Mondes caribéens

La Recherche des origines culturelles chez Maryse Condé

Un problème est relatif au temps, à l’époque et aux conditions de sa production. C’est ainsi que, de nos jours, la question de l’identité se pose avec acuité. Cette question pèse de son poids en rapport avec les réalités vitales actuelles de nos sociétés en transformations relatives à nos multiples et diverses rencontres. Ces dernières, ces brassages de mœurs sont bien sûr une conséquence directe des derniers progrès technologiques et de tous ses corollaires. Ces rencontres tendent à transformer la planète terre en un seul village, une seule cité cassant ainsi toutes nos différences mythiques et diverses frontières de tous genres. Cela étant, quel type de discours pourrai-on tenir au sujet de la notion d’identité culturelle sans penser à l’actuelle (r)évolution vertigineuse de nos sociétés avec tout ce qui en découle ? Pour des raisons précitées, la notion d’identité culturelle requiert une attention particulière dans nos sociétés actuelles en rapport avec nos traditionnelles barrières sociales.  Notre monde actuel serait donc assis sur une identité culturelle questionnable. Claude Lévi-Strauss nous aide à le démontrer quand il dit :

A en croire certains, la crise d’identité serait le nouveau mal du siècle. Quand les habitudes séculaires s’effondrent, quand les genres de vie disparaissent, quand des vieilles solidarités s’éffrichent, il est certes, fréquent qu’une crise d’identité se produise (1977 : 9).

C’est de ce mal du siècle, de cette crise d’identité culturelle que nous allons nous occuper dans ce travail  par le biais de ces deux romans de base : En attendant le bonheur de Maryse Condé et Le chercheur d’Afriques de Henri Lopes. L’idéal est d’arriver à faire la lumière sur cette crise d’identité culturelle qui provoque la quête Veronica et d’André, nos protagonistes. Qu’est ce qui a motivé chacun d’entre eux ? A quoi chacun est-il arrivé. Et comment y sont-ils arrivés. Quelle serait la procédure suivie par chacun pour arriver au résultat personnel. De là, nous dirons un mot sur la façon dont chaque auteur -Maryse Condé et Henry Lopès- perçoit la notion d’identité culturelle aujourd’hui en fonction de l’expérience respective.

Déjà, nous devons dire que la notion d’identité elle-même est si vaste que la traiter d’un seul point de vue fausserait des résultats. En effet, l’identité est la résultante de plusieurs domaines de la vie : l’histoire, la sociologie, l’anthropologie, la biologie, la géographie, etc. Chaque domaine devrait donc se retrouver dans l’identité dont se réclamerait quelqu’un. Muchielli le  soutient en disant :

De l’extérieur, l’identité est une des définitions possibles d’un acteur. Cette définition se réfère à un certain nombre de critères. […]. La nature des critères choisis pour la définition permet alors de parler de différentes identités : identité objective(prenant des référents d’ordre objectif : matériels, historiques ou autres, mais indubitablement connus et vérifiables) ; identité culturelle (prenant essentiellement des référents d’ordre culturel) ; identité groupale (prenant des référents concernant l’appartenance groupale) ; identité sociale (prenant des référents de positionnement social) ; identité professionnelle (prenant des référents du curriculum vitae et des activités professionnelles)…(15).

Cette vision de la notion de l’identité, nous oblige d’avance à limiter notre problématique selon un référent donné bien précis. Pour éviter toute confusion, nous nous sommes penché sur des faits ou des référents culturels. C’est donc de l’identité culturelle dont il sera question ici. Ce travail sera donc vu sous forme de recherche de soi en termes de culture.

En fonction de ce qui précède, nous avons compris que c’est faute de connaître leur supposée culture respective que Veronica et André se mirent à se rechercher chacun en ce qui le concerne. Mais avant d’entrer dans le vif du travail, nous avons jugé utile de présenter les livres sous études ici. Cette présentation permettra ainsi d’avoir une idée générale de la problématique qui est notre.

En attendant le bonheur nous présente la Guadeloupéenne Veronica, une fille descendante d’esclaves noirs d’Afrique. Bousculée en son île natale par des problèmes sociaux,  elle se retrouve  en France où elle est victime de la différence de sa peau qui la fait subir d’inconfortables traitements sociaux. Paris appartient d’abord aux vrais Français et non pas à ceux des territoires d’outre-mer comme celui dont elle est citoyenne à part entière. D’où sa décision de descendre en Afrique à la recherche de ses origines culturelles. Elle a pourtant de cette Afrique décolonisée une idée mythique, vague et statique après autant des siècles de la fin d’esclavagisme.  Ici, elle se lit d’amitié avec Ibrahim Sorry, de qui elle pense connaître plus de ses origines, des ses aïeux. Mais ses  9 mois de recherche en Afrique en opposition de ses 9 ans en Europe ne lui ont donné aucune satisfaction. Ibrahim Sorry, nègre aux aïeux, de qui elle pensait avoir une idée de ses ancêtres n’en pouvait rien. Ses propres préoccupations étaient très différentes de celle de Veronica ; préoccupations dues au temps, à l’évolution socio-politique de l’Afrique d’après les Indépendances : stabilité politique et économique. La maladie de Veronica ne pouvait donc pas être soignée dans cette Afrique de ses ancêtres. D’où son retour en France.

André, de son coté, dans Le chercheur d’Afriques de Henri Lopes, nous rend compte de sa condition. C’est un jeune métis de Congolaise de Brazza mais né dans  l’autre Congo dit Démocratique, l’ancien Zaïre. André est à la fois vide et avide de la vraie image de son père. Tous les temps aux jeux d’enfants, ses congénères  lui font voir sa différence avec eux due à la couleur de sa peau. Pour eux c’est un petit blanc. Il est loin d’être un Congolais comme il le prétend. Il est plutôt le fils du commandant Blanc. Selon lui-même, sa mère Ngalhala, qui serait elle-aussi une Centrafricaine, lui a toujours dit qu’il ressemblait étrangement à son père commandant LeClerc, un Blanc de Mpoto. Sa morphologie et ses habitudes en seraient autant des preuves tangibles :

[…] J’ai souvent entendu maman s’émerveiller de notre ressemblance. Comme le commandant, je ne souris pas et considère le monde alentour de toute la hauteur de ma petite taille (p.12).

Cette expression donne vite au lecteur l’idée d’un enfant qui ne connaît son père que grâce aux descriptions de la mère. Il y a ici une absence de réelle connaissance visuelle de la personne supposée père. André ne connaissant donc pas son père, le voilà qui, adulte, se lance à la recherche de ce dernier. C’est en France  qu’il campe, parcourt des annuaires téléphoniques, il participe à des conférences. De ses navettes entre l’Afrique et la France rien n’a pourtant donné aucun résultat positif comme il s’y attendait. Déçu donc dans ses démarches, il rentre en Afrique.

Comme on peut le remarquer, chacun de nos protagonistes s’est déplacé du territoire vécu pour le territoire pensé, rêvé,  celui de ses ancêtres. Autant Veronica est allée en Afrique, terre des Noirs par excellence, autant André est allé en Europe continent des Blancs. Chacun de nos protagonistes a voulu trouvé, en ce qui le concerne, la réponse à son mal, mais tous ont échoué. Ici donc de la terre habitée pour une terre rêvée on est revenu  à la case de départ.

L’idéal de ce travail sera donc de démontrer le parcours de la quête d’identité culturelle de chaque protagoniste. Il est question de voir  comment chacun est arrivé à y penser, voir ce qui a motivé la recherche et quel en a été l’aboutissement. Il nous reviendra par la suite de voir, à partir de ces deux textes, la manière dont est perçue la notion ou le concept d’identité culturelle en fonction de l’expérience relative de chacun des protagonistes.

Nous nous nous sommes servi de la méthode comparative Pour mieux cerner notre problématique, nous avons donc mis en parallèle des éléments textuels communs relatifs à cette quête identitaire. Grâce au discours respectif de chacun d’eux en ce qui le concerne cette comparaison nous a donné la vraie image de la recherche similaire d’identité culturelle de ces deux protagonistes Veronica et André, des difficultés rencontrées et des résultats relatifs de chacun dans ses démarches.

Pour mieux cerner le problème, nous avons présenté le travail sur un cheminement donné qui pourrait se lire de la façon suivante : de l’altérité à la prise de conscience poussant à la recherche de soi ; de l’échec dans la recherche de soi à un retour pour une conclusion personnelle sur sa propre identité culturelle et le sens relatif  à y donner en rapport avec le monde actuel et les réalités qui sont les siennes.

L’altérité se conçoit en termes de différence d’un individu selon des traits divers en rapport avec d’autres personnes. Cette altérité se fonde sur divers aspects : culturels, physiques, etc. A partir donc de ces traits, se fondent des barrières multiples entre hommes. L’un se constitue en norme pour faire de son semblable l’autre, une sorte d’exclusion jusqu’à le constituer en faux. De là, l’autre se retrouve dans une situation d’insécurité psychologique en rapport avec sa situation de l’autre, du faux. Clavaron Yves de dire à ce sujet :

L’altérité ne relève pas de la seule différence obtenue par la simple comparaison entre deux groupes sociaux ou deux individus, mais existe aussi par la dissociation, la disjonction : l’Autre est placé à distance de toute identification, impossible à réduire à une simple  différence, étranger dans son inaliénable distance (Ethiopiques 74: 2005).

Quant à nos protagonistes, ici, chacun a été considéré, en ce qui le concerne, comme un étranger, un alter, l’autre, comme il se dit en latin. Tout ceci compte tenu de la façon dont tel ou tel autre a été considéré dans le milieu respectivement vécu par chaque protagoniste : La France pour Veronica et le Congo Brazzaville pour André. Au total, tout est parti des traits physiques des protagonistes. Veronica n’a rien de Blanc. Alors qu’elle vit en France ; elle ne devrait qu’être vue différemment. De même André, métis de sa nature, ne pouvait pas être vu autrement dans un Congo, des Noirs. Ici, le physique fait faire une directe allusion à la race. Ceci étant une sorte de pensée syllogistique dont la conclusion tendrait à établir une relation étroite entre la couleur de la peau d’un individu et la culture et entre sa culture et son milieu géographique ( Abiola, Irele : Theorizing Race). Quant à Veronica, la descendante Nègre, ayant quitté la Guadeloupe pour la France où elle a grandi, elle y a rencontré plus d’une situation qui lui firent voir des barrières sociales entre elle et ses différents milieux vécus. D’abord apparemment mal née puisque sa naissance de fille après deux autres sœurs fut inattendue par ses parents qui souhaitaient avoir un garçon. Veronica ne pouvait donc pas bénéficier d’un amour de la part de ses parents déçus dans leur attente :

Moi je poussais mon premier cri de terreur et de révolte. Ils n’étaient pas contents. Ils avaient souhaité un garçon (p.38).

Déjà son mal a commencé dans sa famille-même alors que le milieu naturel, la ville natale présentait à l’ensemble de sa communauté d’origine un mauvais regard sur la population noire locale. Elle vivra les mêmes maux à Paris où elle croyait être plus libre. Mais n’étant pas une vraie Française, rien de bon ne pouvait l’y attendre : pas de considération humaine comme pour d’autres à cause de la couleur de la peau, pas de travaux honorables à part des sales travaux réservés aux noirs. Elle le dit  d’ailleurs :

De Paris ! Non pas moi. Dites à vos frères de le faire. L’un d’eux balaie la rue de l’université et nous regarde matin après matin (51).

L’itinéraire de la héroïne étant jonchée d’aussi mauvais regards des autres–de rejet – sur-elle en particulier et sur sa communauté en général, c’est alors pour Veronica une occasion de penser à son Afrique mère jugée compatible avec sa personne. Ceci est propre aux personnages de Condé comme nous pouvons le constater aussi avec Marie-Hélène dans Une saison à Rihata (Condé, M. : 1981). Veronica tout comme Marie-Hélène se sent mal à l’aise dans le Paris des Blancs. Donc généralement  les personnages de Condé, comme nous le dit Francis Angrey prennent souvent distance en cas de difficulté en pays d’origine pour l’Afrique des aïeux :

Ayant subi bien des déboires aux Antilles, d’où ils s’éloignent, ils  se sentent mal à l’aise dans un Paris qui ne veut pas d’eux, et les personnages Condéens, surtout les héroïnes, ont leur regard désormais rivé sur l’Afrique où elles souhaitent se rendre pour s’y réfugier. Puisqu’elles considèrent ce continent comme un paradis, tous les moyens et tous les prétextes s’avèrent bons pour faciliter le déplacement désiré de Paris vers l’Afrique (p.87).

Bien sûr à la recherche de soi afin de casser ces stéréotypes sur le Nègre comme on peut le lire dans Le Roman d’un Spahi (Loti, P. : 19xxx) mais décriés dans Le Mythe du Noir ( Fanoudh-Siefer, L. : 19xx). Une telle vision du monde se comprend très bien tant il est vrai que, comme le dira Glissant :

la première pulsion de toute population transplantée est le retour (Glissant, 1981 : 14).

Et Hewit (1990) de renchérir que le voyage  de Veronica en Afrique s’inscrit dans le cadre de

l’exploration d’un autre héritage que ses parents ont ignoré (p.176).

Pour appuyer la pensée de Glissant, on pourrait très librement se servir du thème de retour dans Cahier d’un retour au pays natal de Aimé Césaire dont le titre à lui seul est déjà révélateur du projet du prophète de la population transplantée.

Dans Le Chercheur d’Afriques, André a des révélations sur lui d’abord grâce à  sa mère puis grâce à ses camarades de jeux. Du côté de sa mère, on peut le lire dans ses quelques souvenirs d’enfance, parmi tant d’autres. Il y a par exemple des révélations de la mère au fils comme fondement de la pensée d’André sur ce que serait effectivement son père :

J’ai souvent entendu maman s’émerveiller de notre ressemblance. Comme le commandant, je ne souris pas et considère le monde alentour de toute la hauteur de ma petite taille (p.12).

Avec des propos pareils, l’enfant montre combien il enracine en lui l’image de son père qu’il connaît très mal. Il va loin en essayant de dire comment il l’imitait en se comportant comme lui.

Mon siège était la réplique en miniature de celui du Commandant.  Quand je m’y installe j’adopte le port de tête de papa (p.12).

C’est encore le rappel  du souvenir de la scène de querelle entre sa mère et une autre femme qui en dit long :

[…] Tandis qu’on la retenait, ma mère demandait à l’autre si elle n’avait pas vu ma peau. Une peau de Blanc. Avait vu ? Est-ce qu’elle était capable de faire un enfant avec un Blanc, elle (pp.215-216) ?

Cette façon de parler de la mère d’André se comprend dans le mesure où la colonisation a appris à l’homme noir de sentir inférieur devant le Blanc son maître. Des enfants supposés nés des colons auraient ici une valeur supérieure aux enfants noirs d’Afrique.

La colonisation tue spirituellement le colonisé (Memi, Albert : 2001: p.).

Du coté de ses camarades de jeux on peut lire des souvenirs de mots d’enfance qui vont dans le sens de faire toujours jaillir d’André  ce qui fera sa quête à l’âge adulte. Il s’agit ici de la scène de l’arrivée de Commandant, un homme blanc devant des enfants noirs en plein jeux aux cotés de André. A la vue de celui-ci, les amis de André de lui dire :

Va, fils du Moundélé, va ko ! Voici ton père qui vient te rendre visite (p.77).

Pour ces autres enfants, comme il s’agissait d’un homme blanc, il était alors le vrai père d’André. Comme il avait l’idée de son père grâce aux descriptions de sa mère, il se réserva et dit :

Mon père n’était pas aussi voûté que ce cingalet. Il était, je m’en souvenais, droit comme les rôniers de la plaine d’Ossio. […] Mon père avait, lui, une moustache rouge et luisante, comme en ont les hommes forts et puissants (p.77).

De telles révélations se répétèrent  de temps en temps au point que le fils André nourrit en lui  cette idée d’avoir un père Blanc différemment d’autres enfants, ses camarades de jeux. Lui, était donc le fils d’un Blanc, le Commandant Suzanne LeClerc ; un père Blanc de Mpoto (Europe en Lingala) et non pas un mbouloumboulou (un vaut rien en Lingala), un simple Nègre comme eux.

Comme on peut le remarquer, la connaissance de la différence entre tel sujet et son environnement le plus proche est partie de faits environnants, les faits directement en rapport avec le milieu vécu. Pour Veronica ce son Paris qui lui a démontré qu’elle ne lui appartenait pas. Pour André ce sont sa mère et ses camarades de jeux. Commencèrent ainsi pour chacun des interrogations sur soi-même. Qui suis-je ? D’où suis-je ? Tout se termina par la descente sur terrain pour la  quête des origines.  Donc après autant de révélations avec toute sorte de qualificatifs que cela pouvait comporter, chacun est arrivé fatalement à une telle décision, de descente sur terrain comme une sorte de révolte à la manière de Sisyphe (Camus : 1959) ou des écrivains Négro-Africains  (Achiriga : 1978) contre une situation jugée incompatible avec son propre développement. Ici le voyage, thème cher aux romantiques prend l’image d’une évasion. Le voyage se constitue comme une sorte d’issue qui donnerait satisfaction au mal dont souffrent les protagonistes. Le voyage devient une sorte de libération. Cette détermination de changement de lieu, de place s’inscrit ici sous l’angle thérapeutique.

Le milieu vécu pris pour inconfortable doit céder sa place au milieu rêvé considéré comme protecteur. Ceci dénote de l’incapacité des protagonistes à supporter le milieu vécu ; de ce fait le milieu rêvé serait une sorte de réparateur du mal de soi, une sorte de fuite. Ceci s’explique facilement car comme on le lit dans Le Moi et ses espaces :

Apothéose ou fuite : ces deux attitudes constituent en fait deux stratégies pour désarmer l’espace catastrophique du monde hostile (Gascoigne, David : 1997,  54).

Ainsi on a vu Veronica descendre en Afrique et André aller en France afin de se réconcilier avec les leurs. Veronica, sans détour, s’explique :

Raison de voyage ?  Ni commerçante. Ni missionnaire. Ni touriste. Touriste peut-être. Mais d’une espèce particulière à la découverte de soi-même (p. 20).

Mais arrivée en Afrique, son terrain de recherche de soi, Veronica, n’a pas eu de cesse de s’interroger sur sa propre présence en Afrique :

[….] Qu’est-ce que je fous ici ? Il faudrait être seule. Mettre  comme on dit de l’ordre dans mes pensées. Et tout recommencer depuis le commencement. Mais quel est le commencement ? Bien sûr on pourrait dire que c’était ce baptême de poupée (p.23).

C’est très bien connu pour Veronica, il n’est pas question de s’occuper d’autres problèmes sans rapport avec sa recherche. Elle n’est pas intéressée de voir des beaux bâtiments, de discuter des problèmes personnels des Africains. Car, dira-t-elle, elle n’a pas traversé les mers pour cela (p.34). Son problème est très clair, elle souffre d’une maladie où il lui faut une cure appropriée. C’est ainsi qu’elle voue en échec la médecine occidentale au profit de celle de ses ancêtres africains :

Un marabout, c’est cela qu’il me faudrait. Car la médecine occidentale ne peut rien pour moi (p.36).

Pour Veronica, Ibrahima Sory, le Ministre de la Défense incarnerait l’Afrique de ses ancêtres, c’est ce qui justifie ses amitiés avec ce “Nègre à aïeux”(p.55)  Il pourrait l’aider à se réconcilier avec les siens. Cette réconciliation la guérirait de sa maladie, car, le dira-t-elle : “je suis une malade à la recherche de la thérapie.”(p.53), pour ajouter plus loin ‘’je suis une malade qui voit partout son mal.” (p.116). Son amour physique avec Sory serait-il vraiment la voie de sa libération ? Par contre, elle se sert de cet homme juste pour apaiser son mal. Il s’agit alors d’une sorte de fuite dans une recherche apparemment impossible compte tenu du temps révolu entre la période de sa recherche et son produit. On parlerait d’une sorte de A la recherche du temps perdu (Proust, M.). D’ailleurs des amours entre Veronica et Ibrahim Sory vinrent encore rendre l’équation beaucoup plus difficile qu’elle ne l’était. Ces amitiés le font errer d’un endroit en un autre, elles l’enivrent jusqu’à la faire oublier sa mission principale. A l’impossibilité de la recherche s’ajouta alors son implication en des affaires politiques locales, en différentes activités comme des déplacements au bar, des rencontres du genre immoral qui firent produire des bagarres l’impliquant au point de se faire arrêter et emprisonner (p. 225). Smith fait remarquer que :

l’exilé est condamné à être à jamais un indésirable, un errant et un dépossédé (Sémiologie de l’exil dans les oeuvres de Maryse Condé p.54).

Françoise Simasotchi-Bronès de renchérir sur cette errance :

le vertige est bien une manifestation de l’instabilité des repères qui affecte le personnage antillais, une séquelle vive de l’éclatement anthropologique. Le vertige cristallise sa perte de contrôle de l’espace et de son corps (36-37).

Devant toutes ces déboires, démontrant un bilan aussi piètre comme le reconnait Veronica (p.189) elle décida de partir, de rentrer en France (p.241) puisque tout simplement  comme elle le dira : “Je me suis trompée, trompée d’aïeux, voilà tout. J’ai cherché mon salut là où il ne le fallait pas.”(p.244).

Quant à André, supposé le fils de César Leclerc, à peine arrivé en France il commença ses recherches comme nous le prouve cette phrase :

Dès mon arrivée en France, j’ai cherché César Leclerc. J’ai passé plusieurs heures à la poste à consulter l’annuaire téléphonique. Mais comment choisir dans cinq colonnes de Leclerc ? Apparemment pas de César, mais plusieurs Leclerc C. (p.15).

Pour la mère d’André la suite de la part de son fils était inacceptable. André le dira :

Je lui ai écrit qu’il y avait en France autant de Leclerc que d’arbres dans la forêt de Mayombe. Elle m’a fait répondre par Joseph que ce n’était pas une excuse pour ne pas retrouver le nôtre : […] Et pourtant il n’y avait pas besoin d’avoir un bacca quoi-quoi-là. […] Elle me donnait confirmation : le Commandant Suzanne Leclerc habitait Bretagne (p.15).

Déjà les recherches s’annoncèrent difficiles pour André. Il les poursuivit sous différentes manières : lectures, participation à des conférences du Dr. Leclerc, consultation des documents du Ministère de la France d’Outre –Mer. Il se pencha sur un dessin qui serait celui de LeClerc :

Dans un dessin à plume exécuté  avec soin, l’auteur esquisse un sourire  où se mêlent condescendance, malice et esprit. Le pince-nez aujourd’hui totalement démodé, ne réussit pas à affaiblir  l’énergie  que dégage un visage taillé  dans la pierre. La force du menton qu’une vallée divise en deux, la taille du cou, une abondante moustache en chevron et la coupe de cheveux  rase, ressemble à celle des jeunes conscrits, renforce cette impression. Bien que le dessinateur se soit arrêté au buste, on imagine le paquet de muscles sur les bras. […] La lecture de Leclerc m’a troublé (p.26).

Rien de vrai comme il le pensait.

Faute de satisfaction en France, André associa son oncle Ngantsiala à sa quête, sa mère Ngalhala mais finalement il mit en doute tout ce qu’on lui disait de son père et de lui-même. Tous les papiers sur lui, à commencer par ceux de la date de naissance, des papiers d’histoires ramassés de partout, aucun d’entre eux ne lui fournit autant des preuves capables de le situer dans son état de recherche. Leclerc en question était-il Médecin, Militaire ou Commandant ? Rien de tout cela ne lui fut révélé par tous les documents utilisés. Il se confie alors à des conjectures sur sa nature, et nous dit :

Malgré la réflexion dont on m’entourait, je me suis demandé si je n’étais pas un enfant recueilli. A bien y réfléchir, je ne pouvais pas être ni le fils du commandant ni de Ngalhala. Ma peau était différente même de celle de l’albinos (p.182).

Une telle expression démontre un mauvais dénouement de la recherche de son père, c.à.d. de sa propre identité culturelle. Pour André donc, rien de tout cela n’aura répondu à sa préoccupation. Faute de retrouver ses origines par le biais du supposé  père, André se plongera en différentes types des situations oisives, jusqu’ à des amours intimes. Parmi ses amantes on peut notamment citer Kani et tant d’autres femmes rencontrées dans des bars, mais surtout Fleur. Ancienne copine de son ami Vouragan, Fleur devenue sa copine n’était pourtant que sa cousine / sœur. On le sait quand il déroule le papier contenant l’adresse de cette dernière :

Fleur Leclerc

105, rue de Coulmiers

Nantes (Loire-Inférieure). Je me suis d’abord assis et j’ai regardé la photo de Ngalhala qui m’adressait le rayon indulgent de son sourire. Fleur le Clerc ! J’ai répété plusieurs fois le nom comme pour l’exorciser (p.287).

Selon l’anthroponymie ou l’onomastique française, on dirait vite qu’en fonction de port de même non de famille, André et Fleur seraient des cousins à n’importe quel niveau de l’arbre sociologique ou géologique. Ainsi se termina très mal toute aventure amoureuse, comme se termina la recherche de père sur un double mauvais ton. Celui de ne rien découvrir et celui d’avoir eu en amour sa cousine. Comme pour se défouler de son échec, le retour en Afrique devient la seule issue possible. Et comme pour se débarrasser de ce mal d’échec, la visite du fleuve Congo sera la consolation au chercheur. Là se trouve des éléments pouvant l’aider à trancher sur son identité :

Demain ma première visite sera pour le fleuve. Je ne m’y lasse jamais d’y contempler des jacinthes d’eau, îles déracinées quand le courant mène vers les chutes du Djoué. Elles n’existaient pas au temps de notre enfance. Leur origine demeure nimbées de mystère. Une Américaine, prétendent certains, aurait introduit un plan au Congo belge, quelque part sur la rive en amont. Il y a aussi la version des gens bien informés qui se racontent à la mémoire et à des témoignages anonymes. En fait, rien de tout cela n’est bien vrai. Un peu comme de moi (pp.301-302).

 

En guise de conclusion :

La lecture de ces deux textes en étude ici, à savoir Le Chercheur d’Afriques et En attendant le bonheur, nous a permis d’arriver à une conclusion au sujet de notre projet recherche. Au fait, les deux textes font cas de la communauté de thème de recherche de soi. Pour y arriver, notre recherche a d’abord constaté une prise de conscience de deux protagonistes de leur situation en rapport avec leur milieu respectif : Veronica à Paris et André au Congo Brazzaville. Eveillés par des différences physiques, culturelles vues par l’œil de l’autre, ces protagonistes ont vite commencé chacun à s’interroger sur ses propres origines : Qui suis-je ? D’où suis-je ? Comme pour satisfaire à cette curiosité chacun  se lança dans l’évasion. Cette évasion loin d’être émotionnelle ou contemplative comme celle des romantismes, elle fut active non fondée sur une curiosité fondamentale : recherche de cure de la crise d’identité dont ils sont chacun victimes à sa façon. Le voyage de Veronica en Afrique tout comme celui de André en France se justifient alors très bien. En effet, André se sent lié à la France par son éventuel père de même que Veronica se sent liée à l’Afrique de par ses ancêtres esclaves venus d’Afrique. Cependant après toute tentative de recherche de soi, voyages, interviews, etc., le résultat fut le moins attendu pour chacun. Si chacun se plongea en des aventures amoureuses enivrantes, c’est tout simplement pour se distraire des recherches jugées sans issues favorables. Pour expliquer l’impossible fin positive à cette recherche supposée salutaire au mal, autant Veronica se dira s’être trompée d’aïeux (p.344) autant André se comparera à un plan jeté dans le fleuve Congo dont on ne connaît pas réellement l’origine (pp.301-302).

En bref, à travers leurs deux protagonistes, les auteurs de ces deux romans, à savoir Maryse Condé et Henri Lopès, nous demandent de nous passer de la considération d’une identité culturelle originale, idéelle, essentialiste mais de considérer l’identité culturelle comme une notion plurielle. Car elle se construit du jour au lendemain en fonction de nos rapports avec les autres, des milieux vécus et des différents facteurs sociogéographiques que nous rencontrons. L’homme se définit en fonction de tout cela, comme le stipule Glissant :

L’espace [dans l’œuvre] cesse d’être décor confident pour s’inscrire comme constituant de l’être (Le discours antillais p.199).

Ici, chacun de nos protagonistes a donc pu se redéfinir dans son l’illusion identitaire culturelle qui fut sienne. Veronica a dit :

Je suis un animal ambigu, mi poisson, moi oiseau, une chauve-souris, nouveau model (p.193).

Tamiozzo de renchérir  sur ’identité de l’héroïne Veronica en la traitant de :

construction de soi, plurielle, souple, changeante et non hiérarchisée (p.132).

L’allusion de l’un et de l’autre se référant ainsi à des éléments de la faune, de la végétation  et de l’hydrologie est une simple expression de pluralité d’éléments dans la conception de  l’identité culturelle de tout individu. En effet, autant la chauve-souris n’est ni animal ni oiseau, elle est les deux à la fois ; autant le fleuve Congo n’appartient ni au Congo-Brazza ni du Congo Kinshasa mais appartient aux deux pays à la fois. Pour Lopès, ceci se justifie d’avantage dans son livre Ma grand-mère bantoue, mes ancêtres les Gaulois pour confirmer son identité culturelle métisse.  Et dans l’ensemble, cela justifierait la nature métisse de ses personnages notamment dans Le lys et le flamboyant, L’autre rive, etc. Il définit mieux sa position dans “Trois mots et moi” (Lopès, H. :2007, 2). Il dit au sujet du mot ambigu après lecture de L’aventure ambiguë (1961) de Cheikh Hamidou Khane :

Un jour coulant, pour je ne sais quelle fin, le dictionnaire, je tombais sur la première définition de l’adjectif : qui présente deux ou plusieurs sens possibles, dont l’interprétation est certaine (p.2).

Avec une telle réflexion, il ne semble pas s’éloigner de cette vision métisse de l’identité culturelle qu’il sacralise aux cotés de Maryse Condé. Chacun en ce qui le concerne, la trouve fondée et fondamentale pour sa définition dans un monde actuel où les brassages de mœurs sont une réalité indéniable tendant à faire de notre monde un seul lieu commun.

 

 

Ouvrages cités :

Achiriga, Jingiri J. La révolte des romanciers noirs de langue française. Sherbrooke,

Québec : Editions Naaman, 1978.

 

Camus, Albert. Le Mythe de Sisyphe. Paris : Seuil, 1942.

 

Césaire, Aimé. Cahier d’un retour au pays natal. Paris : Présence Africaine, 1956.

 

Clavaron, Yve. “La mise en scène de l’altérité dans la littérature postcoloniale : entre

insécurité et hybridisme.” Ethiopiques. Revue Négro-Africaine de littérature et de philosophie. 74(2005)

 

Condé, Maryse. En attendant le bonheur. Paris : Robert Laffont, 1981.

Une saison à Rihata. Paris : Robert Laffont, 1981.

 

Francis, Angrey Unimna. Misère chez soi, quête du bonheur chez l’autre : Mouvance,

salut et contradiction dans des romans de Maryse Condé. Department of modern Languages and Translation Studies. University of Calabar, (84-91).

 

Gascoigne, David. (Coll.) Le Moi et ses espaces. Caen. : PUC., 1997.

 

Hewitt, L.D. Autobiographical Tightropes. Lincoln: University of Nebraska Press, 1990.

 

Glissant, Edouard. Le discours antillais. Paris: Seuil, 1981.

 

Irle, Abiola. Theorizing race. MA. AAAS.Cours / AAAS, Ohio State University, 2004.

 

Kane, Cheikh Hamidou. L’aventure ambiguë. Paris : Julliard, 1961

 

Lopes, Henri. Le Chercheur d’Afriques. Paris : Seuil, 1990.

Ma grand-mère bantoue, mes ancêtres les gaulois. Paris : Gallimard, 2003.

-Les trois identités d’u écrivain francophone. Diagonales. 34(1995) : 32-33.

 

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