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Fleurs en larmes et Larmes en fleurs, ou de la duplicité vitale chez Rose Djoumessi Jokeng

Si elle n’écrivait pas depuis bien longtemps avant d’être révélée au public, il serait de bon ton de dire que Rose DJOUMESSI JOKENG est entrée dans la littérature par la grande porte. En effet, c’est depuis la Sicileen Italie le 19 octobre 2008 que l’Académie Il Convivio la dévoile au monde entier en lui octroyant pour son poème « J’ai écrit ton nom » le prix du concours international de poésie, nouvelle et art figuratif. Bien que par la suite elle se soit lancée dans l’écriture d’un roman et d’une pièce de théâtre, c’est surtout Larmes en fleurs[1], qu’elle publie à compte d’auteur faute d’intérêt des éditeurs locaux, qui marque sa vie littéraire actuelle de fer rouge. Reniflons ensemble les effluves de ces fleurs du salut humain.

      De cette plaquette de 63 poèmes sur 80 pages, Patrice KAYO dit qu’elle est « dense de pudeur et d’un lyrisme simple et dru, est d’une pénétrante et discrète émotion… Stylisation de notre quotidien, elle est questionnement de l’être et de la vie ; fenêtre ouverte sur un monde étiolé par la mort et les trahisons de toutes sortes. » (Préface, p. 7)

Le recueil s’ouvre sur « Trahison » et se ferme sur « Femme rurale », symbole du manichéisme latent qui sous-tend l’œuvre. D’un côté la mort due à la trahison et de l’autre le printemps annoncé par la femme rurale qui est source de vie, de survie, mère et nourrice infatigable de l’univers. Non encore atteinte des malformations qu’apporte la « civilisation » et que renforce la ville, elle semble rester la seule opportunité qui s’offre à l’homme pour garder la tête hors de l’eau.

Tout commence par un constat lancinant, qui met le déclic aux larmes de la poétesse, démiurge qui s’est donné pour tâche de sauver le genre humain :

« Pourquoi sommes-nous devenus si cruels ?

                        Pourquoi avons-nous greffé à la place du cœur

                        Un volumineux morceau de glace ? » (p. 41)

C’est devant cette situation insoutenable que Rose DJOUMESSI croit devoir recréer la vie, la bonne vie. Femme, épouse et mère elle-même, elle sait mieux que quiconque que la tâche de régénération de la vie ne peut revenir qu’à son genre, dont elle dit :

« Tu es ce sans quoi la vie serait

                        Si monotone, si triste, si pâle.

                        Comme une rose qui éclôt dans un jardin

                        Avec tes changements de couleurs.

                        Femme polymorphe et polyglotte

                        Tu tombes comme une aubaine

                        Au milieu de la mélancolie masculine. » (p. 29)

Cette mélancolie masculine ignore en effet tout de la femme, qui pour elle n’est souvent pas grand-chose, ce dont la poétesse s’indigne : « O ! Belle et pauvre roue oubliée » (p. 23), et rappelle à l’inconscient qu’elle est plutôt « Ennemie de l’inertie et de l’indolence. » (p. 13) Pour la poétesse en effet, la femme n’est autre chose qu’Amour :

« L’Amour de ce que l’on est

                        L’Amour de ce que l’on fait

                        L’Amour de ce que l’on veut être

                        L’amour de ce que l’on croit être. »[sic] (p. 21)

Qui n’y croit pas n’a qu’à se frayer son chemin ailleurs. Mais qu’il ne soit pas surpris par les malheurs qu’il rencontra sur son chemin. Les incrédules paient toujours au prix fort leurs turpitudes. Ils croient redécouvrir l’Amérique, parce qu’ils méprisent Christophe Colomb, et

« Et très tôt le bout du tunnel est atteint,

                        Et l’acteur revient tout honteusement

                        Au point de départ,

                        Retrouve intacts les difficultés abandonnées. [sic]» (p. 24)

Pourvu qu’il n’oublie pas que « chaque obstacle est un appel ! » (p. 37) L’autre n’avait-il pas déjà dit que l’homme ne se connaît que lorsqu’il se mesure à l’obstacle ? Il ne s’agit donc pas pour l’homme sage de s’abandonner à la paresse et au prêt-à-manger, mais de se mettre résolument à la tâche, pour s’affirmer homme et père et époux que la belle mamelle pleine a le doux devoir de téter. Ainsi, le conseille la poétesse,

«Tu ne seras véritablement libre

                        Que lorsque tu auras accepté

                        Non de transcender les difficultés

                        Mais de les regarder en face. » (p. 56)

L’homme doit-il donc se décourager de vivre parce qu’il n’a devant lui que des embûches tous les jours de sa vie ? Doit-il céder au désespoir parce qu’apparemment il n’y a aucune issue de salut ? Conscient qu’il est cible sur terre, image de Dieu jetée en pâture aux bêtes féroces que sont souvent ses semblables, ne doit-il pas au contraire s’armer de tout son courage pour s’attaquer à l’ennemi sans merci ? Non.

« L’homme, bien que conscient

                        Qu’il est “cible sur terre

                        Pour des tireurs secrets”

                        Doit éviter de se croiser les bras

                        Et attendre timidement la fin tragique. » (p. 47)

« Tu mangeras ton pain à la sueur de ton front, et ensuite tu mourras. » Voilà un commandement de Dieu : l’homme n’est pas venu sur terre en villégiature. Et pourquoi tant d’embûches devant l’homme dans son odyssée terrestre ? Et n’a-t-on adjoint une compagne à l’homme que pour en ajouter à sa souffrance et augmenter sa misère ? Il paraît, comme le constate l’auteur avec regret,

« Ils sont peu nombreux, très rares

                        Presqu’inexistants [sic]

                        Les jours où une lueur de gaîté

                        Sort de l’ombre pour illuminer,

                        Non sans peine, le cercle » (p. 55) vicieux.

Et l’homme que PASCAL disait être « un roseau, le plus faible de la nature, mais un roseau pensant », peut-il dans toute sa faiblesse réussir cette difficile mission tout seul en destinée solitaire ? Sera-t-il à même de lever tous ces défis qui l’attendent imperturbablement sans une aide quelconque. C’est ainsi qu’il devra se rappeler qu’un homme seul est un homme perdu, et rechercher la collaboration, l’union, l’entente avec son semblable. Il est vrai et de notoriété publique que, imbus de leur égoïsme doublé de leur égocentrisme, beaucoup d’hommes rejettent tout cela et se lancent les yeux fermés dans des desseins solitaires. Mais savons-nous

« Que bon nombre d’entre nous refusent

                        Toute collaboration

                        De peur de n’être pas écoutés ou adoptés ?

                        Que beaucoup d’hommes échouent

                        Parce qu’ils redoutent les erreurs ?

                        Que de millions de projets étouffent dans l’œuf ? » (p. 50)

Alors, attention. Qui ne risque rien n’a rien. Et à cœur vaillant rien d’impossible. Gardons la tête haute et avançons. La félicité se trouve au bout du tunnel, d’autant qu’ « à vaincre sans péril on triomphe sans gloire. » À coup sûr nous ne pourrons compter sur tout le monde. Le monde est plein de traîtres et d’opportunistes, mais peu importe. En effet,

« Comme la mort, la trahison

                        Nous guette à chaque détour de route ;

                        ……………………………………………

                        Vous n’échapperez guère à la trahison

                        D’un geste par vous-même posé.

                        ……………………………………………

                        Et si vous n’êtes pas de ceux-là,

                        Juste “un peu de patience

                        Et votre tour viendra.” » (p. 9)

Et c’est là qu’intervient la femme. Malgré et avec ses larmes, elle est pour la poétesse seule apte à sauver l’homme, son fils, son époux et le père de ses enfants. Du haut de ses turpitudes connues et de sa sentimentalité légendaire, elle reste le seul être qui peut renverser la vapeur et redonner à l’humanité la joie et la soif de vivre. Ses larmes ne seront pas vaines, mais elles fleuriront, pour donner des fleurs de gaîté, de fierté, de félicité et de confiance en soi.

Mais il ne s’agit pas de toute femme, simplement parce qu’elle porte jupette. Il s’agit de la femme primitive, encore intellectuellement vierge, de la femme rurale, sans artifice. En effet, voici la femme rurale telle qu’elle se définit elle-même dans Larmes en fleurs :

Je suis le puissant arbre tutélaire

                        Sur qui reposent :

                        Le travail bien fait des usines

                        Les jugements bien rendus des tribunaux

                        Les dossiers bien traités des bureaux

                        Les enfants bien enseignés des écoles

                        Les comptes sans erreurs des vendeurs

                        Les volants mieux tenus des chauffeurs

                        Les tables bien garnies des gourmets

                        Les maris bien nourris des foyers. (p. 77)

C’est tout dire. Partout, dans l’air comme dans l’eau, dans le feu comme dans la vie, on voit la femme. Elle est la pierre d’angle de la vie tout court, et nul n’est besoin d’en remonter jusqu’à la création pour lui reconnaître le rôle essentiel et irremplaçable qui est le sien. Quelqu’un a-t-il dit que derrière tout grand homme il y a une grande femme ? Il ne croyait pas si bien dire. Rose DJOUMESSI fait d’elle l’essence même de la vie. Et quiconque entreprend de la mépriser ne devra s’en prendre qu’à lui-même, car

Quand tu reviendras

                        Je serai une autre

                        Quand tu t’y pencheras

                        Je serai une autre

                        Quand tu t’en souviendras

                        Je serai déjà… une autre ! (p. 67)

La femme doit se reconnaître dans ces devoirs pas toujours faciles à supporter, consciente que si elle fait défection, c’est un cataclysme qu’elle causera, et personne d’autre qu’elle ne pourra l’arrêter. La poétesse qui se dresse ici en ange gardien la met bien en garde :

« Et si un jour ; par mégarde tu cessais

                        De jouer aussi infailliblement  ce rôle,

                        Que deviendrait le fragile être humain ? » (p. 58)

Et si c’est plutôt la femme elle-même qui méprise son bien aimé dont elle est la mère, l’épouse et la nourrice, elle est foutue, car « pour le satisfaire, tu devras apprendre / A voler au-dessus de tes ailes. » (p. 63) Quelle tâche ardue ! Voler au-dessus de ses propres ailes ! Il faut vraiment le faire.

Voilà donc comment des fleurs en larmes peuvent devenir des larmes en fleurs par l’artifice du langage. Et le poète n’utilisant que des mots pour créer son monde et refaire le monde à la suite du Créateur, Rose DJOUMESSI JOKENG se présente ici comme une experte en l’art de la parole. Certes, elle n’utilise pas sa langue maternelle qui aurait été ici d’un autre pouvoir, mais elle utilise celle qu’elle a apprise à l’école et qu’elle encense sans limites :

« Langue française, langue dynamique

Méprisant la sclérose et l’inertie

Croissant comme une tumeur pudique

Tu séduis amis et ennemis. » (p. 18)

 

BIO-BIBLIOGRAPHIE

 

        Rose Djoumessi-Jokeng naît le 14 avril 1958 à Fongo-Tongo près de Dschang, (Ouest-Cameroun). Elle s’intéresse très tôt à la poésie classique et essaie d’imiter ses idoles qui ne sont autres que Charles BAUDELAIRE, Victor HUGO, VOLTAIRE, ou Théophile GAUTHIER. Cette prédisposition la conduit aisément vers l’enseignement du français qu’elle exerce avec un certain brio, pour être nommée Censeur dans un lycée de sa région. Elle a par la suite été élevée à la dignité de Chevalier du Mérite Camerounais, après avoir obtenu le Prix d’Excellence en Littérature du Gouverneur dela Région de l’Ouest.

Rose DJOUMESSI-JOKENG est auteur de :

Larmes en fleurs

Et co-auteur de :

Anthologie de poésie féminine Camerounaise.

Antologia dei Poesia de l’Academia Il Convivio

Et de nombreux poèmes sur Internet.

Douala, le 07 avril 2011.

 

 

 

 


[1] DJOUMESSI JOKENG, Rose, Larmes en fleurs, Dschang, Presses Universitaires de Dschang, 2007, 80 p.