Le 7 juin 1494, l’Espagne et le Portugal se partageaient le monde à découvrir à travers le Traité de Tordesillas.
Cet accord est souvent cité par les historiens comme étant le plus beau « coup diplomatique » de tous les temps et ceci au bénéfice du Royaume Portugais.
Nous allons comprendre pourquoi dans cette chronique.
La première question que l’on peut se poser est de savoir comment 2 pays peuvent s’entendre sur un tel partage sans réaction violente du reste de l’Europe ?
C’est tout simplement que les autres pays sont occupés à gérer les graves crises qui les traversent :
- L’Angleterre est en proie à une guerre civile, la guerre des 2 roses, à la suite de son échec dans la lutte qui les opposait aux Français (guerre de 100 ans)
- L’Italie est divisée en petits États (Milan, Venise, Florence, Naples et le Vatican) qui sont perpétuellement en conflit et dépourvus d’armée solide depuis la mort de Laurent le Magnifique.
- L’Allemagne est en train de se construire et de constituer son empire autour de la famille des Habsbourg (Allemagne, Autriche, Bohême, Hongrie et Pays Bas)
Mais quelques années plus tard, une fois que la situation se sera stabilisée et que ces pays repartiront, eux aussi, à la découverte puis à la conquête du monde, ils ne respecteront jamais ce traité.
François 1er lui-même le remit en cause auprès du Pape en lui demandant à voir « la clause du testament d’Adam qui excluait la France de ce partage ! ». Il obtint d’ailleurs en 1533 que Clément VII modifie le Traité de Tordesillas en précisant que les Portugais et les Espagnols se partageaient les terres connues en 1494 et non les terres ultérieurement découvertes par les autres Couronnes. C’est à cette époque que notre Roi finança Jacques Cartier qui partit alors sur Terre Neuve.
La valeur de ce traité de Tordesillas est donc plutôt à considérer de façon limitative autour des 2 signataires Espagnols et Portugais.
La seconde question est de comprendre pourquoi les 2 nations ont eu besoin d’un accord pour continuer leur politique d’exploration et d’expansion ?
Le Royaume portugais a commencé l’exploration maritime en 1415 par la conquête de Ceuta au Maroc. Il s’agissait à l’époque de ralentir le piratage des Musulmans (leurs navires trouvant vivres et protection à Ceuta), de mettre la main sur une partie du commerce des épices et des richesses venant de l’Asie (or, bijoux, tapis, tissus, ivoire etc.) et de convertir les populations.
Après cette prise, les Portugais entreprirent une exploration constante, méthodique et régulière des côtes africaines sous la houlette du Prince Henri (connu sous le nom d’Henri le navigateur), 3ème fils du Roi Jean 1er d’Avis et Maître de l’Ordre du Christ.
C’’est ainsi qu’ils descendirent le long des côtes africaines gagnant quelques dizaines de kilomètres à chaque expédition pour arriver, en 1460, à la mort d’Henri, jusqu’au golfe de Guinée.
Dans la première période de cette épopée, ils avaient découvert Madère, Cap-Vert, les Açores et vaincu en 1434 le Cap de Bojador (considéré à l’époque par les marins comme le bout du monde derrière lequel se trouvaient monstres, enfer et horribles créatures…même si les gens cultivés savaient depuis Aristote que la terre était ronde). En passant ce Cap, Gil Eanes, peu connu, a pourtant ouvert le monde aux européens.
Une seconde période commença de façon beaucoup plus calme, la couronne portugaise (Alphonse V) étant concentrée sur la succession de Castille et les affaires marocaines.
Mais dès 1474, les choses s’accélérèrent à nouveau, poussées par le fils du Roi, Jean II, que son père avait chargé de diriger la politique atlantique du pays.
Cet homme avait une vision et des objectifs très précis, dont celui de détourner la route des épices entièrement contrôlée par les musulmans au profit du Portugal.
Cette route empruntait à l’époque des chemins maritimes (Océan Indien, Mer rouge et Méditerranée) et terrestres le long de la rive droite de la Mer Rouge jusqu’au Caire.
Son idée était de charger ses bateaux en Inde, puis de venir directement jusqu’à Lisbonne par les 2 océans.
Les enjeux financiers étaient énormes puisque les épices se revendaient environ 60 fois leurs prix d’achat en arrivant sur les tables européennes.
Mais le comportement de son père vis-à-vis de la Castille dont ce dernier considérait, à l’occasion d’une crise de succession, que le trône devait revenir à son épouse Jeanne, mena les 2 pays au bord de la guerre et retarda les projets de Jean.
Il fut mis fin à cette période d’incertitude par le traité d’Alcaçovas en 1479, traité qui allait s’avérer primordial pour la suite des évènements.
En effet, les rois catholiques renonçaient à toutes prétentions sur le trône portugais, tandis qu’Alphonse renonçait à celui de Castille. Les terres découvertes à l’époque y furent officiellement attribuées :
- Les Canaries aux Espagnols
- Madère, les Açores et Cap-Vert aux Portugais
Mais fait nouveau, et pour éviter de futurs conflits, ils se partagèrent les zones à découvrir selon une parallèle (Est/Ouest) passant aux Canaries. Le nord aux Castillans et le sud aux Portugais.
Ainsi donc, et pour la première fois, deux Puissances se partageaient des territoires sans le consentement des autochtones !
Cet évènement inaugura une pratique qui deviendra la norme jusqu’au début du 20ème siècle, particulièrement bien illustrée par les accords de Berlin en 1885 où les européens se sont partagés des zones d’influence notamment en Afrique.
Après la signature de ce traité, Jean II, gardant bien en tête son objectif d’accaparer le commerce très lucratif des épices, va construire une stratégie dont les objectifs étaient de découvrir une jonction éventuelle entre l’Océan Atlantique et l’Océan Indien et d’identifier les ports, dans l’Océan Indien où ses bateaux pourraient réparer et ravitailler.
Il eut donc l’idée d’envoyer en même temps :
- Un navigateur, Bartholomeu Diaz, qui devait découvrir le passage maritime, s’il existait, entre les 2 océans.
- Et un espion explorateur, Pero de Covilha, par la terre qui se mêla aux caravanes arabes pour identifier les ports dans lesquels les bateaux portugais pourraient acheter la marchandise et les escales qu’ils pourraient emprunter pour ravitailler.
En 1488 le Cap de Bonne Espérance était découvert et les escales identifiées (Mozambique, Mombasa et Malindi). Ces informations furent, bien sûr, gardées secrètes.
C’est ainsi que, lorsqu’en 1491, Christophe Colomb lui demanda une audience pour lui proposer d’atteindre l’Inde par l’Ouest, Jean II lui refusa le financement de l’expédition car il connaissait déjà « la bonne route » et avait suffisamment d’informations pour savoir que Colomb se trompait dans son appréciation des distances (Il pensait le degré terrestre beaucoup moins large qu’il ne l’est en réalité, voyant l’inde à 6000 km en partant par l’ouest !)
Colomb s’en alla donc chercher son financement en Espagne, et tomba sur une Isabelle la Catholique très réceptive dans l’euphorie d’avoir enlevé Grenade aux musulmans et terminé ainsi la Reconquista.
Elle accepta donc, contre l’avis de son mari Ferdinand, de financer 3 bateaux et signa un accord très motivant avec Colomb.
Ce dernier partit et découvrit ainsi l’Amérique, croyant avoir découvert l’Inde (il le croira d’ailleurs encore, des années plus tard, sur son lit de mort).
Mais voilà qu’au retour de son expédition, il se passa alors quelque chose d’anormal, d’extraordinaire !
Tandis que ses 2 autres bateaux rentraient triomphants en Espagne, lui, fit une escale à Lisbonne et y rencontra Jean II.
Quelle fut la teneur de leur entretien ?
Il n’en reste aucune trace mais une partie des historiens portugais émettent l’hypothèse que Christophe Colomb était un espion de Jean II.
Toujours est-il que le Roi portugais sembla s’en vouloir de ne pas avoir financé ce voyage mais il allait alors exploiter cet évènement avec beaucoup d’intelligence et d’à-propos.
En effet, lors de la signature du traité d’Alcaçovas, en 1479, Espagnols et Portugais se sont partagés le monde à découvrir selon une parallèle passant par les Canaries. Le Nord aux Espagnols et le sud aux Portugais.
En 1492, Jean II sait maintenant qu’il existe un passage entre les 2 océans (Cap de Bonne Espérance) mais il ne sait pas situer l’inde par rapport au parallèle du traité.
Et si l’Inde était au nord de ce parallèle ?
Alors ils auraient passé tout ce temps, dépensé tout cet argent des explorations maritimes et terrestres pour rien ! Ou plutôt, si, pour les Espagnols !
Il n’y avait qu’une solution, il fallait inverser cette ligne et passer d’un parallèle à un méridien dont l’Ouest aurait été pour les Espagnols et l’Est pour les Portugais.
Alors Jean II va profiter du contexte pour créer une crise diplomatique avec l’Espagne.
Comment ?
En prétendant que pour atteindre les terres découvertes, Christophe Colomb était passé au sud du parallèle d’Alcaçovas donc dans les mers portugaises.
En conséquence, les terres découvertes appartiennent au Royaume du Portugal !!!
Et ça a marché ! Cet argument et la politique, ont convaincu les Espagnols de venir à la table des négociations à Tordesillas.
Le méridien proposé alors par l’Espagne et soutenu par le Pape, passait naturellement par les terres possédées par les Portugais (Açores, Madère et Cap-Vert).
Mais Jean II demanda que cette ligne soit reculée de 370 lieues vers l’ouest.
Pourquoi cette réclamation ?
La raison invoquée fut de nature maritime et concernait la navigation des navires portugais pour aller vers l’Océan Indien.
En effet, pas question d’envoyer des navires marchands, très grands et très lourds, le long des côtes africaines. La traversée du golfe de Guinée aurait été impossible car les vents y sont souvent trop faibles.
La seule voie de navigation praticable consiste donc en une descente vers le sud avec les Alizées jusqu’au Tropique du Capricorne ou les marins rencontreront des vents d’ouest qui vont les rabattre vers le sud de l’Afrique (Cap de Bonne Espérance).
Jean II a donc argumenté sur la nécessité d’un espace à l’ouest suffisant pour permettre à ses navires de naviguer en zone portugaise.
Les Espagnols eux, du moment que les terres découvertes par Christophe Colomb restaient dans leur escarcelle, n’y voyaient pas d’inconvénient majeur.
Mais il existe une seconde raison, cachée à l’époque, qui fait de ce traité l’un des plus beaux coups diplomatiques de tous les temps.
Entre 1488, date de la découverte du Cap de Bonne espérance et le 7 juillet 1497, date du départ de Vasco de Gama vers les Indes, il ne s’est rien passé… en apparence.
Mais en réalité, les marins portugais cherchaient la bonne route (compréhension des vents et des courants) pour préparer le premier voyage.
Il y a donc de très fortes probabilités, que par leur travail de préparation, les marins, voire les pêcheurs portugais connaissaient déjà en 1494, date de la signature du traité de Tordesillas, l’existence d’une terre à l’ouest de Cap-Vert.
6 ans plus tard, en 1500, à l’occasion du voyage de Cabral vers Calicut aux Indes, le Portugal a annoncé aux Rois Catholiques la découverte « fortuite » du Brésil. Ils avaient donc enlevé au nez et à la barbe de l’Espagne ce grand pays, le nouveau méridien signé à Tordesillas passant, en effet, par Sao-Paulo.
Ils ont attendu 6 ans pour annoncer l’existence de cette terre car s’ils l’avaient annoncé avant 1498, une clause du Traité de Tordesillas prévoyait sa renégociation.
En conclusion, la découverte de mines d’or au 18ème siècle dans ce grand pays lointain a permis :
- Au Portugal de vivre confortablement pendant plusieurs décennies, mais on peut toutefois se demander si « cet argent facile » n’a pas retardé le développement du pays ?
- Et à l’Angleterre, qui protégeait à l’époque les bateaux portugais contre une part très importante de leurs cargaisons, de financer une grande partie de sa révolution industrielle.