Mondes africains

L’Exil chez Gaston Paul et Alex Leudja

Introduction

Ce n’est plus un secret pour personne : l’évolution des mentalités humaines laisse affreusement un constat. Celui de savoir que les mouvements de personnes et des biens sont devenus une mode. Il est certes vrai que l’exil est un thème très ancien qui prend des configurations en fonction des siècles et des temps. Il dirige la pensée humaine selon une courbe à la fois décroissante et croissante. Décroissante car il un  est important vecteur de domination des uns et des autres ; croissant parce qu’il densifie non seulement le répertoire littéraire des thèmes mais aussi et surtout parce qu’il permet de valider le penchant psychoaffectif de la psyché de l’homme. Comment les écrivains africains d’expression française disent-ils le phénomène exilique de par leurs œuvres ? Plus précisément, quelles connotations Gaston-Paul Effa et Alex Leudja affectent-ils au mot exil ? Ecrivent-ils en s’écrivant dans leur prise de position face au flux exilique ? Nous tisserons la toile de notre investigation en scrutant minutieusement le sillage de Nous, enfants de la tradition de Gaston-Paul Effa et Comme un singe en hiver d’Alex Leudja dans l’optique de montrer que l’exil dans tous les cas constitue un « meurtre » identitaire et une courroie d’hégémonie culturelle.

1-L’exil : De la diachronie au thème littéraire

En tant que thème littéraire, l’exil traverse la littérature négro-africaine d’expression française. Partant des quatre générations des décennies 1910-1990, il est perceptible de noter la thématique de l’exil. La première, représente la voie d’ouverture à l’œuvre coloniale. Pourtant dans les années 30, la seconde génération représente l’âge d’or de la littérature africaine avec les leaders de la négritude. L’exil à cette époque est vécu d’une façon romantique : c’est l’ennui et la source d’inspiration qui sont profond en l’Homme noir. La troisième génération, celle des années 50 passe de l’exil intérieur à l’exil géographique. On note dans des textes ce que Boniface Mongo Mboussa « l’exil intérieur privé de liberté essentielle » (1999 :24). Des écrivains de cette période étouffent dans leur pays natal et traduisent leur mal être à travers leurs personnages : le cas de Cheick Hamidou Kane dans l’aventure ambiguë. Enfin, la quatrième génération, celle qui nous intéresse est celle des « enfants de la post colonie » (Abdourahman Waberi, 1995 :8).

Autrefois littérature nationale et aujourd’hui littérature transnationale, la question de la fuite semble être une mode. Le débat autour de la fuite n’est pas certes une préoccupation récente. Beaucoup d’écrivains, chercheurs et mêmes anthropologues dans leurs productions ont étudié la notion de l’émigration des cerveaux avec autant de sérieux comme l’indiquent les travaux suivants.

Déjà en 1969, Fayard intitulait son livre La fuite des cerveaux, une production littéraire où nous pouvons lire la remarque suivante : « La révolution industrielle a pris fin. Elle a été remplacée par une autre révolution, celle du savoir ». Plus tard, Esse Amouzou (2008 :99), Gaston-Jonas Kouvibidila (2009 :47-49), Hafid Gafaiti et al (2008 :11) etc. continuaient à travailler sur le phénomène de l’immigration des peuples et des conséquences qui en découlent. Pour Gaston Kouvibidila, le phénomène migratoire est aussi vieux que son étude. Le développement des pays africains passera par la sauvegarde des détenteurs de la matière grise. Ils sont les détenteurs de la matière nécessaire à l’éclosion du continent car titulaires des méthodes et techniques aptes à faire sortir leurs populations de l’impasse dans laquelle elles sont enfouies depuis des siècles à cause des discours peu élogieux.

Plus récemment encore, Beaucoup d’articles se sont penchés sur cette fuite des cerveaux. En occurrence, André-Marie Yinda dans « Une critique africaine de la citoyenneté transnationale » pense que le départ massif des personnes ressources vers le reste du monde est le reflet d’un climat politique transnational. Il propose une réflexion interdisciplinaire sur le statut de l’africain et sur la contribution que l’immigration peut apporter dans le renouvellement des sciences humaines et de la pensée contemporaine. C’est-à-dire qu’il pense que l’immigration est plutôt une ouverture à la recherche dans le domaine des sciences humaines. Pourtant, Abdoulaye Gueye dans son article « Nos ancêtres aussi sont gaulois : la revendication d’une appartenance nationale par les africains de France » traite la fuite des cerveaux dans un univers diachronique. En fait, il pense que les intellectuels africains des années 1950, 1970 et 1980 ont des visées opposées du phénomène migratoire. A partir d’une démarche sociologique et historique, cet article dresse le bilan de l’expatriation des générations d’intellectuels en Europe. « La question de littératures régionales en Afrique subsaharienne » de Laté Lawson-Hellu, bien que réfléchissant sur la notion de l’écriture transnationale a enrichi le domaine de la littérature de migration.

En plus des ouvrages et articles, beaucoup d’œuvres d’esprit ont examiné le phénomène migratoire. Dans leur choix d’une expression individuelle en rupture avec leur Afrique natale, ces écrivains, hommes et femmes, s’inscrivent dans le paysage migratoire parfois en relatant les faits de société ou en s’auto écrivant. Ces romanciers pour la plupart renouvellent la perspective sur la question d’identité, de la littérature postcoloniale et nous poussent à considérer la notion de l’immigration comme une nouvelle tendance d’écriture. Calixte Beyala, Bessora, Jean Roger Essomba, Alain Mabanckou et bien d’autres en sont les pionniers de cette tendance littéraire.

Depuis la publication de Un nègre à Paris de Bernard Dadié, le roman africain retrace de plus en plus le séjour des africains en Occident. C’est ainsi que Jules-Rossette utilisera le terme « parisianisme » pour qualifier les travaux des auteurs africains relatant l’histoire des africains en France à la recherche des repères socioculturels. L’Impasse (1997) de Daniel Biyaoula, Cercueil et scie (1985) de Simon Djami, Le paradis du Nord de Jean Roger Essomba et Alain Mabanckou dans Bleu-Blanc-Rouge sont des récits saillants de la fuite des personnes ressources de l’Afrique suivi de leur crise identitaire dans les pays d’accueil. Cette nouvelle génération d’auteurs compte un nombre croissant de noms puisque l’édition de ces romanciers est en pleine explosion, nous n’en nommerons donc que quelques-uns.

Dans cette logique, il y a Ali Waberi avec Cahier nomade (1994) ou encore Moisson de crânes (2000) écrit en mémoire du génocide au Rwanda. Les textes sont empreints d’une sorte de remémoration à la fois trouée et piégée par un passé transformé par la colonisation. Quant à Daniel Biyaoula, il ne traite pas des éternelles dichotomies entre tradition et modernité, villes et villages, jeunes et vieux dans son livre Agonie (2002). Il préfère raconter son époque, c’est-à-dire le contexte migratoire et ses enjeux identitaires. On y retrouve donc la réalité d’une Afrique en migration avec ses cohortes sans fin de réfugiés, d’une Afrique transplantée au cœur de la ville européenne. La Fabrique de cérémonies (2001) de Kossi Efoui raconte aussi l’histoire d’un immigrant qui est parti faire ses études en URSS et qui, suite à la chute du mur de Berlin, va migrer vers Paris. Il sera contacté par un ancien collègue d’étude qui lui proposera de participer à la rédaction d’un magazine de voyage. Il retourne alors dans son pays d’origine faire un reportage. Mais ce retour est un choc, celui de devenir étranger chez lui. Alain Mabanckou après African psycho (2002) nous transporte dans un bar d’Afrique central avec Verre Cassé (2005). L’histoire raconte les tribulations d’une petite communauté qui se retrouve au bar « Le crédit a voyagé », où Verre cassé, c’est le nom du héros, écrit cette histoire tout en buvant sa peine avec ses copains. Ici, l’auteur ne fait pas dans la problématique de la migration, il met plutôt en scène une Afrique en plein déclin. Il y a aussi Sami Tchak avec Place des fêtes (2001) ou Fête des masques (2004) qui fait dans le roman de la transgression, que ce soit à propos du sexe, de la violence ou encore de la famille, rien et personnes n’y échappent. Un fait intéressant, l’action de ses romans se déroule en Europe et même en Amérique du Sud, jamais en Afrique. Bessora avec Cueillez-moi jolis Messieurs… (2007), met en scène une jeune femme suicidaire qui a le VIH et qui sera sauvée par une jeune veuve africaine, écrivaine, fauchée et qui cherche un logement. Fatou Diome avec Kétala (2006) nous compose une remémoration sur la vie d’une défunte à travers ses objets. Quant à Calixte Beyala, avec Les arbres en parlent encore… (2002), elle fait le récit d’un village camerounais, où les hommes et les femmes sont des êtres complètement imprévisibles. C’est une satire à l’égard des colonisateurs, mais aussi envers les Africains eux-mêmes. L’ensemble de ces récits traite soit du pays d’adoption, ou encore d’une Afrique géographique en déconstruction, mais toujours nous y voyons des paradoxes, les incohérences et un écart entre l’ici et l’ailleurs.

Au rang des multiples symposiums, conférences, séminaires et colloques qui ont été organisés au sujet de la fuite des cerveaux « le mouvement inter mondialiste » tenu en janvier 2004 nous est présenté comme une importante source d’inspiration. En fait, il était question de critiquer la mondialisation des cultures et traditions minoritaires dans une perspective progressiste et identitaire comme le souligne Lylian Kesteloot (2003). Pour cet auteur, les écrivains et les intellectuels africains travaillent sur les langues comme véhicule de l’identité.

Ces axes de réflexions et ces problématiques portés par des excellents travaux de chercheurs et la pertinence de leurs analyses sont des preuves de la richesse et la faisabilité de notre champ de recherche sur la théorie postcoloniale. Tant par la diversité de leurs thèmes et de leurs méthodes que par le caractère interdisciplinaire de leurs approches, ces textes participent à la vulgarisation d’une nouvelle façon d’appréhender la fuite des talents africains.

2-L’exil Effaien et Leudjaien

Les romans de Gaston Paul Effa et Alex Leudja nous offrent ainsi l’histoire d’une littérature qui semble intimement liée à la situation sociale, culturelle, politique et économique de sa production. Il est possible d’y lire en filigrane l’idée d’une littérature fortement engagée. Ils portent en eux une identité plurielle : celle de la terre natale et celle de la terre d’accueil. Ce brassage de cultures souvent diamétralement opposées, expose ces intellectuels aux drames, prisonniers d’une certaine conjoncture. Ils sont la représentation imagée des exilés contraints de vivre dans des milieux biculturels et qui ressentent dans leur for intérieur les affres d’être étrangers et incompris dans leur terre d’accueil. Ce sont les vicissitudes de l’histoire coloniale et postcoloniale qui structurent leurs livres dans la majeure partie, reléguant la partie la plus intéressante des aventures des héros à ce que Jacques Chevrier qualifie des affres des « temps des indépendances » caractérisés par des « illusions perdues », où l’errance et la prise de parole des anciens peuples colonisés , ont précipité et plongé l’Afrique « au cœur des ténèbres » de la violence absurde et fait naître chez ces derniers la désaffection envers le « pays natal » et le rêve d’un voyage sans retour en Occident (la migritude). C’est dans la même lancée que Roland Barthes clamait déjà que, « la littérature est [à la fois] signe d’histoire et résistance à l’histoire » (Éric Méchoulan, 2004 : 20).

2-1-L’exil : l’errance, le multiculturel

Comme Gordimer et Morrison dans leurs productions littéraires, Gaston Paul Effa et Alex Leudja décrivent un mode européen envahi, alarmé, divisé et dépossédé où les puissances en place refusent de transformer le « présent en post » (Homi Bhabha, 1994 : 53). Ils entendent rendre possible la pensée de Freud pour qui « tous les Hommes ont la même peau/race/culture ». Or, l’angoisse de ne pas appartenir à aucun espace favorise la différence. Cette nouvelle façon de dominer l’Afrique par la prise en otage de ses détenteurs de la matière grise tend à vampiriser ce continent avec cette logique néocoloniale selon laquelle les africains ne sont pas toujours maîtres de leur destin et sujet de préoccupations. Ces intellectuels africains n’existent pas en tant qu’acteurs libres de leur devenir mais en tant qu’interprète d’une pantomime sinistre conçue par d’autres. Au point où la communauté internationale se penche sur ses problèmes comme sur « le lit de ces malades » (Anne-Cécile Robert, 2006 : 90) à qui « on ne parle plus que de leur maladie » (ibid.). Cette image du malade réduit au mal qui le ronge tenue par les « médecins » et les « infirmiers » qui s’échangent des diagnostics sans se « se préoccuper de faire intervenir les malades » (ibid.). Les curateurs ont déjà leurs idées sur le mal ! Pire encore, ces intellectuels africains lorsqu’ils ne sont pas rangés dans le camp des surdoués de l’incapacité, de victimes inconsolées, sont embrigadés dans le régiment « des soignants formés aux canons des remèdes occidentaux » (ibid.). Convaincu de ce malaise existentiel, cette déshumanisation vue par Alioune Diop, (créateur de la revue Présence Africaine) va se décliner comme suit lorsqu’il nous livre la quintessence de son expérience d’immigré : « Nous étions à Paris où un certain nombre d’étudiants d’outre-mer qui s’interrogeait sur notre essence et sur l’authenticité de nos valeurs. Ni blancs, ni jaunes, ni noirs incapables de revenir entièrement à nos traditions d’origine ou de nous assimiler à l’Europe, nous avions le sentiment de constituer une race nouvelle, mentalement métissée mais qui ne s’était pas fait connaître dans son originalité et n’avait guère pris conscience de celle-ci. » (Chevrier : 54).

Dans cette situation de crise identitaire, nos deux romanciers nous ont fortement recommandé d’avoir cette « fierté tranquille d’être africain » (ibid.). Car Osele à travers l’enseignement des contes et légendes des Fangs, rejoint la pensée de l’historien Joseph Ki-Zerbo lorsqu’il pense que l’enseignement des valeurs traditionnelles à la jeune génération doit être plus un devoir qu’un acte politisé par les instances de décision de l’éducation des pays africains. Ce sentiment patriotique envers sa culture redonne un sens contemporain à l’africanité où « fierté et modernité d’être Noir en Occident » (Regard africains, 2003) sont des atouts et non des handicaps. Même si nous savons que ces mouvements d’émancipation des immigrés s’inscrivent dans la volonté de s’affirmer dans un contexte difficile de l’immigration, ils ne doivent pas céder à l’ethnocide mais si possible à ce que pourrons qualifier d’ « assimilation partielle et partagée » favorisant l’échange culturel équitable entre l’Afrique et l’Europe. Puisque la difficulté réside pour eux dans le piège du communautarisme, c’est-à-dire un repli identitaire qui éloigne progressivement les immigrés de leur milieu de vie. Sachant que l’Afrique et l’Europe entretiennent des relations tendues, il y a donc conflit et il est temps que l’Afrique accepte de prendre des risques de devenir le maître à travers la valorisation de sa propre culture tout en mettant en exergue cette philosophie hégélienne pour qui : « la vie vaut ce que nous sommes capables de risquer pour elle ». C’est-à-dire qu’il n’y a de liberté que par l’acte même de libération : celui qui ne veut pas risquer sa vie risque fort la servitude.

2-2-L’enfer c’est l’exil

Migrer c’est prendre en main son destin. Pour Begag « le migrant dispose d’un degré de maîtrise minimal de son acte de se mouvoir ou non […]. Il y a un choix, celui de partir, de changer de situation, de donner un autre sens à la vie » (1990 : 34). Or réellement dans l’ailleurs, les cerveaux vivent des problèmes d’intégration au quotidien. Face à un environnement hostile à leur épanouissement, ils sont marginalisés, présentent des allures d’ennui qui les conduit inéluctablement à la ruine et au tragique.

Alors qu’au départ de l’Afrique « son visage souriant rappelait celui d’un bon vivant perpétuellement à la recherche de plaisirs » (p.8), son séjour en Russie tournera au cauchemar lorsqu’ Essimo fera face à la vie russe. C’est toujours dans cet univers carcéral que les mauvais traitements font de l’immigré un objet, un envahisseur, une personne répugnante qu’il faut réprimander. Le Noir est traité comme tel parce que les miliciens russes les considèrent comme des laissés-pour-compte. Les conditions carcérales des immigrés laissent à désirer. Qu’il s’agisse de l’alimentation, des soins de santé, de la cellule ou des vêtements, ces pauvres prisonniers sont des moins que rien.

Dans le compte de l’alimentation, la nourriture que mangent les immigrés dans comme un singe en hiver fait pitié : « C’est une nourriture destinée à du bétail » (p.77). Ils sont des animaux que l’on nourrit avec peu d’attention. Les sauces de mets sont insignifiantes, insuffisantes à tous les détenus disponibles. Pour palier à ce problème « à la cantine, (ils sont) mal nourris […] on ajoute de l’eau de robinet dans [leur] soupe » (p.94).

Concernant les conditions d’incarcération, les règles d’hygiène ne sont plus qu’un triste souvenir. Entassés les uns sur les autres, la prison est exigu, un espace qui « normalement ne devrait pas contenir plus de deux personnes » (p.78). Aménagées avec un confort relatif, ces prisons sont considérées comme les plus mauvaises selon le narrateur. Les prisonniers disposent certes des murs parfois décorés. Même si certains prisonniers blancs mènent une vie plutôt confortable, d’autres, les noirs surtout sont incarcérés dans des conditions très dures. Il y a lieu de penser aux « animaux en cage » (p.78), car « il émanait de ces malheureux un sentiment de peur […] ils puaient la résignation » (p.78). Il y règne une obscurité totale à cause de l’absence d’électricité. Cet état entraine une humidité se caractérisant par la moisissure qui couvre les murs. A cause de ces problèmes d’ordre divers, le narrateur précise que dans ce milieu « toutes les règles de bienséance sont à ranger dans les oubliettes » (p.82). La prison de Moscou où se trouve Essimo et ses amis immigrés est un lieu de détention dans lequel on retrouve des individus qui n’ont pas respecté les règles de l’émigration. Elle a pour but de les incarcérer afin de les rapatrier dans leurs pays d’origine. La surpopulation, l’insécurité, le manque d’hygiène entre autre, y sont pour beaucoup.

Dans le cas des soins corporels et vestimentaires, ces prisonniers n’ont pas droit aux toilettes décentes comme les hommes ordinaires. Comme le raconte le narrateur, « nous [les immigrés] avons droit à une douche par semaine » (p.84). Pire encore, lorsque ces derniers prétendent laver leurs vêtements. Car, « le jour de la toilette, dit le narrateur, ils viennent nous prendre comme du bétail […]. Nous avons droit à quelques morceaux de savons pour toute la cellule.» (p.84). Comme maltraités, vivant dans un espace invivable, ils cohabitent avec des puces, des insectes avec lesquelles ils se font même des « amitiés» au point où au moment de laver les habits les miliciens leur donnent un peu de la « soude caustique pour désinfecter le plancher et éliminer les puces de [leurs] vêtements » (p.84) Ce manque d’attention les conduit inévitablement à la maladie. Et quand c’est le cas « pour tout soin, l’infirmerie distribua un paracétamol à tout le monde » (p.112). Quelle cruauté ! Quelle prescription médicale ! Toutes ces preuves rejoignent la préoccupation de Feuchtwang qui estime que le choc des cultures dues à la mondialisation finit par être perçu comme des modes de différentiation multiforme, entrecroisé et perverse qui fonctionne sur la base du déni visant à construire l’intellectuel comme une personne dégénérée sur la base de l’origine racial. C’est-à-dire que ce discours raciste présente l’intellectuel africain comme une réalité sociale autrement identifié et méconnaissable par la race inverse.

L’analyse des attentes d’Essimo et ses codétenus dans leurs commentaires libres prouvent qu’il ne s’agit en aucun cas de réclamer un plus grand confort mais bien des conditions matérielles élémentaires leur assurant un minimum de dignité. Leurs attentes concernant leurs conditions générales de détention portent principalement sur l’hygiène et la propreté. Une des actions prioritaires selon les détenus est la mise en place d’installations sanitaires préservant l’intimité de la personne. Spontanément, dans leurs conversations au sujet des questions ouvertes par les miliciens, les détenus évoquent également le manque d’hygiène et l’insalubrité de leurs cellules comme des éléments parmi les plus inacceptables dans leurs conditions de détention. Outre le manque d’intimité durant leur toilette, les détenus se plaignent du fait que l’encellulement ne soit pas individuel renvoyant au problème plus général de la surpopulation carcérale. Ces aveux ont été l’occasion pour les immigrés de dénoncer des situations jugées injustes, arbitraires et attentatoires aux droits fondamentaux. Sans l’évoquer forcément de façon spontanée, les immigrés semblent se sentir extrêmement fragiles face à cet acte désespéré. Des personnels mobilisés sur la question du manque d’effectifs et de moyens.

Conclusion

On le voit si bien, ces écrivains de par leurs œuvres décrivent la déchéance de l’Afrique post coloniale en perpétuelle recherche de positionnement idéologique sur la scène politico-culturelle. Le parcours de ces personnages ne sont rien d’autre que le chemin désenchanté des talents africains en proie à la mendicité et à l’acculturation. Ils témoignent la morosité et la morbidité existentielle qui frappent les Etats d’Afrique en ces débuts du millénaire où les objectifs du développement rodent autour du bien-être de l’Homme.

 

 

Références bibliographiques
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II Littérature secondaire
1. Articles et ouvrages critiques
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2. Ouvrages et articles théoriques et méthodologiques
2.1. Article
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2.2. Ouvrage
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3. Ouvrages et articles généraux
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3. Rapport et conférence
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5. Mémoires et thèse
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