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Freud en père Ubu

 

 

Le crépuscule d’une idole, Michel Onfray. Paris : Grasset, 2010.

 

Résumons : menteur, affabulateur, arriviste, cupide, superstitieux, refoulé, dépressif, phobique, paranoïaque, graphomane, hypocondriaque, jaloux, nihiliste, ennemi de la philosopophie, de ses patients, de ses pairs, de l’humanité tout entière, fumeur invétéré, drogué, impuissant sexuel, pervers, phallocrate, adultère, misogyne, homophobe, incestueux, complice des fascistes et des nazis… Avouez que si tout cela est vrai, cet homme-là, Freud, ne peut pas être tout à fait mauvais. On veut bien le croire, le grand Inquisiteur Onfray, quand il nous assure que pour peaufiner la bio de son modèle*, il a tout lu de son œuvre et tout ce qui s’est écrit dessus. Des mois et des mois de lecture pour accoucher de cette farce qui n’a hélas pas la drôlerie du chef-d’œuvre de Jarry. Paraît même que pour préparer un seul exposé, notre stakhanoviste y passe une trentaine heures ! Quand diable notre éroticien solaire trouve-t-il le temps d’aller recharger ses piles au soleil ? Il est donc des hédonistes furieusement masochistes. Soixante-dix livres déjà publiés ! À son âge ! Et il ose ricaner des six mille pages de Freud publiées au cours de sa longue vie ! La parution de ce lourd pensum serait un non-événement s’il ne trouvait un écho complice dans la grande presse. Comptons d’abord sur ceux des journalistes qui n’ont jamais lu une ligne de Freud et qui laissent échapper un gros rot de satisfaction. Ouf ! Les voilà lâchement libérés, peuvent faire l’économie de la lecture des thèses insanes du méchant père Ubu et s’occuper de choses sérieuses, lire le dernier opus de Franz-Olivier Giesbert, par exemple. Plus préoccupant, il y a les défenseurs de Freud qui sont prêts à consacrer de longues journées de travail à dégonfler cet obèse pamphlet. Avec pour effet pervers : booster un peu plus ses ventes. Que ne prennent-ils exemple sur le milieu philosophique qui n’a jamais considéré Onfray pour un de ses pairs avec qui perdre son temps à dialoguer ! Cette non-reconnaissance est d’ailleurs une des blessures narcissiques du complaisant sculpteur de son moi. Blessures qui sont à l’origine de ses provocations dérisoires et de ses haineuses envolées (Sade, Breton, Bataille, récentes cibles de notre athée solaire). Idem pour le pape et ses évêques : les voit-on se formaliser des trépignements anti-chrétiens du preux païen d’Argentan (lequel nous signale que son Crépuscule a été achevé au « solstice d’hiver ». Chic non ?). Il a d’autres préoccupations le Saint-Père, en ce moment, avec toutes ces affaires de pédophilie dans l’Église. Tiens, au fait, dans l’acte d’accusation de Freud-Ubu rédigé par le flic enquêteur, manque bizarrement le crime des crimes, la pédophilie. Pas de sodomie, pas de cervelle de bébé moulinée ? Un oubli, sûrement. Faudrait voir à poursuivre les investigations.

Il y a un grand mot qu’il a toujours à la bouche, notre nietzschéen normand : « souci éthique ». Est-ce un tel souci qui l’amène à renifler les draps où Freud a couché pour savoir si oui ou non il commettait le scandaleux péché d’adultère avec sa belle-sœur ? C’est que notre libertin auto-déclaré a de nobles indignations. Comme celle, également, qui le dresse contre la pratique des biographes fouilleurs de poubelles. En tout cas, pour devenir ainsi l’implacable juge de la vie des autres, il faut être sacrément assuré qu’entre la belle, l’impeccable image sculptée qu’on donne de soi, et les aléas de la vraie vie, il n’y a aucun hiatus. Onfray, lui, a cette tranquille assurance. On lui en donne acte.

* Le crépuscule d’une idole, Michel Onfray. Paris : Grasset, 2010.