Chroniques Créations

La Gare Matabiau, notre centre du monde

Et oui, durant mon enfance, le Centre du Monde, c’était la Gare Matabiau !

Toute la vie de la famille Séguéla s’articulait autour de ce lieu matriciel.

 1 – mon père y travaillait, après mon grand-père, qui y avait fait toute sa carrière.

2 – une grande partie de notre vie s’y déroulait, dans le cadre des services sociaux de la SNCF : bibliothèque, dispensaire, jardins d’enfants, cours de couture, clubs sportifs cheminots, magasins réservés (économats), etc.

3 – et surtout, c’était alors le point de départ vers le monde, il n’y avait que le train pour voyager, pas encore de voiture familiale, et une aéronautique balbutiante.  Blagnac était alors un site peu connu.

Tout arrivait à Matabiau, tout partait de Matabiau.

 Prendre le train, dans les années 50 à 65, c’était encore l’aventure.

Le passage par cette gare allait être le témoin de nombreux évènements familiaux, d’abord au départ de Toulouse, puis ensuite pour y retourner.

 LE CENTRE DU MONDE

Dans ma chronique « Un siècle de chemins de fer dans la famille Séguéla », je raconte l’évolution des fonctions aux chemins de fer, de mon bisaïeul Pierre, jusqu’à mon grand-père, Jean Marius, qui devint Chef des Messageries à la Gare Matabiau, et dirigeait une centaine d’hommes.

Mon père officia toute sa carrière au bureau des litiges, où il était chargé de négocier avec les clients le remboursement des marchandises cassées ou endommagées pendant le transport. Il devait aussi revendre les produits avariés.

Ce poste lui plaisait, car il disposait d’une grande liberté, toute la journée, en ville, avec sa voiture de fonction (longtemps une juva quatre).

A tous les repas, il nous racontait les histoires du jour, et rien ne nous échappait de vie au Bureau des Litiges, même les « arrangements » des patrons avec la légalité…

Nous connaissions les qualités et les défauts de tous les membres du service, et même des clients extérieurs. Les récits de mon père, c’était le Balzac de la Comédie Humaine, avec une bonne dose d’humour, le tout en argot toulousain, avec l’accent adéquat.

Dès que se posait un problème familial, notamment de santé, on pensait d’abord aux services médicaux de la Sncf. Il y avait un dispensaire gratuit, malheureusement les praticiens « fonctionnaires » étaient d’un niveau médiocre, voire pire, et mes parents durent vite en revenir au secteur privé, surtout pour les dentistes.

Seuls les plus pauvres étaient condamnés à subir les turpitudes des soignants cheminots.

J’ai évoqué la casse dans les transports ferrés, je me souviens que pendant les beaux jours, où les fenêtres étaient ouvertes la nuit, j’entendais de ma chambre le bruit des wagons, que l’on triait dans la gare de triage, dite gare Raynal. Les wagons, poussés par des locomotives et des conducteurs, peu précis et malhabiles, se heurtaient brutalement, avec un bruit d’une grande violence. Le tout sous la lumière des éclairs générés par les caténaires.

Ce qui me permettait d’illustrer les récits de mon père, qui narrait l’ouverture des portes de wagons transportant des bouteilles en verre d’eau minérale, d’où jaillissaient des torrents d’eau…

La finesse manquait dans la gestion du fret, et cela coûtait très cher à la Société. Mais à l’époque, la rentabilité de la Sncf n’était pas un souci, vu le poids qu’y pesaient la CGT et le PC.

Les bruits de la Gare de Triage faisaient partie intrinsèque de la vie nocturne, sachant que nous habitions sur la colline de Jolimont, à 1500 mètres à vol d’oiseau de ce site.

 LA PORTE SUR LE MONDE

Pendant les 30 Glorieuses, rien ne se faisait sans passer par la Gare Matabiau.

C’était le point de passage obligé vers le monde extérieur, ainsi que pour tout ce qui en provenait.

De la gare Matabiau, on avait une liaison quasi physique avec la gare d’Austerlitz, un axe Toulouse/Paris, qui reliait notre ville maternelle, la capitale régionale, à la belle capitale de la France.

Le fait d’habiter sur le plateau de Jolimont juste au-dessus de la gare, allait nous faciliter les déplacements : on pouvait aller à la gare à pied, ce qui devait jouer en 1963, un grand rôle dans ma vie : un jour de fin décembre 1963, encore mineur, je profitais d’un silence favorable paternel pour prendre ma valise, et descendre à la gare acheter un billet, et prendre le train de nuit pour rejoindre MC à Paris (cf. ma chronique « Elle portait un Manteau Rouge »).

Ma vie s’y est jouée ce jour-là.

Si je n’avais pas pris le train, une autre vie se serait déroulée, mon destin aurait été différent.

Tout voyage partait de Matabiau.

Toutes les directions étaient possibles :  Paris, l’Italie, les colonies de vacances, les vacances au bord de la mer, comme aux Sables d’Olonne, les Pyrénées, l’Allemagne et l’Angleterre.

La gratuité des titres de transport pour les familles de cheminots arrangeait grandement les choses, et constituait un vrai facteur d’enrichissement, on dirait aujourd’hui, une inégalité sociale flagrante ! J’en bénéficierais jusqu’à mon mariage en 1965.

Tout arrivait à Matabiau, on allait y accueillir tous les visiteurs, qu’ils soient de la famille, plutôt rares, ou correspondants allemands, dans les années 58 à 62.

En août 1963, j’y rencontrais Jackson pour la première fois. Une amitié d’au moins 60 ans allait commencer.

Plus tard, habitant la région parisienne avec mon épouse MC et mes enfants, et pourvus d’une voiture, nous continuâmes à utiliser les chemins de fer, pour descendre de Paris à Toulouse en train autocouchettes. C’était un vrai bonheur de débarquer le matin au soleil de Matabiau (il y a toujours du soleil quand on arrive du nord), et de déguster de bons croissants frais, pendant le déchargement de la voiture, avant la montée vers Jolimont.

Il nous arriva aussi d’utiliser le Capitole, surtout pour des voyages professionnels passant par Toulouse. Départ de Paris à 18 h, arrivée à minuit, avec un excellent dîner au wagon restaurant.

 L’HISTOIRE DE LA GARE MATABIAU

 

La Gare fin 19ème siècle

La gare Matabiau fut inaugurée en 1856, construite par les frères Pereire, créateurs de la Compagnie des Chemins de Fer du Midi.

Toulouse était en retard sur la révolution industrielle. La faute en incombait au maire Joseph de Villèle qui avait refusé la construction d’une gare au début du siècle.

Il fallait alors 18 heures pour relier Bordeaux à Toulouse.

La gare Matabiau va constituer un nœud ferroviaire, à l’intersection des lignes Bordeaux/Sète, Paris/La Tour de Carol et Toulouse Bayonne.

La Cie du Midi sera intégrée en 1938 à la Sncf.

Le bâtiment voyageur est construit entre 1903 et 1905 en pierre de Saintonge par l’architecte Marius Toudoire. Il sera classé aux Monuments Historiques en 1984.

Son nom vient de l’occitan « Mata Buöu », tuer le bœuf. La légende dit qu’on aurait tué à proximité le taureau responsable de la mort de Saturnin, premier évêque de Toulouse, vers 250 après JC.

En fait, il s’agirait plutôt de l’emplacement des anciens abattoirs de la ville.

 La Gare Matabiau en 1910

A partir de 1990, elle va recevoir ses premiers Tgv, via Bordeaux et la ligne TGV Atlantique.

Toulouse est alors à 5 h 30 de Paris, trop long par rapport à des villes comme Marseille, qui se retrouvent à un peu plus de 3 h de Paris, grâce au TGV sud-est.

En 2017, il faut encore plus de 4 h pour joindre Toulouse à Paris.

Ce décalage, dû à l’absence d’une vraie ligne lgv (ligne à grande vitesse), entre Bordeaux et Toulouse, coûte cher à l’économie toulousaine.

Mais cette lenteur ferroviaire a fait le bonheur des transports aériens et la fortune de l’aéroport de Toulouse Blagnac, qui est devenu depuis les années 70/80 la vraie porte de la ville sur le monde, supplantant ainsi la vieille gare Matabiau.

 MATABIAU EN 2023

Il faudrait que la fameuse ligne LGV Bordeaux Toulouse soit réalisée pour mettre la ville rose à 3 heures de Paris, et réparer une injustice par rapport à beaucoup de ville du sud qui sont déjà plus proches de Paris (Nîmes, Aix en Provence par exemple)

Il existe aujourd’hui le Projet du Grand Matabiau, qui pourrait absorber la forte progression du trafic au moment de l’ouverture de la ligne.

Matabiau en 2020

Un projet de vaste centre d’affaires serait implanté autour de la gare, le « Grand Matabiau ».

Un réaménagement de la gare avec 4 parvis, et une nouvelle ligne de métro est en cours de réalisation.

L’opération « NeÔmatabiau » concerne la rénovation du bâtiment voyageurs et la mise en accessibilité des quais.

Écologie oblige, le quartier Matabiau a été végétalisé avec la plantation de 70 arbres (chênes et magnolias).

 LA GARE MATABIAU : NOTRE GARE MATRICIELLE

La gare Matabiau évolue avec son temps.

Elle ne ressemble déjà plus à cella de notre enfance.

Ce sera bientôt une autre gare, une gare moderne du 21ème siècle.

Nous regrettons profondément celle que nous connaissions par cœur dans les années 1950/1980, avec son buffet, ses guichets, sa verrière imposante, et les difficultés pour se garer. Nous utilisions alors la cour des services administratifs, à l’ouest, où un gardien complice, nous laissait rentrer. Encore un privilège de cheminot !

Il y avait aussi dans le hall voyageur une boutique qui vendait la presse, on y venait le dimanche matin quand tous les autres marchands de journaux étaient fermés.

Et le plus important, il y avait un bureau de poste, qui travaillait jour et nuit, et d’où le courrier était acheminé rapidement. Quelle merveille que le fonctionnement de la poste à cette époque. Une lettre, postée avant 22 heures à la gare, était délivrée le lendemain matin à Paris, grâce au train de nuit, où le tri s’effectuait dans le wagon postal.

Grâce à cette remarquable organisation, je pouvais écrire en soirée une lettre à MC qu’elle recevrait à Villejuif le lendemain matin, et vice-versa.

Aujourd’hui, il faut au moins 3 jours pour la même prestation…

Par contre, dans les années 60, le téléphone était encore rarissime.

 Ce n’était certes pas la plus belle gare du monde, laissons ce privilège à Perpignan, glorifiée par Salvador Dali.

Claude Nougaro a oublié de la chanter, au bénéfice de Blagnac.

 Mais elle l’était pour nous, autant pour son aspect extérieur que pour toutes les fonctions qu’elle nous apportait et la place essentielle qu’elle occupait dans nos vies.

 C’était réellement notre Centre du Monde !

 Roger Séguéla