Poète, romancier, dramaturge, essayiste et chroniqueur littéraire, Denis Emorine passe facilement d’un genre littéraire à l’autre. Il crée autour d’un noyau, ses obsessions. Son identité française intègre des aïeuls d’origine slave ce qui fait de lui un écrivain à part. Cela lui permet d’interroger et d’explorer deux côtés identitaires et deux cultures : occidentale et orientale.
Si la poésie est privilégiée, il n’est pas moins vrai que le théâtre l’incite à s’y exercer. La dramaturgie l’attire par la chance de pouvoir mettre en scène ses pièces, de faire de la vie de ses personnages un spectacle. Il n’est pas à ses premières pièces de théâtre avec son nouveau livre La Méprise suivi de Après la bataille, deux pièces traduites en italien (Giuliano Ladolfi Editore, 2024), également différentes des autres par leur sujet et leur genre : comédie et drame.
La Méprise est un divertissement en un acte à seize scènes, inspiré par un personnage célèbre, Casanova, un aventurier et libertin qui ne vit que pour satisfaire ses plaisirs, le séducteur par excellence. Les Mémoires de Giacomo Casanova est la source de la comédie de Denis Emorine. Cette pièce tourne autour d’un plan de séduction de Casanova pour une jeune et belle femme de 24 ans, mariée à un homme âgé. Mais la sœur de l’amante déjoue son plan, attire Casanova dans un piège pour se venger de l’avoir méprisée.
La comédie de Denis Emorine lève le rideau sur les apparences. Elle dénonce l’immoralité des mœurs d’une noblesse corrompue, hédoniste, débauchée, telle que fut celle de Venise au XVIII-e siècle, à l’époque de Casanova.L’intrigue repose sur le comique de situation, qui fait éclater de rire le spectateur. Ridendo castigat mores est le but de tout auteur de comédies de moeurs, donc celui de Denis Emorine aussi. Il ridiculise la naïveté des uns, leur crédulité, l’arrogance des autres, orgueilleux de leur statut social, leurs faiblesses cachées sous les apparences des vertus. Quiproquos, duperies, malentendus, coups de théâtre fait avancer l’intrigue vers son dénouement.
Le langage des personnages est adapté à chaque scène, élevé ou vulgaire, poli ou méprisant, selon le milieu, le statut, les faits. Le ton vif, animé, entraînant, indigné, mielleux, insultant, railleur, selon les sentiments éprouvés.
Si La Méprise nous amuse par le comique de situation, Après la bataille plonge le lecteur dans l’absurde. L’intrigue est inspirée par la tragédie de la guerre avec ses horreurs et sa déshumanisation. C’est l’une des obsessions de l’auteur, retrouvée dans ses recueils de poèmes, mais aussi dans sa dramaturgie, liée à la quête d’identité, au drame de sa famille pendant la Seconde Guerre mondiale. C’est un thème majeur dans son œuvre. Il ne cesse de dénoncer et de condamner l’absurdité de la guerre.
Les personnages sont deux soldats et leur caporal, apparemment les seuls survivants sur un champ de bataille dévasté, couvert de cadavres. D’après leurs noms, il sont des soldats russes. La parenté de l’auteur par ses aïeuls avec la Russie et son admiration pour sa culture sont bien connues. La question que pose la pièce est de survivre. Comment survivre, semble s’interroger le dramaturge. Respecter quelle morale, quelle loi ? Celle de la guerre, obéir aux supérieurs si absurdes que leurs ordres puissent être, se révolter, faire sa propre loi qui permet tout pour se sauver, pour vivre ? Et quelle identité s’assumer après l’horreur ? Quelle serait la psychologie d’un survivant ?
Denis Emorine met ses personnages dans un tel dilemme. Leurs actions, gestes, dialogues montrent comment la guerre peut affecter la façon de penser et d’agir d’un soldat, y compris de son supérieur. Toute logique semble éclater et tourner à l’absurde, à l’irrationnel. L’auteur invente un jeu de cache-cache avec la mort pour nous faire comprendre le comportement absurde des trois survivants. S’il ne s’agissait pas de la tragédie de la guerre, des soldats y impliqués, on pourrait s’amuser à voir trois hommes jouer un jeu de guerre. Malheureusement, si absurde que soit le jeu, avec ses changements de rôle, la mort est là : cadavres partout, un silence sinistre, explosions qui prouvent que la guerre n’est pas finie.
Le dramaturge réunit dans son livre une comédie et un drame. Ils font partie de la vie qu’il interroge, peu importe l’époque. L’homme est le même, ses expériences pareilles, l’Histoire se répète. Les écrivains ne cessent de le rappeler dans le respect des valeurs humaines à conserver.
Denis Emorine, L’Equivoco ovvero le astuzie dell’amore. Dopo la battaglia, Traduzione di Giuliano Ladolfi, Giuliano Ladolfi editore, Borgomanero, 2024, 85 p., 10 euros.