Mondes africains

Cinquante années de littérature camerounaise…cinquante années de progrès?

La littérature au Cameroun débute en pleine période coloniale et connaît son zénith autour des indépendances avant de connaître une période d’essoufflement, puis un regain de vigueur ces derniers temps.

Le premier livre écrit par un camerounais fut Nnanga Kon, publié en langue bulu en 1932 par Jean-Louis Njemba Medou. Durant cette même période les premiers livres camerounais en français sont d’Isaac Moumé Etia qui écrivit quelques contes dans les années 1920-1930 et de Louis Pouka Mbague, poète qui chanta la France à souhait.

En 1953 Mongo Beti publie sa première nouvelle, Sans haine et sans amour, dans la revue Présence Africaine, dirigée par Alioune Diop, et en 1954  son premier roman, Ville Cruelle, sous le pseudonyme Eza Boto. Il récidive dans un rythme infernal avec Le pauvre Christ de Bomba en 1956, qui fait scandale par la description satirique du monde missionnaire et colonial, Mission terminée en 1957 qui obtient le prix Sainte-Beuve en 1958, et Le Roi miraculé en 1958.

Il faut attendre 1959 pour voir Tante Bella de Joseph Owono, premier roman publié par un camerounais au terroir parla Librairie Au Messager de Yaoundé.

Mais les indépendances apportent avec elles un grand souffle qui génère des écrivains de renom que les périodes subséquentes auront du mal à remplacer. Leur objet est la société coloniale africaine telle qu’elle se révèle à eux, avec ses travers, les rapports entre colons et indigènes, sa place dans le monde des civilisés, avec en prime la longue et difficile naissance d’une « société coloniale nègre à la recherche d’une identité bafouée par l’asymétrie des rapports imposés par la colonisation », pour reprendre Marcelin Vounda Etoa. La vitalité de la littérature au Cameroun est d’emblée dévoilée sous son grand jour:

–  Beti de Ferdinand Oyono avec Une vie de boy et Le vieux nègre et la médaille en 1956 et

– Chemin d’Europe en 1960, de Thérèse Kuoh Moukouri, avec Rencontres Essentielles, écrit en 1956 (et publié en 1967),

– Elolongue Epanya Yondo avec Kamerun Kamerun en 1960,

– Jean Ikelle Matiba, qui obtient le Grand Prix Littéraire de l’Afrique Noire avec Cette Afrique-là en 1963,

– René Philombe qui publie Lettres de ma cambuse en 1964 et Les Blancs partis, les Nègres dansent (1972) et obtient le Prix Mottart de l’Académie Française,

– Henri-Richard Manga Mado avec Complainte d’un forçat, (1971),

– Mbella Sonne Dipoko avec Because Of Women en 1964 et A Few Nights And Days en 1966,

– Francis Bebey avec Le fils d’Agatha Moudio,

– François-Marie Borgia Evembe avec Sur la terre en passant, tous deux Grand Prix Littéraire de l’Afrique Noire en 1967,

– Stanislas Owona avec Le Chômeur en 1968,

– Guillaume Oyono Mbia avec Trois prétendants… un mari (1962), Prix Ahmadou Ahidjo,

– Gilbert-Rémy Medou Mvomo avec Afrika ba’a (1969), Mon amour en noir et blanc (1971), Le Journal de Faliou (1972),

– L’abbé Mviena, Grand Prix Littéraire de l’Afrique Noire pour L’Univers culturel et religieux du peuple Béti en 1971,

– Étienne Yanou, Grand Prix Littéraire de l’Afrique Noire pour L’Homme-dieu de Bisso en 1975,

– Abel Eyinga avec Mandat d’arrêt pour cause d’élections : de la démocratie au Cameroun : 1970-1978 en 1978,

– Yodi Karone, Grand Prix Littéraire de l’Afrique Noire avec Nègre de paille en 1982.

Cette période faste, cette génération gagnante, se ferme en 1984 avec Vive le Président de Daniel Ewande. Il faut attendre 1994 dans la génération suivante pour voir:

– Calixthe Beyala, Grand Prix Littéraire de l’Afrique Noire avec son roman Maman a un amant,

– Patrice Nganang avec Temps de chien (2001), Grand Prix Littéraire de l’Afrique Noire en 2003,

– Léonora Miano le Prix Goncourt des Lycéens en 2006 avec Contours du jour qui vient, après Les lauriers verts de la forêt des livres, Révélation 2005; Le Prix Louis Guilloux 2006; Le Prix Montalembert du premier roman de femme 2006; Le Prix Réné Fallet 2006; Le Prix Bernard Palissy 2006 avec son roman L’intérieur de la nuit.

Et puis plus rien. Un black-out général. Le Cameroun qui avait été un pays de gagnants jusque là est apparemment tombé dans la médiocrité, à la faveur d’un manque grave de politique culturelle doublée d’un amateurisme de plus en plus aigu de la part des écrivains eux mêmes. C’est pourquoi depuis 1975, aucune distinction n’a été attribuée à un camerounais vivant au terroir. C’est tout dire. La gangue qui gangrène le pays ne peut favoriser l’éclosion de talents, à moins que ce soient des flagorneurs comme notre musique en a fait son mot d’ordre. Le Cameroun a obtenu huit grands prix entre 1963 et 1982, deux entre 1982 et 2003, et Léonora Miano qui nous sauve de nos jours avec six distinctions à elle seule entre 2005 et 2006.

Personne ne saurait oublier que cette littérature a longtemps été soutenue par des revues dont l’apport reste essentiel. Elles sont : Ozila, Le Cameroun littéraire et la très puissante revue Abbia. Toutes ont aujourd’hui disparu. Leur flambeau cependant a été repris par Patrimoine, un mensuel en tabloïd qui paraît depuis cinq ans grâce essentiellement à un soutien de la coopération française.

Cette littérature essentiellement faite de romans sombre dans la catégorie des romans de contestation, dont Jacques Chevrier dit qu’ils « reflètent le malaise ou la colère d’hommes soumis à une culture occidentale qu’ils rejettent et dont les conséquences apparaissent aussi bien au niveau du groupe que de l’individu. »[2] Il s’agit de la quête de l’identité camerounaise, après les abus, les spoliations et les lynchages de la période coloniale, tout en prédisant la déliquescence politique. On n’a qu’à lire Daniel Ewande et Abel Eyinga.

Le relais vient tout de même. Il marque quelque chose malgré l’absence criante des distinctions internationales d’hier, d’autant plus qu’il n’existe pas de ce pays des distinctions nationales pour encourager les hommes de lettres, affûter les plumes et créer des émules. Dans cette génération, les plus représentatifs qu’on peut citer sont : Paul Tchakouté avec Samba (1980), Bernard Nanga avec Les Chauves-souris (1980), Timothée Ndzaagap Tetankap  avec Ce que je suis venu faire au monde (1975),  Alexandre Kum’a Ndume III avec Kafra-Biatanga (1973), Patrice Kayo avec Hymnes et sagesse (1970), Patrice Ndedi-Penda avec Le Fusil (1973), Fernando d’Almeida avec Au seuil de l’exil (1976), Paul Dakeyo avec Les Barbelés du matin (1973), Daniel Etounga Manguele avec La Colline du fromager (1979), Pabe Mongo avec Bogam Woup (1980), Engelbert Mveng avec Balafon (1972), Werewere Liking avec Orphée dafric (1981), Célestin Monga avec ses Fragments d’un crépuscule blessé (1990), Bole Butake avec The Survivors (1989), Linus Twongo Asong avec The Crown Of Thorns (1990), Marie Claire Dati Sabzé avec Les Écarlates (1992), Gilbert Doho avec Noces de cendres (1996), Gaston-Paul Effa avec Tout ce bleu (1993), David Ndachi Tagne avec M. Handlock ou le boulanger politique (1985), Ernest Alima avec Apollo XI or a giant leap(1970), Evelyne Mpoudi Ngollé avec Sous la cendre le feu (1990), Rabiatou Njoya avec La dernière aimée  (1974). Pour tout dire de cette génération, nous pouvons reprendre Joseph OWONA NTSAMA, pour qui les écrivains du terroir symbolisent le mieux aujourd’hui le « malaise de la production littéraire au Cameroun, dû à un environnement institutionnel amorphe et une chaîne du livre qui, de l’édition à la publication finale, relève le plus souvent du flou artistique. »[3]

Il reste cependant que dans ce pays le bilinguisme officiel soit resté un vain mot. En effet, il est quasiment impossible à un anglophone de lire une œuvre de son voisin francophone, et vice-versa. Aucune œuvre d’écrivain camerounais n’est traduite en une autre langue, de manière à créer pour ainsi dire une littérature véritablement nationale. C’est tout dire, mais c’est seulement dire qu’il n’y aura pas encore de nation.

Et que dire de la littérature camerounaise en langues nationales ? C’est tout un autre défi qui reste à relever. Malgré quelques efforts par-ci et par-là pour la production d’œuvres en différents parlers locaux, tous ces efforts restent fort mitigés. Différentes communautés linguistiques tentent des efforts de condamnés à mort et les entreprises tels le CERDOTOLA, le CERELTRA, le CREPLA et la SIL qui font les sapeurs pompiers tentent encore un bon baroud d’honneur, par manque de réelle politique linguistique et culturelle dans le pays. Cependant, nous pouvons tout de même, en plus de quelques ouvrages pour enfants et quelques traductions très souvent hasardeuses des textes liturgiques, citer les tentatives de Gabriel Kuitche Fonkou avec Shyəà nəÛthủÛm/Chants du coeur (2003), et Gabriel Déeh Ségallo avec Shyə nə ndỏÛ/Chants pour demander (2008) et Ssa nəkhit 300 ne nəghă ŋgə^mbà/300 Proverbes Ng«^mbà (2010).

En février 2002 naît le mensuel culturel Patrimoine qui se consacre pratiquement à la littérature. C’est l’arbre qui cache la forêt. En effet, une floraison de jeunes écrivains camerounais a envahi la scène et veut faire parler d’elle, de toutes les façons, bon gré mal gré. Sa tête de proue déclarée semble être Pabé Mongo. Selon Marcelin Vounda Etoa, l’écrivain Pabé Mongo développe ainsi sa théorie de la nouvelle littérature camerounaise (NOLICA):

La Nolica est à la fois une théorie et une pratique littéraires. Elle vise la sortie de ce que son concepteur appelle “le maquis littéraire”, caractérisé par un trop grand symbolisme sur le plan thématique et une langue trop respectueuse du français classique. La Nolica ambitionne de développer un espace nouveau et une nouvelle temporalité, de renouveler la thématique des œuvres de fiction camerounaise en prenant en compte “les items des temps nouveaux : le sida, la mondialisation, l’explosion communicationnelle, la manipulation génétique […] bien sûr la guerre éternelle, […] l’amour éternel, le terrorisme, la pauvreté après le sous-développement, la misère après la pauvreté”. Sur le plan de l’écriture, la “Nolica incite à domestiquer et acclimater la langue d’écriture”.

La plupart de ces écrivains publient leurs œuvres localement. Ils sont : Marcel Kemadjou Njanke avec Cris de l’Ame, son premier recueil de poèmes et son premier livre en 1994, après avoir obtenu le prix de la jeune poésie d’Afrique centrale, Séverin Cécil Abéga avec Le Bourreau (2004), Bate Besong avec Beasts Of No Nation (1994), David Fongang/Soh Magne avec Le bonheur immédiat (2001), Patrice Nganang avec Temps de chien (2001), Gabriel Kuitche Fonkou avec Moi taximan (2001), François Nkémé avec Le Cimetière des bacheliers (sd), Badiadji Horretowdo avec Chronique d’une destinée (2006), Brigitte Tsobgny avec Amours tyranniques (2006), Léonora Miano avec L’Intérieur de la nuit (2005) et Contours du jour qui vient (2006) et Elizabeth Tchoungui avec Je vous souhaite la pluie (2006), Rose Djoumessi Jokeng avec Larmes en fleurs (2007), Guillaume Nana avec Grains de poussière (2007), Nathalie Étoke avec Un amour sans papiers (1999) et Je vois du soleil dans tes yeux (2008), Marie-Julie Nguetse avec D’Amour et de flèches (1998) et Lisières enchantées (2008).

La plupart de ces œuvres sont donc localement publiées ou éditées à compte d’auteur, avec toutes les lacunes qu’une telle entreprise entre des mains souvent pas ou peu expertes peut entraîner. Et même certaines d’entre elles, commises en France, présentent des insuffisances tant sur le plan de la mise en page que sur la truculence de l’orthographe ou de la sémantique. En 1980 déjà, nous tirions la sonnette d’alarme sur cet état de chose en publiant un article sur « L’impression de la littérature au Cameroun : un fléau à enrayer. »[4] Trente ans après, la situation a la peau dure. Des chefs-d’œuvre tels Le Bonheur immédiat et Le Cimetière des bacheliers, et même Le Péché des agneaux (2007) publié chez Danoïa en France, quelque belles soient-elles, présentent des insuffisances qui ne manquent pas de ternir leur face lumineuse. Ceci est dû à l’absence criante d’une politique culturelle solide qui servirait de tutelle et de bras séculier à ce nombre paradoxalement toujours grandissant d’écrivains. Est-il inutile de souligner que depuis 2008 le Compte d’Affectation Spécial du Ministère de la Culture dont le seul destin est d’attribuer des aides aux créateurs n’a déboursé aucun radis aux écrivains ? Seuls les musiciens semblent être les chouchous de l’État. Serait-ce parce que la plupart d’entre les artistes musiciens dans leur flagornerie chantent des dithyrambes sur les hommes du pouvoir ? Nous espérons que non. Mais avec Nathalie Étoke, puisse le soleil briller un jour pour tous et illuminer les voies nouvelles de tous ces déshérités sans raison, et donner le jour à de nouvelles voix plus harmonieuses et plus symphoniques, pour enfin accoucher d’« une Afrique meilleure, une Afrique nouvelle, une Afrique différente, une Afrique sans dictateurs, une Afrique sans pilleurs, une Afrique de Liberté et de Droits de l’homme » (p. 83), and until « the day the wings of Revolution will fly. » (pp. 160-161)[5]


[1] Le présent article a fait l’objet d’une contribution lors de la table-ronde clôturant les deuxièmes journées du Carrefour dela Littérature, des Arts et dela Culture (C.L.A.C) de Douala, tenue au Centre Culturel Camerounais de la même ville le 17 décembre 2010.

[2] CHEVRIER, Jacques, Littérature nègre, Paris, Armand Colin, 1984, p. 99.

[3] OWONA NTSAMA, Joseph, « Diaspora et écrivains du terroir : une esquisse de la littérature au Cameroun d’hier a aujourd’hui ».

[4] Cet article parut dans une version plus courte dans Cameroon Tribunes 1911 et 1917 des Dimanches et Lundis 26 et 27 oct., et 2 et 3 nov. 1980, Yaoundé, p. 2.

[5] DEEH SEGALLO, Gabriel, « Rêve, révolte et révolution dans Je vois du soleil dans tes yeux de Nathalie Étoke », in Essais critiques, inédit, et in www.afrikibouge.com.