Comptes-rendus Mondes sud-américains Scènes

« Résonances » – les bonnes et leurs diplomates

Voyant cette pièce on pense irrésistiblement aux Bonnes de Jean Genet, non que celles évoquées dans Résonances soient prêtes à passer au meurtre mais leur hargne ne paraît pas moindre que celle des sœurs Papin. Si la violence est maîtrisée, elle n’est pas moins présente et la pièce de Yure Roamo et de ses complices, sous des dehors légers – samba et bossa nova au rendez-vous –, n’en est pas moins une dénonciation au vitriol de la condition ancillaire. Certes, cela a déjà été fait et non sans succès par Genet et aussi, bien sûr, Octave Mirbeau dans Le Journal d’une femme de chambre (Jeanne Moreau dans le film de Bunuel !), etc., mais cette nouvelle exploration de la condition ancillaire parvient à se faire une place dans un répertoire déjà aussi riche. Car elle se concentre sur un échantillon très particulier et éminemment folklorique pour un spectateur français, celui des bonnes importées du Brésil par les diplomates brésiliens en France. Passent presque inaperçus, en effet, les passages consacrés au témoignage de Françoise Ega (1920-1976), martiniquaise d’origine, auteure des Lettres à une noire, description de son expérience de femme de ménage à Marseille, comme celle des employées de maison expédiées en Métropole par le Bumidon. Sans doute ne faut-il pas voir autre chose dans le choix de Françoise Ega qu’une concession aux co-producteurs, les DAC de Guadeloupe et de Martinique, ainsi que d’autres acteurs institutionnels des ces îles, parmi lesquels la médiathèque Alfred Mélon-Dégras de Saint-Esprit dont on ne louera jamais assez l’activisme culturel (comme, en ce même mois de mai, lors du festival de poésie Balisaille).

La pièce a d’abord fait l’objet d’une enquête auprès des bonnes de diplomates brésiliens en poste à Paris dans les années 2000, avant d’être créée en Guadeloupe puis représentée dans la foulée à la Martinique. Le dispositif scénique est simple et aisément transportable : huit bonnes sont figurées par des pots de fleurs (photo), la scène étant occupée par trois musiciens : Yure Romao à la guitare est aussi le meneur de jeu, Clémence Lasmé tient la basse et Kayode Encarnaçao la section rythme. La quatrième, Ana Laura Nascimento, est non la moindre de la distribution puisque co-autrice avec Yure Romao et Estelle Copolani, et surtout (ra)conteuse.

En dépit de la musique brésilienne et des moments où les spectateurs sont invités à « karaoker » (Paroles, paroles…) où à manifester, le majeur levé, en faveur d’on ne sait quelle révolution (fallait-il vraiment garder cette séquence ?), la tonalité est plutôt sombre, en « résonance » avec la condition des bonnes, leurs relations avec les diplomates. Il y a néanmoins dans la pièce de rares moments de pur bonheur qui font penser aux plus belles scènes du film Les femmes de ménage du 6e étage de Philippe Le Guay, film où l’on voit le grand bourgeois interprété par Fabrice Luchini s’ébrouer au milieu des bonnes espagnoles de son immeuble (parmi lesquelles la grande Carmen Maura).

La morale de l’histoire n’est cependant pas au rapprochement entre les classes sociales. Vérité ou erreur, la pièce brosse un tableau très sombre d’un rapport de classes dans lequel des patronnes exploitent sans merci et suivant un système présenté comme fatal les malheureuses bonnes à leur service.

À Tropiques-Atrium, Fort-de-France, le 19 mai 2025.