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« Une Américaine au Caire », ce titre eût été plus clair. En anglais d’où le livre est traduit, c’était If un Egyptian Cannot Speak english, ce qui ne valait pas mieux que le titre retenu pour l’édition française. Outre leur manque d’élégance, ces deux titres, l’anglais comme le français, ont le défaut de nous mettre sur une fausse piste en nous promettant une histoire plutôt drôle, ce qui est loin d’être le cas ; nous nageons au contraire en plein drame.

Oublions le titre puisque l’histoire – dramatique donc – contée par Noor Naga ne manque pas d’intérêt, d’autant qu’elle est astucieusement menée. L’auteure, à l’instar de son héroïne, est américaine d’origine égyptienne, comme elle venue enseigner l’anglais au Caire à la recherche de ses racines. À la différence de son héroïne Noor Naga a bénéficié d’une bourse d’écriture et, à voir comment ce roman plus ou moins auto-fictif (dans quelle mesure, le lecteur ne peut le savoir) est construit, elle a dû participer à un atelier d’écriture romanesque (creative writing) comme il s’en donne tant dans les université d’Amérique du Nord. Une hypothèse paraissant d’autant plus justifiée que la troisième partie du livre se situe justement au sein de l’un de ces ateliers. Dans cette troisième partie, la meilleure à notre goût, l’auteure (ou autrice – pourquoi ne dit-on jamais auteuse comme dans coiffeur – coiffeuse ?) se trouve confrontée à ses camarades sans avoir le droit de réagir à ce qu’ils pensent du livre… tout en nous donnant quelques clés qui nous manquaient.

Le roman raconte l’histoire des amours impossibles entre l’Américaine et un photographe, plutôt un ex-photographe qui eut son moment pendant les événement de la place Tahir, quand il put vendre ses photos à l’étranger et profiter de le bienveillance à son égard de quelques blondes étrangères en mal d’exotisme. Quand elle le rencontre il est fort impécunieux et son bel appareil-photo n’a plus la moindre pellicule dans son magasin.

La première partie, occupant la première moitié du livre, raconte à la fois le choc que présente pour une Américaine aseptisée la découverte du Caire et la naissance puis la fin de l’improbable idylle. La deuxième partie, plus dure encore que la première – qui l’était déjà pas mal en raison du suspense lié à cette relation aussi improbable que risquée pour l’étrangère – est centrée sur l’homme, « le gars de Chebreiss » (village égyptien dont il est originaire) qui ressasse son envie – on ne parle pas d’amour – pour cette femme qu’il a volontairement quittée après avoir compris qu’elle n’en pouvait plus de l’entretenir, de le materner, d’être son esclave sexuelle et plus, tout autant que son désir de la retrouver et les stratagèmes qu’il imagine pour y parvenir. Cela finit très mal mais ce n’est pas faire acte de spoiler (« divulgâcheur » en québécois) que de l’écrire ici tant ceci paraît inéluctable dès le début du livre.

En dehors du suspense (cela finira mal mais comment?), le livre vaut beaucoup par les notations sur les mœurs cairotes vues par une Américaine aseptisée (comme déjà noté) et les inconvénients qui en résultent.

Je chie liquide depuis que j’ai atterri au Caire il y a deux mois et personne ne veut me dire pourquoi ? Quand je m’en plains à Sami [plus évolué que la gars de Chebreiss et, bien sûr, homosexuel – une concession à la mode qu’on pardonnera à l’auteure/trice], il me dit du ton de l’évidence : Alors arrête de manger de la viande de chien achetée dans la rue.

Autre intérêt de ce roman, au fond plus mélodramatique que dramatique, et qui participe de son esprit ludique, chaque chapitre est introduit par une question, comme dans le titre. Par exemple, celui d’où est tirée la citation que l’on vient de lire est « titré » ainsi :

QUESTION
Si les hommes poussent des cris d’animaux dans ta direction, à qui revient l’os ?

Chacun répondra à sa guise.

En résumé, ce roman « très mode » et très vraisemblablement formaté par un atelier d’écriture n’en est pas moins une réussite (d’ailleurs couronnée par quelques prix). Il a en lui suffisamment de fantaisie et d’exotisme pour qu’on le lise sans s’ennuyer (critère cardinal pour tout roman) et même si la fin est plus ou moins prévisible, l’auteure-trice parvient à ménager le suspense jusqu’au bout. Que demander de plus ?

Noor Naga, Un Égyptien peut-il parler anglais ?, traduit par Marie Frankland, Montréal, Mémoire d’encrier, 2024, 312 p., 22 €.