Prolégomènes à une Afrique qui ne danse plus
Une drôle de manière de commencer ce texte, dira-t-on. Mais, à proprement réfléchir, n’est-ce pas évident que l’Afrique danse beaucoup ? Certes, danser en soi soit bon pour la santé du corps. Pourtant, ne faut-il voir en cette danse une habitude du plaisir qui s’est installée en l’Africain en l’empêchant de sortir de l’illusion d’une vie récréative. On n’invente pas le monde et on ne transforme pas son milieu de vie en dansant. On ne construit pas d’écoles et des systèmes sociaux viables en dansant. Même si danser est bon, il faut autre chose pour l’humain en quête de bien-être fondamental. Dès que l’agréable est distingué de l’utile, le superfétatoire de l’essentiel, il devient aisé de comprendre le sens que nous devons accorder aux mots « pensée », « résistance » ou « littérature de développement ».
Une éthique de la résistance
Dans un monde où l’ouverture à autrui, l’échange avec autrui, et donc l’exposition à autrui, semblent être des impératifs humanistes du siècle actuel ainsi que des siècles à venir, il s’avère tout aussi opportun, pour les sociétés (hier colonisées) en quête de dignité et d’autonomie, de construire un univers psychomémoriel de la résistance.
En effet, la résistance doit être entendue, non pas comme un réflexe de claustration, de repli sur soi ou de refus de la différence, mais comme un mouvement intérieur de la conscience de l’ex-colonisé, pleinement affranchi de tout relent de complexé et qui se donne le souci d’être maître de lui-même, possesseur de sa cosmogonie, de son imaginaire et donc de sa propre pensée.
Avoir le pouvoir d’agir sur soi-même, pour soi-même et pour le bien de ses pairs s’avère utile pour signifier l’existence de l’Africain au monde et par là de justifier quelque apport bénéfique pour le commerce des cultures et pensées humaines ou planétaires.
Résister, c’est exister. Résister, c’est humain. Résister, c’est penser en tant qu’être libre. La souveraineté de la pensée africaine exige de ses penseurs, car c’est surtout d’eux qu’il s’agit, qu’ils soient capables de créer des paradigmes conceptuels propres à la réalité du contexte africain et qui lui soient profitables. Cette souveraineté implique un certain détachement visible vis-à-vis des schèmes de la pensée dominante pour postuler une Afrique libre dans ses choix linguistique, culturel, idéologique, imagologique, monétaire et donc politico-institutionnels.
Un changement de versant paradigmatique
Le changement de paradigme suppose un cadre de réflexion général à tous les niveaux. Comment la littérature, la philosophie, le droit, l’économie et les sciences sociales s’approprient-elles, par le biais des savants du continent noir, cet air d’indépendance réelle que la « Culture de Résistance », en tant que réflexe de détachement (néo)colonial, entend promouvoir ? Quelles voi(x)es adopter et encourager pour atteindre un niveau de pensée critique capable d’œuvrer et d’engager l’Afrique dans un vaste programme de reconstruction générale et intégrale de son patrimoine ?
Une telle problématique est complexe ; elle requiert l’entrain de la méthode et de la sériation. Pour ce faire, toutes les contributions sont attendues dans les domaines variés de la production du savoir et du savoir-faire. Du moment qu’elles prônent une nouvelle psychologie de la pensée et de l’écriture chez les savants qui voudront bien s’inscrire dans cet idéal (consciemment) défini.
Tous les genres littéraires (récit, poésie, théâtre, essai, etc.) sont attendus autour d’un axe fondateur : être africain libre, c’est adopter une écriture consciente de soi-même, de l’honneur et de l’essor du continent. On est là dans les confins de la littérature de développement, où se structure une pensée de libération et donc d’autonomie réelle du continent. Cette littérature militante, par opposition à ce qui serait une littérature du sous-développement, échappe à toutes les contraintes de la pensée dominante et veille à laisser jaillir les formes de la pensée du cru, dans tout ce qu’elle peut délivrer comme messages et richesses intimes.
Pour (conclure sur) une Afrique qui pense
L’Afrique, si elle veut (re)naître, doit se penser autrement dans sa relation à elle-même et dans sa relation à autrui. Cela passe incontestablement par le sérieux qu’elle accordera non seulement au sort de ses enfants et de son patrimoine naturel, mais encore et surtout aux savoirs endogènes propres à répondre, de manière pertinente, aux problématiques de l’heure et du futur. Nulle raison de voir en l’élaboration de systèmes pédagogiques une affaire de seconde zone. L’art de la pensée agissante s’impose et l’urgence de la mobiliser aucune place à la rhétorique persiflante, ni à quelque vacance de la réflexion sur la nécessité de s’auto-définir, de se projeter et donc de se (re)trouver soi-même.