Scènes

Duras au Théâtre de Poche

Théâre_de_poche_MontparnasseOn pourrait croire que le théâtre est une forme d’expression surannée. Heureusement, il n’en est rien : les instruments modernes de distraction n’ont pas réussi à le faire sombrer. L’engouement pour le théâtre est toujours là, les spectacles qui affichent « complet » sont loin d’être l’exception, ainsi que les amateurs parisiens, pour ne mentionner que ceux-là, en font souvent l’expérience. Cela ne signifie pas que l’économie du théâtre soit toujours florissante, loin de là.  Sans même parler de l’opposition entre le public (subventionné) et le privé, la situation d’un grand théâtre du Boulevard parisien n’a rien à voir avec celle de la modeste salle d’une petite ville de province. Et, à Paris, toutes les salles ne sont pas logées à la même enseigne. L’offre de spectacles est si abondante que certains théâtres – moins bien placés ou simplement moins prestigieux – peinent à attirer les spectateurs, malgré une programmation de qualité. Une formule possible, affectionnée des petites salles, consiste à diviser les risques en programmant plusieurs pièces dans la même journée, comme dans le Off d’Avignon. Tel est le cas par exemple, à Paris, de deux théâtres du quartier Montparnasse, Le Guichet Montparnasse, rue du Maine, et Le Théâtre de Poche, impasse Robiquet. Ce dernier, créé en 1943, inauguré par Jean Vilar, a été récemment racheté et rénové par Philippe Tesson, journaliste, grand amateur et critique de théâtre, qui en a confié les clefs à sa fille Stéphanie Tesson.

AFF-DURASLe Théâtre de Poche programme en ce moment cinq spectacles parmi lesquels un montage de divers textes de Marguerite Duras, intitulé La vie qui va : des extraits de son théâtre – Les Eaux et forêts (publié in Théâtre I, 1965), Le Shaga (in Théâtre II, 1968) – ou d’autres écrits comme La Vie matérielle, Les Yeux verts, etc. La vie qui va est interprétée et mise en scène par deux comédiens : Claire Deluca et Jean-Marie Lehec. La première, actrice durassienne par excellence, a non seulement monté, du vivant de Marguerite Duras des pièces que celle-ci lui avait confiée, mais elle a eu le privilège de participer à la création du Shaga et de Yes sous la direction de « Marguerite » elle-même. C’est dire combien il est précieux, pour tous ceux qui n’ont pas eu la chance d’assister à la représentation d’une pièce (1) de Duras par Duras, de découvrir, à travers cette Vie qui va, quelles pouvaient être ses intentions de mise en scène au théâtre.

On ne saurait mieux décrire l’atmosphère de la Vie qui va qu’en donnant la parole à Marguerite Duras. La citation provient d’un enregistrement réalisé par Claire Deluca en 1967 :

« Ce sont des gens qui parlent et que la parole entraîne. Qu’est-ce qu’ils ont en commun ? Une certaine folie. Leur mystère, c’est cette faculté fantastique de fabulation. Il ya là-dedans une gaieté essentielle, un pessimisme très joyeux… Au fond de tout cela, bien sûr, il y a une intuition de l’absurdité. »

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De fait, les extraits retenus dans la Vie qui va sont marqués par l’absurde, l’affabulation et quelques grains de folie, le tout pour un résultat des plus plaisants. Quant au jeu des deux comédiens, il est tout en retenue. La parole circule : c’est cela qui importe. Si le jeu existe, il est réduit à peu de choses : quelques gestes, quelques déplacements. Ce parti n’est ni bon ni mauvais. Il est conforme à l’esprit  de Duras et c’est à ce titre qu’il nous intéresse.

(1)    Pour le cinéma c’est évidemment différent : les films sont toujours là.