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“Appelez-moi par mon prénom”, par Nina Bouraoui

Nina Bouraoui, Appelez-moi par mon prénom, Paris, Stock, 2008, 112 p., ISBN : 978-2-234-06077-7.

 

Optimiste, romantique, linéaire, tels sont les mots qui me viennent à l’esprit à propos du onzième roman de Nina Bouraoui. Son ouvrage précédent,Mes mauvaises pensées, publié en 2005, lui avait valu le prix Renaudot. Appelez-moi par mon prénom, très attendu, ne déçoit pas non plus. Bien au contraire. Au temps de l’imparfait, on y découvre un autre ton s’adressant aux amoureux et à tous ceux qui ont perdu la foi en l’amour ; rien moins.

Roman classique par rapport aux autres ouvrages de l’auteur, il nous raconte la relation amoureuse, à distance, d’un couple qui apprend à s’aimer à travers les livres, à travers les mots : « Entre nous, c’était une évidence, avec l’idée que l’écriture nous avait porté bonheur. » Car tout se passe lors d’une dédicace de l’écrivain à Lausanne où l’un de ses admirateurs lui confie une lettre et l’adresse de son site Web. Il y présente ses travaux, ceux notamment que lui inspire le journal de l’auteur. Dans sa missive, le jeune homme lui avoue que ses mots l’ont sauvé de la solitude et de la douloureuse perte d’un amour. Jour après jour, sans se manifester, la narratrice plonge dans l’univers de P. mais, à l’inverse de Mes mauvaises pensées, on ne connaîtra pas le prénom des deux personnages – seulement leurs initiales. Ainsi commence une vie amoureuse, littéraire et conflictuelle : « Je possédais deux existences, l’une à Paris, l’autre à Lausanne… ». Très vite, le centre de la vie se déplace des mots d’amour à l’amour vécu, du fantasme de l’amour à l’amour vrai, de l’écriture à la vie. Leur première rencontre a pour cadre le jardin du Luxembourg : J’avais l’idée d’avancer vers mon avenir. Le cherchais ses yeux comme il cherchait les miens, encore cachés Le bruit de la ville faisait place au silence de nos peaux qui allaient se reconnaître par instinct…Je prenais conscience de mon corps et du sien, matérialisant les songes de mon hiver…Les mots avaient inventé une autre histoire. » Séduction, attentes, mails, renoncement, silences, séparations, illusions, sur fond de va-et-vient entre la Suisse et la France, tout cela crée un univers fiévreux délicieux entre rêve et réalité.

Point d’action dans ce roman qui se lit d’un seul souffle à l’instar de l’amour passionnel qui happe les deux amants, comme si nous étions nous-mêmes emportés par cette passion dévorante façon Marguerite Duras et Yann Andréa. La narratrice qui est proche, par l’âge, de l’écrivain, la quarantaine, tombe éperdument amoureuse de ce lecteur-là et décrit avec minutie ses sentiments, ses remises en question – lequel parmi nous au premier échange ne s’est jamais demandé si l’autre ressent la même chose sans oser y croire ? – et ses doutes.La chance d’aimer, de vivre, la fulgurance des sentiments, la puissance de l’écriture et de la création dominent le roman du début à la fin : « Je pensais que le monde m’avait encore ouvert une petite porte sur la liberté. Je n’avais pas de la chance, j’avais ma chance… Je n’avais plus peur de perdre mon amour. Il me semblait posséder déjà un passé qui formait un rempart face au danger. Nous n’étions pas uniquement en vie, nous étions à l’intérieur de la vie, dans ce qu’elle avait de plus beau et de plus incertain, de plus fragile et de plus puissant. »

Pour cette habituée du présent sans paragraphes ni chapitres et dialogues, l’imparfait, temps en mineur, comme Nina Bouraoui le précise dans une interview, trouve son apogée dans ce roman comme s’il s’agissait, à la faveur de ce temps des récits et des contes, de ne rien oublier. « Il y a de l’élégance dans ce temps et aussi une forme de nostalgie… », note l’auteur, qui évoque en passant l’esprit de l’amour courtois. Sa plume gagne en fluidité et en clarté sous la passion amoureuse. Douce et sensible, Nina Bouraoui rajoute à sa palette l’Amour sans pour autant laisser tomber ses thèmes de prédilection : l’attachement à une ville, l’écriture, la perte de la jeunesse, l’oubli, le déracinement, la solitude.

Dans un style acéré et lyrique, Bouraoui réussit à faire de cette histoire follement envoûtante un roman intime et universel à la fois. Elle peint avec excellence cette relation-folie due au hasard, mais si sincère et réelle. Ces fragments d’existence racontés avec brio nous touchent et nous émeuvent. AvecAppelez-moi par mon prénom, apprenons dans le monde où nous vivons à s’enivrer du parfum de la vie, de prendre encore le goût de cet Amour-là.