Si les œuvres de Dany Laferrière constituent une immense autobiographie émotionnelle, son dernier roman est à lui seul le paysage de ses idées.
Selon la croyance populaire, le concept d’un roman sur ”rien” aurait même titillé l’esprit de l’illustre Flaubert. L’académicien Laferrière l’a fait !
Paru aux Éditions Grasset, en cette rentrée littéraire 2014, L’Art presque perdu de ne rien faire est un livre-phare où l’auteur met en scène des thèmes variés et empreints de gravité, de légèreté, de tendresse, mais aussi de justesse, de densité, d’intelligence et de poésie.
Dès les premières pages, le ton est donné : réflexions sur le temps qui passe, la vie, l’amour, la mort, la guerre, la politique, l’enfance, les rêves et même le droit à une sieste, qu’elle soit brève, moyenne ou longue :
« Mais la moyenne sieste est un luxe qu’on ne peut se permettre n’importe où. Quant à la longue, elle signale un état dépressif. On m’apprend que la vie trépidante d’aujourd’hui ne peut tolérer cette perte sèche de temps qu’est la sieste, ce qui est une erreur car cette pause dans le cours du jour nous rend plus sensibles aux autres – et moins obsédés par nous-mêmes. La sieste est une courtoisie que nous faisons à notre corps exténué par le rythme brutal de la ville1. »
Souvenirs et questions existentielles surgissent via ce trésor inépuisable qu’est l’aventure humaine. Entre New York, Miami, Montréal, Paris et Haïti, Laferrière contemple sa vie, ses instants et tente de capter l’art de penser, l’art de vivre.
Chaque thématique s’illustre – fait qui confère à l’écrit une dimension sensiblement poétique et un genre indéfinissable –, à la fin, par des poèmes aux titres évocateurs : L’art de rester immobile ; L’art de ne pas oublier ; L’art de chercher sa mère ; L’art de regarder ailleurs ; etc.
Au fil des pages, nous découvrons la philosophie de vie de l’écrivain qui transforme le regard, la marche, le voyage, la beauté, l’ennui, l’immobilité, le goût des mots, l’amour, la lecture… en art. Laferrière fouille sa mémoire pour surprendre : idées et influences qui ont teint son esprit de leurs couleurs.
Il ne cesse d’évoquer ses sources d’inspiration qui cheminement en lui, démontrant leur constante influence sur son quotidien : de Camus à Norman Mailer et Saint-Pierre de Bernardin, en passant par Flaubert et son auteur préféré, Borges ; Laferrière n’oublie pas les classiques de l’Antiquité : Héraclite, Thalès de Milet. De ce fait, on apprend même que « tous les grands mathématiciens, tels Thalès de Milet, furent aussi poètes, pour ne pas dire d’abord poètes »2. D’autres ouvrages et écrivains sont aussi présentés et donnent une furieuse envie de relire Hemingway, Tolstoï, Laclos, Rilke, Sagan, Diderot… et la liste est loin d’être exhaustive !
Le talent de Laferrière est indéniable ! Sentiments, pensées, poésie, philosophie, tout s’entremêle avec fluidité ; le tout bien arrosé de sensations et de paysages.
Ce livre émerveille par sa posture et comme le dit si bien l’auteur : « ce qui importe, c’est le style », un style qui n’est pas une manière de travailler, mais la façon de regarder le monde, c’est notre façon de nous poser dans le monde ; c’est une posture sereine et philosophique qui tient du caractère de l’individu, en l’occurrence de l’écrivain.
Penseur contemporain, connaisseur du prix de la vie, Laferrière accorde une grande importance à la posture ; il nous invite à le connaître, lui, son regard sur le monde, sa façon de vivre :
« Ce qui est merveilleux, c’est qu’en ralentissant, on parvient enfin à mieux apprécier le paysage et à s’intéresser à autre chose qu’à nous-mêmes. Jusqu’à se faire avaler par le grand spectacle du monde avec les arbres, les gens, les sentiments, tout ce qui vibre en ce moment autour de nous. »
L’impression que laisse ce livre est particulièrement vivifiante et ressemble fortement à la salubre et radieuse sensation que laisse un coucher de soleil. On nous pousse à regarder vers le haut, tout en plongeant au fond de nous-mêmes. Ce roman nous incite à trouver un moment pour réfléchir ; il mérite d’être lu dans un temps distingué comme le nôtre par l’inquiétude, la vitesse, l’impatience et le stress.
1 Dany Laferrière, L’art presque perdu de ne rien faire, Paris, Grasset, 2014, p. 20
2 Ibid, p. 158.