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Comment lutter efficacement contre l’idéologie islamique?

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Chahdortt Djavann (2016) Comment lutter efficacement contre l’idéologie islamique ? . Paris : Grasset, 2016

L’Iran et la mondialisation de l’idéologie islamique

Dans son dernier livre, Chahdortt Djavann propose des mesures pour stopper l’expansion de l’idéologie qui sous-tend le terrorisme et menace les acquis civilisationnels majeurs du monde libre. Il est grand temps que la République fasse son boulot. À la différence de Houellebecq et de Sansal, Djavann pense qu’il n’est pas trop tard pour contrer l’offensive islamiste rejetée par l’ensemble des Français, y compris les musulmans venus habiter en France pour se libérer du dogmatisme religieux et vivre une vie de citoyens libres. Djavann ne fait « pas d’amalgame » et critique la perception essentialiste d’une supposée « communauté musulmane » à identité homogène et stable. Les français musulmans sont la première cible des islamistes qui, depuis trois décennies, ont mis en marche une puissante entreprise de réislamisation des populations issues – ou sorties, comme le voudrait Mohamed Razane[1] -, de l’immigration, considérées contaminées au contact des idées, des valeurs et des pratiques occidentales[2].

L’essai de Chahdortt Djavann raconte l’histoire de l’idéologisation de l’Islam et de la mondialisation de l’idéologie islamique. Cette histoire commence en 1979 lorsque Khomeiny prend le pouvoir en Iran avec le soutien de la France et des États-Unis qui, dans le cadre de la Guerre Froide, croyaient créer ainsi un obstacle au totalitarisme communiste. En fait ces deux pays ont malgré eux contribué à la création d’un totalitarisme pire. La conceptualisation de l’islamisme est moins l’œuvre des frères Musulmans que du régime des mollahs. Ceux-ci ont su s’allier stratégiquement aux salafistes (la rivalité entre sunnites et chiites étant bien moins importante qu’on ne le pense et surtout n’ayant jamais empêché l’expansion de l’Islam et de l’islamisme) et s’appuyer sur les faux opposants de la diaspora iranienne (comme Marjane Satrapi dont le célèbre Persépolis est passé au crible d’une analyse critique perspicace) et sur la mauvaise conscience des politiques et des intellectuels occidentaux, pour exporter l’idéologie qui nourrit le terrorisme. On remarquera que dans cette histoire 1989 est une année clé. Deux cents ans après la révolution françaises, dix ans après l’instauration de la République Islamique, Khomeiny lance la fatwa contre Salman Rushdie, auteur des Versets Sataniques, pour cause de blasphème, en même temps que la première affaire du voile éclate en France, assénant un premier coup à République laïque. A l’orée de la dernière décennie du XXe siècle, celle de l’essor d’Internet et de la diversification des flux migratoires, la Chute du Mur inaugure sur l’effondrement des frontières l’ère de la mondialisation que l’on souhaitait et espérait être celle de la démocratie. Hélas, c’est celle de l’islamisme.

 

Démontage de l’argumentaire islamique

C’est un livre à visée pédagogique. Chahdortt Djavann se propose de démonter le discours islamique en déconstruisant des concepts, des slogans, des phrases stéréotypées et des arguments fallacieux qui envahissent le discours médiatique et font avancer l’obscurantisme et le dogmatisme au détriment de la pensée rationnelle. On se rend compte que la plupart des artifices rhétoriques qui composent le discours islamique procèdent de la dichotomie pur-impur (halal-haram). D’emblée, cette dichotomie détermine une hiérarchie entre les deux catégories : le pur est supérieur et bon, l’impur est inférieur et mauvais, car, comme l’explique Mary Douglas dans De la souillure, la création de l’ordre secrète un sous-produit qui le menace. L’impur, c’est l’entropie, le désordre, le chaos. Des binarismes comme croyants-non croyants/mécréants, masculin-féminin découlent de l’opposition entre pureté et souillure. Ce qui est impur, il faut s’en séparer. D’où la ségrégation des femmes. D’où le voile. Le voile ne sépare pas seulement les femmes des hommes, il établit à l’intérieur même de la population féminine la division entre femmes pudiques et femmes impudiques, celles que les hommes n’ont pas à respecter. D’où l’intérêt à porter le voile pour ne pas s’exposer au viol.

Une des formules que Djavann critique est « c’est ma culture ». Confortée par le multiculturalisme diffus de l’opinion publique, cette formule véhicule une perception essentialiste et identitaire de culture dans laquelle chaque individu n’est qu’un produit de sa culture et au nom de laquelle des dizaines de milliers de mineures nées en France sont mariées de force. Renvoyer l’individu sorti de l’immigration à sa culture est une forme déniée de racisme de la part de « ceux qui, chez l’autre, et au nom de l’autre, acceptent ce qu’ils n’auraient jamais toléré chez les leurs, car ils considèrent, sans l’avouer, que l’autre appartient à une culture inférieure » (p.183). Renvoyer quelqu’un à sa culture, cela signifie que la tradition prend le pas sur la loi. D’ailleurs les formules dévalorisant la loi ne manquent pas dans le discours courant, par exemple en parlant du voile : « ce n’est pas la loi qui réglera le problème », « plus on interdira, plus il y en aura », l’exemple du Royaume Uni à l’appui. Djavann réplique qu’en Angleterre, où aucune loi n’interdit les signes religieux ostentatoires où que ce soit, les burqas prolifèrent. De même, l’argument selon lequel la construction de mosquées et la formations d’imams ferait reculer l’islamisme et le terrorisme est démenti par la réalité aussi bien en Orient (notamment en Turquie) qu’en Occident : la multiplication des minarets, des voiles, des imams et des affiches halal sont le résultat du prosélytisme islamique. Il faudrait ajouter un autre signe : la montée de l’antisémitisme qui concerne aussi bien des institutions nationales comme l’école que des institutions internationales comme l’UNESCO[3].

L’auteure revient sur des arguments en faveur du port du voile énoncés aussi bien par la gauche au nom du droit des minorités, que par la droite au nom de la liberté vestimentaire individuelle : le voile serait comparable au string ou à la minijupe ; le voile n’est qu’un bout de tissu. Elle réplique que l’on n’a jamais vu des femmes et des adolescentes être obligées à porter des minijupes ou des strings sous la menace de kalachnikovs ; et compare le voile au drapeau national pour souligner sa fonction symbolique : le voile est le symbole de « la charia qui s’empare du corps féminin » pour afficher « la dichotomie structurelle du système démocratique et du système islamique » (p.81). Chahdortt Djavann aborde aussi l’accusation stéréotypée d’islamophobie comme une forme de censure qui décourage la critique des dogmes islamiques, fait passer les islamistes pour des victimes du colonialisme et accuse les laïques de racisme. Elle fait l’éloge d’Elisabeth Badinter, philosophe féministe qui a mis en lumière la fausse route du communautarisme, du néo-féminisme et du primat de la loi religieuse sur la loi politique.

Parmi les personnalités visées par Chahdortt Djavann se détache Barack Obama. Elle déplore avant tout le discours du Caire en 2009 où Obama a proclamé le droit et la liberté de porter le voile. Elle remarque que « l’esclavagisme est aussi considéré comme un droit et une liberté dans le Coran, qui conseille aux maîtres de traiter leurs esclaves équitablement. Qu’en pense-t-il, le premier président noir ? » (p.157). Elle déplore aussi le retrait précoce d’Irak, le désintérêt pour la Syrie et pour l’Europe et les négociations et accords avec l’Iran.

 

Ne cédons pas sur la laïcité

Tout comme Elisabeth Badinter, Chahdortt Djavann pense que la défense de la laïcité est une priorité absolue. Parce que la lutte ne se joue que sur le plan sémantique, l’auteure présente dans les deux derniers chapitres des propositions concrètes pour parer efficacement à l’islamisation, à la désintégration sociale et au laxisme déguisé en tolérance. Il s’agit, entre autres mesures destinées à consolider la laïcité, de faire signer aux nouveaux immigrés un contrat qui les engagerait à respecter les lois républicaines, de créer le service civique obligatoire, de rétablir l’uniforme scolaire. Ces mesures, propose Djavann, seraient soumises directement au vote populaire. Ce qui revient à soumettre la laïcité à un référendum : « Quel que soit le résultat du vote sur la laïcité, il nous faudra en assumer les conséquences. En démocratie, le vote de la majorité a le dernier mot. De deux choses l’une : ou c’est la laïcité qui doit s’adapter à l’islam, devenu la deuxième religion de France, ou c’est l’islam qui doit s’adapter à la laïcité. Les Français trancheront. » (p.237). Mais n’est-ce pas là mettre radicalement en jeu l’ensemble des valeurs et des principes qu’il s’agit de défendre pour assurer la citoyenneté libre, la démocratie, les droits de l’Homme, le droit qui fonde l’égalité des sexes, la poursuite du combat pour l’égalité des sexes, la mixité des sexes contre la banalisation de pratiques rétrogrades et oppressives qui infériorisent les femmes, les gardent dans un état de minorité et établissent l’apartheid sexuel ? Le noyau dur des valeurs démocratiques et républicaines qui soutiennent la forme de vie française et occidentale est un acquis civilisationnel validé par l’Histoire faite des luttes, des projets, des sacrifices, des peines, des révolutions, des progrès des idées, des lois et des pratiques que les générations antérieures ont entrepris au cours des siècles et qui ont fait du monde occidental un monde meilleur que le reste du monde. Les acquis civilisationnels sont inconditionnels, ne sont pas négociables, ne sont pas votables. Il ne faut pas voter l’abolition de la peine de mort, l’abolition de l’esclavage, les droits de l’Homme, l’état de Droit, la démocratie. Les voter, cela signifie les renvoyer dos à dos avec la charia, mettre dans un rapport d’équivalence, de symétrie et de réciprocité le modèle démocratique et le modèle qui lui est étranger et hostile. Il faut jouer le jeu de la démocratie représentative et non pas créer des conditions permettant que la contingence d’un vote puisse faire table rase de notre histoire, de notre mémoire, de notre passé, de notre identité de Français et d’Européens. Il ne faut pas céder sur la laïcité, il ne faut pas la mettre en danger, il ne faut en aucun cas envisager de la perdre.

 

Islamique et moyenâgeux

Un mot sur l’emploi de l’adjectif « moyenâgeux ». L’utilisation récurrente de cet adjectif pour critiquer les dogmes, les pratiques et les lois islamiques véhicule une image stéréotypée, détournée et insuffisante du Moyen Âge. C’est l’image qui découle de la formule de l’âge des ténèbres (the Dark Ages), l’âge auquel reviendrait la responsabilité de toutes les idées archaïques et de toutes les pratiques barbares (comme si l’Antiquité n’avait pas été archaïque et barbare). Le Moyen Âge est l’époque des croisades et des bûchers, des préjugés et des violences misogynes, du patriarcat féodal, des ordalies, des persécutions des hérétiques, des Juifs, des béguines, des lépreux … Certes. Mais il faut savoir qu’à partir de la seconde moitié du XIe siècle, l’Europe occidentale traverse, sous l’impulsion de l’Église, une mutation majeure qui jette les fondations de l’Europe moderne.

Après 1054, la réforme grégorienne inaugure un long processus de différenciation entre le politique et le religieux. En revendiquant la séparation de la sphère de compétences et de pouvoirs qui l’affranchira de l’emprise féodale séculière – au pouvoir spirituel le salut des âmes, au pouvoir temporel la gestion des hommes –, l’Église crée les conditions pour « the subsequent emergence of the modern secular state by withdrawing from emperors and kings the spiritual competence which they had previously exercised » (Berman, 1983 :115). La redéfinition du mariage entreprise par les réformateurs représente un incontestable progrès pour les femmes. « In pagan cultures in which polygamy, arranged marriages, and oppression of women predominated, the church promoted the idea of monogamous marriage by free consent of both spouses. In the West this idea had to do battle with deeply rooted tribal, village, and feudal customs » (idem, p.227). En effet, dans le nouveau modèle, le mariage était créé par la volonté des époux. Et cette volonté était libre aussi bien pour la femme que pour l’homme. Pierre Lombard (1100-1160) a été le premier à dire que le consentement paternel ne constituait pas une condition au mariage. Gaudemet écrit : « Pour l’Église, le consentement, ou l’accord du père ou du tuteur, est signe d’une déférence souhaitable, mais demeure sans incidence sur la validité du lien, alors que le droit romain attribuait un rôle décisif au consentement de ceux qui avaient puissance sur chacun des conjoints. (…) L’Église refuse d’accorder un rôle déterminant à l’entourage quel qu’il soit ». (Basdevent et Gaudemet, 2001 : 46). Qu’est-ce sinon reconnaitre la volonté individuelle et même le désir subjectif dans son autonomie par rapport aux intérêts, aux pressions et aux solidarités du groupe ?

L’Église médiévale a créé les universités et formé les clercs. Ceux-ci ont écrit les romans qui fondent la littérature européenne moderne sur la problématique de l’amour courtois qui est une éthique de la différence sexuelle et un art de la mixité des sexes. Cette littérature a puissamment contribué à « polir » les hommes, à leur apprendre à maîtriser la pulsion sexuelle, à la soumettre aux règles de la galanterie. Nul besoin de cacher le corps féminin pour se conduire pudiquement en sa présence.

Dans The Making of Europe, Robert Bartlett soutient qu’entre 1100 et 1300 l’Europe émerge comme une entité institutionnellement et culturellement homogène. La chrétienté occidentale médiévale a une identité spécifique, différente des musulmans et des chrétiens orientaux. Les royaumes européens ont progressivement établi une uniformité juridique qui a mis fin à la diversité des statuts et régimes légaux propres à chaque groupe ethno-religieux. Autrement dit, l’Europe s’est constituée à rebours du modèle communautariste qui avait été le sien jusqu’au XIIe siècle, le féodalisme favorisant, avec sa multiplicité de centres de pouvoir autonomes, toute sorte de particularismes et de traditions.

Voilà de quoi se méfier de l’attribution de la qualité « moyenâgeuse » à l’idéologie islamique.

 

Références

 

Barltlett, Robert (1993). The Making of Europe. Conquest, Colonization and Culture Change 950-1350. Princeton, NJ : Princeton UP.

 

Basdevent, Brigitte & Gaudemet, Jean (2001). L’apport du droit canonique. in Bontems, Claude, dir.. Mariage-Mariages. Paris: PUF, p.41-56.

 

Berman, Harold J. (1983). Law and Revolution. The Formation of the Western Legal Tradition. Cambridge, MA, & London : Harvard UP.

 

Douglas, Mary (1992). De la souillure. Études sur la notion de pollution et de tabou. Paris : La Découverte.

 

 

 

[1] Cf. http://mondesfr.wpengine.com/debats/francophonies-et-theories/dune-litterature-mal-nommee/

[2] Cf. http://mondesfr.wpengine.com/espaces/frances/la-republique-naura-pas-fait-son-boulot-mutations-dun-quartier-parisien-apres-le-11-septembre/

[3] Voir l’article d’Éric Conan, « Extension du domaine de la solitude juive » dans Marianne n° 1023 sur la résolution de l’UNESCO du 13 octobre 2016, qui nie les liens entre les Juifs et Jérusalem. Ajoutons que la résolution nie également les liens entre les chrétiens et Jérusalem.