Claude Minière, aussi bien comme poète que comme essayiste et critique, est l’un des rares écrivains français à avoir réconcilié l’apparemment inconciliable : l’avant-garde (Tel Quel, exemplairement) et le « classicisme » poétique, le catholicisme évangélique et l’agnosticisme, et même, encore plus fort !, les monothéismes entre eux : l’Ancien et le Nouveau testament (rappelons ici, à toutes fins utiles, que le sous-titre du célébrissime film inachevé d’Eisentein La Ligne générale est justement « L’Ancien et le Nouveau »). Loin de lui pourtant l’idée de nous donner de la « consolation » (titre de son nouvel opus publié en collection « Blanche » en ce joli mai 2023) dans cette « réconciliation » : « L’horreur de faire son deuil, / l’outrage du mot c’est une consolation », ou bien : « Je ne veux plus être consolé, mes amis / chacun de notre côté reprenons notre route », car « les bêtes aussi ont besoin d’actes / de consolation, de consolation bête » (c’est moi qui souligne). Bref, pour Minière (et pour reprendre, en le tordant un peu, un très beau titre du poète Pascal Boulanger), consoler ne lui suffit pas : « Zarathoustra prétendait que les poètes / savent toujours se consoler. / Et lui, le cheval ? » Question vertigineuse s’il en est… et sans fond.
Minière aime à placer, un peu partout dans ses vers, tels des petits cailloux, des citations cachées, ou détournées, de ses poètes préférés. C’est ainsi que procédaient les poètes chinois de l’époque classique, avant que la poésie chinoise ne s’effondre… Dans ce recueil, c’est Rimbaud qui occupe sans conteste possible la première place des poètes détournés. Voyez donc : « J’aimais les peintures idiotes, l’enseigne des Routiers rutilant » (citation détournée d’Alchimie du verbe) ; ou bien : « Il a réinventé l’amour, c’est fait » ; ou bien : « Je sais aujourd’hui saluer la réponse » ; et encore : « J’en suis, en mauvais sang, pour la beauté / de ce monde et de l’autre — mais on ne m’a rien demandé ». Quel est cet autre monde ? Bah… précipitez-vous sur ce recueil pour le savoir/ça-voir…
Comme d’habitude chez le poète, Minière confirme son goût pour la précision, l’absence de tout gras inutile en poésie : « Tendre est la nuit ? Elle est molle, / j’aime ce qui est sec, / les blés, le couteau, la fin des vers » : couic ! Guillotine et poésie ! Dé-monstration ici :
Les phrases me viennent une âme
par crise par phrase par emphase
elles se poussent l’une l’autre
et montent dans les poumons
Vous entendez cette poussée ? souffle continu du poète… En fin de son second poème, Minière termine ainsi, par ce vers : « Mes chants, mes spirales sont à mettre dans les annales » : Pas de coupe inutile : clac ! (Quand un poète-Facebook aurait écrit, lui : « Mes chants, mes spirales / [attention : poème !…] sont à mettre / dans / les annales ». (Ils se reconnaîtront très facilement).)
L’un des sommets de ce très beau et impressionnant recueil nous arrive à la fin de la seconde partie (second poème ?) ; et c’est une sculpture :
Il
est
sûr
il faut
une base
à la langue
un fondement
plus haut que les babils
de l’éternel et éternel retour
mais tout le monde ne veut pas construire une tour
Babil pour une nouvelle Tour de Babel ? La suite déborde le cadre…
Claude Minière, Consolation, Gallimard, coll. « Blanche », 104 p., 16,50 €