Résumés
Cet article propose d’étudier la postmémoire de la souffrance ayant accompagné le trafic négrier dans deux romans, Beloved (Toni Morrison) et Humus (Fabienne Kanor). Dans la première partie, nous reviendrons sur les modes de représentation du corps de l’esclave ainsi que sur les limites de l’approche historique lorsque l’on veut rendre compte du trauma en question. Nous verrons que l’art est sans doute le mieux à même de rendre quelque chose de ce passé-là. Dans la seconde partie, le texte portera sur la représentation spécifique du corps de la femme-esclave afin de mettre en évidence la façon dont les femmes artistes articulent retour au passé et mise en scène de ce corps. Enfin, ce travail comparatiste au sein de l’Atlantique noir et féminin voudrait contribuer à l’émergence d’une histoire de l’Europe ouverte à ses altérités, consciente de la présence d’autres mémoires et postmémoires, produites souvent comme peu pertinentes ou comme inexistantes. Ce travail sur les postmémoires de l’errance noire atlantique se révèle d’autant plus important que les mémoires et l’histoire promues par l’État, si elles ne taisent pas le rôle joué par celui-ci dans la traite, tendent à valoriser les mémoires et postmémoires d’autres événements.
Introduction
Depuis les travaux de Paul Gilroy, l’Atlantique est sans doute devenu l’une des métaphores les plus prolifiques des études postcoloniales, métaphore de la souffrance associée à la traite des êtres humains, métaphore également des pratiques culturelles nées de ces déplacements forcés de populations et circulant d’une rive à l’autre (e.g Rice, 2012 ; Wood, 2013) (1). Il n’est pas rare, dans ce contexte, de voir associé l’Océan Atlantique à un cimetière (e.g. Dorigny, 2007) où ont disparu des millions d’hommes, de femmes et d’enfants morts au cours du voyage vers les Amériques (2). Si la métaphore de l’Atlantique noir s’est révélée pertinente dans de nombreux domaines, celle de l’Atlantique comme cimetière repose sur un contresens relatif au comparant car si celui-ci tient bien du lieu de mémoire, avec ses stèles, ses noms et dates, lieu de la possible remémoration, le comparé s’apparente plutôt à la fosse commune, lieu de l’effacement de toutes traces biographiques.
Seul l’art semble à même de transformer la fosse commune en cimetière, de faire de l’Atlantique un vaste lieu de mémoire où, à défaut de noms, circuleraient des représentations. Envisagé de la sorte, l’art devient le lieu non seulement de la mémoire du trauma, mais également le lieu de la réflexion sur la signification de cette mémoire pour les descendants des victimes. Ce chapitre examinera dans une perspective comparée deux romans, l’un (Beloved) d’une écrivaine américaine consacrée, Toni Morrison, l’autre (Humus) d’une jeune écrivaine martiniquaise, Fabienne Kanor, afin de dégager les enjeux de la création dans un tel contexte. Par ce rapprochement, il s’agira de mettre en évidence les sens profonds des deux œuvres mais également de mettre à jour une nouvelle géographie littéraire, éloignée des frontières nationales, c’est-à-dire un espace où les œuvres signifient à un degré autre, censées non plus favoriser la cohésion d’un groupe national mais plutôt un rapport autre à l’humain déterminé en partie par la postmémoire de la traite et de l’esclavage.
Les modes de l’exposition de la Traite et de l’esclavage
Écrire sur l’esclavage et sa mémoire revient à poser la question de l’exposition de l’un et de l’autre, de ce que l’on choisit de montrer et, par corollaire, de taire. Cette question de l’exposition, au sens matériel du terme, a récemment occupé historiens, juristes, responsables de musées et de lieux de mémoires. Il s’agit, comme on le sait, d’un domaine vaste où les mémoires se chevauchent, s’opposent (Coquery-Vidrovitch, Mesnard, 2013 : 17-20), la Traite Atlantique tendant à occuper l’ensemble de la mémoire du trauma au détriment d’autres traites, ainsi que le rappelle l’historien sénégalais Ibrahima Thioub :
Ce phénomène, universel dans son caractère protéiforme, doit donc être représenté. Mais ces sociétés ne reconnaissent pas notamment l’existence de l’esclavage interne. Or la traite transsaharienne et la traite atlantique ont eu des impacts sur l’esclavage interne aux sociétés africaines, l’ont intensifié, l’ont renforcé dans certaines circonstances, dans certaines conjonctures. Il s’agit d’abord de l’investir en tant qu’objet de savoir, de l’étudier pour pouvoir débloquer ce trou noir dans l’exposition des musées africains. On a à la fois négation et silence. Dès lors, les musées consacrés à l’esclavage sont saturés par l’exposition de la traite illustrée par les objets utilisés par les maîtres pour soumettre à l’esclavage. (Thioub, 2013)
En France, à partir de la loi Taubira de 2001, les initiatives se sont multipliées dans trois directions : commémorations, créations de lieux de mémoire, enseignement de l’histoire de la traite négrière et de l’esclavage. Comme le relève Forsdick, il s’agit d’un processus complexe, contradictoire, parfois ambigu, mais qui à Nantes ainsi qu’à Bordeaux, a modifié la façon dont ces anciens ports négriers représentaient leur propre histoire :
On the one hand, the museum may be seen as a quarantined space of representational control, in which the histories and memories of slavery remain conditioned and constrained; on the other, the museum is enlisted to play an active pedagogical role, fulfilling, in part, the renewed role since 2009 of the [Comité National pour la Mémoire et l’Histoire de l’Esclavage], which is to develop the place of slavery and the slave trade in collective memory and to disseminate knowledge of these to the general public. (Forsdick, 2012 : 292)
Notre époque semble donc bien propice au retour sur la Traite atlantique, sur l’esclavage ainsi que sur leur place dans l’histoire de certains pays du Nord. Parmi les questions soulevées face à ces tentatives, il en est deux dont nous retrouverons des échos dans le corps de cet article : comment représenter un tel système sans favoriser le point de vue dominant ? Comment restituer l’expérience du Passage en l’absence de traces tangibles ou de récits de première main ? Pour Carlo A. Célius, historien, spécialiste d’Haïti, le discours scientifique ainsi que l’histoire mise-en-scène dans ces expositions n’apparaissent pas comme suffisants. L’aspect mémoriel, c’est-à-dire le rapport affectif au passé, doit être pris en compte :
Notre époque semble donc bien propice au retour sur la Traite atlantique, sur l’esclavage ainsi que sur leur place dans l’histoire de certains pays du Nord. Parmi les questions soulevées face à ces tentatives, il en est deux dont nous retrouverons des échos dans le corps de cet article : comment représenter un tel système sans favoriser le point de vue dominant ? Comment restituer l’expérience du Passage en l’absence de traces tangibles ou de récits de première main ? Pour Carlo A. Célius, historien, spécialiste d’Haïti, le discours scientifique ainsi que l’histoire mise-en-scène dans ces expositions n’apparaissent pas comme suffisants. L’aspect mémoriel, c’est-à-dire le rapport affectif au passé, doit être pris en compte :
Si aujourd’hui, on connaît mieux ce qu’a été matériellement l’esclavage ainsi que les conditions de la traite (3), il manque effectivement ce dont l’histoire, en tant que discours scientifique, ne parvient que difficilement à rendre compte. Doudou Diène, juriste sénégalais qui a dirigé le programme Route de l’esclave de l’Unesco, insiste justement sur l’importance de l’affectif et de la mémoire lorsque l’on fait retour à ce passé-là :
Comment exposer ces deux choses, le silence et l’invisibilité ? Comment exposer la chaîne et le lien, comme nous avons voulu le résumer à l’Unesco dans le premier ouvrage publié dans la Route de l’esclave. Comment exposer la chaîne, c’est-à-dire le fait matériel de la capture, de la souffrance, de la déshumanisation, le fer ? Mais comment exposer aussi le lien ? Parce que cette chaîne, derrière sa tragédie et sa violence, a aussi été une rencontre. Comment exposer quelque chose qui n’est pas simplement de la nature de la mémoire mais également de la conscience et qui n’est pas seulement une affaire du passé mais qui a une réalité profonde, présente ? (Diène, 2013)
C’est en ce point précis de l’articulation entre le passé et le présent que réside peut-être le problème principal des politiques publiques de mémoire : l’État français assume son rôle central dans le commerce des esclaves ainsi que dans le processus d’émancipation, mais comme le souligne Forsdick, ce travail reste partiel (Forsdick, 2015 : 423), dans un contexte social marqué para d’autres mémoires, notamment celles d’activistes et d’artistes qui n’hésitent pas à établir un lien direct entre l’esclavage, le colonialisme et la permanence de relations inégales de pouvoir dans la société française (4).
Cela dit, il existe dans ces textes ainsi que dans le travail de certains artistes masculins, une aporie plus ou moins assumée, celle de la victime de sexe féminin (5). C’est dans ce contexte que Françoise Vergès, féministe et politologue, rappelle utilement que dans l’exposition du corps de l’esclave devrait se poser la question du corps et de la voix de la femme-esclave.
Pouvons-nous entendre la parole énoncée par la personne asservie ou bien l’accumulation d’images (corps torturé, bouche bâillonnée) impose déjà toujours un filtre qui rend cette parole inaudible ? Et la femme asservie, est-elle deux fois mise au silence, comme esclave et comme femme ? La doxa ne prétend-elle pas qu’il faut accéder à la liberté – mais quelle est la définition de cette ‘liberté’ – pour être capable d’énoncer ? Le droit au silence, au refus de parler car parler serait adopter le vocabulaire de l’autre avant même d’avoir pu inventer une traduction, n’est-il pas un droit imprescriptible et qu’il faut respecter ? (Vergès, 2013)
On le voit, le point de vue de la femme-esclave apparaît intimement lié à ce que l’asservissement fait à la langue. S’il faut exposer et décrire la Traite atlantique et l’esclavage, on ne peut faire l’économie d’une réflexion sur la langue comme reflet du pouvoir de l’ancien maître. Les mots dont il faudrait également s’émanciper, est-il possible même pour le descendant de l’opprimé de les éviter alors que le descendant de l’oppresseur y a naturellement recours ? La question de la connotation de certains mots, avec en corollaire le choix toujours possible du silence, ou celle de l’éthique dans la représentation de la souffrance du corps féminin sont au centre des préoccupations des artistes-femmes en général et des écrivaines en particulier.
Représenter le corps et la voix de la femme-esclave
Et c’est bien de cela dont il s’agit dans Beloved et Humus, deux romans complexes où les questions de la représentation du corps féminin souffrant, de la mémoire et de la langue font partie de la matière même du texte. Dans un avant-propos, Kanor aborde l’importance de ce retour sur l’esclavage et ses conséquences ainsi que la façon d’y revenir. Nous sommes ici proches des questions posées par Vergès relativement à la mise-en-scène de l’esclavage et de la traite. Il ne s’agit pas de répéter ce qui a déjà été dit, mais de revenir sous une autre forme à ce qui a été, en grande partie, produit comme non-existant : la décision de quatorze femmes captives de fuir le navire négrier en sautant à la mer. Revenir à cela équivaut à s’approcher de la fosse commune, au risque de ne pouvoir décrire ce qu’elle y observe :
Cette histoire n’est pas une histoire. Mais un poème. Cette histoire n’est pas une histoire, mais une tentative de glissement, là où il n’est plus de témoins pour dire, là où l’homme, plongé dans l’obscurité des mers, dans ce noir-bleu qui n’en finit pas, affronte la pire épreuve qui soit : la mort de la parole, l’aporie. Comme ces ombres jadis enchaînées, le lecteur est dès lors condamné à ne plus bouger. Juste écouter, sans autre distraction, ce chœur de femmes. Entendre encore, jusqu’au bout, au risque de s’étourdir, ces cœurs battants. (Kanor, 2006 : 14)
Ce projet de dire autrement l’événement traumatisant est accompagné d’un aller et retour entre ce passé-là et un présent hanté par les ombres des mortes, par la souffrance de l’expérience entrevue. Se met dès lors en place, de manière très consciente et maîtrisée, une postmémoire, c’est-à-dire un retour très particulier à l’événement, de l’ordre de l’affectif, non de la victime mais du/de la descendant(e) de la victime. On le sait, le concept a été forgé dans le contexte des Études de la Shoah afin de décrire la nature de la relation mémorielle des descendants de victimes avec l’expérience traumatique des parents.
Même s’il s’agit de contextes différents la façon dont les générations suivantes gèrent l’héritage/le lien avec leurs aïeuls possède des traits communs. Ainsi que Hirsch l’a souligné, ceux qui font l’expérience la postmémoire de la Shoah le font souvent dans un contexte diasporique. Les lieux de l’origine sont pour eux définitivement perdus ou inaccessibles, ce qui engendre un sentiment de deuil ou d’incomplétude. En d’autres mots, si le travail de postmémoire est toujours médié par des discours/représentations, comme nous le verrons plus loin, il apparaît également dans une distance physique et symbolique qui suscite, ou peut susciter, cette sensation de perte.
None of us ever knows the world of our parents. We can say that the motor of the fictional imagination is fueled in great part by the desire to know the world as it looked and felt before our birth. How much more ambivalent is this curiosity for children of Holocaust survivors, exiled from a world that has ceased to exist, that has been violently erased. Theirs is a different desire, at once more powerful and more conflicted: the need not just to feel and to know, but also to re-member, to re-build, to re-incarnate, to replace and to repair. (Hirsch, 1996 : 661)
Les enfants de la seconde et de la troisième génération vivent en effet dans un espace et dans un contexte différent de celui des parents et des grands-parents, mais quelque chose de ce passé-là traverse les générations. La spécificité de ce retour au passé, réside en ceci qu’il s’effectue non par le truchement de la mémoire mais de l’imagination et de la représentation : «Postmemory characterizes the experience of those who grow up dominated by narratives that preceded their birth, whose own belated stories are displaced by the stories of the previous generation, shaped by traumatic events that can be neither fully understood nor re-created. (Hirsch, 1996 : 662)
Elle ajoute ensuite deux éléments permettant d’utiliser la notion dans d’autres contextes, notamment celui de la postmémoire du trafic négrier et de l’esclavage. Le premier a à voir avec les limites spatiales et symboliques de la postmémoire : élaborée à partir de la transmission des récits des victimes de la Shoah, la notion s’adapte à la mémoire d’autres événements et expériences traumatisants (Hirsch, 1996 : 662). Cette articulation possible entre les deux terreurs, Gilroy l’a également soulignée à plusieurs reprises, notamment à partir de l’œuvre de Primo Levi. Rapprocher la mémoire de l’esclavage de celle de la Shoah permet de mieux saisir certaines généalogies : « Combiner ces deux histoires, ou du moins les insérer toutes deux dans un même schéma conceptuel, présente l’intérêt de permettre de préciser la mise en accusation de l’idéologie humaniste de la bourgeoisie occidentale, clairement impliquée dans la souffrance de ces deux groupes. » (Gilroy, 2010 : 302) Gilroy a utilement rappelé que les penseurs de la modernité n’ont pas ou peu tenu compte de la traite et de l’esclavage. Or, repenser la modernité à partir de l’esclavage atlantique permettrait, d’une part, de relire à nouveau frais des notions telles que le progrès de l’histoire et, d’autre part, de ne pas réserver l’histoire de l’esclavage aux Noirs. (Gilroy, 2010 : 80)
Le second élément a à voir avec la distance de la diaspora relativement à l’« espace de l’identité » ; une distance irréductible sans espoir de retour, une diaspora de cendres comme Hirsch la renomme à partir du travail de Nadine Fresco (Hirsch, 1996 : 663). Il reste toutefois une différence indépassable entre les modes selon lesquels s’exerce la postmémoire dans les deux contextes. Hirsch a décrit un processus mémoriel post-Shoah fonctionnant de manière médiée : objets, photographies, récits de la première génération suscitent tout autant qu’ils supportent les récits des secondes et troisièmes générations. Les supports matériels sont essentiels dans son approche de la notion car ils servent comme autant de « points de mémoire », c’est-à-dire comme points d’intercession entre le passé et le présent, mémoire et postmémoire, souvenir personnel et souvenir collectif : « The term point is both spatial— such as a point on a map— and temporal — a moment in time ; and it thus highlights the intersection of spatiality and temporality in the workings of personal and cultural memory. » (Hirsch, Spitzer, 2006 : 358) Dans le cas de la postmémoire de l’esclavage, de tels supports sont l’exception et se réduisent souvent à des objets anonymes, à des vestiges archéologiques ou alors aux objets du maître. Si dans les deux contextes, il y a bien nécessité impérieuse de revenir au passé, dans le cas de la postmémoire du trafic et de l’esclavage, la conscience existe d’un passé hanté par l’absence et le silence. Si l’art joue un rôle de premier plan dans les textes de Hirsch, c’est parce qu’il réussit à transmettre quelque chose de cette absence et de ce silence.
C’est bien de cela dont il s’agit dans le roman de Toni Morrison. Dès l’incipit, le récepteur est confronté au fantôme de la fille de Sethe hantant la maison familiale. La maison hantée doit bien sûr être lue comme métaphore de l’esclavage, de ses souffrances et de ses crimes continuant de poursuivre les affranchis et leurs descendants. C’est ce qu’avancera Baby Suggs, la mère de Sethe : « Y a pas une maison dans ce pays qu’est pas bourrée jusqu’aux combles des chagrins d’un nègre mort. On a de la chance que ce fantôme soit un bébé. » (Morrison, 1989 : 14) Tout dans ce roman est prétexte à une réflexion sur la mémoire, le souvenir, la volonté d’en éradiquer certains et l’impossibilité de le faire. Ainsi en va-t-il de Sethe qui tente de se fermer au passé : « Quant au reste, elle bataillait ferme pour ne rien se rappeler de dangereux ou presque. Malheureusement son cerveau était retors. Quoiqu’elle fasse. » (Morrison, 1989 : 15) (6) L’effort de Sethe doit être entendu dans un contexte diégétique où les marques de la violence du système esclavagiste sont toujours présentes. Comme le souligne Paul Connerton, tenter d’oublier ressemble à une stratégie de gestion du trauma par les survivants, tentative qui se traduit non par l’oubli effectif, mais plutôt par le silence, un silence qu’il désigne comme «forgetting as humiliated silence» afin de décrire ce qui advient parfois avec les survivants d’un événement traumatique :
We cannot, of course, infer the fact of forgetting from the fact of silence. Nevertheless, some acts of silence may be an attempt to bury things beyond expression and the reach of memory; yet such silencings, while they are a type of repression, can at the same time be a form of survival, and the desire to forget may be an essential ingredient in that process of survival. (Connerton, 2008 : 68)
Sethe ne peut toutefois pas grand-chose contre les réminiscences, contre cette remontée incontrôlable d’images et de sensations. Parfois, l’image traumatisante disparaît sous une autre, tentative d’évitement de l’image en question afin de se protéger dans le présent. De l’arrivée à la ferme-plantation du Bon Abri, la mémoire de Sethe n’a ainsi sélectionné qu’une image apaisante en contradiction avec la réalité : « Elle avait eu honte – se rappeler les merveilleux arbres frémissants plutôt que les garçons. Elle avait beau s’efforcer pour qu’il en soit autrement, chaque fois les arbres éliminaient les enfants, ce qu’elle ne pouvait pardonner à sa mémoire. » (Morrison, 1989 : 15) Cette question du rapport au passé se pose ici de manière double : la manipulation plus ou moins inconsciente de l’absence de souvenirs, de mémoire constituée, et la présence d’une trace, récurrente, inscrite dans le corps, celle de la violence du système. Sethe résume cela au cours d’une discussion avec Paul D : « J’ai un arbre dans mon dos et une âme en peine dans ma maison, et rien d’autre entre les deux, à part la fille que je tiens entre mes bras. » (Morrison, 1989 : 29)
C’est sans doute ici que l’articulation avec le concept de postmémoire est la plus pertinente. Si le personnage de Sethe ne dispose d’aucun support pour l’exercice de la mémoire, le roman de Morrison remplit cette fonction, devient pour son récepteur un point de mémoire possible. L’écrivaine, en tant qu’héritière de récits relatifs à l’esclavage, semble de cette façon correspondre à la définition de la postmémoire :
Postmemory describes the relationship that the generation after those who witnessed cultural or collective trauma bears to the experiences of those who came before, experiences that they «remember» only by means of the stories, images, and behaviors among which they grew up. But these experiences were transmitted to them so deeply and affectively as to seem to constitute memories in their own right. Postmemory’s connection to the past is thus not actually mediated by recall but by imaginative investment, projection, and creation. (…) These events happened in the past, but their effects continue into the present. (Hirsch, 1997 : 106-107)
On retrouve dans le roman de Kanor quelque chose de cette articulation entre passé et présent par le biais d’un support symbolique. On sait qu’à leur entrée dans le navire, les hommes, femmes et enfants étaient dépouillés de tout, enchaînés nus, et passaient de la sorte à l’état de marchandise pure (Coquery-Vidrovitch, Mesnard, 2013 : 108). Kanor décrit dans ce contexte un rapport particulier au corps et à son environnement immédiat marqué également par la trace ténue. La seule chose qui reste lorsque l’être est réduit à peu de chose, lorsque l’on n’a plus les mots pour dire la tragédie, ce sont ces signes gravés dans le bois de la cale, un par jour de voyage (« vingt-sept cicatrices », Kanor, 2006 : 22). Le navire devient ainsi porteur des marques de l’infamie et en vient presque à se confondre avec le corps transporté. Ce que La muette exprime en ces pages, c’est à la fois le corps brutalisé de la femme et la difficulté à dire l’expérience de cette brutalité. Il est révélateur que Kanor et Morrison reviennent dès l’amorce de leurs romans sur le viol ainsi que sur la difficulté à parler de celui-ci. Dans ce contexte, le verbe prendre signifie pour ce qu’il est et pour autre chose, dans une ambiguïté assumée : « J’ignorais tout du monde lorsqu’ils m’ont prise. » (Kanor, 2006 : 19) Cette expérience terrifiante vécue enfant, elle y voit l’origine de l’oubli de langue maternelle :
Sans bouche pour les nommer, les mots sont tombés. Joie, sourire, enfance, sauterelles, baobabs… Ils ont coulé les mots, sans rien dire. Ce n’est que longtemps après que je l’ai su. Quand il n’est plus rien resté, j’ai ouvert la bouche. Le vide. Le silence. (Kanor, 2006 : 19) Au même endroit, elle revient laconiquement sur le souvenir du viol : « Une nuit, ils m’ont mangé le ventre. L’homme était seul mais c’est comme s’ils étaient cent. »
Dans ces deux romans, le passé n’émerge que sur le mode du récit troué, incomplet, marqué par une violence physique que seule la métaphore permet de traduire tant bien que mal. Le contexte social, la structure sociale et politique de référence n’apparaissent pas ici, comme si les personnages ne parvenaient pas à s’inscrire activement dans cette structure. En cela, ils rappellent bien ce que relevait déjà Du Bois à propos des affranchis, ramenés à eux-mêmes dans un environnement dominé par le Voile séparant les communautés. Si les Blancs possédaient, même de manière rudimentaire, une connaissance des structures sociales et politiques des États-Unis, les Noirs qu’il a observés en Géorgie à la fin du XIXe siècle paraissaient réduits à l’état d’anciens esclaves continuant à vivre à l’ombre de la Grande maison : «Ils ignorent tout du monde autour d’eux, de l’organisation économique moderne, de la fonction du gouvernement, de la valeur et des possibilités de l’individu – presque toutes ces choses que l’esclavage, par mesure de précaution, les empêchait d’apprendre.» (Du Bois, 2007 : 139) La violence du système, les effets déstabilisateurs de la Guerre civile et d’une émancipation mal organisée expliquent, d’une part, cette ignorance du contexte dans lequel les affranchis étaient censés s’insérer et, d’autre part, ce repli sur un moi réduit aux cicatrices et blessures mal refermées. Paul D ne dira pas autre chose à propos de Beloved, la femme noire inconnue surgie des eaux, qui intégrera le noyau familial recomposé. Beloved prétend ne se souvenir de rien : « Pendant, avant et après la Guerre, il avait vu des Nègres tellement sonnés, affamés, fatigués ou dépossédés que c’était miracle qu’ils se rappellent ou disent quoi que ce soit. » (Morrison, 1989 : 97) (9)
À l’exemple de ce qui se joue souvent chez les survivants de l’expérience traumatisante, celle-ci accapare le sujet en question, l’obsède littéralement au point de ne plus pouvoir s’en détacher, de ne pouvoir se doter d’une signification dans une structure sociale en transition. Sethe a beau désirer un autre futur, la présence, sous forme de cicatrices, du passé constitue l’obstacle indépassable ; elle voudrait que son cerveau (tenu ici pour une entité concrète) lui permette de s’occuper du présent : « mais le cerveau de Sethe ne s’intéressait pas à l’avenir. Chargé de passé et affamé d’en savoir davantage, il ne ménageait aucune place pour imaginer, sans parler d’organiser, le lendemain. » (Morrison, 1989 : 104)
Les femmes mises en scène par Kanor entretiennent un rapport similaire au passé. La première d’entre elles, La muette, revient sans cesse au traumatisme pour constater l’impossibilité d’y revenir vraiment. Il y manque les mots sans doute, mais même lorsque ceux-ci existent, demeure la question essentielle : comment dire l’ineffable ? Le paratexte où Kanor aborde le projet porté par le texte parle d’aporie à ce propos, c’est-à-dire de vide, d’absence non pas d’histoire de la traite mais d’une manière autre de la dire car la manière, nous le savons depuis les récits de la Shoah, est porteuse d’une éthique. C’est ainsi qu’il faut sans doute entendre Kanor lorsqu’elle avance : « Comment dire, comment redire, cette histoire-là des hommes ? Sans bruits ni fards. Autrement. » (Kanor, 2006 : 13) L’aporie n’est, en effet, pas tant le manque de mots, mais ce que l’on dit malgré tout, ou plutôt la façon dont on le dit. Primo Levi et Robert Anthelme avaient eu l’intuition que l’on ne revient pas innocemment sur la Shoah, l’auteur rescapé refusant de procurer un plaisir esthétique au lecteur à partir de la description de l’expérience du trauma. On aura remarqué que cette question affecte autant le rescapé (Levi, Anthelme) que le descendant du rescapé (Kanor, Morrison) puisque tous et toutes estiment cette question inhérente à leur projet. D’ailleurs, Kanor se mettra en scène face à ce dilemme non seulement par le biais du paratexte dont nous venons de parler mais également du dernier personnage, L’héritière, clair relais de l’auteure au sein de son propre texte. A l’instar de La muette, elle assume cette tension entre l’absence de mots et la présence malgré tout d’un récit se faufilant dans les méandres de la mémoire, s’imposant malgré la résistance initiale :
J’ai commencé à faire mais je n’avais pas les mots. Pas la langue pour dire l’invisible. Pas le cœur à raconter l’absence. (…) Comment mettre sa douleur à la morgue ? Ne plus la voir ni la toucher ? L’oublier parce que le corps de la souffrance change ? Qu’il est un temps où l’on ne peut plus l’identifier ? (Kanor, 2006 : 246)
Cette présence du récit renvoie aussi à la présence de l’écrivaine sur les lieux du crime. En ce cas, être sur la plage, face à l’océan, c’est bien éprouver quelque part un rapport physique à la mémoire du traumatisme. Plusieurs générations après les faits, L’héritière paraît aussi obsédée par le passé que les voix survivantes du roman. S’éprouver dans un lieu porteur de la mémoire du traumatisme est, nous le savons maintenant, une des caractéristiques de la postmémoire. Ici le lieu abolit en quelque sorte la distance temporelle puisque le sujet éprouve physiquement la souffrance de l’esclave, se vit et se voit au supplice face à ce qu’elle sait être la fosse commune. On relèvera encore qu’à l’instar du rescapé lui-même, le/la descendant(e) ne s’accepte pas comme tel, en tout cas ne comprend pas ou mal comment il/elle a survécu. Qu’il s’agisse de l’écrivaine ou de son personnage importe peu, Kanor assumant pleinement ce rapport au passé. À une question sur le sens de cette recréation du trauma, voici ce qu’elle a répondu dans un entretien :
Comme ces femmes dont je prends en charge le récit, j’ai marché sur un bout de ce qu’on a baptisé la route des esclaves. De nuit, je me suis rendue à Badagry. Au matin, tôt, j’ai traversé la lagune en canot. La plage, comme autrefois, y était. D’un sable si rouge, d’un silence si brutal, que je me suis effondrée en larmes. Moi ‘petite-fille de’, j’ai craqué. Moi qui abhorre le pathos, j’ai pleuré, ai maudit tous ceux qui me disaient que l’esclavage c’est derrière toi, que nous sommes, aujourd’hui plus que jamais, citoyens du monde (10). Pleine de compassion, je me suis assise sur la plage, j’ai compris que ce n’était pas l’Histoire que j’interrogeais mais une histoire, la mienne. Qui étais-je vraiment ? Qu’avais-je été autrefois ? Par quel miracle avais-je survécu ? D’aucuns jugeront peut-être ces propos mystiques. C’est égal. Je ne crois pas à une littérature sans fantômes. Je crois que l’écrivain n’écrit que parce qu’il est hanté. (Mensah, 2006)
C’est bien de cela dont il s’agit dans les deux romans : de spectres, de voix d’outre-tombe chargées de revenir au traumatisme pour tenter de dire celui-ci sous une forme nouvelle. On ne s’étonnera guère dès lors de l’identité fragmentée de la plupart des personnages des deux romans, fragmentation inscrite dans leur structure même, leur biographie apparaissant par morceaux, bribes, chapitres déstructurés. Il reviendra donc au lecteur de coudre tout cela (Kanor utilisera d’ailleurs la métaphore de la couture dans son dernier chapitre) afin d’en dégager la signification. Dans Beloved, le procédé est d’autant plus complexe que les analepses sont nombreuses, entre les chapitres mais aussi à l’intérieur des chapitres, et, plus encore que chez Kanor, il revient au récepteur de remettre de l’ordre dans un désordre apparent renvoyant à une esthétique particulière dont Gilroy avait relevé certaines caractéristiques à partir du jazz et des romans de Morrison justement : l’improvisation, le montage, la dramaturgie, l’antiphonie (Gilroy, 2010 : 119-120). Ainsi en va-t-il du chapitre 4 de la seconde partie : Beloved prend la parole dans un texte troué d’espaces blancs, interrompus seulement par deux signes de ponctuation dans les premières lignes. Beloved morte parlant de sa mort et de ceux qui l’entourent, cela ressemble à l’empilement des Noirs dans le navire négrier, les morts de la famille s’entassant comme les esclaves dans la cale. L’écriture se fait poétique, avec des effets de montage et de reprises, les blancs/silences (ceux de l’Histoire, de la diégèse, des souvenirs de Sethe et de Beloved) signifiant autant que les pleins/les mots. Le texte porte ici témoignage de ce vide et de ce silence centraux dans les processus mémoriels, mais en même temps, par la représentation spatiale des trous en question, le même texte établit un lien avec ce passé troué. Apparaît ici un autre point d’articulation avec les récits mettant en scène la postmémoire de la Shoah : « Full or empty, postmemory seeks connection. It creates where it cannot recover. It imagines where it cannot recall. » (Hirsch, 1996 : 664)
Conclusion
La comparaison entre ces deux romans a permis de confirmer l’intuition initiale à savoir que lorsque l’on choisit de faire retour à l’expérience traumatisante, on ne peut faire l’économie d’une réflexion sur la façon dont y revient, éthique et esthétique étant en l’occurrence indubitablement liées. Cela semble d’ailleurs une constante dans les textes portant sur la traite et l’esclavage ainsi que leurs conséquences. Ainsi Du Bois dans Les âmes du peuple noir a-t-il abordé le sujet en recourant au sein du même ouvrage à la nouvelle, au récit autobiographique, à l’enquête sociologique et à l’analyse textuelle tout en travaillant à rendre, « dans une forme délibérément polyphonique » (Gilroy, 2010 : 168), la condition de l’affranchi et de ses enfants. Le rapprochement entre les textes de Kanor et Morrison permet en outre de redessiner la géographie littéraire, c’est-à-dire de faire bouger les frontières nationales du littéraire. C’est bien ce qu’Ato Quayson constatait après avoir comparé un roman de Morrison et une pièce de Kobina Sekyi écrite au Ghana en 1915 : la commune expérience de la violence et de la relégation des deux côtés de l’Atlantique autorise non seulement à rapprocher ces textes mais aussi à les lire en dehors de « leurs grilles normales d’interprétation » (Quayson, 2005 : 107). L’Atlantique lui-même, en tant que métaphore de divers mouvements et déplacements, questionne les notions de frontière, d’identité nationale, et autorise de nouvelles connexions sans toutefois perdre de vue l’Atlantique comme source de dangers et de souffrances (11). La notion de postmémoire facilite également le comparatisme puisqu’elle ne se restreint ni ne s’épuise dans la relation des seconde et troisième générations post-Shoah avec celle-ci. Plus encore sans doute dans un contexte où la globalisation questionne les limites des processus mémoriels comme le soutiennent Baer et Sznaider :
History, borders, and ethnic and national belonging are no longer the only forms of social and symbolic integration. This also holds true for the study of memory, a field that often is pervaded with a spatially fixed understanding of culture that is taken for granted. Globalization challenges traditional notions of politics as bounded by origin and territory. (Baer, Sznaider, 2015 : 329)
La notion de postmémoire favorise donc l’approche comparatiste et met en évidence la possibilité d’ouverture à d’autres expériences/remémorations par le biais de l’art et de la littérature. Dans son analyse du Musée de la Shoah à Washington, Hirsch inclut d’ailleurs tout visiteur dans la génération de la postmémoire, qu’il soit ou non descendant d’une victime de la Shoah (Hirsch, 1996 : 667), posture révélatrice de sa tendance à élargir toujours un peu plus ce qu’elle désigne comme cercle de la postmémoire. En ce domaine, comme le rappelle Ribeiro, la limite de la théorie ne se situe pas dans l’historiographie, mais dans « une relation au passé structurée à partir de l’engagement présent de sujets concrets » (Ribeiro, 2010 : 14), ce qui semble être également le cas dans le domaine du trafic négrier et de l’esclavage. La responsabilité de la mémoire, ainsi que de la façon dont on revient au passé, n’appartient en effet plus aux victimes mais aux sujets, artistes ou non, acceptant aujourd’hui cette responsabilité.
Bibliographie
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Notes
1 Cet article a été écrit pour le programme MEMOIRS – Children of Empires and European Postmemories, financé par le Conseil Européen de la Recherche dans le cadre du programme de recherche et d’innovation de l’Union européenne Horizon 2020 (convention n° 648624).
2 On possède aujourd’hui une idée assez précise de l’ampleur de la Traite atlantique. Elle fut mise en place par des États centralisés qui établirent des archives détaillées sur le commerce des esclaves. D’après Marcel Dorigny, il est établi qu’au moins 12-13 millions d’êtres humains ont été vendus (dont 30 % de femmes). On connait précisément la mortalité à bord des navires négriers grâce aux registres de bord : 15 % de morts sur l’ensemble de la période fin xve-xixe, soit entre 1,6 et 2 millions de morts. (Dorigny, 2007. Pour les chiffres de la Traite, voir également Dorigny et Gainot, 2006 : 16-25)
3 Si Rediker (2013) a mis en évidence les conditions de vie sur le navire négrier, l’extrême violence à l’œuvre dans ce microcosme durant le “ passage du milieu », Coquery-Vidrovitch et Mesnard (2013) ont ouvert quant à eux de nouvelles perspectives, notamment en ce qui concerne la traite en droiture, les traites internes et les échanges culturels dans le temps long (du xve au xixe siècle).
4 C’est ce que montre Laurent Béru dans son analyse d’un vaste corpus de rap issus des banlieues de Paris et de Marseille : “ Plusieurs textes de rap lient en effet l’esclavage aux Caraïbes à la colonisation de l’Afrique. Certains rappeurs mêlent intentionnellement ces deux faits historiques dans l’unique objectif de généraliser la sujétion historique des non-Blancs non européens face aux Blancs européens, dont le résultat actuel serait la ségrégation/relégation spatiale fondée sur l’origine aussi bien socioculturelle qu’ethnoraciale. » (Béru, 2011 : 68)
5 Si l’on veut bien songer à des œuvres aussi importantes que l’installation de Romuald Hazoumé (né en 1962 au Bénin) La bouche du roi, présentée la première fois à Cotonou en 1999, ou encore à celles de Barthélemy Toguo (plasticien camerounais né en 1967), Labyrinth Process et Road to exile et enfin à l’emblématique L’Océan noir de William Adjété-Wilson (né en 1952 d’une mère française et d’un père togolais), on constatera que l’esclave, lorsqu’il est représenté, n’est pas genré. La souffrance est alors celle de la catégorie générale de l’esclave, une manière d’éviter d’aborder la question de la violence sexuelle faite aux femmes.
6 Dans son analyse du roman, Davis souligne également une tension dialectique dans la relation de Sethe avec le passé : “ the mind’s struggle between remembering and forgetting the past. Beloved is a novel about the traumas and healing powers of memory, or “rememory” as Sethe calls it, adding a connotation of cyclical recurrence. » (Davis, 1998: 250) Morrison aurait compris, ajoute Davis, que les deux opérations, oubli et remémoration, sont nécessaires: “ Thus, although Morrison promotes a delving into the historical past, she realizes that the past must be processed and sometimes forgotten in order for one to function in the present and to “pass on” to the future. » (Ibid.)
7 John Newton (1725-1807), abolitionniste, qui a longtemps travaillé sur des navires négriers, a laissé un témoignage sur ce qui attendait les femmes à bord : “ Lorsque les femmes et les jeunes filles arrivent à bord d’un navire, nues, tremblantes, terrifiées, exténuées de froid, de fatigue et de faim, elles subissent souvent les rudesses lascives des sauvages blancs. En pensée, ils se répartissent sur-le-champ leur proie, et n’attendent que la première occasion. Elles sont livrées sans retenue aux volontés illégales du premier venu. » (Newton apud Coquery Vidrovicth et Mesnard)
8 L’œuvre de l’Afro-Américaine Kara Walker (n. 1969) est bien sûr incontournable. La violence faite au corps de l’esclave en général et à celui de la femme esclave en particulier traverse l’ensemble de son travail. “ À établir des statistiques sur l’œuvre prolifique de cette plasticienne, on serait embarrassé d’y trouver ne serait-ce qu’une seule image qui ne présenterait aucune scène de viol, meurtre, coups et blessures, aucune mutilation ou dévoration. » (Géré, 2010 : 101)
9 Du Bois analyse les Chants de douleur pour y trouver également un rapport particulier au passé, fait de trous, d’absence, ce qui renvoie encore à un rapport déstructuré au social : “ L’ombre de la peur a toujours plané sur les pensées les plus intimes des esclaves et les relations qu’ils avaient les uns avec les autres, de sorte que nous n’en avons que des aperçus, ici ou là ; mais les omissions et les silences sont tout aussi éloquents. On chante la mère et l’enfant, mais rarement le père ; le fugitif et l’exilé épuisé demandent de la pitié et de l’affection, mais presque rien n’est dit des fiançailles ou des mariages ; les rochers et les montagnes sont bien connus, mais le foyer est inconnu. » (Du Bois, 2007 : 245)
10 La réaction de Kanor est partagée par certains Afro-américains se rendant à l’île de Gorée. “ Certains visiteurs font des libations à leur arrivée. Ils forment un cercle et ferment les yeux, versent du lait et de la bière sur le sable. Ils pensent être arrivés chez eux. C’est un moment d’intense émotion. » (Témoin sénégalais anonyme. Bernard, 2013)
11 “ Hidden dangers abound because, as historical and cultural spaces, the seas possess no visible boundaries, no inscribed landmarks, and no entitled owners; such dangers can and do, however, afford new opportunities. [The seas] allow us to suspend for a moment our rigid and dogmatic dichotomies between nations, civilizations, Us and Them, Europe and Africa, the West and the Rest. » (Naro, Sansi-Roca, Treece, 2007 : 1)