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La métamorphose dans “Les ailes du silence” de Rachid Mansoum

les ailes du silence Rachid Mansoum, Les ailes du silence. Paris : L’Harmattan, Poètes des cinq continents, 2007.

Les ailes du silence est un recueil qui vient de naître dans l’immense parchemin de la poésie, non pas comme une intrusion qui profane inutilement la page de la discrétion, ou comme intermission dérisoire du sommeil, de l’intimité légitime de la création, se faisant les ailes du feu par usurpation, mais comme parole à la fois sobre et authentique ayant dénoué et renoué ses propres mystères, scellé ses propres feux, forgé ses propres contradictions et trahi sa propre voix au-delà de l’intimité du silence et au-delà toute figuration aptère de l’imagination. Comme l’indique le premier mot dans le titre ce recueil vient pour conduire la parole poétique vers l’authenticité féconde de la matrice céleste : voix et rose, silence et voix, rose et feu, feu et vin ; voix de l’opacité et du mystère traduisant l’absolu par le silence du vin, seule matière vivante capable de discerner dans la nébulosité le discours de l’âme. C’est un recueil qui déplace sur les ailes des papillons les forces aveugles, tenaces mais désabusées, de l’Omphalos afin de renouer avec l’épanouissement génétique de la “rose céleste”, épanouissement signifiant compréhension et perte dans la métamorphose, et réhabiliter par l’enracinement génétique de la révélation, de l’envol, les ténèbres telluriques de la chute. Le recueil met le « silence du vin » à la trace de la perte du silence. Ainsi prennent naissance le miroir du silence, l’écriture, l’imaginaire, la poésie pour pétrir la glaise de la mémoire et mettre le feu dans l’inconnu pour une métamorphose éternelle de la création, pour une métamorphose insaisissable qui se dissout en elle-même à l’image du vent, de l’air et de l’eau, à l’image du silence :

                                     Sois rose mon poème !

                                     une rose aux lèvres du vent. Sinon,

                                     sois un pays mon poème !

                                     un pays qui flotte dans l’air. Sinon,

                                     sois pain mon poème !

                                     pain pour des poissons volants. Sinon,

                                     sois silence mon poème

                               

Il ne faut donc pas voir ou présupposer dans cet envol de l’imaginaire et dans tout le souffle poétique du recueil une quelconque dénégation de la part tellurique, voire chtonienne, de l’homme. Il s’agit bien au contraire d’un chant où la splendeur de la beauté spontanée et immédiate ne fait aucune concession à la rédemption, en supposant que celle-ci est violence de l’éthique et de la raison sur le symbole et sur l’imaginaire. Si la rédemption, nommée ascèse intellectualiste, a un quelconque rapport avec une négation présomptive de la métamorphose, pour une beauté postulée et incarnée comme celle des classiques dans l’ataraxie mimétique, ceci aurait, pour le recueil, le sens d’une falsification poétique de la beauté. Pour ce recueil qui investit beaucoup dans l’esthétique des métamorphoses à travers les mutations et les hybridations, une telle beauté mimologique ne fait que détourner la substance originelle des gestations inscrite dans la beauté infinie de la nature, dans cette liberté matérielle dont fut conçue la générosité la plus abondante et la plus fertile. Le discours négatif de la rédemption est cautionné de détournement et de falsification de la vie. Le discours rédempteur crée la violence qui occulte la beauté foncière de la spontanéité, du don, de la matrice et de la procession de la métamorphose au sein de la fécondité. Les ailes du silence s’attelle à transcender toute réduction occultatrice qui ne livre, qui ne sacrifie au néant la violence contraignante et réductrice de la rédemption. La beauté doit contrevenir à la violence qui postule et condense l’iconicité au lieu de l’image. L’imagination qui succombe au consensus iconique n’accède pas à l’origine de la beauté car la genèse ne saurait être assignée à un statisme de principe, privée de la « résonance interne » d’un devenir informateur de la différence, de la multiplicité et de la pléthore qui n’est pour ainsi dire que l’obscurité biliaire de la matricité. La beauté a dans sa genèse les impulsions aveugles de l’incomplétude de l’écriture, de l’absence de la lettre, qui fait face à l’incomplétude réflexive et spéculaire de l’image pour construire la beauté tragique ou la beauté convulsive d’André Breton. La beauté est d’une origine irrationnelle et s’accomplit irrationnellement. La beauté est irrémédiablement irrationnelle, et c’est pour cette raison que l’icône, étant consensus synchrone autour de la modalité parfaite et finie d’une éthique rationnelle, ne valorise pas la perfectibilité ou tout simplement l’évolution qui engendre la conscience de la métamorphose comme essence même de la beauté. Dans les traits dynamiques de l’image confiée à la lettre ou de la lettre confiée à l’image, au-delà du tragique du devancement ou de la distanciation qui fait que la lettre n’aura jamais la proximité essentielle, l’intuition et la perception ombilicales de la nature intelligible dont dérive l’image, elle-même conçue dans la secondarité du sensible – double distanciation et étrangeté à la source même de la beauté fondant et légitimant l’origine de l’irrationnel dans l’infini des commutations esthétiques de la figure et de la parole -, il y a dans les ailes du silence une sorte de résistance à l’iconicité qui traduit une inclination imaginale irréductible aux schèmes de la métamorphose. La beauté est depuis l’origine dans son essence même une métamorphose.

Ce que dénigre le plus cette écriture toujours fidèle à se ressourcer dans la fécondité de la nature, toujours riche de liturgie sensualiste, est cette auto-violence consacrée par la rédemption, et surtout par le logos rédempteur. Il s’agit donc dans ce recueil de libérer la spontanéité authentique du plus profond du silence, c’est-à-dire de la mémoire a-temporelle de la vie, saine des vicissitudes apologiques, affranchie de toute utilité stratégique, fût-ce celle d’un feu sacré, d’une allégeance divine, la poésie de Rachid Mansoum tend à recréer la matrice de la spontanéité comme seul support de la beauté. Cette poésie est riche non de ce qu’elle révèle comme entité, spirituelle ou matérielle, mais par ce qu’elle articule entre nature et matrice comme dynamique restauratrice de la spontanéité. Le silence est donc le berceau de cette restauration. Il est cette matière souple offerte à la fécondité entre l’indicible et la continuité. Ce que cherche le silence dans la syntaxe de la dilatation c’est la véracité occultée de la nature. Un état-nature anti-ascétique générateur de l’imagination libre, libérée de toutes les conditions enracinées dans l’adoration affiliées. Toute véritable poésie ne peut que déroger à la rédemption pour l’adoption inconditionnelle de soi, et ce à travers toutes les infidélités éthiques, pneumatiques et esthétiques de la beauté et de la métamorphose. C’est bien là, je trouve, l’enseignement sapiential de cette poétique de la communion et de la conciliation. Cette poétique de la complicité totalement incarnée dans la transsubstance enseigne à la nature sa liberté la plus foncière, débride les forces originelles pour les concilier et consigner l’éthique et le logos à l’écoute de la métamorphose.

Ce grand portail poétique s’ouvre sur l’immense vestibule du silence signifiant parade, séduction, hymne de la métamorphose, à seule fin d’une symbiose charnelle entre mystère et nature, entre parade de la fécondité et parade de la métamorphose. Dans les ailes du silence la beauté de la nature déplie le parchemin de la fécondité. La métamorphose convoite l’origine des pariades et des conceptions pour replacer les formes figées, mutilées ou avortées, trahies par les traits finis de la naissance dans les gestations infinies de la fécondité. Les ailes pigmentées des papillons sont en l’occurrence d’une signification majestueuse. Les écailles diaprées remontent le feu au diapason d’un souffle caressé par tout un hymne de singularité fidèle à la méta-morphose. La magnificence est d’une douceur tropicale couveuse d’un temps liminaire de la semence et de la matrice. La « gaze de feu » dont parle José María de Heredia n’est plus l’embrasement, souvenance tombale d’Icare, qui étouffe la beauté et sépare sa splendeur de la couronne de Phébus, ou encore, dans les méandres du parchemin lumineux de la poésie, d’Apollon. Pour Rachid Mansoum le feu mythique est sur le dos des ailes, beauté serrée, bigarrée, conjuguant au plus profond de la fécondité et de l’union les syntaxes surnaturelles de la métamorphose. Cette poétique possède la singularité de mettre la métamorphose au sein même de la conception. Elle possède l’exception de couver sous les ailes des papillons, autant que la genèse fantastique de la métamorphose, la profondeur de l’ascension, son cadastre et ses rythmes :

                                     Les poètes sont les envoyés du bruissement

                                     des papillons

                                     seul le silence du vin comprend leurs paroles

                                     et leurs âmes sont comme l’éponge

                                     on ne peut les comprendre que si on se laisse prendre

                                     par la réalité des nuages

                                     les nuages aussi se soûlent

                                     les nuages traquent l’absolu tel un butin

                                     dans un pavé imaginaire.

                                    

Le silence n’est pas, malgré l’évidence de la passivité et l’apparence de l’absence dont il se constitue, à l’écart de l’épreuve ontologique du sens. Le silence n’est pas rétention passive où l’être se tisse oubli. Il n’est pas non plus une apologie du vide où la conscience perd l’acuité de la conviction réalistique, les attaches de ses dogmes et toutes les frénésies de l’être et des reflets. Le silence n’est pas sans sa propre ontologie qui consume une énergie radiaire aussi complexe que celle qui combine le réel à l’idéel ou le réal à l’idéal, celle de l’être qu’on nomme existence, conscience existentielle. Il n’est pas dépourvu des hauteurs et des abysses de la métamorphose, le déchirement de la métamorphose, ou peut-être sa fluidité, sa liquidité et sa syntonie salutaires. Le silence n’est surtout pas ce retrait dans la mort qui « épigraphie » la conscience dans la soustraction la plus immobile et la plus passive : un désœuvrement ou un repli atone de la conscience. Étant un fragment de la conscience dans le conflit séculaire entre rétention et protension, entre dilatation et contraction, le silence élabore son texte à l’abri de l’apparence, à l’abri des concessions et de la condescendance, à l’abri de la mainmise des mythifications qui usurpe à la généalogie icarienne, dans le fleuve infini du temps et de l’être, l’essor authentique et les éthers matriciels de la fécondité poétique. C’est cette textualité perdue du silence, perdue mais gravide, avec laquelle la beauté naturelle de l’harmonie statique et finie retrouve les essences, onctueuses, lourdes et épaisses, de la conversion, à travers laquelle la métamorphose se découvre un élan primordial et inconditionnel de la beauté gestante, donnant libre cours à une authenticité de la métamorphose, que le recueil les ailes du silence révèle, met à l’épreuve de la consciencialisation, de l’hypotypose esthétique et discursive dès le premier poème :

Qui de nous a fait perdre le silence ?

c’est ainsi que je conçois l’Histoire

                                               une perte du silence

                                               et une mort

                                               qui

                                               nous fait

                                               rouler du haut

                                               d’une colline

 

Il y a un état victimaire du silence qui se détache de l’être et de la mort puis s’incarne comme un état questionneur de la légitimité de cette séparation arbitraire où se continue la fatalité lapsaire de la chute. Le silence prive la chute de ses ailes, de la possibilité de féconder l’air, de la possibilité de fuir le fracas osseux du dévalement sur l’échine de la colline. De ses ailes planantes sur les syntonies du détachement, de la transcendance, planantes sur le discours, le silence contemple la chute et la mort en mettant sous son égide, son pouvoir absolu, son propre texte, le texte de la métamorphose. Ce qui est singulier dans cette syntaxe de la méditation ailée est le fondement mythique, plus précisément mythico-divin, inscrit dans l’écriture pour une vérité plus essentielle que la substance du temps et de l’esprit dans la mort et dans la vie séparément. Le silence se déploie dans l’imagination des ailes comme divinité clamant la dévotion textuelle de la mort, clamant la mystagogie de l’écriture dans l’impossible lecture et transcendance de la mort par le texte. Pour nommer dans un aspect mystagogique la nature de cette divinité on pourrait évoquer l’éternité et l’infini. La tendance infuse du texte à se vouloir création infinie dans la nature matricielle de la présence et de la révélation éternelles relève de ce qu’on pourrait indexer comme compulsion divinisatrice. Le texte poétique ne pose pas arbitrairement et fortuitement le défi de dire et d’exprimer le silence et la mort : ce défi est une postulation naturelle de l’écriture ; c’est une ambition profonde du texte.  Dans cette perspective tout texte doit évoluer vers la divinité du texte. Ceci explique de très loin la raison pour laquelle prédomine chez Rachid Mansoum la liturgie non rédemptrice de l’écriture. Le rituel de cette dévotion s’appelle écriture ou rêve paginal. Le rêve paginal est une somme de la vie et de la mort faite à travers l’écriture, à travers l’écriture du silence mortuaire. Cette somme n’est pas et ne saurait être harmonieuse car toute l’évolution rêveuse de la mort se fait selon une appétence soustractive de l’harmonie à la vie. Il est désormais facile d’imaginer dans la métamorphose toutes les possibilités de mutations et d’hybridations qu’elle aurait à proposer bon gré mal gré à la fécondité évolutive du texte. De la nature de celle qui fait du poète un texte-Janus de l’errance et de l’immobilité :

Je suis né avec deux visages

                                        l’un habite l’errance dans mon corps

                                        l’autre immobile dans le poème

Le défi de discourir la mort inscrit d’emblée la métamorphose du silence dans une élévation insensible à la vie elle-même ; hantée par la mort, elle devient la quintessence même d’une étrangeté discursive de la vie. L’immobilité dans le poème est la hantise de la mort dans l’errance du corps. Il est l’errance de la métamorphose dans le rêve paginal. Il est aussi cet étonnement originel de l’écriture devant l’image-matrice de la création qui fait succomber toute la rhétorique à la fascination de la métaphore. Il est nécessaire, eu égard à la fonction même du rêve paginal, que le visage de l’immobilité ne contredise pas la dynamique de la métamorphose. La métamorphose n’a pas de source-image fixe et stagnante. Ce serait une irrelevance ineffable de parler d’un rêve paginal stérile au fondement de la métamorphose. L’immobilité du visage n’est pas une immobilité poétique. Le visage poétique de l’immobilité n’est pas dans le retrait par rapport à l’errance, par rapport à la corporéité de l’errance et par rapport à l’errance de la corporéité. S’il faut qu’on inscrive l’immobilité du visage dans une dynamique textuelle plus apparente et convaincante ce serait sous l’exergue de l’attente. L’immobilité est une métaphore de l’attente. L’attente est un réceptacle, une réceptivité qui se nourrit de l’errance. À l’image de la mort, l’immobilité dans l’attente est la plus grande fertilité susceptible de mener la métamorphose textuelle et la littérature de la métamorphose au rêve paroxystique de la révélation : de la poéticité et de l’écriture. Le silence de l’attente complète intrinsèquement et extrinsèquement le silence de la mort et fondent une continuité textuelle destinée à révéler la métamorphose œcuménique du discours.

Autant la métamorphose se veut discours de la mort, rêve paginal de la mort, autant elle se met à l’écart de l’unité et de l’harmonie. Ce sont là les prémisses d’une ontologie conflictuelle irréductible entre le rêve paginal et le rêve temporel :

                                         Je suis mort

                                         je suis mort depuis le 5ème siècle av. J.-C.

                                         sans que l’herbe ne me marche dessus

                                         et que les cigognes ne se posent entre les deux pages

                                         seuls les jasmins, les coquelicots et les bêtes du paradis

                                         le savent

                                         mes poèmes se sont envolés plus haut

                                         ainsi qu’un oiseau de la montagne bleue.

Ce conflit relève d’une désaffection préméditée, de la désaffectivité consciente, de l’indifférence divine, à l’image des dieux grecs, de laquelle le silence déclare sa suprématie sur la parole. Il faut à vrai dire lire dans le silence un discours vengeur de la métamorphose. Le silence surplombe et distancie la mort par le discours. Il surplombe son texte par la mort et distancie la vie. Le silence se récupère le pouvoir divin de se démarquer dans l’éternité, hors les « indices de la finitude » que ce soit dans l’être ou dans la mort elle-même. C’est de l’expérience de la perte qu’un tel miracle de la textualité, de la parole transcendantale devient suffisance plénière allant jusqu’au dithyrambe de la rupture inouïe incarnée dans le silence d’une part, et de l’autre jusqu’à la déclamation d’un état final de la défaite et de la satire confondues dans lesquelles le poète reçoit son âme. Le poète est devant une illusion de la récupération. Occupé comme Orphée à discerner les dédales de la mort dans l’âme déchiquetée de la chute, le poète reçoit son âme dans une nouvelle perte, plus tragique encore puisqu’il doit faire face à ses propres ténèbres. On voit qu’il est définitivement tenu pour responsable et châtié de la perte originelle du silence, doit affronter un nouveau défi : récupérer son âme des cryptes tombales du discours. L’âme meurtrie par les escarpements de la colline est oubliée dans ses blessures, profanée par cet oubli où s’écrit la rhétorique de la souffrance :

 vers le sous sol de la page

À travers le silence pur la mort est une nature sage. Cette nature sage de la mort que le recueil rejette ne rend pas la véritable identité du silence. Le poète invente la stratégie du discours, de la pagination et pose le silence dans la page. Quand le silence devient celui de la page, voulant se voir, se saisir, se poétiser, apparaît alors la dialectique du silence sous forme de plusieurs substances et plusieurs connexions : rêve et réalité, rêve et temps, rêve et discours. Toutes ses substances mènent à une confrontation entre le silence et son identité, il ne faut pas oublier, entre parenthèses, qu’une partie de cette identité c’est la mort elle-même, d’où surgissaient deux structures dynamiques du sens et de la métamorphose, mises en relation par l’arbitraire : le rêve temporel et le rêve paginal. Dans ses connexions se révèle au silence son image sous forme de désir incoercible pour « l’autre feu », le feu de la vérité qui doit contrecarrer la nouvelle tyrannie du discours. Cette nouvelle tyrannie dont le silence prévoit l’éternité de ses gestations et de ses métamorphoses devient l’éternité de l’étrangeté du silence. Cette nouvelle tyrannie qui préside à l’enfantement de la mort en discours n’est pour le silence que « le parfait mensonge » :

L’écriture n’est-elle pas le parfait mensonge

                                         comme la mort est la parfaite vérité ?

 

                                         La mort n’est-elle autre

                                         que le miroir sage de nous-mêmes ?

Le poète est un momificateur de la mort, dans l’existence ou dans le discours. La mort dans le texte, livrée à l’exhumance, à la momification, duplique la chute d’une perte problématique où le poète, tentant la récupération, augmente la souffrance de la mémoire, aussi involontaire ou fatale et absurde soit-elle. L’authenticité pour en déterminer la nature dès le début, est l’essor icarien ailé de Temps, briguant l’infini du silence, écrivant le grand livre du silence par l’encre onctueux et résistant de la mémoire. L’authenticité est une synthèse entre la mort et la vie. Elle est soustraction du silence à la mort, libération du silence de cette opacité innommable de la mort, pour en faire l’encre et l’exergue d’un discours qui fait générer ou dégénérer la beauté et la liberté imaginative de la mort pour dire la vie et de la vie pour dire la mort. On pourrait alors considérer le silence comme encre de la mort sans que la mort ne soit ou cesse d’être encre de la vie. La fougue de l’encre faite de veines gonflées trace la chute cireuse de la mémoire dans le Temps. La poétique de Rachid Mansoum essaie d’allier le silence de la mort et le silence du discours pour faire naître une nouvelle entité de l’imagination naturelle où la splendeur de la métamorphose triomphe de l’apathie de la mort et où les aliénations et les ruptures entitatives fusionnent dans la trans-entité et dans la trans-nature. Tout dans la poésie de Rachid Mansoum célèbre la mort à travers l’encre de la métamorphose. Et tout dans la métamorphose célèbre le silence totémique délivré de la mort et livré au discours et la vie. Peu importe la nature de cette délivrance et peu importe la vérité de l’harmonie et de l’unité dans l’évolution de la métamorphose. La continuité de la métamorphose seule compte aux yeux de la création. C’est le destin du poète de ne pas tenir à une lucidité statique de la vie dépossédée de la mort et de la mort dépossédée de la vie :

 

                                                 Le poète a attrapé son âme

                                            que la mort a fait rouler

 du haut de la colline

                                            vers le sous sol de la page

                                       

                                            et s’écria

                                            ha ha ha ha

  

La formule additive par la conjonction « et » fait du silence une entité différenciée de la mort. On voit que le silence devient texte du silence, on voit que la mort devient texte. On voit que le poète devient texte du silence, de la mort, de la vie. Le texte du silence est donc la différence la plus problématique mais la plus passible aussi de discourir la métamorphose impossible et radicale qui triomphe de la mort. Le silence par la perte et la victimarité même, est une entité libre, désir de la totalité métaphysique et l’autonomie pneumatique, si ce n’est l’euphorie hylétique qui distingue la poésie dans les ailes du silence, et qui subordonne la métamorphose à la naturation. Le silence est une entité libre dans la vie, dans l’Histoire de la mort et de la vie. L’esthétique que développe le recueil va au-delà d’un silence qui transcende son origine et devient capable de nommer la mort et la subordonner aux lois de la métamorphose vitale, développant ainsi une esthétique de transition de l’absence à la présence, mais plus avant encore, les ailes du silence détermine dans l’esthétique de la présence une esthétique de la préséance du silence dans la nature ouverte, voire déchirée et béante, de la métamorphose. Le silence est synonyme de béance méta-morphique et mutationnelle irréductible à la nature normative. Le silence est dès lors une entité de la beauté libre qui se livre à la nature à travers la dénature, une dénature naturée qui n’a nul besoin de rédemption ni d’oraisons funèbres. Toutes les apologies sont aléatoires et insignifiantes devant son authenticité mutationnelle qui combat, à travers le silence et ses voix acharnées de la béance, l’harmonie de la beauté pour l’authenticité de la dénature. C’est la désharmonie qui est le canon suprême de la beauté et c’est elle l’absolu de la beauté. La risibilité qui clôt le recueil en montre la décadence apologétique en faisant retentir dans le livre d’un texte, dans le Grand Texte ou le Grand Livre, les pulsions de mots où le poète devient légataire légitime de la chute. La pulsion discursive hérite de la pulsion de mort, le texte de la chute. Le poète hérite son âme dans la textualité cryptique de la mort.

Le silence est une passivité a-polémique. Cet état de choses doit changer : le silence doit ingurgiter le vin de la contradiction, de l’opposition et devenir une polémique de l’existence, du temps (la mémoire). Avant il se contente de subir la rupture et la perte, maintenant il doit produire une théogonie latente de la vengeance. Dans le recueil le silence est en perpétuelle métamorphose ; c’est une métamorphose de dédoublement. Au début du recueil il est victime d’une perte qui aurait pu installer une dimension de rupture entre l’être et les progénitures du silence. Mais le dédoublement qui n’était pas seulement un choix esthétique s’est avéré une condition nécessaire de l’ouverture et de l’ontologie de la métamorphose. Donc le silence se dédouble au sens pathologique du terme ce qui explique l’abondance dans le recueil d’un effet de miroir stimulateur des hybridations. D’où il découvre qu’il doit non pas seulement accumuler la contradiction mais aller plus loin et se contredire lui-même. D’un côté, il se manifeste viduité passive, matrice amorphe de la conscience productrice de l’indifférence totale vis-à-vis de la généalogie. De l’autre, et plus profondément, il s’avère discours, décision de l’intrigue, de la falsification de la matrice. Il s’avère hybrideur des gestations, faussaire des généalogies. Le point suprême de la métamorphose est sans nulle la possession de l’être pour un silence vengeur détruisant la sacralité de l’harmonie pour une trahison altière de la conscience profonde. Le silence ne polémique pas la fécondité. Il lui donne tous ses droits de la transnature. Le choix du silence relève donc de cette conception génératrice de la fertilité méta-physique où la métamorphose est aussi prise sporulaire de la différenciation, de la différence comme transsubjectivité. Cette nature sporulaire montre la possibilité qu’a le discours poétique de faire abstraction de toutes les coordonnées objectives, extérieures de la métamorphose et de l’engendrement pour développer uniquement de sa propre matière ou de sa propre conscience, à travers une sorte de conception agame, une généalogie qui s’autoproduit en tant que pure génération de soi. Non seulement autonome dans la métamorphose pour soi, pour une nature homogénétique de la métamorphose, mais totalement inconciliable avec la con-ception qui implique la continuité hétérogène. Le mot silence à lui seul, incarné dans son introversion indéchiffrable et occulte ou dans n’importe quel autisme psychologique, est grand concepteur de cette autogénésie de la métamorphose. Dans le recueil cette situation est postulée tragiquement à travers le mot perte qui signifie plus une refonte de l’existence qu’un oubli ou une mémoire morte.

Dans tout le recueil, la hylé est en perpétuelle génération, ” l’errance dans le corps”. La génération en perpétuelle dégénérescence. Le silence est une métaphore de la pureté de par la distanciation ou la consciencialisation décalée de la perte. Il est une métaphore de l’impur de par son détachement, son refus et sa résistance à se manifester dans le devenir de la conscience en tant que naissance de l’harmonie subjective, de la possession subjective de l’intégrité corporelle et psychique. S’approprier le silence n’est jamais identitaire, et qu’il soit un autre, ceci ne l’empêche pas de diviser l’identité, de briser son harmonie consciencielle. À travers le silence, on souffre un principe de conflit entre l’identité et son double, son double-soi, son soi-double, son double-autre et son autre-double. Conçu comme altérité, le silence devient un anathème du corps, une division pétrifiée et pétrifiante où s’instaure dans le lien généalogique entre écriture (pensée), désir et éternité, désir de l’éternité, désir-éternité, la dimension arbitraire et inconcevable de l’a-corporéité : la folie. La folie commence à ce stade de la conscience ou de l’inconscience où le corps cesse d’être une topologie stable et reposante du désir et de l’écriture. Dans la folie le corps perd, méconnaît ses propres limites et la métamorphose devient pervertie. La première métamorphose pervertie est celle qui touche le soi en lui imposant le discours de l’étrangeté. Le corps du silence a besoin d’une matrice de la métamorphose, un principe matériel, hylétique entre l’écriture et l’éternité que même la mort, progéniture radicale du silence, ne peut transcender. La mort a son corps à elle et sa corporéité jusqu’à l’infini des cendres : les cendres du corps et de l’esprit (l’écriture) :

ton silence me jette hors de mon corps

                                        jamais

                                       ne confonds ta pensée et ton désir

 

le silence altéritaire impose à la conscience de l’écriture, l’aînée de la géniture, de chercher à la folie un substitut corporel qui saurait impliquer le soi dans un désir de ré-incorporation aboutissant à la renaissance positive de la métamorphose. L’éternité n’a aucun sens dans la progéniture du silence si ce n’est réinstaurer le soi dans son corps, le livrer de nouveau à sa corporéité perdue. Il est dans la dialectique et les droits de présomption de la progéniture un projet de restauration de soi qui subsiste malgré qu’en aient des hybridations et des mutations de la métamorphose. Il est très significatif dans la citation qui précède que le jussif soit placé contre la confusion entre le désir et la pensée : dimensions spirituelles du soi, deux sources majeures de la fuite et de perdition, deux versions infinies de l’anathème du corps. Cela signifie que la finalité ultime de la métamorphose c’est la quête d’une possession transfigurée du corps. Mais ceci reste dans la tendance dialectique du recueil, une option, purement et simplement, optative de la métamorphose… La perte du corps laisse la chrysalide vide pour toutes les métamorphoses tératologiques de la conception, toutes les conceptions monstrueuses de la fécondité hybride :

Mi arbre, mi-femme, mi-homme.

                                          L’idée ne me hantait point. Ce qui m’angoissait : c’est

                                          le fruit que générerait

                                          cette bête le printemps prochain. Chaque matin, mes

                                          jambes se renouvellent.

Le silence est une métaphore chaotique de la dialectique, ou tout à l’opposé, une métaphore neutre de la dialectique. Et les deux sont une tératologie de la beauté et de la fécondité. Le recueil nous enseigne le silence comme la seule épreuve du sens où le dissertoire de la parole ne finit jamais dans l’ordre de l’harmonie :

pourtant, nous jouissions de l’inaltérable désordre

 

 

 

Dans cette fécondité le rêve s’allie à « l’étrange », l’étrange s’allie au rêve comme principe onirique de l’engendrement. Le rêve paginal et le rêve temporel, le rêve paginal plus que l’autre, « invente » les itinéraires du désordre du plus profond du paganisme conscienciel de la genèse. Le procès d’inventer contrebalance la chute, et donne la véritable nature de l’ascension : non purifier la chute, mais mener au chaos, infester de rêves et de volontés infernaux l’ascension. Le poète imagine l’ascension comme retour du péché à son origine, comme prolifération sporulaire du péché. Dans cette sporulation, pure imaginème de la genèse, le péché se rédime lui-même. Il meurt dans son propre feu. Cette solution présupposée dans la nature même du rêve temporel est tenue en échec par le rêve paginal qui en multiplie les conséquences déceptives, les angoisses et les désespoirs, et toutes les métamorphoses dégénérescentes de la fécondité. Une raison de plus pour que le poète hérite la chute et éternise, dans le rêve paginal et discursif, la malédiction. L’errance de la rédemption est l’absolu tragique du destin de la création. Oui, il s’agit plus d’une errance de la rédemption dans le discours du poète qu’un refus volontaire à l’expiation. Car dans le sommet de l’arbre, du péché, dans le sommet onirique du feu, dans l’arbre sommital du feu, il y a souvenance lumineuse de la pureté. C’est un sommet où le péché est offert au centre igné du divin : l’empyrée. Le rêve remonte le péché dans la joie extatique. L’homme en dérive le feu pour mener à la perdition l’âme du rêve paginal :

J’invente d’autres chemins, d’autres danses afin que le

                                    rêve ne s’éteigne pas. Je remontais le tronc d’arbre

                                    jusqu’au sommet.

 

La poésie de Rachid Mansoum distingue, quand il s’agit d’archéologie et de psychologie confrontées, entre le silence de la mort et le silence de la vie, entre le silence glaciaire et le silence incandescent et embrasé. Cette distinction souffre bien entendu de la virtuosité inconstante et la négativité légendaire de la poésie. Elle souffre de la frivolité de l’imaginaire poétique. Dans cette perspective le rêve temporel n’est pas sans conversion plus que dénaturante ou transnaturante d’après laquelle il se voue, ou s’identifie, ou se dédouble, ou encore se nie, dans le rêve paginal. Avec chaque fois la possibilité contraire où le rêve paginal se dénature et se transnature dans le rêve temporel. Ce qui nous importe ici c’est la somme et la synthèse rapportée à son origine dont pourrait se constituer la conscience créatrice. Ainsi trouve-t-on qu’il existe une somme des deux silences qu’on peut appeler « silence de la page ». C’est ici, dans l’espace de la fécondité où le cercle se ferme sur le feu de la passion, sur l’arbre de la création, entre l’éveil de la naissance dans l’éveil de l’obscurité et le sommeil des plumes ailées que le rêve trouve cette nature, dérivée certes mais sans cesse infusement, innément, totale, où le silence végétatif n’est en vérité que la promesse la plus véridique d’une procession synthétique mais orgiaque de la création. Il y a là une noce obscure entre l’éphémère : (branches / plumes), que j’appellerais le murmure du souffle, et l’obscur présenté comme le tronc de la création d’où naissait l’imagination, le grand voyage et la grande élévation des poètes ; c’est le tronc du rêve paginal. Ce qui revient à dire que la nature absolue de la création réside dans le silence, à partir du silence dans le rêve jusqu’au rêve paginal engendrant les filiations infinies de la métamorphose :

Entre « je » et « écris »

                                         il y a une île surpeuplée de silence

                                        il y a les ténèbres d’une pomme

                                        dont je suis incapable de démêler les signes.

 

L’obscurité étant à la fois l’équivalent génétique du silence et du discours, elle génère la nature profonde de la poésie en tant que discours et en tant que conscience. Ce nœud sombre dans la fatalité de la soif absolue, tiraillée entre l’infini séraphique et l’infini satanique. La métamorphose consente à la fatalité de l’infini avec un espoir d’étanchéité qui mettra fin à l’étrangeté du rêve devant son silence ou son discours. Le poète pourra alors déchiffrer ses propres rêves ou rêver dans la conscience pleine de la lumière et de l’évidence sans les trans-positions arbitraires de la rédemption et de la culpabilité. Cessera alors l’étrangeté du silence qui est prison infinie du discours. Cesseront aussi les purifications qui fécondent la genèse, « la mémoire de la sève » de distance et de chute impures, de cette impureté distante de la chute ; cessera la sève de l’oubli dans le silence et la sève de l’attente dans la pagina de l’infini. Cette attente qui fait toute la nature fuyante du silence, qui demeure la véritable tragédie du discours cherchant à remplir et nourrir le silence du sens même de sa fuite, est présentée symboliquement par la séparation qu’opère le poète entre l’aile et le silence, l’aile étant une matière suspendue, un eidos surplombant le silence de la page métaphorisé « cage ». Dans cette situation dialectique de la séparation où toutes les extensions discursives signifieraient errance et absence, traduction impropre de l’infini dans le devenir et étrangéisation malsaine de la sève dans un état de rémanence où du Temps ne triomphe que la souvenance, il y a aussi l’éternité de l’espoir qui fait rouler l’écriture hors de sa mémoire et la place dans les articulations fécondes autant qu’obscures de la métamorphose : à la lisière de l’étrange, de l’artifice ( piège), de la nuit, toutes ses articulations sont destinées à l’apothéose des ailes, dans le défi du rêve paginal et le rêve temporel ( la mémoire), double labyrinthe de la prémonition qui légitime tous les défis de la métamorphose.

La fixité de la mémoire est le calvaire de l’écriture. Il faut noter aussi que la séparation qui exerce sa loi de rétention n’est pas totalement maîtresse du destin de l’écriture voué constamment, de par le miroir de la défaite ou celui de la victoire, à être l’embrayeur sur l’indicible et le mystère pour incarner l’évidence, pour vider la nuit et exercer le dénouement de la conscience du poète, laquelle n’évoluera plus prisonnière de cette médianeté qui met le silence dans la cage. L’écriture n’assure pas d’avance le dénouement au-delà du règne de la temporalité, cette transcendance facile ne saurait pas une victoire, mais cultive la tentation qui sans réaliser le dépassement lui-même, en traduit toute la splendeur de sa démesure, de sa folie dans l’infini : j’écris jusqu’au bout de l’infini. Il y a une totalité sous-jacente de l’écriture qui la fait, dans chaque chute de la scriptio, – c’est là la positivité latente et non déclarée, peut-être même non assumée de l’écriture – triompher sur l’infini et sur le silence. C’est pourquoi partout dans le recueil, quelles qu’elles soient les stratégies de singularité et les ruptures esthétiques auxquelles elle tend, la métamorphose s’offre toujours dans l’euphorie et dans l’extase. L’échec même de l’écriture devant le silence de la page est source d’une renaissance extatique du rêve paginal. L’infini restera l’enjeu du silence négatif, le silence qui est enseignement de l’occultation, et le poète restera l’enjeu d’un malentendu infernal entre le silence et l’infini, entre le mystère et l’infini. L’espoir est dans l’écriture. Le triomphe est dans l’écriture sous forme de détermination et de prédétermination :

S’il faut que quelque chose s’effrite

                                           qu’il soit le rêve de ce mur

                                           collé au temps

 

Dans le procès de l’écriture qui éternise l’espoir et risque à chaque moment, dans la stupeur de l’inopiné, dans la diffraction du hasard, de crever les yeux à l’attente, à la suspension, à l’immobilité. Dans l’écriture la métamorphose est à même de triompher sur l’immobilité, sur l’obscurité, voire sur l’errance. Seule l’écriture, au sein même et grâce à la rupture ontologique du silence habitant le rêve paginal, est capable de retrouver et faire repousser les racines de la légitimité entre la branche, l’arbre et la sève :

                                          Entre l’aile d’un oiseau et le silence d’une cage,

                                          j’écris

                                          j’écris jusqu’au bout de l’infini

                                         là où un arbre dénoue l’étrange

                                         là où la mémoire de la sève

                                         déjoue le piège d’une branche

                                         là où la nuit se vide

                                         là où seul le mouvement des ailes

                                         pourrait repeupler la mémoire.

Dans la page du silence, cette synthèse fait union pour creuser au rêve un berceau de la totalité. Le rêve allié au silence de la page maintient la fécondité d’où naissait le poète.  Pour lui la figure fossile ne peut être une figure vivante. L’image dans la conscience chrono-discursive ne peut être comparée aux lignes mortes d’une image pierreuse, pétrifiée dans la froideur. Il suppose donc à la vie, à l’image, une lave immanente, un silence magmatique dont est généré l’arborescence infinie de la fécondité. Quand il s’agit de figure arborescente, le silence est une obscurité génératrice de l’étonnement. Bien entendu l’étonnement n’est rien sauf la métamorphose. Une métamorphose sur la lignée générative de la transmutation, puisque sa structure dynamique, pour accéder à la naissance doit passer et surpasser l’obstacle de l’obscurité et l’obstacle du sommeil. Si la poésie est une mécanique de transformation du monde vers l’enchantement ceci n’est réalisable que par le triomphe de la métamorphose sur l’union négative de l’obscurité et le sommeil. Si la poésie ne triomphe pas sur ces forces omphaliques de la création, la métamorphose ne saurait être alors que mutation. Le recueil opère son choix entre ces deux dynamiques de métamorphose, en dilue l’internégation, en laissant au silence sa liberté et sa totalité :

Les poètes sont nés

                                           de la branche de l’obscurité

                                           là où sommeillent des plumes ailées

                                           qui seules portaient le stupeur du monde

La métamorphose atteint non seulement la transnature mais profondément encore la trans-essence. conçu comme double luciférien définitivement consacrée à l’unité innocente, ne souffrant d’aucune hérédité de péché, libérant l’Homme de la rédemption, de la traduction du péché devant chaque métamorphose.

L’hybridation ne concerne pas seulement le transit vital. L’hybridation est aussi un transit matériel. La métamorphose s’inscrit dans la totalité dans une sorte de somme totalement indifférente à l’unité de la persona ou à celle de l’objet. Le mot « or » et le mot « sein » sont deux incantations ésotériques du désir. Deux alchimies de la fascination intérieure qui ne succombe jamais au trivial, au factice. Il y a dans les deux mots le désir de la possession de la vie. C’est une possession de transfiguration, une possession transfigurée qui cultive une sorte de fertilité scindée de l’amour : l’échec de l’alchimie devant la ductilité devient le symbole d’une vie générée par la contradiction, mais surtout compensée par la pureté du lactaire. De la contradiction ductile naît la vérité : la vérité de la vie et la vérité de l’amour. Et surtout la vérité de la contradiction elle-même. À travers celle-ci le poème opère une négation féconde, au sens dynamique matriciel, d’une possible dualité palliative. La vie est scindée par la contradiction. La scission donne naissance au désir de l’unité qui négocie la procession de la contradiction pour un « je » héroïque se sacrifiant à travers l’hymen de la parole à l’infini de la métamorphose : je bois à la fois l’eau et la soif. Il faut un élément d’unité dans la contradiction. Cet élément c’est le ‘je’ capable de construire la contradiction par la thaumaturgie de la métamorphose. Le “je” c’est le poète capable de scinder la contradiction par la beauté inaliénable et infinie de la conception :

L’or de tes seins

                                                  est ma seule vérité

 

                                                  et de tes mains

                                                  je bois à la fois l’eau et la soif.

 

 

 

 

 

 

Le silence de Rachid Mansoum est un silence anti-intellectualiste puisque sa passion du même est grevée d’animisme insaisissable dans son dynamisme, involution de la matière et de l’esprit dans une interréflexion infinie, vouée à l’infini d’une métamorphose irrationnelle voulant être, devenir à la fois entité et texte. Le silence de Rachid Mansoum, d’un imaginaire évaporée, tient les nœuds totémiques de la naturalité en enseignant la découverte et le nouveau en rupture avec les prises impures de la culture. L’invocation des poètes tels que Arthur Rimbaud et Paul Celan retentit d’un écho où l’alchimie des rêves, par l’illusion même du « mensonge sacré », reconstruit la voix du poète comme murmure impie plein d’interstices et de replis ourdissant la vérité, l’autre vérité et l’autre parole, appelés dans un poème « l’autre feu ». C’est là le sens mystère du recueil, le sens où il faut tenter la lecture, le sens où il faut re-nommer la beauté, le sens où il faut rebaptiser les convulsions.              

Les ailes du silence traduit en évidence à la fois irisée et diaphane la conversion oraculaire du silence en sens de l’être. Il ne s’agit donc pas de n’importe quel silence. Ce silence a l’énergie des ailes qui lutte ardemment contre l’onctuosité cireuse de la mémoire. Ce silence est réticent à la mémoire mais la mémoire en est le principe de métamorphose. L’infini antérieur de l’harmonie, de la beauté et de l’innocence est lié à un conflit insoluble entre la mémoire et le silence. Et tout dans l’effet postérieur de la métamorphose n’est que production d’un infini de la conflictualité. Dans la fidélité à la mémoire il y a le conflit entre l’infini et le silence, il y a la continuité de la génération qui ne résout pas les nœuds mémoriels de la perte, de la chute, de la séparation. Ce conflit qui n’est pas de l’essence même du silence devient l’ambivalence majeure dont se nourrissaient toute la réticence du silence devant la métamorphose et toute la productivité de la métamorphose dans le silence.