merveilleux. Donc on associe Elsa et Nadja. En effet, Marian Drăghici ne s’est pas privé des sources de l’onirisme qui ne manque pas de donner ouverture sur le rêve qui est la porte ouverte sur l’au-delà. Avec ça la mort n’est pas loin dont l’ombre n’arrête pas de planer sur l’univers de l’œuvre qu’elle teinte de lueurs sombres. On a donc la mort comme médium donc comme lieu de passage ou de transition. On a aussi la translation de la femme en trois épiphanies couvrant la totalité du Temps en ses trois parties : passé, présent, futur, comme résolution de l’équation ou problématique de l’existence en ses apories. ce qui est en résonance avec la profession de foi du surréalisme qui veut que « Tout porte à croire qu’il existe un certain point du temps où la vie et la mort, la communication et l’incommunication cessent d’être perçus de manière négative ». L’œuvre est donc surréaliste en ses présupposés herméneutiques, son écriture (automatique ou pas) et le rôle central assigné à la femme. Faisons maintenant quelques considérations sur l’écriture poétique.
Filiation par l’écriture poétique. Elle s’inscrit d’emblée dans le courant dit « littérature de l’immédiat contemporain » qui met en exergue une littérature en train de se faire dont une des figures de proue est le récent Prix Nobel de littérature fraçaise Patrick Modiano. Avec sans nul doute Annie Erneaux qui pratique une écriture plate accessible à un large public. En effet, entre autres particularités, c’est une écriture simple, dite blanche ou plate, à laquelle tout lecteur a accès facilement, sans toutefois par ailleurs, qu’il s’agisse d’œuvre simpliste ou à l’eau de rose comme dans les romans de gare ou d’évasion qui relèvent de la paralittérature.
Marian Drăghici, Lumière, doucement, L’Harmattan, 2018.