Mondes caribéens

Analyse identitaire dans les littératures de la Caraïbe

Résumé :

La problématique du Moi et de l’Autre, de l’unilatéralité et de la réciprocité est d’une importance centrale dans le cas des littératures post-coloniales et émergentes. La présente étude s’inscrit dans la volonté d’analyser la question dans une perspective hyper-dialectique, qui favorise les transgressions, ainsi que la formation et la complexification d’une réflexion consciente de l’apport de la marginalité et des états et contenus liminaux.

L’approche est essentiellement philosophique. L’analyse de l’identité opprimée, déstabilisée et saisie dans ses dépouillements est repositionnée par la décodification du cogito, par la valorisation de l’hétérogénéité s’articulant jusqu’au niveau substantiel. L’altérité de l’Autre et du Moi et leur mêmeté incitent à formuler une nouvelle phénoménologie de la subjectivité, d’une ipséité de transgressions et d’ouvertures, des possibilités qui redéfinissent et libèrent les fixations antérieures. Il s’agit de l’ontologie du sujet et de sa corporéité (abstraite et concrète), liée par le cordon ombilical de l’Autre au monde extérieur.

 

1. Différences et translations

L’étude de la diversité des identités de l’aire caraïbe s’exprime par l’intermédiaire de questions incontournables. La langue, le choix de langue sont examinés sous des aspects inséparables des discours de l’identité culturelle, ainsi que de l’analyse psycho-sociologique et philosophique des inter- et intra-relations des identités superposées et enlacées. L’acceptation et la compréhension de la complexité de soi peut s’effectuer à travers, grâce à et à l’aide (malgré) des langues, de la tentative d’énonciation et la découverte (psycho)linguistique.

Les littératures des Caraïbes et de l’océan Indien sont souvent caractérisées par une « étrangeté familière[1] » qui dépayse le lecteur. Parmi les thèmes principaux, on retrouve le désir d’enracinement, la reconstruction généalogique, la redécouverte et la revalorisation du passé[2]. Une fois décomposée, déconstruite, la subjectivité analysante qui a recours à des termes euro-centristes, laisse voir la relation de domination dans cette dénomination. Le regard porté sur l’étrangeté est le regard dominant de l’Un[3]qui se crée et se recrée dans l’écriture de son rapport dominant à l’autre : dans la projection de la partie brisée de soi-même, exécrée et démantelée dans l’autre. L’effet fusionnant fait partie de ce phénomène de distance qui, par le regard du sujet, se redéfinit sous l’angle de la domination[4]. La culture plurielle et métiss(é)e de l’Autre porte cependant, gravée dans sa chair vive, la voix de l’Autre (des autres), le respect des identités. Il s’agit de l’empreinte intériorisée de l’Autre, de la pluralité des mondes culturels[5]. Les littératures et discours d’identité culturelle, stigmatisés et catalogués par le regard européen comme périphériques (lecture souvent monolithique), incarnent le désir de l’auto-légitimation. Sous le regard dominant, l’image de l’outre-mer peut être perçue (et conçue) comme « entité sémantiquement cohérente »[6], comme assemblage historique. En dévoilant le caractère fantasmatique d’une telle conceptualisation globalisante, la structure hiérarchique de centre-périphérie tombe en morceaux. L’univers textuel et historique des désignations et des interprétations relationnelles se tisse pour dissimuler l’arbitraire du choix de lieu du regard colonisant. C’est le regard européen de l’écriture de l’Histoire (et non pas des histoires) et aussi la projection de troubles identitaires, d’anxiétés[7]-[8].

La notion d’archipel est une vision « essentiellement extérieure »[9], et le regard créateur dominant est « la projection de l’Occident vers le monde »[10]. Ce regard rendait présent l’auto-invention, la réinvention du Moi, contraint de réécrire une partie de soi comme l’Autre. La représentation mentale que les Amérindiens faisaient des archipels ne comportait pas de conception globalisante, n’endiguait pas l’auto-détermination indépendante des îles. L’archipélisation conceptuelle est le produit d’une contemplation active de l’œil occidental, qui invente (et constamment réinvente) la notion du subalterne[11]. Les classifications ethniques dévalorisantes et souvent des dénominateurs communs artificiels (imposés de dehors) sont des produits des recherches d’unification et de simplification d’un centre, fondant les diversités sous l’appellation de l’ailleurs. En s’armant de la réclamation de l’auto-définition,  et en animant le dessin (se construisant de l’intérieur) des « constellations de textes »[12], la lente maturation de la symbiose et de l’amalgamation de la multiplicité peut être apprivoisée. La stratification spécifique de la pensée et des mondes internes et externes, inter- et intra-relationnels, liés aux identités des archipels des anciennes colonies, a comme champ notionnel central le caractère déterminé (voire forcé) de la poésie[13]. L’historicité de la compréhension dans ces aires agit en la dialectique de déterritorialisation (possibilité d’invention) – reterritorialisation (représentation mimétique)[14], ce qui peut structurer et faire fonctionner la résistance à toutes les formes d’hégémonie, surtout linguistique. La richesse et la diversité s’épanouissent grâce au fait de devoir transpercer des couches et des univers d’existence séculaires. Ces complexités sont enrichies par la conscientisation de l’Autre, inné dans le Soi[15]. Cela prépare nécessairement un changement dans la relation à l’Autre, ainsi qu’à soi-même. En d’autres termes, c’est la recherche constante et infatigable d’un centre propre, d’un espace-centripète. Les niveaux de poly-structuralité et de réalité multidimensionnelle se définissent comme ouverture et entrecroisement, qui constituent la base d’une lecture décolonialisante et déconstructionnelle de la périphérie et de la zonification littéraire[16].

 

2. Intersections et distanciations

L’identité postcoloniale (et créole) est acquise et ouverte dans une multi-relation[17], dans la polyphonie participative d’une nouvelle relation de la réalité créolisée, à travers une rencontre lucide-opaque, transcendant les rapports de force du paradigme colonial. Cette identité plurielle se réaffirme contre et à l’intérieur des narratives dominantes d’analyse. L’encadrement et la traduction d’une essence uni-centrale de l’identité s’intègre dans la tradition philosophique européenne. Le passage de l’essentiel hybride et métissé, lu comme ouverture et discontinuité, s’effectue d’une manière différente. La communication des membranes de l’identité créole, et la translation vers le monde remontent les fragments du particulier-comme-Rapport[18], les micro-histoires de la conscience insulaire.

La flexion des différences appelle l’Autre du Divers, la réalisation du soi libéré, en relation avec l’Autre[19]. L’Autre européen se cristallise ainsi comme Connaissable, Autre-en-Rapport, et les pôles des lignes de force antérieures se dissolvent dans une retranscription radicalement novatrice du postcolonial.

Dans le Divers, le Je-créole (toujours en relation et en mouvement intérieur) réévalue les tentatives généralisantes des centres de pouvoir. Le Rapport-Divers[20], catalyseur d’un renouvellement des rapports créole/créolisé – Même, est réconciliation, une approche de l’Autre par le Moi créole découvert et libéré. Les vibrations de cet Univers-oscillation brisent les incantations de l’oppresseur, du Même, jadis dans sa force de l’âge.

Une nouvelle participation des peuples de l’errance et de l’exil, fourrés dans la catégorie du subalterne s’écrit dans cette histoire décentralisée. C’est l’Unité-de-soi dynamique qui est retrouvée dans les contre-narratives d’une poésie nécessaire[21].

La complexité des identités des aires océaniques (des géographies de passage, de heurts et d’harmonie) est celle d’un rassemblement-déplacement, d’une retrouvaille-rupture constantes. La refus-acceptation perpétuelle est imprégnée dans le champ d’interprétation des paysages réels et mentaux aussi. Mornes, rochers et arbres : phrases dans un corpus narratif métatextuel d’un lieu mental de nouvelles interprétations[22]. Le déprécié, l’être privé d’histoire de l’outre-mer s’assimile et se conçoit comme présence.

 

2.1. Dimensions restructuratrices

Pour une radicale mise en question de l’axe Orient-Occident, et pour sécréter la détermination imprégnée dans les cellules, la négritude analyse la structure microphysique de l’épidermisation. Les mots-volcans décomposent la tyrannie de l’anéantissement de l’autre non-européen, victime de déchirures de l’espace-temps, des décombres et gémissements d’héritages ancestraux[23]-[24].

Des mangroves-cendres et sommeils-saccagés s’explicitent en un accouchement d’un présent antidogmatique, où le chosifié, ce descendant d’esclaves s’exclame dans une philosophie de liberté. La négritude est la réalisation de la conscience, des représentations de l’existence, qui s’affirme et s’installe en un point de départ. Cent horizons, de couleurs différentes, s’ouvrent dans cette histoire sacrée des durées et des épaisseurs, de l’interaction et de l’échange : l’homme vise à se replonger dans des eaux de l’arrachage (et de l’arrachement). C’est une quête du Moi-absolu (condition préalable de toute connaissance[25]), intégrant et dépassant les Moi-monophasés oppositionnels. La négritude est l’épanouissement de la dialectique créatrice du Moi-absolu, la transformation du paradigme post-colonial. Transmutations et tremblements, tourbillonnements et réinterprétations complexes caractérisent l’hybridation de l’auto-rédemption, de la contre-essence harmonisée, non-dominante.

Il s’agit de mettre en mouvement les replis-sur-soi statiques, de ranimer les confluents de relations inter-marginales productives : en puisant des flux ethniques et culturels intercontinentaux, créer de nouvelles constellations « d’ethno- et d’idéoscapes[26] ».

 

2. 2. Opérateurs géographiques – marginalité redécouverte

Les ports de Cap-Vert, Curaçao, Aruba, Roseau et Bridgetown : lieux-entravés, géographie(s) de fixations et de désagrégations. Maints points de cristallisation montrent la condition transitionnelle et inachevée de l’homme, arraché de sa réalité[27]. Une spirale créole caraïbe crée l’unité densifiée des archipels ; les lignes des littératures d’identification désignent l’espace du continuum-négritude.

La tension des histoires et des héritages (Europe ßàAfrique) est redéfinie sur le terrain décolonisant-libérateur de nouvelles légitimations. Cette relationnalité réélaborée acquiert une nouvelle harmonie des Je-fragments.

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La négritude césairienne est l’île-magique rebaptisée de l’Universel non-réductionnaire[28]. Le fétichisme justificateur des cargaisons à travers des siècles de rêves-réduits africains est finalement dévoilé. Le (re)baptême des asservis s’opère par l’intermédiaire de l’assimilation, de la fonte-en-soi des richesses-profondeurs des paysages rayés de la surface de la terre.

Une essence est travaillée, dans le creuset des archipels, qui se reconnaît comme diversité. La résurrection s’effectue sous forme de remplissement du vide identitaire par des vibrations revivifiantes : planétarisation de l’Histoire-relue.

L’histoire-phare de Haïti, répercutée des îles-frontières, s’épanouit et s’écrit dans l’âme recomposée de l’homme de la (post)-négritude. L’œuvre polymorphe de Césaire est l’arbre banyan de l’individuel et du martiniquais-antillais-caraïbe (créole) de l’Universel. Il jette les fondements de son harmonie en se dessinant par des mots-mythes[29]. Différents niveaux de la chaos-pelote se détricotent dans l’effilochage des lectures postmodernes des textes éclaboussés de dimensions jusque-là insaisissables. Les lignes des idées-concepts se coupent en élaborant un filet-espace d’interprétations concevables.

Le laboratoire musical des Caraïbes palpite dans le vertige de la syntaxe des îles. L’instabilité est un partage incessant, rythmé. Les potentialités des images s’étendent jusqu’à laisser transparaître la géologie de l’inconscient du déracinement. Dans une nouvelle juxtaposition Europe-Afrique, les combinaisons des particules de l’exploitation coloniale se décomposent et se réunissent. C’est ainsi que naît le repositionnement d’un centre décolonisé pour noyau des mythologies de l’ordre nouvel.

La structure reflète l’irréductible opacité de la réalité et de l’homme réinventés. C’est un courant à double sens, transmis par l’homme-membrane, accouché des résonances de nouvelles relations postcoloniales.

Le narratif est dépassé dans le magique de la recherche de l’authenticité, renaissante et révoltée. L’œuvre est un collage, l’inattendu, un « conglomérat[30] » de toute écriture. Toute négritude est créole, au mesure qu’il est le point d’intersection des expériences, des errances et des enracinements, toujours interprétés en Rapport, impliquant l’expérience de l’Autre, les Réels[31] de l’Autre.

Césaire crée des espaces associatifs qui donnent lieu à une richesse d’analyse unique et extraordinaire. Il communique la terre à travers les algues et les souffrances. Il faut recanoniser les océans profanés, les paysages-malheurs. C’est une création à partir d’un ficelage, d’un rassemblement de fibres musculaires, un redéveloppement de la relation indéchirable de Terre-Mère[32]. Cette négritude est l’unité-symbiose de terres-mers-cieux.

Le Rebelle condamné de Et les chiens se taisaient est déjà mort dans la tragédie d’Henri Christophe, roi haïtien bienveillant-destructeur. Dans ses efforts d’unir le céleste et le terrestre, il devient l’incarnation d’une contre-valeur, un « figuier maudit[33] », et meurt dans la solitude du pouvoir-matraque.

 

 

2. 3. « Arenas de luz, canción de coral[34] »

Le travail consiste à ensemencer les paysages assassinés et engloutis, à orner l’ossature dénudée de verbes flamboyants, à donner naissance à l’île-rebelle[35]. L’homme noir retourne le regard de l’Européen, assume son passé de mutilé, les taches de mémoire disjointes.

L’exilé-en-soi cherche le retour aux pays des ancêtres, aux temps mythiques des dieux abandonnés-perdus lors du passage. Les cendres et les souvenirs sont dispersés par les eaux de dépersonnalisation[36]. La négritude arrive à la sphère de la totalité : l’homme radiographie les microstructures et les replis de sa personnalité, et sort des limitations de l’individuel en s’y plongeant et en l’approfondissant. En définissant son être et essence, cet homme se dédouble : il accouche de lui-même en tant que Rapport-libéré-vers-l’Universel et s’apprend, avale sa création jusqu’à la faire entièrement sienne dans chaque molécule.

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La descente en soi et la reconquête de soi prolongées rendent encore plus difficile l’assimilation des étendues et des impénétrabilités intérieures. Le recours est nécessaire aux points métaphysiques, découverts dans la transcendance-de-soi, ainsi qu’à la connaissance de leurs interactions. Il y a un décalage constant dans l’interrelation des univers constitutifs, entre le réalisé et le conçu. Les forces mentales immatérielles et leurs manifestations physiques doivent être également mis au travail pour pouvoir détruire l’hégémonie du vocabulaire des oppresseurs. Tous les efforts préconisent l’avènement d’une métalangue de nouveaux imaginaires.

La négritude est un choix et non pas une acceptation inconditionnelle de soi-même et de l’Autre. C’est un état-essence de périphérisation de tout centre.

Le déchiffrement des contenus perçus est en même temps défrichage, la préparation de soi-même à une (re)conception pour une métaphysique d’auto-rectification, le déplacement de la croyance (doxa[37]) dans le champ du connaissable. Les phrases-liaisons et les textes[38] servent de ciment pour relier les efforts de combattre le contre-discours préalable. Contrairement à une restriction ethnocentriste, dont l’efficacité agit dans un espace transperçant l’extérieur vers les orbites intérieures[39], la négritude maîtrise la sismologie des lieux internes de résistance. La linéarité des heurts extérieurs violents des actions-sur-l’autre (système d’interprétation et d’activité du colonisateur) semble disséminée, et une action-sur-soi renverse la direction de la réflexion, conformément aux contenus profonds des actes de cette nouvelle conceptualisation de l’existence[40].

L’homme de la négritude effectue la prise en possession, l’appropriation de sa substance vers un sentiment d’être cosmique. Il se peint dans les poupées noires de Damas, et s’affirme, dans une première phase dans ses relations, pour arriver finalement à une analyse séparée des attributs a priori déterminants du dehors. L’hiérarchie novatrice et l’ordre-relation des représentations assistent dans l’apprentissage de l’avenir-Devenir. Pour un dépassement de l’Universalité et de l’homogénéité imposées, lourdes et broyantes, on accède à l’antithétique-comme-synthèse, à une référentialité cherchant l’autonomie.

À l’encontre des espaces volés et les souvenirs hantants-revenants de meurtres anciens, se présente une origine de coordonnées, ancrée dans la morphologie des strates de l’identité créole de la négritude. Cette attirance (et gravitation) vers les sources des profondeurs se présente dans la littérature malgache également[41].

L’indélimitable monde des veillées verbalise l’état indicible de la résistance d’inaudibles voix, des voix réduites au silence. La négritude est un pas d’une portée inestimable du point de vue de l’exorcisation et de la désinfection de la vision extérieure apprise, assimilée-comme-sienne. Les voies vers l’épanouissement dans un métissage accompli ne s’ouvrent qu’après la dépigmentation de la servitude (de l’exotisme) coloniale. L’hétérogénéité des Antilles se réveille de l’oppression des tentatives de compression d’un Centre manichéiste. L’esprit créateur jette les bases d’une psychanalyse de l’hermétisme et des lacunes de l’entre-A—A-variante-humilié-dans-sa-fragmentation.

Tout discours psycho-philosophique et littéraire doit prendre en considération le fait que le Moi est inconnaissable dans sa réalité directe-immédiate, en tant que définitivement déterminée, suite aux divergences entre Moi psychologique, grammatical et métaphysique[42]. L’esprit du dominé est assemblé des réflexions/répercussions de la conscience active, créatrice. Les dimensions spatio-temporelles sont ligotées dans une circonvolution, resserrée dans l’opprimé. Son corps, point d’intersection des expériences de l’empirique[43] n’est pas intégralité et identité. Toute reconfiguration s’inscrit dans la démarche de la réinvention mythologique de l’ascendance/filiation.

Dans les lagunes de l’errance et de la détermination réductionnaire, l’Amérindien, le Malgache[44] et le Coolie sont des bancs de sable et des écueils de la même négritude. Vue de cette perspective, cette théorisation met à l’opposé les signes de l’inégalité, pour briser la force de la clôture-en-soi. Le renouveau et la compréhension (en expansion) de l’esprit sont corrélatifs. Le mutisme des siècles subis (survie stérilisée) est remplacé par une (contre)-esthétique de dignité, d’une progression (du) vécu(e).

 

3. Décohérence, corrélations du chaos

Le monde des valeurs ne survit pas à l’opposé du chaos, mais par et dans le chaos, en se construisant/structurant des intensités de l’indominable, des effets réciproques de la densité des diversités. L’ordre de l’occasionnalisme geulincxien[45] est bouleversé dans le (post)-colonial par la situation privilégiée de l’oppresseur : (re)détermination de l’image corporelle de l’esclave. L’esthétique excessive des œuvres-élucidations est découverte et exploitée. À l’époque de la colonisation, la diversité ethnique et culturelle des millénaires antérieurs est invalidée sous le regard de l’œil-oppresseur superficiel[46]. Tout un système d’hiérarchisation est élaboré, ainsi qu’un apparat psycholinguistique, dans l’intérêt de déclencher des crises d’identité (dont le vocabulaire opérationnel – noir-blanc-métis – reflète l’imaginaire du colonisateur).

Dans cette mosaïque auront lieu hybridations et mutations, constituant des régions de densification d’une nouvelle créativité psycho-mentale : l’insularité coloniale. L’approche, qui décrit unilatéralement les adaptations, doit être soumise à une révision radicale.

Une manifestation de la force collective contestataire est le marronnage : l’effervescence née du déséquilibre. Les niveaux de la matière forment le mouvement-réseau de la rédemption (de la macrostructure au niveau intra-/sub-cellulaire). La négritude est une essence paramagnétique[47], dont la capacité et susceptibilité de structurer un contre-discours de résistance ne dépend pas des qualités momentanées de l’induction (champ de liberté permis par l’oppresseur).

Le résultat imprévisible d’éléments éloignés se réalise par l’intermédiaire d’un processus perpétuel et les tendances théorisées de la négritude (antillanité et créolité) visent la déconstruction des binarités de la pensée archipélique – continentale, et des cultures « ataviques – composites[48] ».

 

 

[1] JENNY, Laurent, « La langue, le même et l’autre », Fabula LHT, n°0, juin 2005, [En ligne].

[2] CHÉREL, Guillaume, « Axel Gauvin ou l’écriture lointaine », [En ligne].

[3] PN – Cf. Précis notionnel p. 36-40.

[4] SULTAN, Patrick, « Réflexion sur l’exotisme en littérature à partir de L’Aimé d’Axel Gauvin », [En ligne].

[5] SAMLONG, Jean-François, « Écrire une île, ou l’écriture de la différence », [En ligne].

[6] JOUBERT, Jean-Louis, « Axel Gauvin ou la saveur réunionnaise », Littératures de l’Océan Indien, Vanves, EDICEF, 1991, (chap. 14.5), [En ligne].

[7] VERGÈS, Françoise, « The Fanonian Project of Decolonized Psychiatry », Fanon: A Critical Reader, Oxford, Wiley-Blackwell, 1996, p. 92.

[8] MEMMI, Albert, The Colonizer And The Colonized, Boston, Beacon Press, 1991, p. 89.

[9] GANNIER, Odile, « L’archipel : image poétique de l’outre-mer ? », Loxias  (9), juin 2005, [En ligne].

[10] CHAMOISEAU, Patrick, Écrire en pays dominé, Paris, Gallimard, 2002, p. 43.

[11] GUHA, Ranajit et SPIVAK, Gayatri-Chakravorty, Selected Subaltern Studies, Delhi, Oxford University Press, 1988, p. 12.  

[12] JOUBERT, Jean-Louis, « Des îles et des courants », « L’île en littérature : situations », [En ligne], p. 2.

[13] BROWN, William Christopher, « Becoming Origin(al): Deterritorialization and Postcolonial Theory from the Caribbean », Forum, Issue 1, 2005, [En ligne], p. 1.

[14] Ibid., p. 2.(DELEUZE, Gilles, Kafka : Pour une litterature mineure, Paris, Minuit, 1975)

[15] SMITH, William A, The Meaning of Conscientizaçao, Amherst, University of Massechussets, 1976, p. 12.

[16]RAMHARAI, Vicram, « Entre littérature mauricienne et littérature francophone : quels enjeux pour les écrivains mauriciens ? »,e-France, vol. 2, 2008, p. 21-32.

[17] BRITTON,Celia, « Place, Textuality and the Real in Glissant’s Mahagony », Ici-là, Place and Displacement in Caribbean Writing in French, Amsterdam, Rodopi, 2003, p. 83.

[18] Je réfère ici au rapport  ouvert, multilatéral défini par Glissant dans Poétique de la Relation (Poétique III), Paris, Gallimard, 1990.

[19] CÉSAIRE, Aimé, Moi, laminaire, Tours, Éditions du Seuil, 1982, p. 9.

[20] MELAS, Natalie, All the Difference in the World : Postcoloniality and the Ends of Comparison, Stanford, Stanford University Press, 2006,p. 105.

[21] GLISSANT, Édouard, Introduction à une poétique du divers, Paris, Gallimard, 1996, p. 122.

[22] PALLAI, Károly, « Lectures et champs d’interprétation de Solibo Magnifique », e-tudomány, 2008/2, p. 8.

[23] BOSE, Sugata, A Hundred Horizons : The Indian Ocean in the Age of Global Empire, Cambridge, Harvard University Press, 2006, p. 6.

[24] FORTUNÉ, Félix-Hilaire, La France et l’outre-mer antillais, Paris, L’Harmattan, 2001, p. 292.

[25] NYÍRI, Tamás, op. cit., p. 295.

[26] CÉSAIRE, Aimé et VERGÈS, Françoise, Nègre je suis, nègre je resterai, Paris, Albin Michel, 2005, p. 85.

[27] CHOPIN, Anne et CHOPIN, Hervé, Antilles d’antan, Paris, HC Éditions, 2001, p. 66.

[28] ALLIOT, David, Aimé Césaire, le nègre universel, Barcelone, Infolio, 2008, p. 41.

[29] BAILEY, Marianne Wichmann, The Ritual Theatre of Aimé Césaire : Mythic Structures of the Dramatic Imagination, Tübingen, Gunter Narr Verlag, p. 56.

[30] HUGON,Moniqueetal.,Littératures francophones:Afrique,Caraïbes,Océan Indien, Paris,CLEF,1994,p. 81.

[31] HERBART, Johann Friedrich et MAIGNÉ, Carole, Les points principaux de la métaphysique, Paris, Librairie Philosophique J. Vrin, 2005, p. 76.

[32] NASTA, Susheila, Motherlands : Black Women’s Writing from Africa, the Caribbean and South Asia, Londres, The Women’s Press, 1991, p. 235.

[33] CÉSAIRE, Aimé, La tragédie du roi Christophe, Paris, Présence Africaine, 1963, p. 60.

[34] BALLAGAS, Emilio, Elegía sin nombre y otros poemas, La Havane, Letras Cubanas, 1981, p. 44.

[35] CÉSAIRE, Aimé, Cadastre, Paris, Seuil, 1961, 93 p.

[36]MIDDLETON,Richard,ColonialAmerica:AHistory,1565-1776,Cambridge,BlackwellPublishers,2002,p.286.

[37]CAZEAUX, Clive, MetaphorandContinentalPhilosophy, FromKanttoDerrida, Oxford,Routledge,2007,p.91.

[38] BONNIOL, Jean-Luc, Les usages publics de la mémoire de l’esclavage colonial, 2007, [En ligne], p. 7.  

[39]NJOH-MOUELLE,Ebénézer, Léopold Sédar Senghor et le thème du métissage culturel, (Yaoundé, 16 mars 2006), Yaoundé : Table ronde sur Senghor, [En ligne], p. 5.

[40] SENGHOR, Léopold Sédar, Anthologie de la nouvelle poésie nègre et malgache de langue française, Paris, PUF, 1985, p. XXXI.

[41] JACK, Belinda Elizabeth, Francophone Literatures : An Introductory Survey, Oxford, Oxford University Press, 1996, p. 270.

[42] NYÍRI, Tamás, op. cit., p. 221.

[43] PORRET, Michel (éd.), Le corps violenté : du geste à la parole, Genève, Droz, 1998, p. 327.

[44] LEWIS, Shireen K, Race, Culture and Identity : Francophone West African and Caribbean Literature and Theory From Negritude to Creolite, Lanham, Lexington Books, 2006, p. 9.

[45] ROUSSET, Bernard, Geulincx entre Descartes et Spinoza, Paris, Librairie Philosophique J. Vrin,1999, p. 61.

[46] DEPESTRE, René, Bonjour et adieu à la négritude, Paris, Robert Laffont, 1989, p. 12.

[47] HOLICS, László, Fizika (II.), Budapest, Műszaki Könyvkiadó, 1992, p. 1245.

[48] GLISSANT, Édouard, Introduction à une poétique du divers, Paris, Gallimard, 1996, p. 35, 43, 64, 89, 100.