Chroniques Créations Mondes européens

Vendanges en famille dans le Frontonnais, septembre 1935 – Une tradition bi-millénaire

Dans la boîte aux trésors contenant les vieilles photos de famille, il en est une que j’aime particulièrement, c’est celle des vendanges effectuées dans la vigne familiale de St Rustice, dans le Frontonnais (Haute Garonne).

C’est l’une des rares photos qui dégage autant de joie naturelle et spontanée, loin du côté compassé des poses de l’époque.

La Fête des Vendanges 1935. Toute la famille est réunie.

Debout de gauche à droite : André Séguéla, Jean Séguéla, Jean Gazagne, Lucien Marmer, Louis Gazagne et Guilhermine Bertrand épouse Marmer. Assis au milieu : Louis Bertrand, Maria Bertrand épouse Séguéla, Guillaume Bertrand

Faisons l’appel :

–  les anciens sont là, disons au niveau grands-parents :

les deux frères Bertrand, Louis et Guillaume sont assis sous l’arbre.

Louis, mon arrière-grand-père, présente sur sa tête un panier à victuailles. Âgé de 71 ans, il lui reste deux mois à vivre.

Il aimait le bon vin, et adjoint au maire, il l’avait remplacé entre 14 et 18.

Son épouse Thérèse, 65 ans est assise à l’extrême gauche.

Guillaume, 73 ans, veuf, est assis à la gauche de son frère.

Tous leurs enfants et petits-enfants sont présents, les conjoints également.

– leurs enfants, (niveau parents), participent tous aux vendanges.

Côté Guillaume, on trouve la fille aînée, Guilhermine (debout à droite), et son mari Joseph Marmer, assis au premier rang, avec une cigarette et une casquette, puis le fils cadet, Clément, 32 ans, encore célibataire, allongé à droite la tête appuyée contre sa jeune cousine Madeleine Gazagne.

Côté Louis, ses 2 filles Maria et Jeanne. La troisième Madeleine, a été emportée par la grippe espagnole à 20 ans en 1920.

Ma grand-mère Maria, 40 ans est assise entre Louis et Guillaume, son mari Jean, 39 ans, le plus grand, debout un verre à la main, casquette sur le crâne, puis Jeanne Bertrand, 43 ans, à demi couchée, deuxième à partir de la gauche, épouse de Jean Gazagne, 47 ans, debout avec un chapeau, en train de verser du vin dans un verre.

Et leurs 2 enfants, Madeleine 14 ans, au centre en blanc avec un chapeau rond, et Louis 7 ans, à droite en tablier, et porteur du doux surnom de Nincut, dont mon père n’a jamais pu me fournir l’origine, vraisemblablement, unedéformation enfantine d’un nom…

Je me rends compte que Madeleine Gazagne, née en 1921, porte le nom de sa tante décédée en 1920, peu de temps avant sa naissance. Peut-être est-ce pour cette raison, les prénoms des disparus étant difficiles à porter, qu’elle se faisait appeler « Nénette », nom sous lequel je l’ai toujours connue.

Je me rends compte également, que les 2 sœurs Jeanne et Maria étaient enceintes au moment de la disparition de leur cadette. Madeleine est morte le 22 novembre 1920, et mon père André né le 14 février 21. Les naissances d’André et Madeleine ne se sont pas déroulées dans les meilleures conditions…

J’oubliais mon père, André Séguéla, 14 ans en 35, debout au milieu de la scène, derrière le grand-père Louis, portant un béret et tenant deux verres à bout de bras. Mon père restera fils unique. Sa cousine Madeleine étant sa grande copine, ils s’appréciaient beaucoup. Ils se voyaient pendant les vacances, que mon père passait à St Rustice.

C’était en quelque sorte la sœur qu’il n’avait pas eue, et ils étaient tous deux nés en 21.

Photo du même groupe, mon père, qui prend la photo, a été remplacé par l’institutrice,  Mme Paule Touzoulé,51 ans, à l’extrême droite. Les anciens sont restés assis.

La Vigne dans la Narbonnaise

Il y avait donc de la vigne dans le Frontonnais au 18ème siècle.

J’ai fait des recherches sur l’origine de la vigne en France.

Première info, les Gaulois ne cultivaient pas la vigne. Ils buvaient essentiellement de la bière, à base de blé, d’orge et de froment, comme les Ibères. L’une des variétés s’appelait la cervesia (cerveza en espagnol).

Les premières traces avérées de vinification proviennent du Caucase, Arménie, Géorgie, et à proximité du mont Ararat (Noé n’est pas loin !).

On est en 6000 avant JC.

Viticulture et Vinification dans l’Égypte Antique

Puis les Égyptiens et les Mésopotamiens développent la culture de la vigne. En témoignent les fresques ci-dessus. Nous sommes en 3000 av. JC

On trouve ensuite la vigne dans les régions méditerranéennes, Grèce, (-2000), Étrurie, Italie, Sicile (-1000).

L’extension de l’Empire Romain va entraîner celle de la culture et du culte du vin dans les pas des légions romaines. Le Dionysos des Grecs, devenu le Bacchus des Latins, se voit vouer un véritable culte, comme l’atteste la villa des Mystères à Pompéi.

Après la conquête de la Narbonnaise, les Romains vont autoriser la plantation de vignes sur cette province, mais uniquement par des romains. On est au 1er siècle avant JC. La Narbonnaise s’étend jusqu’à la région toulousaine, et on parle déjà du vin de Gaillac. Il est donc vraisemblable qu’il y ait eu des vignobles dans le Frontonnais, cette zone se situant à 20 kilomètres de Toulouse.

Gaillac, Côte-Rôtie et l’Hermitage sont les 3 centres de production, en Gaule Narbonnaise, au 1er siècle av. JC.

D’où l’hypothèse que ces vignes pouvaient avoir près de 2000 ans en 1935, et que la fête des vendanges est bien une tradition bimillénaire !

Le vin avait une grande importance dans le monde romain. Commercialement, il générait un trafic important d’amphores, notamment vers les régions du nord qui n’en produisaient pas, donc vers toute la Gaule. Les marchands romains, qui avaient le monopole du commerce du vin, profitaient d’un prix de vente élevé. Une amphore de vin pouvait alors s’échanger contre un esclave.

Les fresques montrent que la consommation de vin était pratiquée dans tous les festins, et les auteurs romains en parlent abondamment, Horace, Virgile et Ausone notamment.

Le vin était initialement un produit réservé aux riches, du fait de sa rareté et de son prix. Il était généralement coupé d’eau.

Ce sont les riches gaulois qui prirent l’habitude de le consommer pur (on ne coupe pas un breuvage, qui ressemble au sang !).

Importé puis cultivé par les romains, le vignoble sera finalement repris et amélioré par les gaulois, qui vont le diffuser sur l’ensemble du territoire.

Le vin de Bordeaux apparaîtra au 1er siècle après JC, dans une zone non méditerranéenne, et contrairement aux idées des Romains.

Le vin fera alors définitivement partie du patrimoine agricole français, et va vite rentrer dans la littérature française, chanté par de nombreux poètes et écrivains.

Nous ne citerons qu’un seul d’entre eux, peut-être le plus grand, qui dans « La Dive Bouteille » (Dive = Divine) chante le vin comme une boisson divine.

Il y est question d’une soif de connaissance qui établit un lien entre l’apprentissage du savoir et le plaisir de la bouche.

Le Cinquième Livre de Rabelais (Le Quint Livre)