Mondes africains

“Mitigée…”

Comment la définir ?

Ce manège représentait son leitmotiv quotidien : le petit cartable de la ‘Médersa’ venait chaque jour relayer le gros cartable du collège devenu l’inséparable compagnon qu’il allait suivre, parallèlement, dans un incessant va-et-vient…

Allait-il faire le poids avec les us et coutumes pour contrarier les fondements de la collégialité et redorer le blason de l’Algérianité ?

Elle a été nourrie par Montaigne, Pascal, Molière, Corneille, abreuvée par La Fontaine, Voltaire, Lamartine, Victor Hugo… et ce, vaille que vaille, pendant treize ans d’école et de lycée, une empreinte indélébile logée au fond de ses entrailles.

La rigueur latine a forgé en elle une structure mentale envahissante, souvent intransigeante, parfois contraignante. Son langage usuel, son expression, son inspiration, ses postulations internes… ont été dictés en français dont la culture n’a cessé d’imbiber tous ses sens et son entière personnalité.

Elle ne l’avait pas cherché… Pourtant ce moule imposé ne lui a pas pesé. Son amour des langues et de leur maniement, un adjuvant moderne et complet qui la comblait, avait trouvé de quoi s’alimenter. Il était devenu une part de son entité, son envol vers la liberté…

Mais ses fibres naturelles profondes réclamaient leurs lettres de dignité, voulaient se prévaloir de cette source originelle qu’on ne pouvait nier, de cet appel vers l’Identité, comme le cri strident d’un nouveau né.

Aussi lui a-t-on ménagé une fenêtre sur cette nature authentique. Du haut de son balcon, l’arabe classique eut sa part d’éclairage sur sa texture et sa mentalité, au cours de six années qui réveillèrent cette doublure de sensibilités qui auraient sans doute végété à tout jamais…

 Elle envisage d’esquisser de ‘Beaux Desseins’

 Aussi sort-elle sa palette, sa toile et son chevalet. Au fuseau elle préfère les pinceaux. La couleur, c’est plus beau ; la variété des tons, c’est plus naturel.

Va-t-elle rester retranchée derrière les murs du naturel, de l’originel et défier ainsi les lois du spirituel, de l’universel, ou va-t-elle se plier à ce qui est original et normal, à la limite transcendantal ?

Le ‘choix’ est évident, il n’y a pas d’alternative : la nature humaine, ouverte à de diverses influences, ne peut contrecarrer l’invasion d’autres cultures.

Aussi a-t-elle dû compter avec la coloration insidieuse de cet ‘autre’, non dénigrante et si enrichissante.

Il lui a fallu surtout ne pas renier les tons de sa véritable essence, tout en adoptant les reflets de cette dépendance distillée dans les mailles de ses filets… L’intimité bafouée a fini par accueillir l’étranger. Va-t-elle le considérer comme un invité passager non redouté ou comme un intrus tout à fait indésirable, un ennemi contre lequel il faut lutter à cause des différences qu’on ne peut estomper et des divergences qu’on ne peut éluder ? Beaucoup plus, a-t-elle le droit de l’accepter comme une partie de son entité, une relation proche ou lointaine à adopter, une amitié à enregistrer, à entériner ?

Sa raison ne doit pas vaciller, à des atermoiements se laisser aller ou par de violents remous se laisser emporter… Elle doit garder le cap, ne pas perdre le Nord ni brûler les étapes.

Sa foi, sa finesse, sa fermeté, son intégrité intellectuelle et sa force psychologique vont donner à son tableau un caractère unique, à sa peinture une trame incomparable, à son profil des dimensions pudiques et magnifiques avec lesquelles elle va être en mesure d’imprimer le cheminement de ses idées, de ses actions et penchants. L’artiste n’hésite pas à scander ses convictions : “Ne me diluez pas dans ce qui n’est pas moi, ne me confondez pas avec ce que je ne suis pas… Je suis consciente que ma personnalité est mitigée pour tout ce qui aide mon âme à s’épanouir et la sert pour se nourrir, mais je me concentre par ailleurs et me mobilise tout autant pour la préserver des affres de la déformation”.

Aux accusations grossières et aux agressions mensongères elle répond : “Je ne suis pas une algérienne ‘francophile’, comme vous n’hésitez pas à me qualifier et vous plaisez à le certifier. Je suis une algérienne ‘francophone’, par la foi animée et d’une autre culture imprégnée”. Elle claironne bien haut sa devise :

“La lumière finit toujours par triompher, dominer ; en son nom je suis née. Je m’appelle ‘Nour Fayez’, telle est ma véritable identité. C’est un nom prédestiné”

“Quelle est donc ma véritable essence ?”

“Sur le chemin où je me suis engagée, la borne sera toujours la norme. Mon option est claire et déterminée. Je serai l’étoile de ce berger guidant son troupeau vers des horizons meilleurs et orientant les futures générations vers ce que prônent la science et la juste mesure, l’ouverture des visions, la sagesse, et par-dessus tout la noblesse des sentiments.

En tant que croyante diligente soumise à Ses révélations et prescriptions, mes buts sont les suivants : œuvrer pour la sauvegarde de ma propre âme en la détournant des maléfices de Satan, en instaurant les bonnes relations, en valorisant la dignité de tout ce qui est grand, pour pouvoir gagner les voies de la félicité, en renforçant cette croyance menant à la délivrance qui débouche sur le bonheur suprême.

Même ma compagne dans la citoyenneté, celle qui n’a pas eu l’heur de se baigner dans les effluves de cette essence divine, a pu puiser, dans ses propres racines et la voix de ses aïeux, cette sève faite pour mieux consolider et fortifier son authenticité, engendrer des bourgeons racés dignes de son ancestralité.

L’appel intrinsèque du ‘moi’ est toujours le plus fort, il ne peut être ignoré ou réfréné car cette vaillante petite voix est encore là, dans les profondeurs de la conscience, pour clamer son appartenance”.

“Ne vous égarez pas, comprenez-moi !”

 “Regardez-moi ! Je porte mon habit traditionnel et je porte en moi toutes ces autres merveilles au cachet universel : ce sont mes visées essentielles. Saisissez-moi bien !

Ne vous méprenez pas… Rien n’a été arrangé, rien n’a été compromis. Je suis une personne enrichie et je reste entièrement engagée dans la voie qui m’a été tracée… Je n’ai pas bafoué mes principes premiers, mais je reste imbue des perspectives de l’Universalité…” 

Son intégration va-t-elle être admise ?

Elle s’isole et se retire dans son petit cocon, puis elle s’enferme dans une profonde méditation en s’interrogeant intérieurement : ce kaléidoscope au cœur paré de multiples mosaïques imbriquées est une nouvelle composante identitaire. Quel sera le sort réservé à cette curieuse unicité ?

Sera-t-elle adoptée ou rejetée ? Recevra-t-elle l’aval des confirmés et des chevronnés ? Les vues extrémistes vont-elles s’en mêler ? Les visions progressistes vont-elles triompher ?

La réponse ne sera pas facile à formuler et tardera à s’exprimer. Les uns pensent que sa structure va faiblir devant l’influence de la différence, d’autres qu’elle ne va pas faillir étant donné sa solide construction…

Devant leurs tergiversations elle se dépêche de déclarer : “Je suis capable de déjouer la ressemblance aveugle et de l’éviter, d’encourager et protéger la particularité, d’affirmer ma singularité. Il ne s’agit pas d’innover mais de raviver cette foi qui demeure invariable et inaltérable. Tant que la tendance est inscrite, elle va se développer dans les rayons où elle a été circonscrite. Il n’y a pas de métamorphose radicale, il s’agit tout simplement d’une extraordinaire et merveilleuse symbiose qui étalera l’harmonie entre les anciens et les nouveaux tons de cette belle toile, de cette création en voie de finition…”

Sera-t-elle convaincante ?

Un éclair de lucidité traverse l’assemblée. La réponse du porte parole ne se fait plus attendre et fuse aussitôt : “Oui, le joyau sera encore plus beau ; gravitant autour de son noyau, l’arc-en-ciel céleste s’est déployé avec une concordance de faisceaux lumineux, il nous a submergés de sa lumière impalpable puis a disparu comme par enchantement. Mais ses gouttelettes en suspension ont fini par imbiber notre sol, s’infiltrer dans notre terre…C’est donc lui qui a présidé à la naissance de ce merveilleux kaléidoscope”.

Il n’y a plus rien à faire maintenant, on ne peut plus revenir en arrière. C’est le moment de faire preuve de discernement.

Elle revient à sa principale préoccupation : va-t-on croire à son intégration ? Sera-t-elle appréciée et reconnue ?

Oui ; quand le voile se lève, la lumière est portée jusqu’aux nues…

Comment va-t-elle se réaliser ?

Asseyons-nous autour de cette table ronde. Faisons table rase de nos préjugés et de nos idées préconçues. Jouons cartes sur table et étalons nos opinions, livrons nos impressions, en gens avisés et conscients.

La boussole va orienter et la Balance va décider.

Pour s’accomplir il ne suffit pas de se définir. Il faut mettre l’accent sur ce qui doit être maîtrisé. Des conditions sont imposées pour arriver à maturité.

Le Moi ne devra pas se perdre dans les voies multiples de la personnalité. Il devra veiller à un juste équilibre entre son identité première et son milieu d’une part, le choix de ses inclinations d’autre part, maîtriser son entité, et surtout parer à toutes ces mauvaises influences qui menacent son essence. Il faudra définir et sélectionner le fond et la forme, accorder la primauté à tout ce qui est divin, donner la priorité à tout ce qui est humain. Un horizon éclairé devra dominer toutes les données, agencer les idées avancées, dans un canevas qui ne sera contrarié ni par la discordance ni par la divergence.

L’unité harmonieuse devra se prévaloir de sagesse et d’humanité, devra promouvoir la bienveillance, ériger la tolérance, privilégier l’Universalité, afficher en permanence ces deux nouvelles notions de Multiculturalisme et Mondialité…

Comment va-t-elle être jugée ?

La cour va siéger. L’atmosphère est tendue. Réquisitoire et plaidoyer vont tour à tour se relayer dans le prétoire.

Le jury sera-t-il conciliant ou intraitable ?

Aux esprits éclairés et judicieux de faire la part des choses, d’aboutir à des conclusions appropriées supportées par l’adaptation, la rénovation et non menacées par la déformation, la destruction…

Dévier le cours de l’évolution c’est se détourner de ce cœur qui est le principal moteur et s’éloigner de cette lucidité de raisonnement, c’est risquer de briser l’entendement, de faire sombrer le jugement…

La démarche à suivre n’est pas de vouloir imposer ses points de vue et fixer aujourd’hui ce que doit être demain, mais de laisser entrevoir ces bonnes intentions pavées de l’acceptation de la différence, de la variété ; elles préludent à la véritable progression, la Promotion, et à une valorisation qui aboutit à ce perfectionnement permanent que doit viser toute âme pleine de cette ambition de bien faire, de réussir Aujourd’hui et Demain…

Quel rôle veut-elle ou peut-elle assumer ?

Un ange s’est-il penché sur son berceau pour l’investir d’un noble sacerdoce ?

Devant un tableau ou derrière un bureau, voilà que cette personne mitigée se trouve impliquée puis entièrement engagée dans une mission d’Éducation.

Comment sera-t-elle appréhendée ?

Est-ce là une bénédiction, une responsabilité à ne pas réprimer, ou bien une fonction à juguler, voire même à étouffer ?

D’aucuns croiront en une faveur privilégiée à encourager, d’autres à une incursion dans un domaine sacré.

Cette génération marginalisée, banalisée, minimisée, presque avortée, a-t-elle le droit de parler de moralité ?

Une fois encore, la joute idéologique va s’exprimer et les positions se renforcer ; va-t-elle être virulente ou bienveillante ?

N’ayez pas peur de la discussion qui lève la sournoise ambiguïté, entrez au cœur de la dualité, instaurez le dialogue, soyez ces judicieux pédagogues, pondérés et sages… Les idées égoïstes, les visions étriquées seront alors balayées…

Si les dés de la fraternité, de l’humanité, de l’humilité et de l’universalité sont posés, le jeu en vaudra la chandelle, et il y aura probablement concordance et conciliation ; l’on touchera alors à la solution, on trouvera la clé recherchée…

Le “Bien-être Universel”, est-ce une chimère, une hypothèse fallacieuse ?

Pas du tout. Les bonnes volontés doivent abonder pour l’aborder et la concrétiser. L’Être et l’Avoir ne doivent plus se côtoyer. Le ciel et la terre ne peuvent se toucher ; les idéaux sont toujours hauts et prospères et les biens d’ici bas éphémères… Comment peuvent-ils rivaliser ? Les ailes vous aident à vous rapprocher du ciel et le lest vous empêche de vous élever. Débarrassez-vous de ces boulets pour pouvoir vous envoler vers ces horizons prometteurs… Ils ne sont pas un leurre !

L’adoption d’une langue étrangère n’est pas un heurt…

C’est la ruée pour l’acquisition des langues étrangères. ‘Apprendre les langues’ est devenu l’instrument et le catalyseur.

Les écoles de langues sont ouvertes partout et les méthodes d’enseignement adaptées au cas de tous.

Il faut seulement connaître ses limites et savoir les respecter, ne jamais les dépasser. L’expression de la foi, de la valeur, n’a cependant pas de limites, elle se fait dans toutes les langues du monde. La langue devient donc le ciment fraternel qui unit tous les fidèles citoyens de ce monde.

La Mondialité réside-t-elle encore là ?

Aussi pourquoi avoir des a priori en ce qui concerne d’autres ‘interprétations’ et l’utilisation d’autres ferments ?

Cette diversification ne touche en rien le cœur de la conviction lorsque le moule n’est pas détouré ; elle déploie tout simplement autour de lui son éventail pour élargir sa puissance et fortifier sa quintessence.

Il n’y a aucun mal à enrichir les volets de sa connaissance par La Connaissance, à nourrir ce noyau par le bilinguisme, le multibilinguisme, ce multiculturalisme qui n’est pas une ineptie… Aucune langue ne peut être d’une autre l’ennemie ; la diversité a été voulue et savamment orchestrée par Le Tout Puissant. Elle n’est pas là pour cultiver l’adversité. Rien ne sert d’entretenir l’inimitié ; ce serait installer de vaines barrières et fermer ces ouvertures qui éclairent et vous transportent ailleurs, ce serait favoriser ces écrans qui gênent la véritable Ascension…

“Que la lumière soit !”

 

Le lampadaire ou le quinquet, le chandelier ou la lampe de chevet ont tous ce rôle de luminaire !

Il suffit d’utiliser le bon moyen pour faire la lumière sur ses véritables repères…!

Les esprits éclairés et avisés ne le sont pas seulement par la science et la juste raison, ils le sont également par la conciliation, la communication… Voulues à grande échelle, elles peuvent enrayer la pauvreté de l’âme et de l’esprit, elles peuvent préparer la Mondialité et l’Universalité, et présider au bonheur et à la prospérité des sociétés grâce à l’information, aux passerelles de la jonction, voire de l’adhésion…

Le cloisonnement, tout comme l’ignorance, est une cause de déviation et le conditionnement une source d’égarement…

Avec l’ouverture du vase clos, avec l’extension de la curiosité intellectuelle et d’une extension liée au désir d’épanouissement, d’une promotion guidée et bien canalisée, la participation contrôlée des médias y aidant, il serait ridicule et inopportun de rester cloîtré dans les dédales de cette obscurité qui assombrit et obstrue les issues.

L’obscurantisme voulu, recherché, voile de noir les chemins de la Liberté, empêche de donner l’exemple pour l’Exemple, durant cette Épreuve qu’est la Vie, surtout s’il fait obstacle à la Réalité, s’il embourbe et encombre le cours de la Vérité, s’il bloque les buts déterminés de la Finalité…

NOURI Feiza

LEXIQUE :
 
 

 

 

Médersa : école arabe

Nour : lumière (genre masculin)

Fayez : gagnant, triomphant (adjectif) (se prononce fayèze)