Festival de tableaux, de photographies, de couleurs, de formes, d’inspirations les plus variées jusqu’au 15 juin à la fondation Clément. Des photographies de la Martinique, des tableaux de la Guadeloupe, de Sainte-Lucie et de la Martinique.
Antoine Nabajoth – Pawòl Tras
Le plus ludique, Antoine Nabajoth, né en 1964 aux Abymes (Guadeloupe), titulaire du DNSEP et du Capes d’arts plastiques, pratique une peinture décomplexée avec des flamboiements de couleurs, une peinture intense qui accroche les regards même les plus blasés, des personnages dont Alexandre Alaric, dans le catalogue, souligne à juste titre « l’altérité radicale ». L’intitulé de la présente exposition, Pawòl Tras (après Pawòl an kanncette même année au Memorial Acte à Pointe-à-Pitre), des « traces de paroles » évoque immédiatement la traduction picturale de la mémoire d’anciennes paroles (dont il ne reste que des traces), celles d’un peuple brutalisé par l’histoire. Alexandre Alaric propose pourtant une autre explication : ces peintures – « éclats de jouissance-puissance » – qui, d’une certaine manière, agressent le spectateur ne sont pas récriminations d’un passé esclavagiste mais affirmations d’une résistance ici et maintenant.
Tout aussi agressive pour le spectateur mais moins ludique la peinture de Llewellyn Xavier, né à Choiseul (Sainte-Lucie) en 1945, un peintre qui a acquis une reconnaissance internationale et bénéficie d’une côte élevée – le plus grand de ses tableaux exposés ici est proposé à la vente pour 30.000 € (1) –, figurant dans les collections permanentes de nombreux musées en Angleterre, en Europe et en Amérique du Nord. L’exposition présente plusieurs séries récentes (2023-2024), des collages évoquant directement Sainte-Lucie (série The Chronicles of Saint Lucia), des formes en verre dont on nous dit qu’elles sont créées dans les entrailles de la terre, présentées dans de petits boîtiers sur un fond d’aquarelle (série Cold Fire), des petites huiles très colorées, avec de sortes de pâtés en peinture épaisse, encadrées de blanc (Poems from Saint Lucia – photo) et enfin de grandes huiles également très colorées avec une dominante de rouge. Llewellyn Xavier présente un bon exemple de cette « peinture internationale » qui a la faveur des commissaires et des conservateurs mais qui peut laisser perplexe l’amateur ordinaire
Last but not least, Alain Joséphine et ses représentations non naturalistes de la nature. Un peintre passé par les Beaux-Arts de Bordeaux, installé à la Guadeloupe mais né (en 1968) à la Martinique dans un quartier de la commune de Rivière-Pilote nommé Régale, là où il a grandi et d’où il tire son inspiration d’artiste multiforme, peinture, jazz, poésie… On dit avec raison que des goûts et des couleurs on ne discute pas. Par contre un critique, un amateur, voire le simple quidam venu à la Fondation Clément pour visiter l’antique habitation et déguster quelques bons rhums n’a aucune raison de dissimuler ses préférences. Inutile en effet d’avoir fait de longues études en arts plastiques pour savoir ce qui nous plaît ou non. Celles-ci par contre sont indispensables pour situer un peintre dans la longue histoire de la peinture – il ne vient pas de nulle part – et peuvent même nous aider à comprendre ce qui nous touche – en bien en l’occurrence – chez lui. À cet égard, la contribution du professeur Dominique Berthet dans le catalogue s’avère précieuse. Il met ainsi en évidence la profondeur des tableaux de Joséphine qui juxtaposent plusieurs plans, leur luminosité et ce qu’il appelle leur puissance qui repose à la fois sur la maîtrise du geste et des rencontres chromatiques audacieuses. Là tout n’est qu’ordre (sous un apparent désordre) et beauté.
Photographies – Martinique, Réserve mondiale de biosphère, Terre et Mer
La Martinique a obtenu en 2021 le label de l’UNESCO « Réserve mondiale de biosphère ». On ne peut que s’en féliciter a priori tout en souhaitant que cette reconnaissance engagera véritablement les responsables martiniquais et que les richesses naturelles ne seront plus gâchées, dilapidées, détruites au nom d’impératifs économiques mal compris ou de la simple inertie. L’exposition « Terre et Mer », divisée en trois parties, Terre, Mer et Culture, met en valeur notre patrimoine naturel et humain avec de très belles photos signées Carole de Pompignan, Fabien Lefebvre ou Hugues Moray. Les photos de la faune marine ont la part principale dans cette exposition qui sera l’occasion pour beaucoup de découvrir des trésors seulement accessibles aux plongeurs. Les photos sélectionnées, de grande qualité esthétique, présentent un image idyllique de la Martinique. Elles ne doivent pas faire oublier, ainsi que le souligne le professeur Pascal Safache dans l’introduction du catalogue, que l’environnement y est « particulièrement dégradé », sans que les Martiniquais paraissent s’en soucier outre mesure. Cette exposition, comme la reconnaissance par l’UNESCO sont des armes à double tranchant. Censées encourager des actions de préservation de la nature, elles peuvent tout aussi bien aboutir à l’effet contraire sous l’influence de raisonnements pervers tels que : « puisque notre nature est si riche, inutile de s’en inquiéter ! »
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On ne saurait conclure cet article sans signaler une exposition plus restreinte dans la Case à Léo, Balade Ô pays aimé de Christiane Laval qui peint des paysages réalistes de la Martinique, à l’ancienne, une artiste, diplômée des Arts Décoratifs de Paris, qui n’atteindra jamais la notoriété d’un Llewellyn Xavier mais qui rencontrera certainement les amateurs d’une peinture apaisée, de facture classique (jusqu’au 13 juillet).
Fondation Clément, Le François, Martinique, du 25 avril au 15 juin 2025.
(1) Les prix demandés s’établissent ainsi pour les artistes des trois expositions principales :
Llewellyn Xavier, Éclectique 20×15 cm : 2000 € jusqu’à 152×76 cm : 30000 €
Alain Joséphine, Régale 92×73 cm :1700 € jusqu’à 200×300 cm :18000 €
Antoine Nabajoth, Pawol Tras 26×26 cm : 450 € jusqu’à 150×100 cm : 8000 €