Une indéfinissable, mais non moins certaine, impression de douceur, nous saisit à l’arrivée dans cette petite ville du piémont portugais, entre Porto et la vallée du Douro.
« L’aria e Serena »
Le pied à peine posé sur le sol, un sentiment d’intemporalité nous envahit.
Aucun signe contemporain aux alentours.
Un vieux pont romain en granit enjambe la rivière Tâmega. Son parapet est orné de signes cabalistiques et non moins religieux.
Au sud un vieux bâtiment domine la rivière. Son look est plutôt Mitteleuropa.
On pourrait s’imaginer être dans une ville du centre de l’Europe, il y a un ou deux siècles
L’église fortifiée Sao Gonçalo, au nord, qui commande le pont, fait partie de ces monuments sévères et imposants, comme l’Espagne en beaucoup produits.
Un magnifique bas-relief, une vierge à l’enfant, vient l’éclairer.
Il s’en dégage une grâce et une joie de vivre qui contrastent avec le triste marketing de cette religion, qui a traversé les siècles en développant l’image d’un pauvre hère décharné et sanguinolent, cloué sur une croix. Image complètement dépassée à l’heure où les réseaux sociaux dominent le monde.
L’église forteresse qui défend le pont sur la rive nord
Dominant le pont, une piéta empreinte de douceur et de joie de vivre
Au pied de l’église, une charmante placette plantée de chêne et de tilleuls abrite un café qui nous accueille : 2 euros les deux cafés en terrasse, on est bien au Portugal.
Assis sous les arbres, nous sommes envahis par une douce béatitude.
Ce n’est pas pour rien que l’amarante (ou immortelle), est la plante qui symbolise l’éternité, aussi bien chez les grecs que chez les aztèques.
Son nom seul, arrive à provoquer en nous ce sentiment d’éternité.
« Amarante », ce nom évoque dans ma mémoire des réminiscences littéraires, Est-ce le nom d’une héroïne de Corneille ou de Racine ? Il me semble qu’il faut aussi chercher du côté de Rimbaud. Retrouve-t-on ce terme dans le bateau ivre ou la bohême ? Une recherche s’impose, à faire après cette visite.
Profitons en attendant de l’instant présent.
Fleur d’amarante, couleur rouge amarante
Ici, le temps semble s’arrêter.
Lamartine aurait aimé cet endroit :
Ô temps, suspends ton vol ! et vous, heures propices, suspendez votre cours ! Laissez-nous savourer les rapides délices des plus beaux de nos jours ! ».
Le pont romain d’Amarante, consolidé au 12ème et reconstruit au 17ème siècle.
Ce pont est chargé d’histoire. Lors des guerres napoléoniennes, les armées de Soult, allié aux espagnols, sont venues y buter sur l’armée portugaise de Silveira, alliée aux anglais de Wellesley. Il leur fallu 3 semaines, du 7 mai au 2 juin 1808, pour venir à bout de la résistance des portugais, aidés par une population, particulièrement motivée.
La bataille d’Amarante eut lieu pendant la deuxième invasion napoléonienne.
Napoléon avait passé un accord avec l’’Espagne, en cas de succès dans la conquête du Portugal, une partition du Portugal serait effectuée entre France et Espagne. Ce deal n’est pas sans rappeler le partage de la Pologne entre hitlériens et soviétiques.
Mais ce souvenir historique n’a laissé aucune trace sur ce site hors du temps, si ce n’est quelques marques de boulets de canon sur les murs de l’église de Sao Gonçalo.
Un mot sur cet original Sao Gonçalo, qui ne fut jamais béatifié.
Il a vécu au 12ème siècle et s’activa à la reconstruction du pont romain. Il était capable de faire jaillir du vin (vinho verde), en frappant la roche avec sa canne, ce qui est très important dans un pays qui fonde sa richesse sur la vigne.
Mais sa popularité vient d’une autre histoire : il était célèbre pour être un faiseur de mariages, reconnu pour aider hommes et femmes à trouver l’âme sœur et surtout à faire des enfants, à une époque où la mortalité infantile était élevée, et où il fallait des bras pour combattre les Maures occupant tout le sud du Portugal.
Pour se faire comprendre auprès des nouveaux conjoints et dans le noble but de développer la fécondité, il utilisait un mode d’emploi imagé à partir de pâtisseries évoquant de manière explicite comment parvenir à son objectif.
Il avait modélisé le mode opérationnel.
Les pâtissiers Amarantais continuent à perpétuer cette tradition, comme on peut le voir sur cette photo prise sur place le 20 juin2023.
Pâtisseries de Sao Galaçao destinées à favoriser la fécondité
Voilà peut être la cause de sa non-béatification.
Tous les prélats de l’époque ne se consacraient pas qu’à l’au-delà !
C’est justement cette sensation d’être hors du temps qui émane de cette petite ville d’Amarante.
C’est le lieu idéal où trouver refuge pour échapper aux délires fin du mondistes d’un Poutine ou d’un autre sbire de son acabit, tant ce site dégage un sentiment d’éternité…
L’amarante n’est pas pour rien une plante dite « immortelle ».
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Au retour d’Amarante j’ai pu trouver les réponses à mes interrogations littéraires.
Arthur Rimbaud utilise bien ce mot dans une ode à Théodore de Bainville, « Ce qu’on dit au Poète à propos des Fleurs »
« Le lys de monsieur de Kerdrel,
Le sonnet de mil huit cent trente,
Le Lys qu’on donne au Ménestrel,
Avec l’œillet et l’amarante. »
Une héroïne du 17ème siècle s’appelle bien Amarante, et on la retrouve dans un Conte de Jean de La Fontaine, intitulé « Tircis et Amarante ».
Enfin dans un poème de Joachim Du Bellay, « Deux Amants à Vénus », on peut lire :
« Avec le Lys, l’immortelle Amarante »
Cette immortalité de l’amarante que l’on retrouve dans cette ville où l’on ressent « un vrai sentiment d’éternité ». de Du Bellay « De deux amants à Venus » on peut lire :
« un sentiment d’éternité »
Porto, le 21 juin 2023/Bouillargues le 24 juin 2023 (photos, R. Séguéla)