Tribunes

Et si François Hollande voulait vraiment gouverner à gauche ?

Il est bien loin le temps où l’on pouvait croire qu’une révolution permettrait d’abolir l’exploitation de l’homme par l’homme et d’instaurer l’égalité. Plus aucun parti, aujourd’hui, n’ose afficher franchement un tel programme, l’échec des pays du socialisme réel ayant appris aux peuples la prudence. Refusant les coups de force révolutionnaires aussi bien que la dictature qui s’ensuivrait nécessairement pour imposer le communisme, toute la gauche, même la plus extrême, est entrée ipso facto – quoique à des degrés certes très divers – dans les rangs de la social-démocratie. Il peut paraître aberrant de ranger dans le même sac MM. Poutou, Mélenchon et Hollande. Pourtant, si l’on se réfère à la doctrine communiste authentique, ils sont tous des réformistes.

Il reste que l’éventail des positions défendues par les politiciens qui se réclament encore de la gauche contribue à brouiller le sens de ce mot. Cette confusion est encore accrue si l’on admet que nombre des questions évoquées dans les programmes des candidats aux dernières élections présidentielles n’avaient rien à voir avec le clivage droite-gauche. Il importe donc de les écarter avant d’essayer de définir ce que pourrait être le noyau dur d’une politique de gauche.

Qu’est-ce qui ne relève ni de la gauche ni de la droite ? Le sujet majeur de la campagne présidentielle, à savoir l’emploi et la relance économique, n’est évidemment pas un enjeu spécifique de la droite ou de la gauche. Quel que soit le gouvernement dela France, il doit, à l’évidence, avoir comme premier objectif de sortir le pays de la crise. Quant aux modalités, elles aussi ne sont la plupart du temps ni de droite ni de gauche. Il est concevable par exemple que la gauche favorise une politique de l’offre (baisse du coût du travail, etc.) et la droite une politique de la demande (relance du pouvoir d’achat) tout autant que l’inverse. La sortie éventuelle de la zone euro, l’introduction d’une dose plus ou moins forte de protectionnisme sont également des inflexions qui, pour être majeures, ne peuvent être classées d’un côté ou l’autre de l’échiquier politique. De même pour la dette : compte tenu de son poids actuel (quelques 90% du PIB), la réduire est un impératif qui s’impose à n’importe quel gouvernement ; une attitude un tant soit peu laxiste à cet égard entraînerait immédiatement une hausse des taux d’intérêt à un niveau insupportable. Par contre, dans ce cas, la manière de réduire la dette ne sera pas la même suivant que le gouvernement se réclame de la droite ou de la gauche : imposer ceci plutôt que cela, réduire telle dépense plutôt que telle autre, n’est évidemment pas neutre, contrairement à bien d’autres sujets qui figurent à l’agenda gouvernemental. Il en va ainsi de l’immigration qui doit être obligatoirement contenue dans une conjoncture marquée par un chômage très élevé. Ou de l’équilibre des caisses de retraite : l’on voit mal pourquoi telle ou telle combinaison particulière des éléments de la solution (l’allongement de la durée de la vie active, l’augmentation des cotisations ou la fiscalisation d’une partie des recettes des caisses de retraite parla TVA, enfin la diminution du montant des retraites) serait plus à gauche qu’à droite (ou l’inverse). Autre exemple, la politique démographique : le choix d’une redistribution par l’impôt des célibataires vers les familles traduit un objectif nataliste qui n’est ni de droite ni de gauche. De même pour le maintien d’une force dite de dissuasion stratégique ou pour les économies d’énergie.     

Quelles sont alors les mesures qui s’inscriraient clairement dans un agenda de gauche ? La nationalisation des moyens de production n’est clairement plus à l’ordre du jour. La nationalisation du secteur de la santé (y compris la médecine de ville et les officines) ne l’est pas non plus. On évoque davantage celle du système bancaire (à distinguer du sauvetage par l’État d’une banque en faillite, qui peut être aussi bien le fait d’un gouvernement de droite). Mais c’est sans doute la réduction autoritaire des inégalités qui serait le marqueur éclatant d’une politique de gauche. Elle pourrait se traduire – comme inscrit dans le programme du Front de gauche – par la fixation d’un taux confiscatoire (100%) de l’impôt sur le revenu au-delà d’un certain niveau. On sait que le Parti socialiste français ne va pas à ces extrêmes. Il reste néanmoins d’autres mesures à prendre par un président dela République et un gouvernement qui seraient soucieux d’inscrire leur action dans une orientation réellement de gauche.

L’attitude envers les inégalités constitue le principal clivage droite-gauche. La première n’est pas choquée par les inégalités qui lui apparaissent à la fois naturelles et nécessaires pour favoriser l’activité économique et par là la prospérité générale. Tandis que la seconde tolère seulement les inégalités (parce qu’elle reconnaît leur nécessité) tout en les jugeant injustes. Une politique de gauche s’évalue donc à sa capacité à instaurer (ou à faire progresser) la justice sociale. Evidemment cet objectif peut être également revendiqué par la droite mais celle-ci se sentira moins tenue de l’atteindre.

Sans aller jusqu’à imposer un plafond aux rémunérations, il est clair que, dès lors que les élections législatives ont donné une majorité de gauche au président Hollande, celui-ci sera jugé sur sa capacité à inverser l’évolution des dernières années, marquée par une forte croissance des inégalités des revenus et des fortunes. Cet objectif n’est pas facile à atteindre dans une France intégrée à une Europe elle-même très ouverte. Le président français devrait donc s’atteler en priorité à promouvoir au sein de l’Union européenne non seulement une relance concertée de l’économie mais encore l’harmonisation fiscale et la suppression des paradis fiscaux. En attendant le résultat de ces efforts, il pourra s’attaquer aux multiples niches de notre système d’imposition. Pour plus de clarté il ferait bien de les supprimer toutes, quitte à subventionner directement, en contrepartie, les investissements pour lesquels un encouragement financier de l’État demeurerait indispensable. La règle, en matière fiscale, est celle du traitement égal des égaux. Pour un niveau donné du revenu (ou de la fortune), l’impôt doit être le même qu’on soit salarié, rentier, ou… journaliste.

Une telle règle dépasse la justice fiscale : il est par exemple anormal que, toutes choses égales par ailleurs, un fonctionnaire en poste outre-mer reçoive un traitement plus élevé (tout en payant d’ailleurs moins d’impôt) qu’un fonctionnaire métropolitain (1). Par contre elle n’empêche pas la discrimination positive, puisque celle-ci revient à traiter différemment des individus inégaux. À l’évidence, donner davantage aux écoles des quartiers défavorisés va dans le sens de l’égalité des chances et de la justice sociale. Notons au passage que cela ne justifie pas pour autant la promesse de rétablir 60.000 emplois dans l’Éducation nationale. D’une part parce qu’une telle mesure dépensière laisse mal augurer du rétablissement de l’équilibre budgétaire. D’autre part et surtout parce qu’il n’est pas de bonne politique d’augmenter les moyens d’un système qui fonctionne mal. La raison voudrait de commencer par optimiser les moyens existants, en les réallouant en fonction de l’objectif d’égalité des chances, avant d’en rajouter là où cela paraîtrait encore indispensable.

On l’a dit, relancer l’économie pour augmenter l’emploi n’est pas spécifique à la gauche. Par contre si la politique échoue – parce qu’un pays ne peut pas toujours s’affranchir des contraintes extérieures (la conjoncture mondiale, les règles européennes) – un gouvernement de gauche peut encore agir sur le chômage en répartissant autrement les emplois disponibles. Travailler moins individuellement pour gagner moins peut alors être considéré comme une politique de gauche si sa finalité est de partager le travail.

Michel Herland, 22 juin 2011.

(1) Le maintien d’une prime est légitime si elle correspond effectivement à la compensation d’un coût de la vie plus élevée et si elle est forfaitaire (non proportionnelle au traitement).