Chroniques Créations

Le Bar de la plage – Épisodes 132, 133 et 134

Episode 132

Délices de la canicule

Une chaleur accablante noyait toute velléité de pensée ou d’action. La mer frôlait l’ébullition mais s’en abstenait par politesse et tradition. Les mouettes réfugiées dans les feuillages des arbres. Les conditions idéales pour s’abandonner sans retenue aux vertus premières du bar de la plage…

Désintéressement jubilatoire propre à décourager les plus virulentes ambitions terrestres, toute tentative d’agitation vouée à l’impuissance face aux forces de la nonchalance. Extrême sensibilité aux élans du cœur et aux chansons de Françoise Hardy et de Brian Ferry.

Une situation propre à conduire les psychanalystes viennois au bord de la dépression nerveuse. Menace existentielle : ils savent bien que leurs simagrées pour guérir des paradis perdus ne marchent pas.

Un gars tout nu courrait sur la plage. Louise de V s’en émut, Caro pencha pour le croisement incestueux entre Diogène et la folle dingue suédoise télévisuelle.

Le gars braillait que si on arrêtait pas immédiatement de s’embrasser ou de danser (dégagement de chaleur), on allait tous mourir ébouillantés comme des homards plongés dans un court-bouillon. Il se jeta dans l’eau et disparut. Des mouettes rapportent qu’elles ont vu un type nager vers le large, un gyrophare sur la tête…

Georges semblait parfaitement s’accommoder de la situation ; le stoïcisme des barmen de haute lignée. Aucun d’eux ne déserta la préparation de bloody mary pendant la descente aux abîmes du Titanic.

Comme si de rien n’était, il disposa une première ligne de dry martinis.

On fit quelques pas vers le bar…

 

Episode 133

Demain n’est pas un autre jour

C’est le même, en pire ou en mieux selon la météo et les personnes croisées, mais c’est le même remis au goût du jour par le grand cadencier cosmique : jour/nuit, lune/soleil, marée montante/marée descendante. On n’y échappe pas et la planète ne fait pas d’escale en cours de route pour recharger les batteries ou changer le programme.

Bref, revenons à aujourd’hui.

Caro, boucles brunes en cascades sur ses épaules bronzées, contraste du brillant sur le mate, haute Antiquité dans le regard, dit :

– J’ai consulté la pythie de Delphes, Athena et Errato sont de notre côté, la journée s’annonce plaisante…

Jules dit :

– Ta pythie n’aurait-elle pas quelques lumières sur le tiercé de dimanche prochain à Longchamp…c’est pas pour moi, c’est pour le Colonel qui continue à parier sur tout et n’importe quoi ; une habitude contractée dans les casinos discrets qui bordent les rives du Mékong…

– Jules, pythie à Delphes, c’est pas journaliste hippique à Paris-Turf.

Louise de V, en pleine cure de romantisme, entre Simone de Beauvoir folle amoureuse de son bel Américain (Tiens où il était passé le binoclard soi-disant super intelligent) et le fragile Alfred de Musset en larmes, viré de Venise par son insatiable George :

– Caro, ta pythie ou une de ses consoeurs n’aurait pas une idée sur les élans du cœur, les affinités sentimentales tu vois…je ne sais pas quoi me mettre pour sortir au Phare ce soir

– Louise, chef-pythie à Delphes c’est le plus haut niveau dans la confrérie des pythies, le niveau mondial, ce n’est pas patronne d’un site de rencontre à Athènes.

Même Jean-Do, cyber-rationnel dans la vie ordinaire, demandait une aide divine pour un concours d’équation qu’il avait engagé avec une meute de mathématiciennes ultimes à talon aiguille.

Caro était sur ses gardes  :

– Jean-Do, tes inquiétudes machistes, on s’en fiche… bosse un peu tes maths…Pythie à Delphes, c’est pas copine de chambrée d’Einstein à Princeton…c’est très au-delà, je veux dire très au-dessus.

Finalement, j’avais tort : demain est toujours un autre jour et ce n’est pas rassurant.

 

Episode 134

La beauté du gâchis

Un type du nom de Mark Greene un jour dit : ” Rien n’est plus beau dans la jeunesse que l’étendue du gâchis.” On était en train d’y réussir.

La mer coopérait pleinement à cette ambition, Un parfait désordre de houles indisciplinées l’agitait. Les mouettes zigzaguaient dans tous les sens, une sorte de meeting aérien produit par des pilotes sortis précipitamment d’une soirée d’anniversaire très arrosée.

Pas la peine d’attendre 60 ans, comme Eric Neuhoff (voir Dépôt de bilan, nouvelle) pour raconter ses déboires et ses ratés, même si quelques uns n’étaient pas tristes du tout. On a commencé tout de suite le gâchis. Encore faut-il s’entendre sur ce qu’on appelle gâchis… on aurait gâché nos dons ? Dans ce domaine, la nature a été très modeste ; sauf peut-être pour Jean-Do équipé d’une cyber-intelligence ( pas très utile à part pour séduire des mathématiciennes ultimes à talon aiguille) et Caro qui parle couramment avec les Anciens, Grecs de préférence.

Des gens sérieux disent autour d’eux que nous perdons notre temps ; et qu’est-ce qu’ils voudraient qu’on en fasse de notre temps…

L’économiser, le mettre de côté pour plus tard… Mais ce sera trop tard pour aller danser au Phare, écouter Mort Schuman chanter ” Il neige sur le lac Majeur” et dire aux filles qu’elles sont belles.

Le Colonel accompagné de Lan Sue dessinée par une robe fourreau de soie noire, déclara : “Parfait…Parfait” et la question “Gâchis or not gâchis ” fut classée sans suite.

Le destin reconnaîtra les siens.

Georges…