On sait combien les religions du livre, hostiles au plaisir, en particulier sexuel, tiennent en suspicion les femmes et veulent les cantonner dans un double rôle de servantes des hommes et de procréatrices. Les religions sont à cet égard sur un relatif pied d’égalité, aussi est-ce seulement parce que le judaïsme et le christianisme n’ont pas su – en dehors de quelques enclaves – mettre un frein à la modernité et à la permissivité qui l’accompagne, qu’ils se montrent aujourd’hui moins intolérants que par le passé. Seul l’islam persiste à opposer, à cet égard, une résistance vigoureuse. Le cinéma – on ne parle pas ici des blockbusters – n’est pas qu’un art de distraction, il porte aussi témoignage sur notre époque. Nombre de films dénoncent avec talent l’asservissement des femmes. Par exemple, Kadosh d’Amos Gitaï (côté judaïsme, version Méa Shéarim), Chemin de croix de Dietrich Brüggemann (côté catholicisme intégriste, version allemande) ou – entre tant d’exemples – Une séparation d’Asghar Farhadi (côté islam, version iranienne). Malgré son titre, Mustang de Deniz Gamze Ergüven n’est pas une histoire de chevaux mais raconte à son tour l’aliénation de la femme en pays musulman, la Turquie de Recep Tayyip Erdogan en l’occurrence.
Cinq sœurs en âge d’être au collège ou au lycée, élevées par leur grand-mère, ont commis un péché impardonnable : on les a vues, à la fin du dernier jour de classe de l’année, jouer dans la mer avec des garçons. Le délit est flagrant, il faut leur ôter sinon l’envie du moins la possibilité de recommencer. L’oncle, en particulier, y veillera, s’étant auto-proclamé gardien de la vertu de ses nièces. Ce qui ne l’empêchera pas, lui-même… (mais passons sur ce côté un peu forcé du scénario coécrit avec Alice Winocour).
Pécheresses et, pire, dépourvues de toute volonté de contrition, les cinq sœurs sont destinées à être mariées le plus vite possible. Cela se passe bien pour l’aînée qui réussit à épouser le garçon qu’elle aime, mal pour la seconde et encore plus mal pour la troisième qui préfère se suicider. Seules les deux dernières ont des chances d’être sauvées et cela grâce au courage et à l’opiniâtreté de la petite dernière.
Le film intéresse et séduit par ses contrastes. La tension qui naît de la situation révoltante (du moins pour un esprit occidental) des cinq jeunes filles est sans cesse rompue par les tableaux pleins de grâce et de fraîcheur des dites jeunes filles qui, même prisonnières, même objectivement maltraitées, conservent l’envie de s’amuser et trouvent au sein du groupe qu’elles constituent un réconfort que seul peut rompre leur séparation. Regardées à travers l’œil de la caméra, pelotonnées comme des chatons les unes contre les autres, avec leurs longs cheveux qui se mélangent, à l’abri dans ce cocon protecteur, elles sont l’image du bonheur le plus animal, le plus naturel qui soit, en complète contradiction avec les préjugés rigoristes, antinaturels auxquels on veut les soumettre.
A propos d’œil, la cinéaste montre de manière presque systématique les différentes scènes du film à travers celui de la plus jeune fille, avec d’abord un gros plan sur son visage pour nous inviter à prendre sa place. Le procédé fonctionne à merveille et, du coup, contribue à faire de la plus jeune fille le personnage central. Tous les comédiens sont excellents, ce qui doit être d’autant plus remarqué qu’il s’agit d’un premier film. On retrouve d’ailleurs avec plaisir dans un rôle ici salvateur Burak Yigit qui joue l’immigré turc dans le film Victoria, projeté également en ce mois de juillet sur les écrans français.