Interview de Josette Bruffaerts, Présidente de l’association Haïti Futur
Il faut mériter la bourse, en l’honneur de Valencia qui a su s’investir pour son pays. Haïti vit une période cruciale durant laquelle on a besoin de symboles. L’attribution d’une bourse, telle que celle du Groupe Alpha, traduit cette nécessité. Au-delà de l’argent, on honore la jeunesse.
J’ajouterai qu’il y a un autre symbole dans cette bourse Valencia : elle a été créée en l’honneur d’une personne décédée et donc, dans le respect total de la culture haïtienne du culte des morts. C’est un signe très fort en Haïti.
Groupe ALPHA : Cette bourse, dotée chaque année de 15 000 €, soit 30 000 € annuels pour deux étudiants sur trois ans, est attribuée en priorité à des étudiants en sciences économiques. Pourquoi ?
Josette Bruffaerts : Effectivement, on peut penser que c’est restrictif. Loin s’en faut. Haïti connaît une forte pénurie en experts économiques. Choisir des étudiants dans cette spécialité est révélateur de notre volonté d’encourager l’arrivée d’une nouvelle génération, à même d’accompagner la reconstruction du pays. Là aussi, c’est un symbole fort et nous espérons tous que l’initiative du Groupe ALPHA donnera des idées à d’autres, notamment aux industriels haïtiens.
Groupe ALPHA : Comment s’est déroulée la phase de sélection pour cette première année ?
Josette Bruffaerts : C’était très intense et émouvant. Nous avons sollicité les organes de presse, tous modes de diffusion confondus. Nous avons ressenti sur place combien les gens étaient sensibles à la démarche. D’où, sans doute, le fort retentissement de la campagne que nous avons menée cet été pour identifier la première boursière. Nous avons eu la chance de bénéficier du soutien de Kesner Pharel, économiste haïtien et animateur de l’émission de radio, « Investir », qui a non seulement consacré une plage horaire à l’annonce de la création de la bourse mais qui a également mis à notre disposition des outils de diffusion et d’information.
Nous avions d’emblée décidé d’attribuer l’une des deux Bourses à Sarah, la sœur de Valencia. Sarah est, depuis septembre, inscrite en master 1 en histoire contemporaine à l’Université de Poitiers. L’autre boursière a été retenue au regard des critères de sélection. Régine Lafontant vient d’arriver en France et elle va suivre un master 1 en expertise économique à l’Université de Marne-la-Vallée.
Groupe ALPHA : Depuis plus de 15 ans, l’association Haïti Futur, que vous avez créée en 1994 et que vous présidez depuis 2001, promeut l’éducation en Haïti pour qu’un enseignement de qualité soit accessible à tous. Après le drame, quelles sont les urgences à traiter ?
Josette Bruffaerts : L’éducation, c’est l’avenir d’un pays. Notre action repose sur l’idée qu’un enfant, quelle que soit son origine sociale, doit avoir accès à un enseignement de qualité. Il doit être libéré de toute contrainte financière et profiter pleinement de l’apprentissage qui lui est dispensé.
Après le tremblement de terre, les besoins sont bien évidemment plus pressants et les enjeux plus cruciaux car les jeunes générations ont été très durement frappées : à 17h00, l’heure du séisme, les écoles et les universités étaient remplies, notamment par de jeunes adultes suivant des cours du soir après leur journée de travail.
Haïti a perdu ses têtes pensantes, ceux qui allaient, d’ici peu, contribuer à moderniser le pays. Notre tâche est donc immense mais nous y croyons et une aide, comme celle du Groupe Alpha, participe de cette envie d’aller de l’avant. Début octobre, l’école a repris. Il y a une vraie appétence, en Haïti, pour apprendre. La population a soif de connaissance. Cela se retrouve dans toutes les couches de la société à tel point que l’on dit que le rêve haïtien, c’est d’envoyer son enfant à l’école, avant même d’avoir un logement. Notre mission s’inscrit dans cette dimension car, au-delà du devoir de l’enseignement, il y a un vrai devoir de transmettre des connaissances.
Groupe ALPHA : Quels sont les projets que l’association Haïti Futur mène sur place ?
Josette Bruffaerts : Actuellement, nous soutenons 13 projets de micro-financement. Cela concerne aussi bien le paiement des salaires des enseignants que la création de fonds documentaires, le fonctionnement courant d’écoles ou l’attribution de bourses à des étudiants méritants et la création de classes numériques. Nous travaillons avec le ministère haïtien de l’Education nationale. Récemment, nous avons obtenu un financement de la Fondation de France qui s’est engagée, à nos côtés, dans un projet d’ « enseignement numérique pour tous ». Nous misons sur le contenu et la pédagogie. Nous venons ainsi de financer un vaste projet de formation des enseignants qui a bénéficié à 360 personnes. C’est d’autant plus essentiel aujourd’hui que les Haïtiens ont besoin d’être soutenus et de travailler ensemble à la reconstruction du pays. Le traumatisme est toujours très présent. On reconstruit mais insuffisamment pour soutenir le moral des habitants. Il y a peu d’accompagnement réel des populations. Or, c’est de cela dont elles ont besoin. Notre action vise ainsi à les faire travailler sur l’avenir de leurs enfants, à leur donner de l’espoir.
Groupe ALPHA : Comment financez-vous vos projets ?
Josette Bruffaerts : Haïti Futur est une association Loi de 1901. Nous dénombrons aujourd’hui quelque 150 membres actifs, de profils différents, qui sont animés de la même volonté d’œuvrer pour Haïti. Nos ressources proviennent principalement de la valorisation des œuvres haïtiennes. Nous achetons des produits artisanaux ou culturels à des artistes haïtiens, nous organisons des expositions-ventes en France et, grâce aux recettes, nous finançons nos projets. La plus importante exposition a lieu chaque premier week-end de décembre. Celle de cette année aura, naturellement, une dimension symbolique particulièrement forte car nous serons à la veille du 1er anniversaire du séisme du 12 janvier dernier.