Mondes africains

Le ténor Mahieddine Bachetarzi (1897-1986) : théâtre et idéologie coloniale en Algérie

L’historiographie théâtrale algérienne s’accorde à relever cinq principales étapes chronologiques dans l’évolution du théâtre algérien. La chronologie en question, repose sur l’évolution de la pensée idéologique de la formation de l’Etat national depuis l’indépendance politique en 1962.

Au regard de cette lecture linéaire des faits sociopolitiques, tout à commencer en 1926et s’achève 1962, avec la consécration de l’identité politique. Avant 1926, l’histoire des cercles ouvriers algériens en France et en Belgique, les noyaux fondateurs de l’organisation syndicalo-marxiste , l’Etoile Nord Africaine (ENA) et le courant assimilationniste du petit-fils de l’Emir Abdelkader, l’Emir Khaled, sont mis totalement en veilleuse .

La date d’une représentation est donc retenue comme une date butoir d’un début foudroyant, dit-on, du 4e art en Algérie qui aurait marqué la communauté des colonisés musulmans. Il a suffit d’un texte, d’un contenu d’un nom d’artiste pour asseoir une date et enclencher dans la mémoire collective quelques bribes d’une appartenance identitaire d’un art pourtant, totalement européen et étranger à la sphère culturelle de l’Afrique du Nord. Djeha, est le titre de la pièce tournant autour des élucubrations d’un personnage tout juste sortie de l’imaginaire populaire du temps de la dynastie féodalo-religieuse de la dynastie Abbasside. l‘auteur-interprète, n’est autre que l’ouvrier-comédien Allalou de son nom Ali Sellami (1902-1992) et la composition du texte en question, marque une halte algérienne nourrie par une sorte de mythologie populaire.

Ais lorsque les questions historiques débordent sur l’ordre sociologique et politique entièrement encré dans le contexte colonial, l’acte de naissance d’un art totalement européen pose de nouvelles exigences problématiques et la plus sereine des lectures socio-culturelles le développement cet art de la scène en Algérie nous est proposé du sociologue et conseiller à la Présidence algérienne, Abdelkader Djeghloul (1945-2009), dans son étude intitulée Eléments d’histoire culturelle algérienne (Alger, 1984), dans laquelle il note :

« Une mention particulière doit être accordée au théâtre qui, seul parmi les nouvelles formes d’expression, parvint à toucher le grand public. Faut signaler, en effet, que les écrits de langue française ou de langue arabe, étaient inaccessibles à une culture directe par la grande masse des Algériens. Pour des raisons évidentes, l’analphabétisation dans les deux langues étaient le lot du colonisé. C’est pourquoi dans leur désir de générer le théâtre populaire, es pères fondateurs, Allalou, Mahieddine Bachetarzi et Rachid Ksentini, adoptèrent d’emblée la langue dialectale. Il ne leur restait plus qu’à habituer les familles algériennes à se déplacer pour assister, dans un cadre nouveau, à ce qui pouvait ressembler à la halqa (1) de la tradition. » (pp.149-150)

Nous ne pouvons nous suffire à une lecture globalisante d’un sociologisme culturel né en l’absence d’une historiographie du théâtre en Algérie. Les concepts « analphabétisation », « théâtre populaire » et « pères fondateurs » du 4e art, nous pourrons décrire contexte colonial dans lequel sont lequel sont apparus de telles manifestations artistiques dont un genre et une forme de théâtre s’est vue associée au chant, à la danse et au spectacle musical tout court.

La dramaturge britannique, Joan Maud Littelwood (1914-2002), disait en 1966 et lors d’une rencontre international sur le théâtre à New-Delhi, que « Le théâtre est dans la rue et non dans les livres ou dans de luxueuses salles de représentation. Le théâtre nait l’instant où les gens se rencontrent. » en réinjectant du sens, afin que «  la réalité passée puisse faire écho à une situation présente », dit-elle et lorsque nous abordons l’historiographie du théâtre algérien ou en Algérie, nous ne cesserons de poser des interrogations qui entourent une représentation ou un passé artistique qui jouissaient de doléances, d’aides et de prise en charge de la part de l’administration coloniale.

L’idéologie coloniale servait de model et même de pas militaire à suivre, il n’était jamais question de poser la question deux fois. L’art et sa conception dans un contexte de dominateur et dominés ne pouvait être que l’art du maitre, les chants et les danses prenaient une grande place dans le spectacle et doivent donc, donner aux représentations cette allure folklorique refusant toute « authenticité algérienne » ou affirmation d’une culture nationale vieille de plus de 25 siècles.

Le trinôme chant – dance – sketch répondait à ce folklorisme exotique, dans la mesure où la présence aux spectacles de nombreux Européens, dont des fonctionnaires coloniaux de haut rang est remarquée. Ils ne sont là que pour satisfaire leur curiosité. Les spectacles pour « indigènes » devaient faire rire, et toujours rire afin d’embraser la mal vie et détourner les masses colonisés de leurs contradictions fondamentales avec l’œuvre de l’Empire.

Le théâtre populaire dont évoque Djeghloul, tout comme à travers l’historiographie officielle du 4e art en Algérie, relève d’un discours idéologique postindépendance politique qui tente de réécrire les faits réels selon le prisme du nationalisme et du patriotisme identitaire mais occultent les contradictions historiques qui ont fait du folklorisme colonialiste, une forme d’étrangéité culturelle envers une identité historique. Tous les intervenants sur le champs de l’historiographie théâtrale algérienne, tendent vers un consensus – peut-on écrire l’histoire de faits, de gestes, actes et décisions, sur la base d’une éphémère temporalité qui perdure ? – dit-on d’un théâtre intégré à la sphère du spectacle pluridisciplinaire, et une prise sur la alité coloniale au-delà de son caractère de divertissement.

La présente contribution s’attardera devant des faits d‘ordre historiques et écrits de presse sur un art qui n’a pas cesser d’être la cible privilégiée de nombreuses attaques, ou de tentatives de l’amoindrir point de le rendre totalement vide de substances artistiques, esthétiques et sociales, de part et d’autres de la critique en Algérie.

Un fait inédit, tout d’abord. Lors de son périple algérois, l’écrivain Henry de Montherlant est invité à une représentation artistique de la Société musicale arabe (la Troupe) El-Moutribia (L’enchanteresse) ou encore Troubadours, selon la nomenclature médiatique coloniale des années 1920 et 1930. Après avoir assister à cette soirée, il rédigera une sorte de papier-couverture sur les colonnes du journal L’Intransigeant, du 13 /06/1929, en l’ouvrant par : « O Arabes, réveillez-vous » et qui reprenait le titre des affiches de théâtre qui couvraient les murs d’Alger et il poursuit :

« Hélas! A la déception des touristes anglais et allemands, il ne s’agit pas là d’un appel au soulèvement de l’Islam français. »

Montherlant constate que le programme de l’orchestre « indigène a pour but excellent de faire revivre la musique arabe classique », et il y aura même « une pièce arabe moderne, écrite et joués par des Arabes, en langue populaire ». le dramaturge français poursuit :

« Dans cette pièce arabe, le héros, quand il veut faire rire, se flanque par terre. Charlot (vous savez bien, Charlot, le génie..) ne fait pas mieux ».

Autour de la question des dialogues de la représentation, Montherlant noter qu’il « n’entends goutte » et demandant alors, à un de ses voisins, « un orientaliste distingué, professeur dans une e nos grandes écoles », de lui expliquer les mots comme sidi (monsieur), maccache (il n’y a pas), kif-kif (pareil) et autres expression qui revenaient souvent dans les dialogues, l’illustre spectateur lui répond qu’il ne comprend que l’arabe des lettrés.

A travers son texte, l’auteur n’omettra pas de pincer la communauté israélite d’Alger présente dans la grande salle de l’Opéra, puisque non loin de lui est assis un juif « très bien, le nez majestueux, l’œil ombreux, le cheveux noir plaqué et lustré, le teint mat, l’oreille vaste, et le port de tête … Ah! Vraiment, il est bien ». Derrière lui, « encore un juif très bien, une tête beau-père », ajoutera-t-il en poursuivant dans la dérision raciale, « Un juif penseur à qui on écrit de Munich pour lui demander où il faut mettre l’accent dans tel mot du Mediccus 2 ». le « vénérable » ne cessa, remarque monsieur de Montherlant, de fredonner, en même temps que le chanteur arabe, des mélodies orientales et poussant « des excellents ! Pâteux ». Pour ce qui des sujets Arabes invités à la fête annuelle de la troupe musicale, Montherlant remarque qu’il y a « six Bédouins à la loge d’à côté où le père de famille a son gourdin à la main ; les femmes voilées, et des gamins ».

Du spectacle, nous ne retenons de l’auteur de La Reine morte (1954) que les noms de M. Sassi qui a l’air d’un bon gros, avec une dent en or, tirant de sa guitare «  des sons qui font pâlir le chant des oiseaux » et e M. Bensaid qui chante ensuite, avec ses trois accompagnateurs. A l’interlude entre deux morceaux anciens, « une stylisation orientale de charleston, à la grande horreur des quelques touristes présents », mais au grand délire des assistants arabes.

L’auteur des Jeunes Filles (1937) et à travers son antijudaïsme primaire, assemble le propre du discours colonial de l’indigénat et de l’Arabe. Cet Arabe qui chante du Mozart, une Fatma, gouvernante de son état et toute fière d’être Française dans une famille de Bédouins le tout à travers une idée de la musique arabe que seul Monsieur de Montherlant pouvait y témoigner en cette heureuse année de 1929, d’avant le Centenaire de la colonisation.

A travers ce témoignage, nous saisissons e climat social et artistique dans lequel baigné la troupe El-Moutribia sous ce haut et seul patronage de la gouvernance générale de la colonie Algérie. Celui qui pris en main les destinés de la Société musicale à la mort de son fondateur, Edmond Nathan Yafil (1874-1928), cet artiste israélite d’Alger et des plus aimé e la part de la population musulmane, nous entendons par-là M. Mahieddine Bachetarzi (1897-1986), qui fut dès son jeune âge un des jeunes muezzins de la mosquée d’Alger avec une voix mélodieuse et bien présente, il sera appelé à lancer l’appel à la prière du haut du minaret de la futur mosquée de Paris lors de son inauguration, le 16/07/1926, en présence du roi du Maroc, Moulay Youcef. Cette forme architecturale qui s’éleva à Paris est une réhabilitation de la culture et de la personnalité nord-africaine au milieu d’une affirmation de la supériorité des canons des institutions coloniales françaises en tant que système universel et du rôle passif de la culture du colonisé, à vouloir se soumettre à la puissance économique et culturelle du maître civilisateur. Un édifice, un roi, un dignitaire maraboutique, des représentants de la féodalité « indigène », des musiciens Européens qui exécutent des chants arabes, des danseuses indiscrètes et des you-you pour amuser la galerie parisienne de la Belle-époque et le tout afin de montrer toute la force de vouloir « civiliser » les sociétés les plus arriérées ou retardées à un moment de leu évolution (Girardet, L’Idée coloniale en France de 1871 à 1962, Paris, La Table Ronde, 1972, p.139).

El-Moutribia fut une société musicale crée en 1911 par M. Yafil. Dans un communiqué de presse parue le 8/8/1912 sur le quotidien porte-parole des colons d’Algérie, L’Echo d’Alger, nous apprenons que les cours de chant et d’instruments reprendront le 5 aout de la même année et qu’ils auront lieux deux fois par semaine (lundi et jeudi), chez le président de l’association amicale son domicile, du boulevard Pitolet au quartier juif de Saint-Eugène (Alger). Les membres actifs de l’association devront retirer leurs insignes au siège de l’association, sis 24 rue Bab-El-Oued (Alger).

A teneur de l’annonce révèle que la Moutribia fut une association artistique communautaire entre juifs et musulmans de la ville d’Alger en sachant que le président-fondateur même fut un élève du maitre de la musique andalou algérienne, le cheikh Sfindja. La formation en elle-même pourrait être considérer comme une réponse/riposte d’un communautarisme culturel face à une idéologie culturelle de la colonisation qui affirmait l’identitaire européen et sa supériorité dans les domaines de l’art et de la musique. Profitant de la Loi 1901 sur les associations et avec l’appui des Elus musulmans de l’assimilation des indigènes à la colonie, M. Yafil lance sa Société musicale en la clamant d’arabe du fait de l’origine des chants et du nombre grandissant des élèves adhérents.

Les événements qui suivirent les premiers pas de la troupe artistique, l’après 1er Guerre mondiale notamment, allaient transformés El-Moutribia en une sorte de porte-voix des exigences e l’heure de l’idéologie coloniale d’entre-les-deux-guerres, à un moment où des voix revendicatives se font entendre. La société musicale est vite encadrée et prise en charge par l’Administration coloniale afin d’éviter tout dérapage politique. C’est ainsi que nous les colonnes d’un des numéros du Mutilé de l’Algérie e 1924, que l’association de musique arabe,

« Réunissait ses membres et amis en un banquet donné dans la grande salle du restaurant « La Réserve » pour fêter la distinction d’Officier de l’ordre du Nishan Iftikhar que vient de recevoir son dévoué et sympathique président Monsieur Bachtarzi Mahieddine. »

La distinction coloniale, cette sorte de Légion d’honneur, était remise à tous ceux qui contribuaient à asseoir l’édification de l’œuvre civilisatrice de la puissance coloniale. à cette réception assista le président d’honneur, fondateur de la troupe et directeur des cours, M. Yafil, le trésorier de la société, M. Pharo, un Européen et es membres sociétaires. Mondanités et réceptions formaient le lot des activités de la troupe artistique avec reconnaissances et distinctions de l’administration centrale de la colonie. Ans un contexte de crises financières mondiale, de famines et de la restructuration de l’économie coloniale au détriment de la masse des « indigènes », la Moutribia se frêle un chemin telle une institution qui avait pour tache d’apporter un réconfort aux esprits soumis aux tracas de la journée « en s’adonnant aux douceurs des notes harmonieuses des instruments », comme le notait M. Yafil, lors de cette même réception.

Le père-fondateur du théâtre algérien et nouveau président de la troupe évolua le long de sa carrière dans cet univers d’apaisement des sentiments, du showbiz de la Belle-époque parisienne jusqu’en 1956, date à laquelle il quittera l’Algérie en guerre pour s’installer temporairement dans la banlieue parisienne et n’y revenir qu’après le Coup d’Etat de 1965.

Considérer de nos jours, comme l’un des « pères-fondateurs » du 4e art en Algérie, il jouit de toutes les reconnaissances officielles. L’ex-Opéra d’Alger porte son nom et son parcours est commémoré d’année en année avec beaucoup de fanfaronnades. Mais à l’ouverture des archives de l’histoire des activités artistiques durant la colonisation les zones d’ombres s’éclaircissent au grand jour.

Folklore et dandysme

Le journal L’Afrique du Nord-Illustrée (du 8 /11/1919), présentait ainsi une des soirées qu’avait organisée la Moutribia de M. Bachetarzi :

« El-Moutribia nous intéresse vivement et nous suivîmes avec attention les chansonnettes arabes que cette société interpréta magistralement. Nous la félicitons chaleureusement ainsi que la célèbre danseuse mauresque Baya. Aux accents d’EL-Moutribia, la brune et séduisante bayadère dansa avec caractère Touchia Maia et a fameuse Ch’tih Zendani. »

Entre chants et danses, la troupe du ténor algérois, place quelques scénettes clownesques et à rire aux larmes. Le « Caruso du Désert » comme le surnommer ses admirateurs Européens, est au programme de l’affiche arabe des activités artistiques et la Moutribia se transforme, grâce aux médias de la métropole et de la colonie en Tournées Mahieddine (une société personnelle et propriété de l’artiste qui déclarera faillite financière en 1939) ou encore tout juste que son prénom suffirait à déchainer les foules et des bousculades devant les guichets de salles de spectacles. Déplacement en déplacement, tant en Algérie qu’en Europe, il sera reçu en pompe par toutes catégories de dignitaires puisqu’il incarnait le projet de la colonie heureuse et chantante.

Le 23 mars 1928, la troupe se présentait sur la scène de l’Opéra d’Alger, un espace jusque là réservait aux troupes artistiques Européennes et Françaises. La soirée est organisée avec mérite et succès, pourrait-on lire dans la presse de l’époque, puisque « Monsieur le Préfet d’Alger avait tenu également à rehausser, par sa présence, cette manifestation de l’art musical arabe ». En présence de l’adjoint au maire d’Alger et des Conseillers municipaux « indigènes », le spectacle ne déçut personne et le comique Rachid Ksentini, un autre père-fondateur du théâtre algérien) se « surpassa dans le tôle de Bou-Borma (l’homme à la marmite) dans les drôles aventures » de même pour M. Bensaid, de Tlemcen qui fut applaudi  « pour le choix des morceaux, notamment, une parodie arabe d’un charleston très en vogue ».

Ors de cette féerie orientale, une femme est sur scène, Mlle Habiba (Il s’agit de Habiba Messika, une danseuse et chanteuse d’origine tunisienne qui sera plus tard, assassinée dans une chambre d’hôtel à Tunis, par un jaloux), qui se fit longuement applaudis pour ses chants « qui furent très réussis ». la présence féminine sur la scène ou au sein de la Moutribia est certainement à relever avec intérêt face à une réalité socioculturelle des plus hostiles et ultra-conservatrice l’égard même d’une simple apparition féminine en salle de spectacle et parmi les hommes.

Et c’est encore sur les colonnes du journal L’Afrique du Nord-Illustrée (du 1 mars 1930) que nous relevons une page entière consacrée à un gala oriental de la même troupe Mahieddine et qu’elle teint à la salle Alhambra d’Alger. Le spectacle débuta par une pièce du comédien Allalou (de son nom Ali Sellali et un autre père-fondateur du théâtre algérien), intitulé Antar, un éros et poète de l’Arabie préislamique et qui n’est en fait que « l’odyssée héroïque et comique du pauvre barbier qu’une similitude de nom et le hachich conduisent dans la plus étrange des aventures », une pièce jugée impressionniste par sa simplicité, mais dont l’interprétation est marqué par le réalisme et l’humour. A la suite de ce one men-show, les danseuses algériennes font leur apparition aux cotés de l’orchestre traditionnel de la diva du chant andalou algérois l’époque, Meriem Fikay et à laquelle se joignait, en cocktail de soirée, la star de la chanson judéo-andalou, Lilli L’Abassi. Bachetarzi en compagnie de la chanteuse Habiba clôture la soirée-gala en exécutant des chants locaux algérois.

De 1930 à 1933, la troupe de Bachetarzi se mis au cérémonial de la commémoration du Centenaire de la colonisation, en s’exhibant dans des spectacles de concerts et soirées théâtralisées à la gloire et à l’honneur d’une administration qui n’a jamais cessé d’appuyer et d’alimenter la troupe en subventions, certes minimes en comparaissant avec celles offertes aux troupes européennes.

Le ténor et président de la troupe et en évoquant les années 1920 telles qu’ils ont été perçus par l’artiste, dira et clà après son retour en Algérie que

« Nous traversions une période d’euphorie très propre à échauffer les jeunes cerveaux. C’était une époque de fusion, de brassage intellectuel qui tendait à agglomérer les divers éléments ethniques du pays, une fraternisation des jeunes musulmans, juives et chrétiennes dans tous les domainese l’art, de la culture et du sport, qui débordait les frontières et s’affirmait également avec les jeunesses de Tunisie et du Maroc ». (2)

Le climat social évoqué par le directeur de « Tournées Mahieddine », ne pouvait que favoriser l’action de la Moutribia dont le concours « n’a jamais fait défaut pour des manifestations de bienfaisances ou patriotiques » (Bulletin municipal de la ville d’Alger, du 5/2/1929).

La société musicale devient un instrument favori de la propagande culturelle du colonialisme pour une « fraternisation » entre fils de colons et ceux des colonisés. Mais c’est surtout la compromission bien consciente, que faisait cette troupe à vouloir redorer le blason de la colonisation et avec elle, son système d’exploitation. Les permettaient à M. Bachetarzi de gagner de l’argent, e lui font pas oublier son devoir de citoyen assimiler et même fortement un dynamique dénominateur dans le processus de l’aliénation des masses colonisées. Le 25 mai 1942 et en pleine prise du pouvoir vichyste à Alger, nous pouvions lire sur Le Journal avec comme sous-titre « Dites avec moi ! Vive le Maréchal ! », et que Ksentini

« Qui puisait dans l’actualité les sujets les plus cocasses, et Mahieddine, à la jolie voix de ténor, qui traduisit, il y a vingt ans de cela, la « Marseillaise » en arabe. Pas une fête officielle ne se déroulait sans qu’il fit entendre ces strophes sacrées. Aujourd’hui, Mahieddine, pour célébrer la nomination de quatre conseillers nationaux musulmans, ient de composer une chanson : « Dites avec moi ! Vive le Maréchal ! ».

 de même pour cet autre père du théâtre Algérie selon l’historiographie officielle, Rachid Ksentini composera une chanson en l’honneur de Pétain et écrite en un cantique arabe par un enseignant des écoles franco-musulmanes de Sidi-Bel-Abbès (Ouest de L’Algérie) à l’occasion de la visite du ministre pétainiste, Jean Borotra. C’est ainsi que les chansonniers musulmans de l’Algérie,

« Font revivre l’âge d’or et les légendes palpitantes et voluptueuses de l’Islam, en même temps qu’ils offrent à leurs auditoires attentifs les poèmes au souffle généreux qui disent tout le prestigieux de notre pays et invitent aux grandes tâches que la Patrie attend » (Le Journal, 25/5/1942)

Et au même moment que quelques 14000 Algériens musulmans, sans évoquer le nombre incertains de Juifs d’Algérie, qui périrons dans les camps nazis d’Allemagne ou encore ceux des Européens (chrétiens, laïques, communistes et protestants) des camps d’internements vichystes en territoire algériens d’entre 1940 et 1942. Il y a lieu de réfléchir sur le choix du correctement politique de l’artiste Bachetarzi à une époque où les mouvements sociopolitiques de la revendication nationale et ouvrière battaient son plein lors des années 1930. Le jour où la troupe de Mahieddine s’est vue interdite de scène, c’était à Constantine (Est de l’Algérie) lors de la présentation de la piécette « Zyd-Ayatt » (Cris encore), le 29/01/1938, le texte traitait de la question syndicale où un syndicat de poissons luttant contre les travailleurs de la mer afin de ne pas se laisser prendre ans leurs filets. L’attitude et le choix du discours anti-ouvriers de Bachetarzi est mis en évidence insistant plus que les autres fois sur

« l’union sacrée non pas seulement entre musulmans, mais entre tous les habitants de la colonie, qu’ils soient chrétiens, juifs ou musulmans » (L’Echo de la presse musulmane, 7/3/1938).

A lire les Mémoires de Mahieddine Bachetarzi (3), les questions idéologiques n’apparaissent nullement sur le grand jour. Il était question d’éviter les questions qui fâchent, qui indexent et qui certainement, condamnent une activité à caractère mercantile sur le dos déboires de la colonisation, des déplacements de populations et d’exterminations génocidaires. Lorsque l’on est dans la luxure des salles de spectacles, sur la scène on est terriblement aveuglé par les feux de la rompe. Les artistes Algériens de l’époque de la féerie coloniale, ne l’en certainement pas chercher mais vivement subit.

 

Note :

(1) – Ronde formée par les auditeurs au centre de laquelle se tenait le conteur.

(2) – Cité dans, Mohammed Kali, 100 ans de théâtre algérien. Du théâtre folklorique aux nouvelles écritures dramatiques et scéniques. Edition Socrate News. Algérie, 2013, p.45.

(3) – Mahieddine Bachetarzi, Mémoires 1919)1939, Alger, SNED éditions, 1968.