Caroline Rolland-Diamond, Black America, une histoire des luttes pour l’égalité et la justice (XIXe-XXIe siècle), Paris, La Découverte/Poche, 2019, 656 p., 15 €.
La réédition en poche de ce livre paru initialement en 2016 est l’occasion d’attirer à nouveau l’attention sur la somme magistrale consacrée aux « Africains-Américains » suivant l’expression retenue par l’auteure, enseignante à Nanterre. Cet ouvrage dense et copieux, qui démarre avec l’abolition de l’esclavage à l’issue de la guerre de Sécession et s’achève sur la présidence d’Obama, expose en détail les étapes de l’émancipation progressive des Noirs américains. Emancipation progressive et le plus souvent douloureuse tant les Blancs du Sud des Etats-Unis se sont montrés récalcitrants à reconnaître les droits les plus élémentaires de leurs compatriotes de couleur. Lynchages, tribunaux protégeant les assassins blancs et condamnant systématiquement les Noirs aux peines maximales, travaux forcés pour les condamnés, discriminations et intimidations en tout genre étaient monnaie courante.
Le vote censitaire ou soumis à la réussite d’un examen prouvant les capacité mis en œuvre dans les Etats sudistes fit obstacle à l’exercice des droits civiques élémentaires des Noirs, sans compter des menaces qui n’étaient pas simplement en l’air. Exemple : L’arrêt Smith v. Allwright (1944) interdit l’organisation d’élections primaires réservées de facto aux Blancs. Deux ans plus tard, dans le comté de Taylor (Georgie), le seul Noir qui parvint à déposer son bulletin lors des primaires du Parti démocrate, en bravant une bande armée, fut abattu le lendemain. La ségrégation légale dans les écoles, les transports, les magasins fut démantelée tout aussi difficilement. Ainsi l’arrêt Brown de la Cour suprême (1954) interdisant les écoles séparées pour les enfants blancs et noirs rencontra-t-il au Sud une résistance massive.
Tout cela explique le mouvement migratoire long des Africains-Américains du sud au nord des Etats-Unis (favorisé à partir de 1924 par l’imposition de quotas à l’immigration étrangère). Ce qui n’empêchait pas les discriminations de fait, les violences policières et les émeutes. Par exemple celle de Harlem, en 1964, provoquée par l’assassinat d’un jeune noir par un policier blanc, qui fit des milliers de morts. C’est d’ailleurs au Nord ou à l’Ouest que surgirent les mouvements les plus radicaux défendant la cause des Noirs, Nation of Islam, Black Power, Black Panthers, opposés à la stratégie non-violente de Luther King, celle également développée par les femmes noires qui ont toute leur place dans cette histoire.
Les Noirs ont néanmoins profité, mais à un degré moindre que les Blancs, de l’élévation générale du niveau de vie. Les deux guerres mondiales ont favorisé l’emploi des hommes comme des femmes. Les universités ouvertes aux Noirs se sont multipliées (subventionnées par les Etats du Sud en vertu de leur doctrine du « développement séparé »). New York vit la « Renaissance de Harlem » dans les années 20 tandis que le capitalisme noir prospérait à Chicago, considérée comme la « métropole noire », etc. Si Black America ne cache pas ces évolutions positives, l’histoire des Africains-Américains reste fondamentalement celle des sévices et des crimes dont ils sont les victimes, de leurs luttes pour la dignité et l’égalité. Bien que toute ségrégation légale ait disparu, les discriminations subsistent en matière de logement, d’éducation. Elles entretiennent une culture de ghetto véhiculant des valeurs matérialistes et machistes. Pire, les crimes des policiers n’ont pas disparu (d’où le mot d’ordre Black lives matter). Force est de constater, avec l’auteure, que l’élection d’Obama, pour symbolique qu’elle soit, n’a pas fondamentalement amélioré la situation des Noirs américains.
Le livre est divisé en sept périodes successives, la plus brève (1961-1965) correspondant à la plus forte intensité de la lutte pour les droits civiques, chaque partie étant divisée en brefs chapitres thématiques. Les notes (60 pages) sont reportées en fin de volume avec la bibliographie (11 pages) et un index nominum (10 pages). Un index rerum aurait permis de suivre plus aisément l’évolution de certains sujets récurrents (la « Grande Migration », l’affirmative action, etc.).
Article paru originellement dans la revue Esprit, n° 459, novembre 2019.