Expositions

Constructivisme cézannien.

L’univers de Cézanne se résume, pour l’essentiel, à Aix-en-Provence et à ses environs. Né à Aix en 1839, c’est là où il fut élevé, là où il apprit l’académisme à l’école des beaux-arts, là où il séjourna la plus grande partie de sa vie, malgré de fréquents séjours à Paris, ou ailleurs chez des amis peintres, là enfin où il mourut, en 1906. Une visite dans la région aixoise permet ainsi de confronter les paysages cézanniens avec leur rendu par le peintre.

Un premier exemple, assez précoce puisqu’il est daté de 1878. En 1877, Cézanne a participé, sans succès, à la dernière exposition du groupe impressionniste à Paris. Il passe l’année suivante en Provence, à Aix ou au bord de la mer, à L’Estaque. La toile intitulée « Le bassin du Jas-de-Bouffant en hiver » a été peinte dans la propriété du père de Cézanne au Jas-de-Bouffant, aujourd’hui englobée dans la ville mais qui se situait alors en pleine campagne. La demeure des maîtres et les jardins sont restés intacts, ce qui permet de se faire une bonne idée du motif d’où est parti le peintre.

 

 

Bien que la photo n’ait pas été prise en hiver, on remarque que Cézanne a respecté la perspective du bassin et la verticalité du platane (alors moins imposant qu’aujourd’hui). Les modifications principales apportées au paysage par le peintre ne sont malheureusement pas visibles sur la photo. S’il y avait bien des champs et des bâtiments à l’époque de Cézanne, ils ne se présentaient pas du tout comme sur son tableau : la ferme à l’arrière-plan était beaucoup plus lointaine et surtout il n’y a jamais eu là de colline. Cézanne a fait « remonter » le paysage du fond du tableau afin de l’ordonner ainsi qu’il lui convenait. Cette liberté est plus immédiatement apparente quand on considère les reflets dans le bassin. En aucun cas, cette ferme, même rapprochée comme il l’a faite, ne pourrait se refléter dans l’eau, contrairement à l’arbre. On remarque enfin que Cézanne s’est déjà nettement affranchi des contraintes de la technique impressionniste, sans avoir pour autant atteint la maîtrise qu’il déploiera plus tard.

« Le motif n’est pas un paysage à reproduire mais un espace à reconstruire », écrivait Cézanne. « Le bassin du Jas » illustre clairement son parti pris. Le peintre d’Aix annonce le cubisme, l’abstraction. « Je suis, écrira-t-il encore, le primitif d’un art nouveau ». Cela est vrai à condition de ne pas se méprendre sur la signification du mot « primitif », qui peut laisser entendre une maladresse plus ou moins voulue. Car si cette dernière se repère en effet dans certaines œuvres (comme dans la série des « baigneuses »), on ne la trouve pas dans les chefs d’œuvre du peintre dont tout le monde a vu au moins quelques reproductions : natures mortes, grandes huiles de la montagne Sainte-Victoire ou des rochers du plateau de Bibemus (deux lieux emblématiques de la campagne aixoise, pour une grande part grâce à Cézanne).

 

 

 

Le tableau ci-dessus, « La Sainte-Victoire vue de la carrière de Bibemus », qui date de 1897, fournit un autre exemple de la liberté d’invention du peintre. Car la montagne n’est tout simplement pas visible depuis l’endroit où ont été peints les rochers. Mais cela ne dérange pas Cézanne qui s’est approprié la Sainte-Victoire depuis longtemps et peut la placer là où il veut, tout comme il peut transfigurer les falaises calcaires qui sont devant lui. « La composition et la couleur, tout est là ! » : à contempler, ce tableau, qui lui contesterait un tel programme ?

 

 

Dans le tableau suivant, contemporain du précédent, le peintre n’a pas ajouté un fond mais un rocher au premier plan. Dans les deux cas l’effet recherché est le même : couper par un triangle la monotonie des gros blocs verticaux.

Ajoutons pour finir que les reproductions des tableaux sont bien loin de rendre compte de la manière de Cézanne et de la qualité de sa peinture. Ce dernier peignait très lentement, non seulement parce que son travail était profondément cérébral mais encore parce qu’il travaillait méticuleusement tous ses aplats, lesquels n’étaient jamais dans une teinte homogène mais faits d’une juxtaposition de plusieurs couleurs que l’imprécision des reproductions empêche malheureusement de distinguer.  « On ne devrait pas dire modeler ; on devrait dire moduler » : ce sont ces minutieuses modulations qui font si bien vibrer la peinture du maître.

PS1 : Merci pour ses exposés lumineux à Benjamin Grondin qui nous a guidé sur les sites cézanniens.

PS2 : Jusqu’au 26 février 2010 se tient à Paris, au musée du Luxembourg, une très remarquable exposition qui permet de faire découvrir certains des tableaux de Cézanne qu’il a peints lors de ses fréquents séjours à Paris ou dans les environs. Une partie injustement méconnue de son œuvre, à en juger par la qualité des pièces rassemblées dans cette exposition. Dont en particulier – mais ce n’est qu’un exemple – un extraordinaire portrait de « Madame Cézanne à la jupe rayée », chef d’œuvre parmi tant d’autres chefs d’œuvre.