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L’Europe, la Nouvelle-Calédonie, des fédérations en devenir

Jean-Yves et Florence Faberon (dir.), Les Fédéralismes, Editions Recherches sur la cohésion sociale, 2020, 470 p., 25 €.

Un gros ouvrage qui compte vingt-sept chapitres parmi lesquels, in fine un dossier rassemblant diverses réactions locales au résultat du référendum du 4 novembre 2018 relatif à l’évolution statutaire de la Nouvelle-Calédonie. Ce recueil, en effet, a été d’abord conçu pour présenter un éventail des réponses possibles aux problèmes institutionnels de ce lointain territoire français. Dès lors, son contenu peut intéresser bien au-delà du cercle des spécialistes de la question calédonienne. L’essentiel, en effet, est consacré à la présentation de dix-huit cas concrets sur les cinq continents.

Deux chapitres introductifs présentent d’utiles rappels de la théorie du fédéralisme. Fédéralisme par agrégation ou désagrégation ; les trois principes distingués par Georges Scelles (superposition, autonomie, participation) ; compétence de principe (normalement dévolue aux entités fédérées) versus compétence d’attribution (normalement dévolue à l’Etat fédéral) ; fédéralisme coopératif (financement d’une compétence partagé entre les deux niveaux). Le lien entre fédéralisme et démocratie est fortement souligné. La citation suivante de René Capitant (1954) aurait pu se trouver, au style près, sous la plume de Proudhon :

« Le principe démocratique conduit nécessairement au fédéralisme ou tout au moins à une certaine forme de fédéralisme et on ne peut donc concevoir une démocratie complète, totale, si elle n’est pas en même temps une démocratie fédérale, imprégnée de fédéralisme ».

Néanmoins de nombreux pays, claniques ou divisés entre communautés rivales, ne sont pas mûrs pour la démocratie. Dans ce cas aussi, pourtant, un certain fédéralisme peut apparaître comme le seul moyen d’atteindre à la légitimité au moins relative de l’Etat.

L’Union européenne

Le chapitre sur l’UE intéressera particulièrement nos lecteurs. Bien sûr l’UE, dans la mesure où elle pratique l’intégration « positive » (institutions et politiques communes) et pas seulement « négative » (suppression des barrières aux échanges intérieurs), tend vers un modèle fédéral d’ailleurs affiché. Néanmoins, une analyse juridique précise s’impose dans le cas de cette union de pays souverains, formellement une confédération avec des éléments authentiquement fédéraux, dont le plus évident est la politique monétaire puisqu’elle se décide sans que les Etats aient leur mot à dire. Cependant l’union monétaire ne concernant que dix-neuf pays sur vingt-sept, force de constater que le fédéralisme européen est, sur ce point, fortement asymétrique. L’union douanière et la politique commerciale commune souvent citées (comme l’agriculture et la pêche) sont des exemples moins probants : il n’y a qu’à voir les atermoiements vis-à-vis de l’agressivité commerciale de la Chine, qui s’expliquent par l’incapacité des Etats à se mettre d’accord sur les mesures défensives à adopter. Les trois institutions (Parlement, Conseil, Commission) évoquent bien l’organisation classique d’une organisation fédérale (chambre des représentants, chambre des Etats, gouvernement fédéral), cependant le fait que des décisions cruciales exigent toujours l’unanimité du Conseil, les pouvoirs encore restreints du Parlement, les politiques régaliennes conservées par les Etats (en premier lieu la défense) indiquent suffisamment combien on est encore loin du but, donc encore dans un système confédéral. Contrairement à ce qu’avance l’auteur du chapitre sur l’UE, l’espace Schengen commune parait bien un acquis d’une Europe en train de se fédéraliser, malgré l’absence d’une véritable politique migratoire et même si tous les pays de l’UE n’en font pas partie alors que des pays non membres en font, eux, partie.

Le débat entre « fédéralistes européens » (Spinelli) et « fonctionnalistes » (Jean Monnet) est évoqué et tranché au détriment des premiers accusés de croire ingénument « qu’il y a un peuple européen qui n’attend que la mise en place des Etats-Unis d’Europe. » (p. 87). Quant au principe de subsidiarité (l’Union n’intervient que là où elle peut être plus efficace que les Etats membres), s’il ne fait pas débat, c’est parce qu’il contente aussi bien les « européistes » qui y voient un argument pour pousser à davantage d’intégration, que les « nationalistes » qui y voient au contraire un moyen de limiter le renforcement de l’UE. Rappelons pour finir sur le sujet de l’UE que depuis l’extension du domaine où les décisions sont prises à la majorité qualifiée (Acte Unique européen du 1er juillet 1987), les gouvernements nationaux ne se font pas faute d’incriminer l’Europe lorsqu’ils refusent d’assumer publiquement des décisions impopulaires.

La Nouvelle Calédonie

La Nouvelle-Calédonie, on l’a dit, tient une place à part dans ce livre. Et il est vrai que, alors que le second référendum prévu par l’Accord de Nouméa (1988) pour décider de l’avenir du territoire est prévu le 4 octobre en Nouvelle-Calédonie, après celui de 2018 qui avait rejeté l’indépendance à 56%, tous les dispositifs institutionnels demeurent ouverts. Curieusement, aucun des contributeurs de ce dossier ne met en avant la contrainte budgétaire, chiffres à l’appui.  Gageons cependant que tout le monde a ces chiffres à l’esprit, du moins les ordres de grandeur puisque le gouvernement s’emploie à laisser planer le flou à cet égard. Il n’empêche que la France est la risée des observateurs avertis du monde entier pour la manière dont elle gère les dernières colonies qui lui restent, rebaptisées désormais « collectivités territoriales d’outre-mer » (pour simplifier car la Nouvelle-Calédonie justement fait exception à cet égard dans la Constitution), une manière extraordinairement dispendieuse sans que pour autant les ultra-marins s’estiment satisfaits, ce qui se conçoit puisque les faveurs et subventions diverses ne parviennent pas à sortir ces sociétés de l’assistanat et ne font que conforter une économie de « consommation sans production ». Cela étant, comme les règles diffèrent selon les collectivités, le coût pour la Métropole et les avantages financiers tirés par les collectivités varient considérablement de l’une à l’autre. En règle générale mieux vaut de ce point de vue être ce que l’on appelait jadis un « TOM » (territoire d’outre-mer) qu’un « DOM » (département d’outre-mer). Pour s’en tenir aux estimations raisonnables qui circulent çà et là, le coût pour le contribuable métropolitain d’un Martiniquais est de l’ordre de 6.000 € par an et celui d’un Néo-calédonien de 10.000 €[i]. On peut s’étonner de cette largesse en faveur du territoire mélanésien, alors que la Nouvelle-Calédonie se situe au niveau de la 4ème région métropolitaine la plus riche (toujours par habitant et hors Île-de-France), qu’elle est par ailleurs la seule à disposer d’une richesse naturelle conséquente (hors tourisme), le nickel ? Par contraste, la Martinique, bien que première des ex-DOM, se situe selon le même critère derrière toutes les régions métropolitaines. Inutile donc de chercher la moindre logique derrière la politique de la France outre-mer ! Quoi qu’il en soit, on comprend pourquoi le débat sur une indépendance stricto sensu est nul et non avenu en Nouvelle-Calédonie, comme d’ailleurs dans toute la France d’outre-mer. Il n’y a aucune chance pour qu’une majorité réponde oui, le 4 octobre prochain, à la question qui sera posée, la même qu’en 2018 : « Voulez-vous que la Nouvelle-Calédonie accède à la pleine souveraineté et devienne indépendante ? ». On s’orientera plus vraisemblablement à l’avenir vers une solution doublement fédérale. Fédéralisme « externe », d’une part : la Nouvelle-Calédonie deviendrait un Etat fédéré au sein de la France – un « Etat » pour satisfaire les velléités indépendantistes des kanak, mais non entièrement souverain pour satisfaire, cette fois, les loyalistes et préserver les avantages acquis conformément à la volonté commune. Fédéralisme interne, d’autre part, marquant de manière encore plus nette l’autonomie des provinces, qu’il s’agisse des trois provinces actuelles (Sud, Nord, Îles Loyauté) ou de seulement deux provinces (Sud et Kanaky).

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L’examen des multiples figures institutionnelles recensées dans le livre convainc avant tout de la plasticité du modèle fédéral. Au point de se demander si une stricte définition du fédéralisme est possible. Faute de mieux, on se rangera à celle proposée par les deux directeurs de l’ouvrage :

« Dans la conception fédérale, la collectivité membre n’est pas pénalisée par ses faiblesses car elle reste forte de la solidarité de son Etat fédéral, qui cependant respecte son identité propre » (p. 11).

Belle formule ! Trop belle sans doute, mais si l’on réfléchit à l’élargissement de l’UE à l’Est, elle n’est pas si loin de la réalité. L’erreur, en l’occurrence, ne fut pas d’accueillir les PECO (pays de l’Europe centrale et orientale) mais de l’avoir fait avant d’avoir bâti une union authentiquement fédérale.

 

 

[i] Ces chiffres résultent de l’addition des dépenses budgétaires de l’Etat et des dépenses fiscales (exonérations diverses) divisée par le nombre d’habitants. Pour s’en tenir au seul montant du transfert financier de l’Etat à la Nouvelle-Calédonie, il atteignait 4.625 € par habitant en 2017. Le total (1,3 milliard €) correspond principalement aux salaires versés à des fonctionnaires néo-calédoniens ou, dans une bien moindre mesure désormais, européens en mission, exerçant des compétences transférées à la Nouvelle-Calédonie avec le budget afférent. A qualification égale, les revenus de ces fonctionnaires sont de l’ordre du double de ceux de leurs homologues métropolitains, en raison d’une sur-rémunération outre-mer qui est elle-même double de celle versée en Martinique (+73% du traitement métropolitain à Nouméa, +94% en « brousse », contre +40% en Martinique) et des avantages fiscaux. Ces derniers contribuent à la dépense fiscale (ainsi les traitements versés par la France en Nouvelle-Calédonie ne sont-ils pas du tout imposables en France tandis que les Martiniquais bénéficient quant à eux d’un barème moins élevé qu’en Métropole).