Édouard Glissant et la « poésie en étendue »
Archéologie d’une notion
Qu’est-ce qu’une « poésie en étendue » ? Que signifie cette ultime notion ? Que désigne-t-elle de plus, ou d’autre, que ne désignerait pas la seule « poésie » ? En quoi se distingue-t-elle de la « poétique » et du « poème » que l’on croyait sans limite, extatique, voué à toutes les extensions possibles, y compris critique et philosophique ? Telles sont quelques-unes des questions que soulève la seule couverture de Philosophie de la Relation, essai énigmatiquement sous-titré Poésie en étendue. Questions qui, à défaut de définitions données par l’auteur, n’appellent pas de réponse définitive, mais qui ouvrent de nouveau à l’emmêlement des idées et participent à l’interrogation de la pensée en nous entraînant sur un de ces nombreux chemins qui ne mènent nulle part.
Préambule
Il faut le rappeler, ou le dire d’emblée avant de commencer. Tout est ici affaire de détails, de moindres signes par quoi se dévoile progressivement l’ensemble, celui de l’œuvre en l’occurrence, construite par accumulation chaotique d’éléments « toujours repris », sans cesse remis sur l’ouvrage. Cela, pour refléter, dire et penser cet objet « démesuré, complexe, impliqué » que le poète appelait totalité – le Monde, la Terre –, signifiant par-là qu’il tentait de l’embrasser totalement. Mais du détail à l’ensemble – du fragment de discours que l’on prélève pour décréter que telle est la pensée –, le passage demeure hypothétique, incertain, « tremblant ». Résultant de la seule interprétation de lecture, il ne se confirme qu’à l’épreuve réitérée de l’expérience, c’est-à-dire, ici, qu’au fil de la répétition des idées, du ressassement de la parole qui, par circonvolutions, finit par circonscrire son objet, sa question – on voit alors apparaître l’œil de la spirale. D’où la nécessité de prêter attention à ce qui se donne en apparence pour le plus insignifiant, mais qui, à force de répétition, se fixe ou s’enracine, laissant entrevoir non pas une vérité – « rien n’est vrai » –, mais une possible orée de sens – « Tout est Vivant ». En effet, contrairement à l’usage médiatique ou vulgarisé qu’il en est parfois fait, la pensée d’Édouard Glissant ne se laisse ni vraiment saisir ni systématiser totalement – on le verra. Par son caractère dualiste, dichotomique, dialectique et binaire – souvenons-nous de la liste des « binarités dépassables ou non » qui figure en exergue de Poétique de la Relation –, par sa propension à se contredire parfois elle-même, à cultiver les ambivalences, elle invite bien plutôt à l’approche patiente et prudente, au risque de l’inachèvement qui entraîne ce qu’Édouard Glissant appelait « l’impossibilité de conclure ». Mais n’est-ce pas là une des conditions pour que soient préservées ses plus intérieures et secrètes scansions ?
À partir de l’idée d’une philosophie qui serait une poésie
Le « problème » – la question – commence donc ici, par la fin, avec le dernier mot. Au cours de l’hiver 2009, soit quarante ans après la publication de L’Intention poétique (1969) – livre dans lequel il exposait son projet littéraire –, Édouard Glissant récapitula sous la forme d’une succession de « phases » les principales « pensées » qu’il avait accumulées depuis ses premiers écrits : « pensée archipélique », « pensée de l’essai », « pensée du tremblement », « pensée nouvelle des frontières », « pensée de l’errance », « pensée de la trace », etc. Désignant étymologiquement les différents stades lunaires, le mot de « phases » indiquait en soi un processus jalonné, une étendue dans le temps. En effet, ces pensées développées au fil de l’écriture et jusqu’alors constitutives d’une « poétique » avaient peu à peu contribué à former une Philosophie de la Relation[1]. Autrement dit, la lune était pleine, prête à éclairer la mare ou la selva oscura de l’œuvre. Pour la première fois, Glissant assumait pleinement le terme de « philosophie ». Cependant, anticipant peut-être d’être accusé de systématisme, il accola à ce titre une autre expression qui, telle quelle, ne devait apparaît nulle part ailleurs : « poésie en étendue ». Par sa présence en italiques sur la couverture du livre, cet élément paratextuel rappelait immédiatement les précédentes catégories sous lesquelles il avait classé ses ouvrages antérieurs : « roman », « poésie », « poétique », « esthétique », et même « poétrie », néologisme désignant ici une poétique théâtrale, en l’occurrence celle du Monde incréé, recueil tardif de pièces de jeunesse. Le livre de « philosophie » ne relevait donc pas d’une « poétique », mais d’une catégorie nouvelle dite de « poésie en étendue ».
Une telle juxtaposition des termes soulève une première question : ce que l’on s’apprête à lire relèvera-t-il de la philosophie ou de la poésie ? Quelle importance, direz vous, pourquoi vouloir à tout prix distinguer des choses qui en vérité ici s’entrecroisent et se confondent ? En effet, depuis plusieurs années déjà, Glissant proclamait la fin des genres et revendiquait le caractère transgénérique de sa littérature. Cependant, il continuait malgré tout à identifier ses textes et prenait soin de distinguer ou de préciser leurs genres, ce dernier livre en est une preuve supplémentaire. Mais là n’est peut-être pas le plus important. La question entêtante naît plutôt de ce que cette juxtaposition des termes – sensée préciser la nature ou la qualité de l’ouvrage – pose d’emblée le problème des rapports qu’entretiennent, dans l’œuvre, la poésie et la philosophie et relance par extension le très ancien conflit auquel Glissant cherchait pourtant à mettre un terme définitif. Outre le fait d’indiquer un hypothétique dialogue de la poésie et de la philosophie, Glissant distinguait en effet les termes pour mieux les confondre.
On lit ainsi, dans Philosophie de la Relation : « Comme toute littérature, la philosophie de la Relation est ressassement ». Ou encore : « Qu’est-ce ainsi, une philosophie de la Relation ? Un impossible, en tant qu’elle ne serait pas une poétique ». Dans ce cas, pourquoi avoir employé le mot de « philosophie » plutôt que celui de « littérature » ou de « poétique » ? Qu’apportait-il de plus ? Et pourquoi n’avoir pas classé ce livre à la suite de La Cohée du Lamentin, c’est-à-dire dans l’ensemble dit de « poétique » ? Pourquoi inaugura-t-il cette catégorie dite de « poésie en étendue » ? Ces questions restent d’autant plus ici en suspens que ni la notion problématique de « poétique », ni l’expression de « poésie en étendue » qui figure uniquement en couverture du livre ne sont jamais précisément définies dans l’ouvrage. L’une des seules et rares pistes qu’ouvre Glissant est la suivante : « La poésie révèle, dans l’apparence du réel, ce qui s’est enfoui, ce qui a disparu, ce qui s’est tari ». De même qu’il comparait la philosophie à la littérature ou à la poétique, Glissant semblait donc dire que la poésie jouait à peu près le même rôle que celui de la philosophie. Du moins se chargeait-elle, pour lui, d’une puissance de révélation en ce qu’elle s’attachait à dire, sinon l’essence cachée des choses, du moins leur sens profond. En ce sens, elle était de nouveau un moyen de connaissance – idée déjà exprimée par Claudel, Saint-John Perse ou Césaire, pour ne citer que les auteurs chers à Glissant. Mais à la différence de la philosophie, le « réel » dans lequel s’immisçait et s’exprimait la poésie n’était ici qu’une « apparence », c’est-à-dire, peut-être, imaginaire. Ce que disait la poésie n’était peut-être donc « qu’apparence du réel ». D’où cette nouvelle question : quelle est la consistance de cet imaginaire ou de ce réel qui ne se conçoit pas tel[2] ?
Pour tenter d’y répondre et pour tenter par la même occasion d’entrevoir ce que désigne cette « poésie en étendue » cherchant en profondeur « ce qui s’est enfoui, ce qui a disparu, ce qui s’est tari », il faut engager une lecture archéologique. Une lecture qui, strate par strate, soulevant les couches de textes progressivement accumulées, chercherait en-dessous de l’idée annoncée, dans l’enfoui, précisément. Une lecture qui creuserait en quelque sorte cette formation quasi géologique qu’est l’expression et, avec elle, les successives concrétions de la langue – images ou concepts – en vue d’en retrouver, sinon l’origine, du moins les premiers ferments, fulgurances de l’intuition à partir desquelles se redessinerait le cheminement de la pensée. Une lecture adaptée à la particularité de son objet, donc, et qui, par un retour progressif aux premiers temps de la pensée, traversant l’œuvre à rebours, éclairerait peu à peu le sens ultime donné à cette notion « dans l’apparence du réel ». Cette archéologie du sens permet en effet de retracer ce que l’on se figurera sous l’image schématique d’un continuum de la fulgurance inaugurale à l’axiome conclusif. Elle nous invite du moins à remonter la spirale chaotique des textes jusqu’à la conjonction inaugurale de la pensée et du poème par quoi une « philosophie » pouvait devenir au final une « poésie », ou inversement.
De la poésie fondée dans la pensée philosophique
Mais avant d’en revenir aux premières traces, il faut faire commencer par analyser la toute dernière strate de l’œuvre. En effet, celui qui ne s’était jusqu’alors jamais défini comme « philosophe » réitéra son coup (de dés) quelques mois après la publication de Philosophie de la Relation. Présentant rétrospectivement l’ensemble de son travail, Édouard Glissant écrivit ceci – à la troisième personne – dans les dernières pages de son Anthologie de la poésie du Tout-monde : « Poète en premier lieu, Édouard Glissant fonde sa poésie dans une pensée philosophique »[3]. Là encore, poésie et philosophie participaient d’un seul et même mouvement. Les « disciplines » se disaient désormais ensemble comme pour ne plus être distinguées ni séparées. L’idée n’était pourtant pas nouvelle ni inédite : dans les années 1950, Glissant avait en effet prévu d’intituler l’un de ses premiers essais Poème des raisons nouvelles[4], titre dont Philosophie de la Relation. Poésie en étendue serait l’écho final.
Le problème se complexifie toutefois davantage si l’on remarque que, dans le premier cas de figure (Philosophie de la Relation. Poésie en étendue), c’est bien la philosophie qui, par la juxtaposition des termes, est qualifiée de poésie. Le titre dit en effet : la philosophie de la Relation est une poésie en étendue, ou procède d’une extension de la poésie. Or, dans le second cas (l’Anthologie de la poésie du Tout-monde), la donne est radicalement inversée. La poésie y est présentée comme étant « fondée » dans une pensée philosophique. À quelques mois d’intervalles, Glissant pouvait donc aussi bien dire que sa philosophie relevait de la poésie ou que sa poésie était une philosophie – ou bien, ou bien.
Aussi minimes soient-elles, de telles nuances ne sont pas sans intérêt pour l’interrogation critique. En effet, ce sont elles qui, performativement, resserrent ce que Deleuze appelait, à propos de Glissant, « le nœud entre poésie et philosophie »[5]. Entendons par-là qu’au-delà de l’entrecroisement réel, dans l’œuvre, de l’interrogation philosophique et de la parole poétique, le nœud se renforce surtout ici en apparence, c’est-à-dire dans l’action performative du poète, dans cette manière si singulière qu’il avait de dire, s’observant et se réfléchissant lui-même : voyez comme je noue ensemble philosophie et poésie. En effet, si l’on schématise le chiasme qui apparaît désormais sous nos yeux – chiasme qui serait pour ainsi dire de la philosophie poétique et de la poésie philosophique –, on voit bien que la philosophie est tantôt pensée comme dérivant du poème, de la langue et de l’invention créatrice poétique, tantôt comme origine du poème. D’une part, Glissant affirme que la philosophie de la Relation se situe du côté de la poésie, dans les extensions du poème, en l’occurrence ici, de la poétique de la Relation : « La langue des philosophies est d’abord celle du poème » écrit-il (PhR, 87). De ce point de vue, la poésie serait à la fois origine et moyen d’expression de la philosophie. Or, de l’autre, Glissant soutient que sa poésie est fondée par et dans la pensée philosophique, qu’elle en dérive donc, ce qui laisse par ailleurs entendre qu’il concevait une « fondation » du poème et non pas seulement son pur ou immédiat avènement dans la langue. Ainsi, avant même de se pencher sur le sens de la notion d’« étendue », le simple fait que l’un et l’autre se disent ici simultanément, de manière ambivalente, pose quelques problèmes.
En effet, comment se satisfaire – sauf à considérer que les mots n’ont pas de sens – d’une telle ambivalence par quoi les termes se confondent ? Que signifie l’idée que « la philosophie de la Relation est une poétique » ou une « poésie en étendue » ? Quelle est vraiment la pensée de Glissant concernant le poème et le philosophème ? Concevait-il, comme il l’écrivait dans le sillage de Jean Wahl, que l’exercice philosophique procédait nécessairement du travail poétique de la langue ? Avait-il au contraire la conviction, comme il le disait lui-même, que la pensée donnait naissance au poème et que celui venait ensuite mettre en mots des idées préexistantes ? De telles questions ont vocation à rester sans réponse en ce que Glissant n’y répond jamais lui-même. Néanmoins, elles laissent entrevoir ce qui est peut-être le véritable problème de l’œuvre, à savoir celui de l’instabilité ou du « tremblement » du sens. Pour preuve, après avoir qualifié son dernier essai de « poésie en étendue », laissant de fait à penser que le poème n’avait plus aucune limite, qu’il embrassait tous les types de discours, Glissant écrivait ceci à la première ligne de son introduction à La Terre, le Feu, l’Eau et les Vents : « L’étendue du poème n’est pas infinie, il rencontre tout de suite les autres poèmes du monde, en un lieu évident et secret que tout poème donne à pressentir » (ANT, 13). Une fois encore, l’axiome dit plusieurs choses. Il signifie d’abord que tout discours prenant le monde pour objet pourrait être un « poème » – rappelons-nous que toute « intuition du monde » relevait auparavant d’une « poétique », mot on ne peut plus polysémique chez Glissant. En ce sens, l’idée d’« étendue » corroborerait celle d’une philosophie qui serait une poésie et, plus généralement, d’une extension de la parole poétique au-delà des limites imaginaires d’un genre. Or, l’« étendue » de cette poésie ou de ce poème désigne ici autre chose, en l’occurrence la propension d’une « pensée du monde » à rejoindre ailleurs « une autre pensée du monde ». En vérité, elle signale ce « lieu-commun » défini ailleurs et signifie l’espace créé par la rencontre de « tout poème » – discours politique, chanson, lettres d’écrivains, textes philosophiques. De fait, les notions de « monde », de « poème » et d’« étendue » se confondaient davantage…
Pour poursuivre la réflexion, on se penchera donc ici sur autre un aphorisme inscrit dans la préface à cette anthologie de la poésie du Tout-monde qui est peut-être en soi l’incarnation matérielle de cette « poésie en étendue » que Glissant annonçait et dont il rêvait. Cet aphorisme est le suivant : « Le monde, l’objet le plus haut du poème : la confidence, le miroir de celui-ci ». De nouveau, le monde était présenté comme cet « objet » vers lequel devait tendre le poème (« en étendue »). Cependant, et contrairement au désir de Glissant, un tel objectif s’avérait inatteignable totalement. Du moins est-ce ainsi que l’on peut comprendre deux très courtes citations qui figurent dans cette Anthologie de la poésie du Tout-monde et qui sont en vérité de véritables manifestes poétiques que Glissant citait souvent dans ses interventions publiques. La première, de Faulkner : « I’m a failed poet », « Je suis un poète raté » (ANT, 103). La seconde, de Claudel, extraite de la cinquième ode, « La maison fermée » : « Et le poète répond : je ne suis pas un poète » (ANT, 202). Ravivant notre question première, ces deux énoncés signalent deux conceptions singulières de la poésie. Ensemble, ils expriment cette idée essentielle que l’on découvre dès L’Intention poétique selon laquelle le travail de l’écriture conduit toujours l’écrivain à sortir du cadre qu’il s’était fixé, c’est-à-dire à produire autre chose que ce qu’il avait « intentionné ». Glissant citait en effet cette formule de Faulkner pour expliquer comment la tentation originelle de la poésie avait fait naître chez lui une poétique plus étendue qui s’exprimait, certes, dans un genre, à savoir le roman, mais un genre que le « poète raté » investissait d’une manière nouvelle pour mieux le réinventer. Quant au vers de Claudel à travers lequel ce dernier semblait vouloir dire qu’il ne faisait pas partie du petit monde fermé des écrivaillons ou des littérateurs, Glissant s’y référait pour illustrer le fait qu’au moment même où le poète écrit, le poète n’est pas poète seulement, qu’il est encore autre chose, au-delà de la poésie. En somme, que la poésie désigne en soi cet au-delà ou cet en-avant par lequel elle est en elle-même vouée à sortie de cet hypothétique cadre que l’on croit être le sien. Nous avons donc ici un autre signe de ce continuum ou de cette permanence de la pensée qui conduisait Glissant à concevoir le travail littéraire, non pas simplement comme condamné à l’échec, car borné par l’indicible, mais comme voué à une extension permanente, naturelle, du moins inévitable.
De « l’étendue » dans Poétique de la Relation
Vingt ans plus tôt, Glissant avait défini tout autrement cette extension naturelle de la poésie. Dans Poétique de la Relation (1990), l’« étendue » visée par le poème désignait le « Divers » et « l’Autre ». Elle comprenait aussi « la relation problématique – menaçante – à l’Autre »[6]. En ce sens, elle indiquait un mouvement, une tension. Elle était à l’opposé de la « filiation », de la « transparence réductrice » (de l’Œdipe), de la « projection linéaire », du « travail occidental de “généralisation” » (PR, 74-75). Mais l’étendue était également pensée comme un « continuum », c’est-à-dire comme une permanence dans le temps – retenons l’idée pour plus tard. Glissant écrivait d’ailleurs :
L’étendue se trame. Bond et variance, dans une autre poétique. Transversalité. Infini quantifiable. Quantité qu’on ne réalise. Emmêlement qu’on n’épuise. L’étendue n’est pas que d’espace, elle est aussi de son propre temps rêvé. (PR, 71)
Là encore, cette citation fait écho à de nombreuses idées développées dans l’œuvre. Elle nous signale d’abord l’existence d’une « autre poétique » qui serait transversale, c’est-à-dire potentiellement apte à embrasser plusieurs champs ou disciplines, à commencer peut-être par la philosophie. De même, elle nous rappelle que l’« étendue » est une « quantité qu’on ne réalise », ce qui nous renvoie immédiatement à la définition ultérieure du Tout-monde comme « quantité réalisée », c’est-à-dire toujours à venir. Enfin, que le temps soit ici « propre » et « rêvé » nous ramène à l’idée précédemment évoquée d’« apparence du réel ». Ainsi, ces quelques définitions nous rapprochent un peu plus du sens profond (multiple) de la « poésie en étendue ». Cependant, de tels « tremblements » rendent encore impossible la fixation d’un sens et cet « emmêlement qu’on n’épuise » augmente d’autant plus le vertige de la lecture. Il faut donc chercher sous les strates antérieures de la pensée l’hypothétique ferment de cette idée.
À propos de L’Intention poétique
Vingt ans plus tôt, bien avant Poétique de la Relation – c’était en 1969 –, Glissant présenta son Intention poétique en ayant recours à une métaphore :
Il y a là, devant la case, un vieil homme qui ne sait rien de « poésie », et dont la voix seule s’oppose. Les cheveux gris sur la tête noire, il porte dans la mêlée des terres, dans les deux histoires, le pur et rétif pouvoir d’une racine. Il dure, il piète dans la friche qui ne procure. (À lui les profonds, les possibles de la voix !) J’ai vu ses yeux, j’ai vu ses yeux égarés chercher l’espace du monde[7].
Cette attitude du vieil homme « qui ne sait rien de poésie » tout en étant poète lui-même – « à lui les profonds, les possibles de la voix ! » – incarnait la posture que Glissant voulait sans doute faire sienne. « Chercher l’espace du monde », dans la durée et dans le temps, était en effet à ses yeux la condition pour qu’advienne une voix nouvelle, annonciatrice d’une « littérature future » attentive au monde entier. Une méthodologie s’esquissait :
Tu dessouches – tu enracines – ce même tronc. Tu écris le même mot. Tant de redites, d’« évidences » depuis un si long temps, et ces multiples strates de l’écriture, chaque pensée déblayée du terreau, chaque pan déboulé du poème concourent à ce rassemblement. […] Tissant un arbitraire ou ambitieux lien de l’œuvre future au monde toujours présent, je continue, par ouvrir sur la perspective du monde les deux battants fermés sur l’œuvre : l’entassement des matières, puis leur « signifiance ». (IP, 15)
Accumuler des matières interprétées comme autant de signes révélateurs de la pluralité du monde, telle était en effet la méthode d’écriture pour parvenir à ce « rassemblement » qui avait d’abord lieu dans le verbe avant d’ouvrir à la « perspective du monde », c’est-à-dire à sa pensée aussi bien qu’à sa réalisation – « dire le monde, c’est faire le monde » dirait plus tard Glissant en un écho silencieux à Austin. De fait, le monde était cet objet vers quoi devait tendre le poème étendu, voué à accumuler les « matières » pour découvrir le sens de leur emmêlement.
Cela nous rappelle alors que la condition de réalisation d’une telle « intention » était avant tout poétique – et non pas philosophique – en ce qu’elle impliquait d’abord un travail du langage :
Le langage poétique doit garantir une vocation d’unité que la poésie opposerait au dispersement de toutes choses. C’est-à-dire, une fois que l’on aura admis que l’unité n’est pas l’uniformité, et que le Total n’est pas le Même. Dans un monde éclaté, où les vérités essaiment, ce langage doit pouvoir solliciter une pérennité : faute de quoi il risque de n’être qu’un reflet brouillon des temps : c’est-à-dire qu’au nom d’une connaissance-essentielle-et-non-distraite, très aléatoire, il irait à perdre jusqu’à sa signification, qui est d’éclairer, d’ouvrir une multi-réalité (ou plutôt une multi-relation entre réalités) à une dynamique « explosante » parfois, « fixe » toujours. (IP, 61)
Glissant disait ainsi qu’au lieu de chercher à établir une « connaissance-essentielle-et-non-distraite », la poésie devait créer une « unité » révélatrice du « dispersement de toutes choses ». Le langage poétique était en effet à l’origine du dit – et donc de la « signification » première – de cette « multi-relation entre réalités » qu’il concevait déjà à la fin des années 1960. À l’idée d’unité s’ajoutait par ailleurs celle d’une pérennité, autre composante temporelle, comme on l’a vu, de la notion d’« étendue ».
Cependant, l’étendue désignait d’abord ici une totalité, peut-être même une quantité. Dès les premières pages de L’Intention poétique, Glissant écrivait :
Il faut à l’Un, à l’unique-du-monde-et-de-l’être, ce qui manque aussi à l’unité concrète de la terre : le vent méconnu des rives, où tant de Nous barattent un limon méconnu. Chaque tribu que l’on déprend, que l’on décrie, nous sépare de l’harmonie. (IP, 13)
Un tel axiome constitue le soubassement des développements ultérieurs relatifs à la pensée du multiple. Programmatique (« il faut »), il nous rappelle ici que Glissant visait d’abord une « unité ». Celle, philosophique, de « l’Un », de « l’unique-du-monde-et-de-l’être », mais aussi celle, politique, de la Terre, de toutes les voix, de toutes les langues, de toutes les cultures du monde – de ce point de vue, « l’étendue » était un synonyme adéquat embrassant toute cette « unité ». Ouvert à l’interprétation, l’énoncé laisse par ailleurs entrevoir le désir, peut-être, de poursuivre le projet hégélien – liminaire à une « philosophie de l’Histoire » –, mais en incluant cette fois les peuples sans écriture, ceux des traditions orales et avec eux, tous les « opprimés » que Glissant entendait pousser « le cri du monde ». De même, on pourrait voir dans cet axiome un écho poétique de l’internationalisme marxiste ou, aussi bien, un premier signe d’une pensée cosmopolitique. Retenons donc simplement, outre la visée d’une unité harmonieuse, l’article indéfini « chaque » qui, aussi anodin soit-il, introduit l’idée d’une exhaustivité que l’on retrouve bien des années plus tard dans l’énoncé définissant le Tout-monde comme « la quantité réalisée de toutes les différences du monde, sans que la plus incertaine d’entre elles puisse en être distraite » (ANT, 19). De « chaque » à « toutes », la différence est en effet infime et l’étendue visée identique.
Enfin, un dernier énoncé indique en quoi la pratique poétique d’un tel « entassement des matières » participait en vérité d’une recherche, non pas seulement de l’unité, mais surtout de l’étendue :
Matière, signifiance, profondeur et totalité s’élisent. La signifiance de la matière, oui c’est sa réalité : non seulement sa profondeur, innervée, structurée, mais encore son étendue considérée. (IP, 16)
Ainsi, dès les premiers jalons théoriques de son œuvre, Glissant visait un dit de l’étendue, synonyme, pour lui, de la totalité du Monde et de la Terre. Un dit qui prendrait en compte toutes les particularités de ce qu’il appellerait plus tard « le tissu du Vivant » et qui dévoilerait les relations imprédictibles de la grande scène mondiale. Total, voué à dire le « Tout », le projet était en cela on ne peut plus ambitieux. Or, et c’est peut-être là un premier paradoxe, ce dit fut d’abord et presque toujours, dans les textes, celui d’un « lieu », « créolisé », identifiable par l’origine, plutôt que le dit d’une véritable étendue au sens géographique – mais nul besoin de revenir ici sur cette fameuse dialectique du local et du global, du particulier et du général, du singulier et du multiple.
Soleil de la Conscience
Pourtant, quelques années plus tôt, en 1956, Glissant écrivait ceci dans son premier essai, Soleil de la conscience :
Le poème offre au lecteur un espace qui satisfait son désir de bouger, d’aller hors de lui-même, de voyager par une terre nouvelle, où pourtant il ne se sentira pas étranger[8].
Du point de vue de la question qui nous intéresse, on voit bien que Glissant postulait déjà un « dehors » – une extension « hors de lui-même » – et donc un mouvement, un voyage, un élan vers une terre nouvelle qui ne serait plus celle de la seule subjectivité.
La poésie tente le barème des émois du monde, le recel de la confidence matérielle infinie quand l’homme peut en ravir quelques échos. […] Nul art tant que la poésie n’est lié à la course apocalyptique des connaissances humaines. Nul art n’a besoin d’être à l’extrême vigile du savoir. Nul art ne peut être davantage mandé à ouvrir sur l’homme cette raison de toutes choses, qui sublimera la raison. Ainsi l’homme court-il à la rencontre du monde ; et se débarrasse dans la course, comme d’un fardeau inutile, du poids de son être. (SC, 41)
On le voit encore : la poésie avait vocation à conduire l’homme à « la rencontre du monde » et à le débarrasser du « poids de son être ». Cependant, elle pouvait « sublimer la raison ». D’ailleurs, cette idée trouve un écho évident dans cette déclaration bien plus tardive des Entretiens de Baton Rouge :
La littérature n’évoque plus en profondeur d’approcher l’être, elle cherche en étendue à dévoiler la relation[9].
Et cette recherche en étendue – qui refusait la profondeur, contrairement à ce qui sera dit ailleurs – nécessitait précisément, selon Glissant, « la multiplication et l’intrication des genres littéraires et artistiques » – autre écho annonciateur de cette philosophie qui serait une « poésie en étendue ». « Peut-être connaîtront-nous des métissages inouïs entre les arts ? » confiait-il à Alexandre Leupin avant de reprendre cette idée qu’il ne cessait de rappeler : « L’écrivain d’aujourd’hui est toujours un écrivain futur » (EBR, 121-122). Cependant, la poésie telle qu’il la concevait dans son essai de 1956 conservait une fonction critique par laquelle le poète découvrait sa propre « conscience » – terme appartenant au lexique de la philosophie :
Oui, je l’engage ici, la poésie : qu’elle m’accorde la signification de mon langage, pour témoigner de la signification de mon histoire. Qu’elle accomplisse par moi son travail, pour illustrer par elle le travail de ma conscience me saisissant ». (SC, 40, Seuil)
Reliant ces deux objectifs, du monde et du sujet, Glissant annonçait alors une extension de la poésie vouée, cette fois, à incarner l’identité collective d’un peuple.
Ce que nous pourrions offrir, c’est cela : un mouvement continu de littérature, telle que le mouvement soit la force et la faiblesse d’un peuple, en marche vers d’autres terres encore. (SC, 61)
Cette autre déclaration nous éclaire un peu mieux le sens éventuel de cette « poésie en étendue ».
Découverte et conception du monde dans la poésie contemporaine
Cependant, un autre signe potentiellement annonciateur de la notion de « poésie en étendue » se trouve dans des fragments retrouvés du mémoire d’étude de philosophie que Glissant prépara en 1952 sous la direction de Jean Wahl. Dès les premières lignes, l’étudiant écrivait :
On observe qu’une discipline, en occurrence un art : la poésie, n’a jamais abandonné l’ambition de mettre l’homme en contact avec le monde, et qu’à la faveur [d’un] courant dominant de la pensée moderne, cet art retrouve tout naturellement une autre ambition qu’il a pu abandonner au cours de son évolution antérieure, celle d’être un moyen de connaissance[10].
En écho à l’idée exprimée par Césaire dans son célèbre article intitulé « Poésie et connaissance », Glissant rappelait l’ambition immémorielle de la poésie, celle de « mettre l’homme en contact avec le monde ». D’ailleurs, la deuxième partie de ce mémoire s’ouvrait sur une épigraphe de son ami Henri Pichette disant : « La littérature n’est belle que dans le lit du monde ». Autrement dit, une extension possible de la poésie consistait à créer ce contact de l’homme avec le monde, contact qui était d’ailleurs pour lui la condition sine qua non de la connaissance en question dont la poésie se faisait désormais à ses yeux moyen, intermédiaire, facteur d’accès, outil philosophique presque.
Le discours du Franc Jeu
Cela étant dit, revenons-en maintenant à ce qui est probablement l’un des tout premiers signes annonciateurs de cette idée. Celui-ci se trouve dans un discours inédit de jeunesse qu’Édouard Glissant prononça au Lamentin le 28 septembre 1946 – il venait de fêter ses dix-huit ans –, à quelques heures, pour ainsi dire, de son départ vers la métropole. Dans ce discours manifeste adressé à ses camarades du groupe politico-culturel Franc Jeu – discours dont on doit au poète martiniquais Joseph Polius d’en avoir préservé l’archive –, Édouard Glissant exprima une conception singulière de la poésie et fit part du rôle qu’il lui attribuait. Cela, dans la continuité évidente de l’élan surréaliste alors incarné à ses yeux par Breton :
C’est des poètes malgré tout, – s’écrie Breton –, dans la suite des siècles, qu’il est possible de recevoir et permis d’attendre les impulsions susceptibles de replacer l’homme au cœur de l’univers, de lui rappeler qu’il est, pour toute douleur et toute joie extérieures à lui, un bien infiniment perfectible de résolution et d’écho. Il ne s’agit évidemment pas d’une poésie qui s’isole dans une tour d’ivoire.
Incontestablement vouée à sortir de sa « tour d’ivoire », à « replacer l’homme au cœur de l’univers », la poésie à laquelle aspirait alors Glissant était déjà placée sous l’égide de l’étendue et de l’infini. Le jeune poète, qui venait de mener campagne pour l’élection de Césaire à la mairie de Fort-de-France, poursuivait avec ces mots sans doute inspirés par Les Armes miraculeuses :
Poésie donc, notre première arme, et ici elle signifie investigation, étude de soi, repliement sur sa conscience propre, étude des données de son inconscient, tout un continent neuf à explorer, tout un travail à mener à bien.
Il nous faut procéder, par le moyen de la poésie, à une étude de Nous, étude qui nous mènera à une interprétation du Monde.
Six ans avant la publication d’Un champ d’îles, premier livre de poésie qu’il publia et dont le titre évoque en lui-même une étendue ouverte, Édouard Glissant attribuait déjà à la poésie une fonction éminemment critique, liée au travail de la conscience, et visait, comme un but ultime, après l’analyse collective d’un « Nous », une « interprétation du Monde ». Mais cette définition était surtout politique. En effet, la littérature constituait pour lui le terrain de prédilection de la lutte qu’il entendait mener :
pour changer ce monde, deux moyens nous sont offerts : la lutte sociale et politique, la lutte pour la régénérescence de la race, lutte qui se traduit par une production d’œuvres spécifiquement noires dans le domaine de l’art : poésie, littérature, roman, sculpture.
« Changer le monde », tout comme « changer la vie », impliquait de produire des œuvres d’art « spécifiquement noires ». En somme, Glissant ne dissociait pas la poésie de la lutte politique. Bien au contraire, la poésie devait selon lui s’étendre au politique. L’engagement dans la lutte constituait donc une première extension de la poésie.
Hypothèse
Ensemble, ces quelques signes dessinent une manière de généalogie de la notion de « poésie en étendue ». Du moins retracent-ils le fil – fragile – de son avènement. En ce sens, ils nous démontrent que la notion telle qu’elle apparaît sous le titre de Philosophie de la Relation procède en réalité d’une pensée qui exige d’être attentivement et patiemment explorée. Pour terminer, on pourra donc en revenir à cette phrase aux accents de manifeste qu’Édouard Glissant répétait souvent dans les dernières années de sa vie : « Le Tout-monde est l’objet le plus haut de (la) littérature ». Par-delà sa force assertive, pour ne pas dire « proclamatoire », cet axiome est ouvert à l’interprétation. Il laisse en effet entendre que le « Tout-monde » est – ou devrait être – l’objet le plus important de la littérature. Son sens serait en cela normatif, il indiquerait une voie à suivre. Mais l’énoncé peut également signifier que la seule, grande et vraie littérature est celle qui a pour objet le « Tout-monde ». D’ailleurs, il suffit de se référer aux nombreux textes et articles que Glissant consacra à ses plus chers contemporains, à commencer par Faulkner, pour comprendre que le gage suprême de qualité littéraire était pour lui cette attention accordée au monde ou au « Tout-monde » qu’il repérait dans leurs œuvres comme identification mimétique. Or, cette notion de « Tout-monde » dont on ne sait pas encore très bien si elle désigne le monde rêvé et enfin total des premiers textes, un état contemporain du réel ou une vision poétique et philosophique totalisante de l’auteur fit elle-même l’objet de variations. Parmi celles-ci, retenons-en une seule, en l’occurrence la dernière, qui est énoncée dans la préface à La Terre, le Feu, l’Eau et les Vents. Une anthologie de la poésie du Tout-monde :
Le Tout-monde est total dans la mesure où nous le rêvons tous ainsi, et sa différence d’avec la totalité reste que son tout est un devenir. La totalité du Tout-monde est ainsi la quantité réalisée de toutes les différences du monde, sans que la plus incertaine d’entre elles puisse en entre distraite (ANT, 19).
Cette ultime définition du Tout-monde pensé comme « quantité réalisée », c’est-à-dire en tant qu’impossible, doit désormais être rapprochée du précédent axiome. Cela nous permet en effet de comprendre que « l’objet le plus haut de la littérature », c’est-à-dire le monde, ou le Tout-monde, est précisément cet objet insaisissable, cet impossible que le poète avait vocation à atteindre tout en sachant que la tâche était interminable. Pour le dire autrement, on comprend que l’œuvre d’Édouard Glissant nous invite peut-être moins à penser un « au-delà », une « fin » ou une « extension » de la littérature que son caractère infini et toujours à venir. « Le poème est toujours à venir » lit-on dans l’Anthologie (ANT, 19). De ce point de vue, on comprend que l’attachement au monde constitue sans doute la raison d’être de cette étendue que Glissant visait, en poète.
Raphaël Lauro
Mai 2015
[1] Édouard Glissant, Philosophie de la Relation. Poésie en étendue, Paris, Gallimard, 2009. Désormais « PhR ». Malgré le caractère testamentaire et explicitement conclusif de cet ouvrage, Édouard Glissant projetait encore d’écrire au moins deux autres essais. L’un, monographique, sur Saint-John Perse, qui devait en quelque sorte être l’écho de Faulkner, Mississippi. L’autre, polyptique, qui devait constituer un second volume dit d’ « esthétique » après Une nouvelle région du monde et qui devait avoir pour titre La pluie des sables.
[2] Pour approfondir la question, on pourra aller lire l’article de Claude Romano intitulé « La consistance de l’imaginaire » (dans Studia Phaenomenologica, VIII, 2008).
[3] Édouard Glissant, La Terre, le Feu, l’Eau et les Vents. Une anthologie de la poésie du Tout-monde, Paris, Galaade éditions, 2010, p. 321. Désormais « ANT ».
[4] Un manuscrit secondaire retrouvé dans les archives de Maurice Roche à l’IMEC nous indique en effet qu’Édouard Glissant envisageait, en 1954, de publier un Poème des raisons nouvelles. Tout laisse à penser que tel était le premier titre de Soleil de la conscience.
[5] Selon les organisateurs du colloque sur Édouard Glissant organisé à l’Université de New York (N.Y.U.) en 2009, Gilles Deleuze aurait écrit : « Glissant serre le nœud entre philosophie et poésie ». Le mot apparaît ainsi sur le programme : « Édouard Glissant : One World in Relation, four conversations with Édouard Glissant whose path-breaking work, according to Gilles Deleuze, “ties the knot between philosophy and poetry at their deepest and purest level” » (Institute of African American Affairs at New York University, octobre-novembre 2009). Hormis cette référence, nous n’avons retrouvé aucune trace de cette lettre. Cependant, Édouard Glissant l’évoqua lui-même dans un entretien réalisé en 2000 : « Deleuze m’avait écrit une lettre à propos de Poétique de la Relation où il me disait que la chose la plus importante – il estimait que c’est ce que je faisais dans ce livre – était de rendre conjoints et inaliénables l’un à l’autre le philosophique et le poétique ». Voir « Mondialité, diversalité, imprévisibilité, concepts pour agir dans le Chaos-monde. Entretien avec Édouard Glissant », Les périphériques vous parlent, n°14, 2000, p. 21.
[6] Édouard Glissant, Poétique de la Relation, Paris, Gallimard, 1990, p. 65 et 67-68. Désormais « PR ».
[7] Édouard Glissant, L’Intention poétique, Paris, Éditions du Seuil, 1969, p. 8. Désormais « IP ».
[8] Édouard Glissant, Soleil de la Conscience, Paris, Éditions du Seuil, 1956, p. 33. Désormais « SC ».
[9] Édouard Glissant, Les Entretiens de Baton Rouge, avec Alexandre Leupin, Paris, Gallimard, 2008, p. 121. Désormais « EBR ».
[10] Ce texte est à ce jour inédit. Il figure dans les archives personnelles d’Édouard Glissant. Afin de respecter le droit d’auteur, nous n’en citons ici qu’un très bref extrait.