Comptes-rendus Films

Retour sur Timbuktu d’Abderrahmane Sissako

Abderrahmane Sissako, cinéaste

Né en 1961 à Kiffa en Mauritanie, Sissako grandit à Bamako, au Mali, étudie le cinéma à la VGIK (importante école moscovite) dans les années 1980, tourne ses premiers courts-métrages au cours des années 90. Il remporte l’attention critique avec son premier court, Octobre (1993, 35mm, 37’), description d’une relation entre un étudiant africain et sa petite-amie russe à la veille du départ de celui-là. En 1995, il crée une adaptation de la fable de La Fontaine Le chameau et les bâtons flottants (vidéo, 6’), filmée en Mauritanie. Participant à la série Arte African Dreaming, Sabriya (1996, vidéo, 26’) relate l’histoire de deux frères obsédés d’échecs, propriétaires d’un café dans le désert de Tunisie, se séparant quand l’un tombe amoureux.

Son premier long-métrage, Rostov-Luanda, suit Sissako lui-même dans sa recherche sur un ancien mercenaire de la guerre d’indépendance angolaise. La Vie sur Terre (1998, 67’) ouvre sa carrière à une audience plus large notamment grâce à plusieurs récompenses. Le film représente gaiement l’existence de villageois dans le Mali rural à la veille du 21ème siècle. En 2002, sortent Heremakono (“Waiting for happiness”, 96’), qu’il a écrit et réalisé, et Abouna (“Notre père”, 81’), qu’il a produit. Le premier dessine l’intersection des parcours de vie d’habitants d’un village côtier à la rencontre entre le Sahara et l’Atlantique, donnant à ressentir leur difficile quête du bonheur dans ces conditions de vie limites. Abouna, production franco-tchadienne, réalisée par Mahamat-Saleh Haroun, narre les destins de deux garçons de N’Djamena, envoyés dans une école coranique à la campagne à la suite du départ de leur père.

En 2006, sort Bamako (115’), production détonnante et osée, doublement récompensée, qui met en scène dans une cour intérieure (celle où Sissako a grandi) transformée en cour de justice, des citoyens de la capitale malienne faisant un procès aux institutions internationales, accusées de maintenir l’Afrique dans un état de dépendance coloniale, et qui intègre une parodie de western, avec l’acteur-producteur Danny Glover. En 2008, il participe à deux projets collaboratifs : un sur les objectifs de développement du nouveau millénnaire intitulé 8, avec son court Tiya’s Dream (12’) sur l’éradication de l’extrême pauvreté et de la faim ; et un pour Stories on Human Right, N’Dimagou (“Dignité”, 3’). En 2010, il réalise pour Arte un autre très court film, Je vous souhaite la pluie, montrant depuis la situation d’une femme et son bébé le problème de la désertification. En 2014, Timbuktu (97’) obtient un retentissement international et de nombreux prix prestigieux.

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Timbuktu, le jihad intérieur

Ce que l’on apprend lors d’une discussion avec le cinéaste à la suite de la projection de son film, c’est notamment son admiration pour la figure de l’imam de Tombouctou, personnage inspiré d’une personne historiquement réelle, rétorquant calmement mais fermement aux assaillants auto-proclamés jihadistes, qu’ils font fausse route sur le jihad, parce que ce devrait être avant tout un combat intérieur, un travail à faire sur soi-même. Ce souci devant amener à une maîtrise de soi est ce qui a manqué à Kidane, lorsqu’il s’est battu avec le pêcheur jusqu’à le tuer, ce pêcheur ayant lui-même tué GPS, la vache adorée de la famille.

Un thème ressort donc : celui de la maîtrise de soi, de son aggressivité envers l’autre. Et le film se compose de variations sur ce thème. On assiste à une dure série d’excès et d’abus de pouvoir : le chef des mercenaires s’amuse avec un 4×4 et un kalachnikov en tirant sur une gazelle, des statuettes ou des buissons, un jeune jihadiste imposant tente de s’accaparer par la persuasion puis par la menace une jeune femme qui ne le connaît pas, certains nouveaux décideurs se donnent l’autorité d’interdire tout amusement (sport et musique) et de punir un supposé adultère par une lapidation publique, une exécution sans procès. La dureté de l’autorité pseudo religieuse prête plus à pleurer qu’à rire, pourtant elle est aussi ridicule, comme le montrent la séquence cocasse où de jeunes jihadistes se mettent en scène maladroitement, sans trop y croire pour une vidéo de propagande, et la séquence où le chauffeur du 4×4 se moque de son chef qui ne sait pas reconnaître ses propres faiblesses (de conduite).

Face à cela, subsistent la beauté et l’authenticité d’une vie traditionnelle ou toute simple, représentée par Toya et son petit ami, jeunes bergers dans le désert, le pêcheur et ses filets sur une maigre étendue d’eau, une chanson ou une danse secrètement improvisées, un match de foot qui continue sans ballon, une illuminée qui se moque d’eux… Hommage au “courage” de ceux qui ont mené ce que Sissako nomme “un combat silencieux” (conférence de presse, Festival de Cannes, 2014).