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Marilyne Bertoncini: L’Anneau de Chillida, poèmes ( L’Atelier du Grand Tétras, 2018)

L’anneau de Chillida ou la prescience de la parole poétique

D’emblée, la poésie de Marilyne Bertoncini se situe sous le signe du sculpteur espagnol Eduardo Chillida. Au début, apparaît l’anneau fondateur : anneau trinitaire où s’entrelacent le réel, la mémoire et la peine de l’humanité. Anneau- kaléidoscope fait de mystère. Anneau légendaire également puisque la mythologie irrigue ce recueil. Plusieurs notations en soulignent la prégnance, ainsi dans Genèse

Il y eut un avant

il y eut un après

Cette précision à la simplicité exemplaire est particulièrement importante. A partir de là, le lecteur s’inscrit dans un cheminement dialectique : Genèse…Marilyne Bertoncini donne à ce mot son sens strictement biblique. Avec cet hommage, elle n’ignore pas que la parole naît d’un silence fécond. Il faut vaincre ce silence pour avoir le droit d’embrasser – au sens d’étreindre- le monde. Est-il risqué de parler de cosmogonie  lorsque «  la nuit s’évanouit / dans l’éclat du poème » ?

Argos, Ménades, Danaïdes, Thébaïde, Orphée, Ariane… la poétesse vit dans un monde mythologique familier, parcourant un jardin frémissant de vie et de symboles. Comme elle est belle « la courbe du monde » révélée par une mort parfois « goguenarde » ! Ce monde où règne la personnification : «  Les yeux du fleuve » ; « des rêves se reflètent » ; « la maison aux yeux clos » ; « la paupière de la nuit » ; « les arbres qui s’éveillent te demandent l’aumône » ; « le matin frotte ses yeux »…ne saurait nous laisser indifférents.

Le voyage initiatique de L’anneau de Chillida  déroule ses charmes au sens fort. Marilyne Bertoncini en est la prêtresse et même la pythie :

J’arpente vos songes […]

Je glisse sur vos songes […]

Je cueille vos songes […]

affirme-t-elle, entre l’étang et le marais avant de révéler « une volée de mots » qu’elle rend fertiles.

Je bois le froid dans la tasse du ciel

où fume enfin l’azur

Ce recueil est une célébration, un hymne à la nature tout entière dans laquelle prendrait place un être réconcilié avec le monde : faut-il écrire « la création » ? Il n’est pas étonnant que la poétesse rende hommage à Orphée dans Labyrinthe des nuits. La voix est souveraine dans L’anneau de Chillida. Voix au sens musical du terme puisqu’elle permet de faire apparaître des « souffles d’outre-monde », « l’éclat des cris de la mort » voire des notations bien réelles comme un simple « bruit de baiser / sur tes lèvres humides » ou même « l’essaim bourdonnant des mots ».

Dans L’anneau de Chillida, plusieurs mondes parallèles et complémentaires se côtoient ainsi au carrefour de la réalité et de l’imaginaire. Il arrive également que cette réalité devienne chimérique comme en ce très beau passage :

Le réel s’insinue

Sous la peau du sommeil

Les paupières obstinées

Et les lèvres fermées

ou l’inverse lorsque « des rêves se reflètent / parmi les herbes d’eau ».

Dans cette poésie eschatologique passe la nostalgie d’un Éden toujours hors de portée de l’être humain avec des vers inspirés comme celui-ci :

 la lumière fait la roue et palpe le silence 

Avec Marilyne Bertoncini, le lecteur ne reste pas en arrière. Il est « pris dans le mouvement perpétuel de l’anneau d’éternité » dévidé par sa poésie, « charrié par sa pensée » au carrefour des « mythes [qui] s’en écoulent ».

Éternité, mythe, pensée : cette trilogie constitue l’une des grilles de lecture possibles d’une œuvre polysémique qui enchante le lecteur au sens étymologique.

La « mémoire-mosaïque », célébrée par Marilyne Bertoncini est l’un des raccourcis flamboyants de sa poésie. Il en est d’autres à découvrir tout au long de ces pages où la mort se profile  tout en chantant sur le mode mineur, dirait Verlaine, puisqu’ elle « ente ton œil à la lumière ». De toute éternité, la mort est ainsi (re)liée à la vie, en un paradoxe qui n’a rien de gratuit.

Que reste-t-il, une fois le livre refermé ? Un goût de lumière « sous le poing du soleil » là où «  les dieux parlent dans […] l’odeur des absinthes, la mer cuirassée d’argent, le ciel bleu écru, les ruines couvertes de fleurs et la lumière à gros bouillons dans les amas de pierre… » (Albert Camus).

L’Anneau de Chillida célèbre les noces païennes de l’homme avec le monde même lorsque la mort, discrètement évoquée par la poétesse, se glisse en tapinois pour mieux nous suggérer un semblant d’éternité. Le paradoxe gratuit n’existe pas pour Marilyne Bertoncini mais bien une forme de syncrétisme harmonieux.

Parfois, en nous aidant à mieux voir et à comprendre le cœur de l’univers, la poésie est synonyme de prescience. Nul n’est besoin de théologie.