Mondes africains

Intégration culturelle et didactique du texte littéraire au Cameroun : l’orature comme solution

Résumé : Entre le besoin de former un citoyen camerounais pétri de sa culture nouménique et capable de la proposer comme offre identitaire à la communauté humaine globalisée d’où il tirera les bienfaits du contact fructueux avec cette dernière, l’enseignement de la littérature au Cameroun, tel qu’il est mené dans les lycées et collèges, donne à réfléchir sur le décalage entre ses objectifs et les méthodes convoquées.

Introduction

S’il y a une façon opportune d’introduire ce travail, c’est de partir sur la base de cette déclaration de Mireille Naturel (1995:9) : « De la tentative de définition de la littérature, nous ne pouvons conclure qu’à la complexité – et par là même, richesse – de celle-ci, tant par sa nature que par le mode d’analyse qu’elle suscite ». Le nœud du problème est ainsi présenté. La littérature ne se définit pas aisément. Elle est, par essence même, liée à la notion de subjectivité. Il va de soi que son enseignement, dans les collèges, lycées et universités du Cameroun, pose un problème méthodologique de la part des enseignants. Pire encore, des apprenants. Pour pencher sur la question, nous étudierons le cadre didactique à l’intérieur duquel a lieu l’enseignement de la littérature afin de mieux comprendre ses faiblesses par rapport à l’objectif (voir article 5, objectif 1 de la Loi d’orientation de l’éducation au Cameroun) qu’il s’est fixé, à savoir, enraciner l’apprenant dans sa culture avant de prétendre s’ouvrir à celle venant d’ailleurs. Autrement dit, comment, à travers la littérature, l’expression identitaire peut aller à la rencontre du besoin d’accomplissement autonome de l’apprenant ? Mais avant cela, il importe de circonscrire le cadre définitoire et typologique de la littérature.

I- Pour (ne pas) définir la littérature et ses postulats typologiques

La prise en compte de l’étymologie du mot “littérature“ nous renvoie au latin et signifie « écriture ». L’écrit est donc au fondement de la littérature. C’est dès le 18e siècle que la définition du mot littérature va tendre à se stabiliser pour désigner, selon Naturel (1995 : 7), « l’ensemble des œuvres, des textes littéraires ». La littérature, dont l’enjeu principal est de quérir l’idéal de beauté, s’envisage comme étant un objet d’art jusqu’à la fin du 19e siècle. La deuxième partie de 20e siècle ira plus loin dans la définition de la littérature pour la concevoir comme « tout usage esthétique du langage, même non écrit » (Naturel, 1995 : 7). Il apparait que la littérature orale remplit, aussi bien que la littérature écrite, la fonction de beauté artistique.

Pour parler de littérature, il faut donc, en réalité, prendre en compte ses deux pôles fondateurs et consubstantiels qui sont : la littéralité (son contenu sémantique interprétable par ce que nous appelons la lecture de déchiffrement) et la littérarité (son armature esthétique ou objet de signifiance inépuisable interprétable par ce que nous appelons la lecture de questionnement). En effet, l’Oulipo (1973 : 31) souligne, en rapport avec cette signifiance inépuisable de la littérarité, que « [t]out texte littéraire est littéraire par une quantité indéfinie de significations potentielles ».

Dès lors, l’analyse de l’œuvre mérite que l’on l’intègre non seulement comme étant un événement référentiel, parce qu’il crée des images qui se rapportent au monde plus ou moins ambiant, mais aussi comme étant un événement énonciatif qui traduit/convertit l’image en mots, expressions ou énoncés. Au demeurant, le texte littéraire est une double postulation : sur le plan référentiel, il nous inscrit dans une sorte de sociologie où le dit ne nous est pas tout à fait étranger ; sur le plan énonciatif, il nous affiche des allures du dire qui structurent plusieurs niveaux interprétatifs que l’approche de Bakhtine (1929/1998) de l’énoncé à voix permet de décrire. Ce d’autant plus que pour Dominique Maingueneau (2004 : 222), « l’œuvre littéraire doit non seulement construire un monde, mais encore gérer la relation entre ce monde et l’événement énonciatif qui le porte ».

À ces deux aspects structurants des textes littéraires, il faut ajouter une typologie dyadique, à savoir : les dimensions écrite et orale. Chacune de ces dimensions a ses caractéristiques formelles et fonctionnelles propres. Il va de soi qu’enseigner l’une ou l’autre de ces littératures impose une démarche didactique adéquate.

Nous porterons notre attention sur un fait. Si la littérature est un véhicule de pensée et de vision du monde de l’artiste, en relation avec la communauté humaine qui l’entoure (et dont il peut s’en réclamer), il parait évident qu’elle est un diffuseur d’identité culturelle du peuple immédiat dont elle tire très souvent sa source d’inspiration.

II- Didactique de la littérature par l’opérationnalité de l’orature

On ne le souligne jamais assez, le modèle de citoyen théoriquement visé au Cameroun est d’en faire une personne patriote, enracinée dans sa culture, mais ouverte au monde. Puisque les politiques éducatives du Cameroun, encadrées par Instructions Officielles de 1994, encouragent l’identité nationale, comment comprendre que la littérature orale (conte, légendes, proverbes, devinettes, épopées, etc.), qui regorge, de manière assez significative et patente, des valeurs culturelles saillantes du peuple camerounais, ne puisse pas bénéficier d’intérêt, afin qu’elle soit un diffuseur constructif de l’imprégnation des jeunes à leurs identités ? S’il est vrai qu’au premier cycle des collèges (classes de 6e et 5e, en l’occurrence), on étudie quelques rares contes, pourquoi n’existe-t-il pas de prolongement sur l’ensemble du secondaire ? Cela pose un problème réel de congruence entre le type d’homme que l’on veut former et la démarche procédurale adoptée, du point de vue des contenus d’enseignement et des méthodes didactiques, pour y parvenir.

C’est pourquoi Bikoï (2009) relève le problème du choix pertinent des œuvres au programme. En effet, si le besoin était, pour Bikoï, de résoudre la question liée à la baisse de niveau des apprenants dans l’enseignement/apprentissage du français, nous pouvons tout aussi considérer que l’inscription des manuels au programme, pour un objectif d’endoculturation et d’interculturalité, telles que les Instructions Officielles le proclament, devrait être conséquente.

La littérature n’est pas à percevoir comme étant seulement un objet de savoir. Elle est aussi et surtout un creuset de valeurs. Ce sont ces valeurs qui, lorsqu’elles sont clairement définies, vont justifier la raison d’être de tel manuel en lieu et place de tel autre. Vincent Jouve (2000 : 13) a donc juste de dire que « les œuvres littéraires ont confirmé leur capacité à ouvrir aussi bien sur les savoirs de la modernité que sur l’héritage culturel ». C’est ce dernier point que nos programmes d’enseignement, malheureusement, tendent à aborder de manière sommaire dans nos écoles, collèges, lycées et universités. L’enseignement de la littérature semble ne considérer que l’écrit au détriment de l’oral. Pourtant, « Les Etats généraux de l’enseignement du français en Afrique subsaharienne francophone », tenus à Libreville (Gabon) en 2003, proposaient l’urgence de « [d]évelopper les langues nationales, dans le cadre de la pédagogie de la convergence pour une meilleure expression des réalités africaines par la littérature ». (Voir site de la Francophonie en bibliographie où il est même préconisé, en page 171, que l’Etat doit « [a]ppuyer la collecte et la diffusion de la littérature traditionnelle (contes, proverbes, devinettes, jeux) ».

Ces dispositions ne sont restées que de simples vœux pieux dont l’application demeure difficile à réaliser. Et ces ‘réalités locales’ dont parlent les Etats généraux de 2003 passent, pour nous, par la promotion de l’orature/oralure.

C’est en connaissance de cause que Kuitché Fonkou (2009) planche sur le sujet en proposant une réflexion sur les possibilités d’opérationnalisation de notre littérature orale. En effet, voulant mettre sur pieds une méthode d’enseignement de la littérature orale, le constat peut être fait, au préalable, que malgré l’existence des extraits ou des œuvres intégrales relevant de la littérature orale, ces textes, dans leur pratique didactique, ne s’étudient pas dans le cadre de l’oralité qui leur est reconnue. Autrement dit, l’écrit prend le dessus sur l’oral, ignorant pratiquement la barrière qui les distingue et donc, des procédés d’étude qu’elles suggèrent singulièrement. Les Instructions Officielles font donc une impasse sur la question. C’est à l’enseignant, le cas échéant, d’intéresser les apprenants sur les traits spécifiques de la littérature orale. Pour Kuitché (2009 : 22), « seul l’enseignant, s’il le veut bien, peut attirer l’attention des élèves là-dessus ». La littérature orale, dans ses spécificités, reste un terrain très peu exploré, si oui, fort ignoré des élèves camerounais. C’est ce que Kuitché (2009 : 22) appelle l’ « inconscience de la littérature orale au secondaire ». Il faut en sortir absolument.

Ainsi, pour un tel objectif, Kuitché propose de porter un accent particulier sur la « pédagogie du produit » (ibid. : 23) qu’il estime capable d’amener l’enseigné à la construction « au moins partiellement [de] son savoir » (ibid. : 23). Cela signifie donc le rejet de la vieille pédagogie du processus où, pour Kuitché (2009 : 23), « l’enseignant apporte tout à l’enseigné ». L’auto-apprentissage est ainsi mis à l’ordre du jour. Pour ce faire, il propose une organisation des apprenants en « groupe-classe » où chaque groupe aura pour tâche, selon qu’il s’agit de légende, de conte ou de proverbe, de procéder à des transcriptions, traductions, commentaires des textes, voire une réécriture personnelle des textes oraux par les élèves. Réunis par affinités linguistico-culturelles ou non, selon l’objectif poursuivi, l’enjeu est placé sur la libre expression des apprenants lors de l’exposé de leurs travaux au reste de la classe.

III- L’orature : quel intérêt pour l’apprenant ?

Les vertus de l’approche didactique, basée sur l’orature, que nous proposons ne manquent pas. Kuitché (2009:26-28) les situe à trois niveaux. Au niveau de la réception, certains élèves, au début, sont réfractaires parce qu’ils n’ont pas de savoirs traditionnels ou culturels sur la question. Mais, très vite, avec certaines présentations, un engouement va s’élaborer et la découverte d’une richesse culturelle inexplorée ou vécue, de manière intuitive, poussera plus loin la curiosité et la fascination des élèves. Au niveau de l’élaboration des connaissances, la qualité des travaux participe de la construction d’un potentiel « sociologique et civilisationnel » (l’expression est de F. Tsoungui 1989) propre à la consolidation de l’identité des apprenants non seulement par rapport à eux-mêmes, mais aussi par rapport aux autres cultures représentées.

L’ouverture aux autres dont parlent les Instructions Officielles peut être perçue à deux niveaux ici : ouverture aux autres cultures du pays (et là la question du tribalisme est réglée, car la culture de l’autre n’exaspère pas, elle complète), mais aussi à celles venant du reste du continent africain et du monde. La mondialisation tant saluée fait de l’homme tout court un citoyen du monde. Dès lors, le recul de l’autarcie et le repli identitaire sont de mise.

On comprend mieux cette affirmation de Kuitché (2009:27) : « La littérature orale, par la dynamique de groupe, peut ainsi conduire à une prise de conscience de la dimension relativement réduite des différences ». Dans ce contexte, même l’identité de l’enseignant se trouve transformée. Il n’est plus le pôle incontournable du savoir concentré. L’élève se le construit et par là, peut apporter un plus à l’enseignant. Au niveau de l’animation, les travaux présentés en classe créent des situations d’échanges et d’émulations de telle sorte que les apprenants s’initient, non seulement à la critique des textes oraux, mais aussi à l’expérience enrichissante de leurs contenus en tant que creusets de l’identité du milieu d’où ils sont issus. La littérature orale n’est donc plus vue de l’extérieur mais de l’intérieur.

Conclusion

Nous avons voulu montrer comment la littérature orale s’avère être un moyen efficace pour construire l’objectif d’enracinement tant souhaité par les Instructions Officielles. Pour ce faire, on s’est inspiré des travaux de Kuitché sur les valeurs apportées par la pratique d’une didactique de la littérature orale dans notre système éducatif. Travail réalisé sur les bases d’une enquête préalable, les conclusions positives sur l’intérêt des apprenants à s’initier à leur propre culture sont des aspects majeurs d’une possibilité réelle de faire de notre oralité, un facteur d’intégration culturelle et nationale. Cela n’est possible que si l’on conçoit l’enseignement de la littérature orale dans le cadre de son caractère spécifique, et non dans celui hégémonique de l’écrit qui traverse littéralement l’ensemble des œuvres inscrites dans le programme du secondaire. Ce travail n’est donc qu’un prélude de réflexion sur une didactique de l’oral dans nos lycées et collèges. La question de fond réside sur l’opérationnalisation d’une telle entreprise dans un contexte multilingue camerounais où l’on compte près de 279 langues vivantes.

Bibliographie sélective :

  • Bakhtine M. (1929/1998), La Poétique de Dostoïevski, Paris, Seuil.
  • Bikoï, F. B. (2009), « Quelle logique préside à l’inscription des œuvres littéraires dans les programmes de français des lycées du Cameroun? », Kaliao, Maroua, Université de Maroua, E.N.S., pp.11-19.
  • Jouve, V. (2008), La Lecture, Paris, Hachette.
  • Kuitché Founkou, G. (2009), « Dynamique de groupe et responsabilisation des apprenants en littérature orale », Kaliao, Maroua, Université de Maroua, E.N.S., pp.21-30.
  • Maingueneau, D., Le Discours littéraire. Paratopie et scène d’énonciation, Paris, Arman colin, 2004.
  • MINEDUC, Programmes, Langue Française et Littérature au second cycle, 1994
  • Naturel, M. (1995), Pour la littérature. De l’extrait à l’œuvre, Paris, CLE.
  • Nkelzok Komtsindi, V. (2009), « Stratégies d’autorégulation, prise de conscience et performances intellectuelles chez des étudiants camerounais », Kaliao, Maroua, Université de Maroua, E.N.S. pp.31-41.
  • Oulipo (1973),  La Littérature potentielle, Gallimard.
  • Skattum, I. (2006), « La francophonie subsaharienne: Afrique de l’Ouest, Afrique centrale, Djibouti », in Sanaker et alii, La francophonie-une introduction critique, Oslo, Unipub. pp.161-247.
  • Tsoungui, F. (1989), « Le conte de la tradition orale africaine dans la classe de français », Littérature orale de l’Afrique contemporaine, Ongoun & Tcheho Editors, Actes du colloque international de Yaoundé (28 janvier-1er février 1985).

Webographie sélective :

http://www.francophonie.org/IMG/pdf/Rapport_etats_generaux_fcs_Gabon_2003_.pdf consulté le 17 juillet 2017.

http://ens-cameroun.org/spip.php?article277

http://courseweb.stthomas.edu/mlwolsey/mnaatf/Afrique/4CamL.pdf

http://www.memoireonline.com/05/08/1095/m_methodes-actives-systeme-educatif-camerounais15.html

LOI n°98/004 DU 14 AVRIL 1998 D’ORIENTATION DE L’EDUCATION AU CAMEROUN http://www.unesco.org/education/edurights/media/docs/3fbc027088867a9096e8c86f0169d457b2ca7779.pdf consulté le 21 août 2017.