Mondes africains

Les villages d’écritures chez Mouloud Feraoun

L’espace-village est un espace graphique cloitré et ne s’ouvre qu’à des lectures pluridisciplinaires. Interroger les géographies, les mondes matériels et immatériels vise à la compréhension des complexifications des itinéraires de ceux et celles qui ont produits ce que nous nommerons, le village-littéraire.

Sans vouloir verser dans une description d’ordre généraliste, nous pensons que presque la totalité de la production littéraire en Algérie, et dans les deux langues, débutent et s’achèvent dans ce bout de monde.

Village ou douar (son équivalent dans l’arabe parlé) est transformé en espace textuel où le fictionnel traverse le monde des éditions, des traductions, des médias et suscite nombre de curiosités académiques et scientifiques.

« Le monde est devenu un grand village », une phrase qui fêtera son cinquantième anniversaire de parution en 2017. Un monde soumis aux média et à leurs manias de faiseurs d’opinion. Mais reste qu’en Algérie, le monde semble s’articuler au seul espace villageois. Le village global est resté une échelle microcosmique qui joue le rôle d’un véritable catalyseur socioculturel.

Le village est une notion dans la tête de tout Algérien. Une valeur comportementale, psychologique et anthropologique même. Chacun porte un village dans sa tête, un village ancestral et tente de le reproduire à travers les faits et gestes de la quotidienneté.

Les auteurs (es) Algériens(es), n’échappent pas à cette donne. Ils ont créés, nourries, formulés et développés cette extension spatiale dans l’ensemble de leurs œuvres.

 

Les villages écrits

Dans une étude sur la littérature maghrébine francophone, Charles Bonn (1), écrivait au sujet de la description du lieu d’origine :

« Dire d’un lieu contre la négation de celui-ci par la colonisation, puis, en réponse à une curiosité de sympathie ou de dépaysement exotique, le roman maghrébin serait définitivement prisonnier de ce lieu qui lui donne son étiquette. »

Un roman à description ethnographique étrangère à toute authenticité littéraire. Un postulat qui nous intéresse à plus d’un niveau aux vues des interrogations et des fluctuations des problèmes, dits de sociétés, qui traversent le Maghreb en général et l’Algérie en particulier.

L’espace-village, comme notion, semble au centre d’une problématique qui dépasserait de loin une simple localité de gens apparentés par le sang. La littérature algérienne on a fait un système culturel et une valeur historique certaine.

Djamila Débéche, première femme écrivaine et militante pour l’émancipation des musulmanes, en période coloniale, publie au déclenchement de la lutte armée pour l’indépendance politique de l’Algérie, son deuxième roman Aziza (1955). Le personnage central de l’œuvre est une jeune femme éduquée dans l’école et la culture française, décide de mener une vie au douar (village) au milieu de la famille de Kamel dont elle est follement amoureuse. Aziza, elle-même issue d’une famille de dignitaire campagnarde. Elle se sépare de Kamel, lorsque ce dernier choisi de travailler à Alger (la ville), et part en France afin de tenter d’y vivre. L’appel du village étant plus fort, elle contient sa déception et y retourne afin de mener son projet d’éducation pour jeunes filles du lieu auquel elle y prend attache.

Dans son premier roman, Leila, jeune fille d’Algérie (1947), le ressourcement dans ces lieux reculés de la campagne, passe forcément par l’action de l’instruction. Le personnage principal du roman est valeurs ancestrales mais ouvert à l’instruction publique de l’époque, décide de surpasser les conflits familiaux en retournant, après un périple algérois, à ce village du grand sud afin de réaliser les espoirs de son père autour de l’émancipation par le savoir.

Mouloud Feraoun, Mouloud Mammeri, Ali Boumahdi, Assia Djebar et bien d’autres encore, font intervenir l’espace-village comme un fonctionnement d’une société totale. Tizi-Hibel chez Feraoun, Tasga et Ighzer chez Mammeri, le village du Sahel (la côte blidienne) de la narratrice d’Assia Djebar ou encore le Nadhor de Kateb Yacine, forment les lieux de naissances de l’héros, du narrateur, du faiseur de fiction et de l’auteur même. Un « tout à la fois » comme espace de descendance, de clan patrilinéaire, de résidence où se constitue le segment clanique. Les trames des écritures vont du/au village, où les individus revendiquent leurs droits du territoire parental et sanguin. Un choix qui détermine l’encellulement des récits de fictions dans le seul habitat aggloméré stable qu’est le village.

 

Le village-continent

 Le poète –Président Léopold Sédar Senghor en s’insurgeant contre la pensée colonialiste dans son déterminisme philosophique, historique et ethnographique, revient sur l’enracinement des peuples noires d’Afrique, dans ce qu’appel Sunday Ogbonna Anozi (2), le village comme « point de cristallisation de la conscience communautaire ». Le village est cette expression de valeurs culturelles, le village chez Senghor est l’existence même de l’identité africaine. C’est tout un espace continental qui peut-être résumé et réunis dans ce village qui s’enracine et s’identifie à la terre de la communauté à laquelle il appartient. Dans cet espace, les habitants apprennent dès l’âge précoce l’intégration dans sa communauté, l’initiation aux valeurs, aux traditions ancestrales et aux rites religieux.

Le village dépasse donc, le seul espace d’un regroupement humain et devient un leu et un contexte qui permet à la tradition de perpétuer. L.S. Senghor est certainement, le précurseur de la réhabilitation de l’espace-village. Il élèvera le village à la dimension de la grandeur du continent africain, du Cap Bon (Tunisie) au Cap des Aiguilles (Afrique du Sud), le village est distant de 11.272 km et il est bien large de 90963 km, du Cap Vert (Sénégal) au Cap Guardafui (Somalie). Au-delà de la question de la Négritude que Senghor partage avec Césaire, le village est Africain dans sa composante multiethnique, à ses richissimes couleurs et même si le village n’est pas technique, dans le sens entendu en Occident, il est nettement avancé sur les plans juridiques, artistiques et littéraires.

Les auteurs africains, du nord au sud et d’est en ouest, ne peuvent être qu’inscrit dans une perception aigue de l’espace et leur enfermement les contraints à réévaluer leur rapport à l’écrit. Mouloud Feraoun est certainement le plus Africain des auteurs Algériens, son rapport à l’écriture est d’autant plus passionnant à décrypter et la peinture qui se dégage de ses deux romans Le Fils du pauvre et La Terre et le sang, rend les textes non plus à lire, mais à voir. Si les peintres transcrivent l’espace d’une toile avec des couleurs, les écrivains peignent leur texture avec les subterfuges de la peinture.

Nous savons qu’un Feraoun ou un Camara Laye permettent à l’Histoire d’entrer dans la métamorphose de l’écriture, et l’espace-village devient une écriture-peinture avec des mots-couleurs qui rejoignent les composites minérales par le tracé du graphisme et de la signature. Un village kabyle décrit/transcrit est le juxtaposé de celui du Natal, en Afrique du Sud. Celui du Sénégal, parle et évoque les tourmentes et les fêtes de son jumeau en Somalie.

Écritures d’assimilation, du type ethnographique et textes du courant régionaliste sont autant de classèmes d’étiquettes idéologiques ne renfermant qu’une lecture pressée pour ne pas dire expéditive. Devant une analyse minutieuse, « l’analyse-postale » ne résiste pas beaucoup, déferlant sur des boites aux lettres qui, pour la plupart n’ont pas de destinataires.

Nabile Farès, tout récemment et avant sa disparition le 30 aout 2016, écrivait dans Actualités et Cultures Berbères (n° 58/59, 2008, p.60-61), que l’œuvre de Feraoun « n’a cessé de mêler histoire actuelle, factuelle, événementielle, et biographie, à partir de formes d’écritures multiples ». L’auteur de Yahia, pas de chance (1970), situe l’œuvre de Feraoun dans « les mouvements carrefours des transmissions et constructions d’histoires », qui font de lui un écrivain de dimension africaine, puisqu’il est

« un passeur, un transmetteur de culture, créateur dans le champs d’une histoire politique vécue à un mouvement du temps par les habitants, citoyennes et citoyens, d’un pays. »

L’œuvre de Feraoun s’instaure donc, dans une dimension anthropologique et dont l’espace-village devient une de ses clefs de lecture.

 

Ighil Nezman et la géographie du temps

 Dans La Terre et le sang (TS), le nom que porte ce village est une pure création de Feraoun, lui qui est né dans le village de Tizi-Hibel. Un auteur d’un imaginaire nourrit de coteaux, d’oliviers, de figuiers, de roches et de ruisseaux, des ingrédients de l’univers socioculturel de la création littéraire chez Feraoun. En décryptant cet espace-village de pure création, nous retenons que le mot Ighil avait été introduit, du grec angelos (ange), par l’écrivain Numide Apulée de Madaure. Et que dans le parler kabyle, ighil est dit pour le bras, l’avant-bras et même pour le coude, que nous trouvons dans la toponymie Kabyle de certains lieux, comme dans le nom de certaines villes, telles Draâ-Benkhedda ou Draâ-El-Mizan dans le département de Tizi-Ouzou. Ighil en arabe est dit, draâ puisque les villes en question se situent sur les coteaux. Sur un plan de croyances, ighil nezman, peut-être traduit comme le coteau du temps, un petit mont qui montre la direction du soleil, un point cardinal d’une direction bien déterminée.

Au-delà de la question migratoire, celle des voyages que mènent certains personnages de et vers un « espace figé et a-historique » (Ch. Bonn), il est certainement plus question de l’attractivité de l’espace-village et de sa dimension géolittéraire. C’est ce village d’Ighil Nezman qui permit à Marie la Française de s’intégrer dans la communauté d’accueil (Feraoun verbalise cette action par le terme kabyliser), de même pour Amer de renouer avec leurs racines terrestres et ancestrales.

Au début du roman TS, Feraoun ouvre son incipit (p.7) sur « un coin de Kabylie », un lieu quelconque, un angle d’une surface nommée et composée d’une « école minuscule », d’une « mosquée blanche, visible de loin » et de plusieurs « maisons surmontée d’un étage ». Il sera plus loin, d’un village « laid » qu’il faut imaginé comme « une grosse calotte blanchâtre et frangée d’un morceau de verdure », le tout plaquer au haut d’une colline, tel un porte-drapeau, puisque, à notre sens, le choix des deux couleurs (Blanc et Vert) ne fait que glisser cet imaginaire vers l’emblème nationaliste Algérien qui a été révélé pour la première fois lors des événements génocidaires de 8 mai 45.

Feraoun insiste sur le dimensionnement de cet espace-village, un « minuscule village » avec des habitants « insignifiants » (p.96). Des êtres microscopiques et cellulaires organisés comme certaines insectes (fourmis), s’ils ne le sont pas eux-mêmes. Feraoun ne réduit-il pas la géographie des lieux à la dimension de l’invisibilité. Si Ighil Nezman est totalement une toponymie de l’imaginaire de l’auteur, mais reste une réalité géomorphologique qui existe et se situe justement en face du village natale de Mouloud Feraoun. Un coteau, qu’un ruisseau le sépare du village en question. Nous ne pouvons concevoir que ce géosite soit une simple création pour les besoins d’une narration fictionnelle, mais il y a eu, certainement, un jeu d’écrans entre l’objet-village et l’observateur.

L’auteur « architecturise » ce v village en le concevant telle une maquette réduite d’un projet en voie de réalisation. Un processus que l’auteur intègre dans une écriture qui a le pouvoir de transmuter le réel comme marque d’invisibilité. Le lecteur imaginera, sous le regard de l’auteur-observateur son geste de transformer une géomorpholie en un processus de patrimonialisation. Ighil Nezman, patrimoine de l’invisibilité, lève le voile sur le village patrimonial de celui qui l’a conçue à travers l’écran de son imaginaire. Le minuscule village, avec ses habitants insignifiants, comprendre par-là aussi, qu’ils ne portent aucun signe distinctif d’habitants de cet espace-village, ni de sens d’appartenance au lieu puisqu’ils ne conçoivent le monde que par rapport à une filiation « où l’on était un tel, fils d’un tel, et rien de plus » (p.101). La filiation est unité « sociale et géographique » (p.102) et les mêmes « cousins habitent la même rue, les familles sont fixées pour toujours dans leurs quartiers » (Idem), et ils se connaissent depuis des générations puisqu’ils forment « un tout » (Idem).

Cette totalité séculaire, Feraoun la représente sous une forme circulaire où à l’intérieur de chaque cercle, un autre qui renvoi à un enfermement grouillarde « où l’on se côtoie et se mesure sans cesse » (p.101), des cercles qui finissent par étourdir leurs occupants, des figurent qui atomisent les êtres en les réduisant à des globules sanguines naissant de la terre.

À la page 124 de l’édition de 1952 du roman TS, nous sommes presque au milieu de l’espace textuel du récit. Et le paragraphe qui suit, explicite le titre de l’œuvre :

« Le sang de Rabah revient dans celui de sa fille. La terre et le sang ! Deux éléments essentiels dans la destinée de chacun. Et nous sommes des jouets insignifiants entre les mains du Tout-Puissant. » (p.124)

La terre et le sang, le solide et le liquide, le terrestre et l’aquatique se joignent au nourricier et au vital. Une dimension que l’auteur inscrit dans le cosmique et les forces invisibles, si ce n’est obscures. Une dimension qui mérite toute une approche de lecture, renouvelant le contrat d’écriture chez Feraoun.

Une toute récente étude de Karoline Resztak (3), révèle que « le village natal d’Amer-Ou-Amer, Ighil Nezman (…) est moins ambigu » et que « la description en est précise et c’est à la fois l’endroit du début et de la fin de l’action qui se noue en France ». L’auteure de l’article estime que la vision que fait Feraoun de cet espace-village est d’un « endroit Kabyle isolé », un village qui « est présenté de loin » et qui rejoint l’étude de la regrettée Nedjma Abdelfettah- Lalmi sur l’isolat Kabyle (4).

Mais aux limites qu’avait posées Feraoun de ce village conçu par le regard, il est question d’éléments plus visibles des paysages qui déterminent une géométrie des formes entre agencement et mobilité. Ighil Nezman se lit à travers une double lecture du regard naturaliste et représentations culturelles. Il est un espace qui s’inscrit dans le temps de la quotidienneté de ses habitants et dans l’histoire des événements qu’avait vécues ou vivent les protagonistes de la fiction littéraire.

Feraoun dégage un schéma géomorpholique de ce coteau en forme de née d’homme (ighil nez man), les villages de misères avec des « maisons blanchâtres » (p.130) qui s’enfoncent dans « la glaise rouge » (Idem) comme des « coquilles d’escargot » (Idem). Les visages des gens, au café, sont tous « terreux », ils sont tous des vermines « née de l’ordure et qui retournerait à l’ordure… » (p.130). une population qui appréhende les reliefs de cet espace-village, les rues qui montrent et descendent, la djemaa, le café, le cimetière sont des représentations sociales construits à différentes échelles spatio-temporelles. Des reliefs qui ouvrent des trajectoires et des déplacements, les rues sont considérées masculines, puisque Slimane et Amer se rendaient visite en traversant les rues et la djema (assemblée villageoise). Pour les femmes, un minuscule espace leur est désigné, celui de la dérobade et de la discrétion, l’espace de celles que l’on ne doit pas voir, celui des « petits jardins de cardons » (p.152). Entre les rues de la visibilité et les jardins de l’invisibilité, Feraoun détermine une géométrie des formes, leurs agencements et leurs mobilités.

Amer et Marie la Française kabylisait, avaient achetés Tighezrane de leur économie (p.163). Un terrain agricole « foulé par tous les mauvais fellahs qu’on pays et qui bâclent leur tâche » (p.163), une modeste terre qui aime ceux qui la travaille et en retour, elle paie en secret, une terre qui « reconnais tous de suite les siens : ceux qui sont faits pour elle et pour qui elle est faite » (p.162-163).

Une terre qui repousse non seulement les mains blanches et les chétifs, mais aussi

« Les mains mercenaires qui veulent la forcer sans aimer (il n’y a qu’à voir la pitié des champs que les riches font travailler par des journaliers). » (Idem)

Une terre travaillée est une terre aimée, le regard de Feraoun se fonde sur « la relation paysagère » (A. Berque), les reliefs qui composent cette minuscule cité sont appréhendés entant que géogrammes. La djema, la fontaine sont des empreintes paysagères qui en découlent d’une commune trajectoire des hommes et des objets dont ils font partie d’une façon intégrante.

 

L’espace-village comme particule minéralogique

 Les habitants d’Ighil Nezman vivent et se déplacent en total symbiose avec le relief paysagère dont ils sont issus. Il façonne leur question, leurs démarchent, leurs déplacements et leurs regards même des objets qui le compose. Feraoun relève que dans la djema « les bancs de pierre sagement alignés semblaient goûter le repos » et que même les rayons de lune « miroitement de-ci, de-là sur les dalles de schiste polies » par ceux qui s’assaillaient sur depuis la nuit des temps et dirigeaient les affaires publiques de la petite communauté.

« Tous ces gens-là, qui étaient morts, dont on avait perdu les souvenirs, il [Amer] les sentait sur les bancs, à leurs places habituelles, invisibles. » (p.190).

Une teneur culturelle qui rend visible l’invisibilité culturelle du site. Ne peut-on pas inscrire cette configuration paysagère dans une grille d’indicateurs qui s’avère essentielle, pour une lecture géoculturelle – par géo, nous entendons géologie, qui s’annonce dans TS, déjà dans le titre du roman -, C. Larrère et R. Larrère, dans Du bon usage de la nature. Pour une philosophie de l’environnement, Paris, Aubier, 1997, écrivaient que « le paysage n’est pas un lieu mais un regard porté sur un lieu » (p.203), le lieu existe parce qu’un regard s’est porté sur lui, un regard qui peut-être celui d’un artiste, tout comme celui d’un de ces habitants ou d’un scientifique.

Le relief, comme géogramme du minuscule Ighil Nezman, est un composite de terre arable, d’argile rougeâtre, de schiste et de calcaire. Une reconnaissance paysagère s’impose si nous situons la narration de la TS dans la région des Béni-Douala, au Sud de Tizi-Ouzou. Feraoun nous présente une morphologie sociale au sein de la notion de « village », qu’il observe au microscope afin de s’incruster dans le cœur de la matière minérale. Les composites minéraliers rejoignent la territorialité des lieux faisant acte de la vivacité des êtres, de leurs mouvements et de leur mémoire.

Si Feraoun fait de son œuvre une monographie d’une aire culturelle locale, son renvoi aux référents minéralogique pose un autre type de regard sur ce monde traditionnel, un univers qui reste jusqu’à nos jours replié sur lui-même et ce malgré l’apparence des apports technologiques et communicationnels. TS pourrait être qualifié d’un tableau s’inscrivant dans la durée de l’évolution et la transformation de la matière minérale. Les êtres-ordures, n’est nullement une insulte voulue par le narrateur, à l’encontre de sa communauté, mais un regard qui plonge dans la matière et de son univers de l’infiniment petit.

Si nous tenons à cette approche, et sans aucune prétention théorique, c’est pour signaler et pour le moins désolant, que dans la lecture de l’œuvre de Feraoun l’on continue à utiliser l’ethnologique en repoussant la vie économique qui renfloue l’œuvre de l’auteur des Chemins qui montent. Désolant encore, est de relever l’escamotage des facteurs socio-politique sans une lecture géoculturelle de l’œuvre et de son auteur, en privilégiant son domaine de spécialisation sans donner de place adéquate ou minimale aux autres facteurs relevant de différentes disciplines (Gilbert Etienne, 1992).

 

En guise de conclusion

Nous ne pouvons percevoir dans cet espace-village, une simple dénomination d’un récit fictionnel. Ighil Nezman chez Feraoun est une notion qui attend toujours d’être lue et relue à la lumière de nos connaissances. Lorsqu’il écrit, entre les pages 162 et 163, que cette terre cultivable de Tighezane :

« Ne veut même pas de mains qui prétendent l’embellir. Elle n’a que faire d’allées bien droites et ratissées, de fleurs étrangères, de clôtures rectilignes avec barrières de menuisier. Sa beauté, il faut la découvrir et pour cela il faut l’aimer ».

C’est bien une géométrie spatiale que l’auteur/narrateur intériorise afin d’en faire un programme d’écriture. La géométrie qu’il ne souhaite pas, se fait invisible devant le souhait du visible une terre à aimer qui n’a pas été souvent désirée, un espace sans tracés, ni angulation, au demeurant authentique et naturel.

Feraoun de TS s’offre des lecteurs en interrogeant le regard, l’invisibilité des parcours, la segmentation des graphèmes et des sémantèmes. Relevés auquel nous associons volontairement les dimensions culturelles, métaphysiques et sociales qui se tissent dans la texture bien réaliste.

 

Note

  • – Charles Bonn, La littérature maghrébine francophone, ou la parole en voyage. Communication au Colloque international : Le Voyage dans les littératures francophones.  5-7 novembre, Université libanaise à Beyrouth. 2001.
  • – Sunday Ogbonna Anozie, Sociologie du roman africain, Paris, Aubier-Montaigne, Paris.1970.
  • – Karolina Rsztak, « Ça alors ! Vous étiez à C…, vous ? »L’Écriture du lieu et du non-lieu dans les brouillons rédactionnels de La Terre et le sang de Mouloud Feraoun. Paru dans Continents manuscrits5 | 2015.
  • – Nedjma Abdelfettah Lalmi, « Du mythe de l’isolat kabyle », in Cahiers d’Études africaines, N° 175, 2004, p. 507-531