Résumé :
« Voix des sans-voix », « grande gueule » ou « indécrottable subversif », telles sont quelques-unes des expressions auxquelles journalises, politiques et chercheurs n’hésitent pas à recourir pour parler de Lapiro de Mbanga, un chansonnier camerounais dont les textes, corrosifs à souhait, n’épargnent aucun tenant du pouvoir. De par sa liberté de ton, cette parole qui émerge à la fin des années 70, tranche nettement avec tous les discours artistiques, médiatiques ou politiques qui sont alors des modèles de langue de bois ou de panégyrique à l’endroit du pouvoir monolithique. On comprend ainsi que les études sur « l’engagement » de cette icône qui nous a récemment quittés ne se comptent plus, surtout en cette ère d’hommages mérités. Mais peu nombreuses sont les recherches qui interrogent en même temps la forme non moins subversive de ce discours. La présente réflexion ambitionne de montrer, au travers de l’étude du lexique, de la syntaxe et de la sémantique spécifiques la chanson « Mimba wi », comment cette production participe de l’élaboration et de l’expression de l’identité des exclus du champ discursif dominant.
Introduction
Lapiro de Mbanga est sans conteste le chanteur camerounais le plus populaire de la fin des années 80 et du début des années 90, années qui sont accompagnées en Afrique par de revendications politiques et sociales de toutes sortes. Le succès des textes de l’auteur de « No make erreur » (« Fais gaffe »), « Na wou go pay ? » (« Qui va payer ? ») « Qui n’est rien n’a rien » ou encore « No money no love » (« Pas d’amour sans argent ») procède sans doute de ce qu’ils semblent traduire au moins une double rupture.
D’une part, par leur côté résolument révolutionnaire, les textes des chansons sont en rupture avec la chanson camerounaise traditionnellement dithyrambique à l’endroit du prince, tentation à laquelle n’ont pas su/pu échapper même les plus « grands », André-Marie Tala ou même Manu Dibango[1] ; et d’autre part, rupture du code, du moyen d’expression. En effet, Lapiro de Mbanga est le tout premier artiste camerounais dont le répertoire comprend un nombre aussi important de textes en « Mboko talk » (littéralement : « Parler du quartier ») ou « Camfranglais », parler qu’il a incontestablement contribué à développer et à vulgariser[2].
Au travers l’étude de la chanson emblématique, « Mimba Wi » (« Pensez à nous »), ce volet de notre réflexion ambitionne de montrer comment la double déconstruction des modèles anciens ainsi engagée peut se lire, dans le contexte de la postcolonie camerounaise, comme une tentative d’expression d’une identité de classe, celle des exclus des circuits officiels de la production discursive et par conséquent de la légitimation sociale[3].
I- Regardée, mais jamais vue
Disons-le tout de go : au Cameroun, les critiques littéraires et les autres chercheurs en sciences humaines semblent avoir longtemps regardé sans la voir la culture populaire exprimée par la chanson ou le vaudeville par exemple, cette branche de la production culturelle nationale qui est, à bien des égards, en tout cas à mon avis, l’une des rares qui fonctionne véritablement. En effet, l’analyse des conditions d’émergence, des stratégies et modalités de légitimation dont une esquisse a été faite au chapitre précédent montre comment, dans un univers où même la culture « officielle » est en pleine crise, cette dernière se constitue progressivement en sous-champ autonome dans le champ culturel local.
Pour se convaincre de ce qui ressemble fort à une conspiration du silence, il n’y qu’à voir quelques publications qui ont pourtant fait autorité dans le champ littéraire ou même culturel national depuis près de deux décennies. Au milieu des années 80, le ministère de la l’information et de la culture qui entend donner un contenu au « nouveau départ » que postule le changement à la tête de l’Etat du Cameroun et arrimer ainsi « Renouveau » politique et « Renouveau » culturel, organise un colloque international sur « L’identité culturelle du Cameroun ».
Ce forum regroupe d’ailleurs un grand nombre de chercheurs en tous genres, nationaux et étrangers : philosophes, sociologues, spécialistes de cultures orales, critiques littéraires, etc. Les actes de ladite rencontre consultés montrent comment aucune place n’est faite aux arts populaires en général. Vers la fin de la même décennie, un autre colloque, tout aussi international, mais organisé cette fois par l’université de Yaoundé (la seule du pays d’alors) est consacré plus spécialement au théâtre camerounais. Une fois de plus, pas une seule communication ne s’intéresse au théâtre populaire par exemple, alors que, tout comme la presse indépendante, ce dernier connaît alors un nouvel élan en cette période de libéralisation de la parole au Cameroun. Les actes de cette autre rencontre sont d’ailleurs édités par les dramaturges et universitaires camerounais Bole Botake et Gilbert Doho que l’on ne présente plus, sous le titre Théâtre camerounais/Cameroonian Theatre –Actes du Colloque de Yaoundé, Yaoundé, (Bet & C° (Pub), 1988.)
A la fin de cette même décennie 80, la revue française Notre Librairie consacre, quant à elle, deux numéros spéciaux à la littérature camerounaise, les numéros 99 et 100 respectivement : une fois encore, rien n’est dit de la littérature populaire qui à cette date pourtant semble mettre en place les bases du développement prodigieux qu’elle connaît pendant les années 90. La revue Europe N° 774, une autre revue française qui offre un dossier assez fouillé sur la culture au Cameroun, n’en fait pas état non plus. Il n’est sans doute pas inutile de signaler que ces deux dernières publications sont, à l’occasion, codirigées respectivement par Ambroise Kom et Marie Claude Jacquey, et par Ambroise Kom et Christian Petr. Auteur entre autre du tout premier Dictionnaire des œuvres littéraires de langue française en Afrique au Sud du Sahara. Vol. I. Des origines à 1978, (Sherbrooke/Paris, Naaman/ACCT, 1983), Ambroise Kom est, comme on le sait sans doute, un éminent spécialiste camerounais des littératures et civilisations africaines et du monde noir alors en poste à l’Université de Yaoundé, au Cameroun.
Plus proche de nous, pendant la première moitié de la décennie 90, et surtout deux ans à peine après le début de la mise en application effective de la reforme de l’enseignement supérieur qui a abouti à la création de six universités d’Etat au Cameroun, la jeune Université de Buea qui tient visiblement à marquer son territoire, organise en novembre et décembre 1994, le deuxième colloque jamais consacré exclusivement à la littérature camerounaise sur le sol camerounais. Le premier, on s’en souvient sans doute, a eu lieu en 1977, à l’Université de Yaoundé.
Signalons en passant que l’un des griefs de la communauté anglophone du Cameroun au système de l’enseignement supérieur qui se réduisait alors à l’Université de Yaoundé, était justement de ne pas tenir suffisamment compte des spécificités du sous-système d’enseignement secondaire des anglophones. Cette situation expliquerait au moins partiellement le taux d’échec plus important chez les anglophones à l’Université de Yaoundé. De fait, seule université de type anglo-saxon sur 6, l’Université de Buea apparaît ainsi comme un défi à la communauté. Ne pas reproduire Yaoundé est alors le défi que les autorités de la nouvelle institution ont pour ambition de relever. Son slogan, en anglais évidemment, est plus parlant à cet effet : « UB, the place to be[4] ».
Une bonne centaine d’acteurs de la vie littéraire nationale répondent effectivement à l’appel de l’institution en quête de reconnaissance à travers cette rencontre intitulée : « Critical Perspectives on Cameroon Literature / Perspectives critiques sur la littérature camerounaise ». Bien que l’on puisse déplorer que peu d’écrivains, de critiques et de chercheurs étrangers et/ou résidant à l’étranger eussent fait le déplacement, il convient de reconnaître que la participation des nationaux fut réellement massive. Beaucoup de communications furent même d’un niveau scientifique appréciable tandis qu’aucune dimension essentielle de la littérature camerounaise ne fut évitée pour des raisons politiques. Il n’est peut-être pas inutile de relever comment dès l’ouverture du forum, resurgit la lutte hégémonique séculaire qui a toujours opposé au Cameroun les penseurs et autres créateurs indépendants aux représentants et tenants du pouvoir politique et idéologique dominant, sur la légitimité ou l’illégitimité du statut du discours sur la littérature camerounaise[5].
En effet, invité à prononcer le discours d’ouverture du colloque, le nouveau ministre de l’enseignement supérieur, Peter Agbor Tabi, tente de limiter d’autorité la sphère d’investigation de la littérature et de la recherche en littérature à la poursuite et à la reconnaissance du beau. Il voue ainsi aux gémonies tout art « engagé » et prescrit par conséquent aux critiques et aux créateurs réunis de légiférer drastiquement sur celui qui mérite l’étiquette d’écrivain aussi bien que sur tout texte qui peut prétendre à celle de littérature.
The University, enjoint-il aux organisateurs et aux participants, also has the role of not only helping to bring forth, but of examining the product, of evaluating the work which has been brought to fruition, of determining what is literature and what is not, of drawing the line between high culture and low culture, between the eternal and the transient, between what appears to be the best in us and what simply emphasizes on bestiality […] There has been a substantial quantitative increase in the literary productivity of our writers. This, unfortunately has not been matched by an equal improvement in the quality of the writing. It appears to me that many are unable to draw the line between art and rage[6]…
Cette intrusion « illégitime » des agents du champ politique qui confondent manifestement création artistique et service national dans le champ littéraire, provoque évidemment une levée de bouclier. Mais, il est intéressant, dans la perspective de la présente réflexion, de remarquer que, bien que tous les sujets « qui fâchent » aient pu être librement abordés par les participants, la culture populaire, elle, demeura, une fois de plus, la cinquième roue du carrosse.
La culture populaire camerounaise semble ainsi, pour emprunter le titre d’une livraison de la revue parisienne Africultures qui consacre justement un dossier au Cameroun, une « culture sacrifiée » par les pouvoirs publics et même, je serai tenté de le dire, minorée par des chercheurs de tous ordres. Sans doute faudrait-il un jour tenter d’élucider les moyens de fonctionnement de ce champ à travers l’investigation de l’un de ses codes par excellence, le « Mboko talk », autrement que sous un angle strictement linguistique comme cela semble être le cas actuellement[7]. La présente analyse est un volet d’un projet plus grand sur les arts populaires en post colonie africaine que je dirige dans le cadre du GRIAD, Groupe de Recherche sur l’Imaginaire de l’Afrique et de la Diaspora. Par conséquent, elle se limite essentiellement à la chanson « Mimba Wi (S.OS. Sauveteurs) », texte emblématique du champ s’il en est.
En effet, le travail de collecte, de transcription et de traduction que j’ai effectué dans la cadre du projet financé par l’Agence Universitaire de la Francophonie annoncé à l’instant, au Laboratoire de Sémio Linguistique de Didactique et Informatique de l’Université de Franche-Comté à Besnçon sur tout le répertoire en Mboko talk de Lapiro de Mbanga, révèle que cette chanson, aussi bien au niveau thématique que stylistique, apparait comme l’un des hypotextes matriciels possibles de l’ensemble du répertoire. En tout cas, le réseau d’images constantes qu’elle charrie semble se répéter de chanson en chanson. Au-delà de son caractère corrosif et parfois enflammé qui est d’ailleurs à l’image d’un certain nombre de productions du répertoire de l’auteur, la chanson phare de l’album Toss Tara semble donner à voir, par sa syntaxe, sa sémantique, les dialogismes socio-discursifs avec les discours locaux contemporains, son lexique, etc., la constitution en cours d’une personnalité collective « nationale » propre à un espace et un temps finalement localisables.
II- Le lexique, la logique de la recomposition
Comme terme de linguistique générale, le lexique désigne l’ensemble des mots d’une langue considérés comme les éléments constitutifs du code de cette dernière. A l’image de celui de bien d’autres langues, le lexique du « Mboko talk » provient d’origines diverses. Le « Parler du quartier » camerounais s’inspire évidemment du français et de l’anglais comme le montrent les études consacrées à ce phénomène. Mais, contrairement aux conclusions de certains sociolinguistes comme Carol Deferral, il puise également dans le pidgin-english et les autres langues locales camerounaises. Il ne serait d’ailleurs pas inintéressant d’essayer de comprendre pourquoi certaines langues semblent avoir la préférence des locuteurs du « Mboko talk » au détriment des autres. Mais en attendant, je me propose dans l’immédiat d’identifier et de décrire le lexique du « Mboko talk » tel qu’il apparaît dans le corpus[8].
1) Le français, « je t’aime moi aussi »
Le lexique d’origine française du « Mboko talk » peut être sérié en trois groupes distincts. Le premier est constitué des termes empruntés à la langue de Molière et utilisés directement comme tels. Je me contenterai de signaler dans le cadre de cette communication quelques exemples frappants : « Bien sûr, Tara na flo for don man » (4e partie). Cette expression signifie ici, comme en « bon » français, « Bien entendu » ou « Bien évidement ». Il en est de même de « ticket » dans « Mokolo, I want gi ticket » dans la 6e partie de la chanson. Le mot « ticket » emprunté à l’anglais par le français comme l’on sait, a exactement le même sens ici qu’en français. Car il représente le reçu remis aux vendeurs à la sauvette par le collecteur des droits d’occupation de place du « marché ».
Un très grand nombre d’occurrences du texte fonctionne sur le même mode : « heure », « austérité », « échantillons » (8e partie) ; « à genoux » (9e partie) ; « Intégration nationale », « ultimatum » (10e partie), etc. Le « parler du quartier » recourt aussi, comme on peut le relever dans le corpus, au verlan du français, type d’argot dont les mots sont élaborés en inversant certaines syllabes des termes de la langue courante. Le sens reste, dans le Mboko talk, identique à celui du français. Il en est ainsi de « rémé » et « répé » (11e partie) dans « Rémé no dé, répé no dé » où les deux substantifs renvoient respectivement à « mère » et « père ».
La deuxième catégorie des termes est, elle aussi, empruntée dans les mêmes conditions. Mais, à la différence de la série précédente, les emprunts connaissent un emploi différent et peuvent souvent relever de ce que les sociolinguistes appellent « camerounismes. » Il en est ainsi de « complices » dans « Complices, mimba we » (2e partie). D’origine française, « complices » est employé dans le camfranglais, ou du moins dans le lexique de Ndingaman, pour signifier « frères » ou même « amis » et désigne dans le contexte de la chanson analysée « compagnons de misère ».
Dans « You want soûler, you mimba we » (2e partie), le terme « soûler », lui, est emprunté, comme on le voit, au français. Cependant, il signifie ici, non pas s’enivrer, mais tout simplement « boire », « avaler un liquide ». On peut ainsi dans le Mboko talk « souler le ndiba », (« boire de l’eau ») ou la bière. Dans la chanson « Pas argent, no love », on perçoit ainsi clairement la différence dans les vers suivants :
Na dey I enter for Ludo Hotel, I calé for comptoir
Begin soûler my Nobra
[…]Mamie, wething you di soûler now ?
“Hein, I di soûler na Beck’s beer.”
(« Une fois à Ludo Hôtel, je prends place au comptoir du bar
Et commence à boire ma bière, une « Nobra »
[…]« Mamie, qu’est-ce que tu prends ?
« Hein ? Moi, je bois de la Beck’s ».)
(« Pas argent, no love »)
Les emprunts aux français fonctionnent ainsi également dans « Jacques Chirac for Ngola/Don comot corrigé for ultimatum » (7e partie) où le lexème « corrigé », contrairement au français où le terme renvoie au devoir modèle proposé par exemple à des élèves pour leur permettre de rectifier leurs erreurs, exprime l’intensité. Il signifie ici « le degré supérieur de », « grand », ou alors, pour trouver un équivalent en Mboko talk, « le grand frère de. » De même que « sauveteurs » dans « He say sauveteurs must nyong » (7e partie) qui signifie « vendeurs à la sauvette », « Sauvetage » (« vente à la sauvette ») dans « Sauvetage na boulot way he no get retraite anticipée » (8e partie) et bien d’autres occurrences, relèvent ainsi du « parler camerounais », bien qu’ils soient visiblement des termes français.
2) Le lexique … à l’anglaise
Le vocabulaire d’origine anglaise qui est majoritaire dans la chanson, comme dans l’ensemble du corpus des textes du chanteur en Mboko talk, peut, lui aussi, être divisé de la même manière que le lexique d’origine française analysé à l’instant. Le premier groupe est constitué des mots empruntés à la langue de Shakespeare et utilisé directement comme tel.
Dans « You want damer, you mimba we » (2e partie), le pronom personnel sujet « You », renvoie ici à « Vous » et connaît un emploi tout à fait identique en anglais : même nature, même fonction et même sens. Il en est de même pour « want » dans le vers « You want enjoy, you mimba we ». Provenant de l’infinitif anglais « to want », le terme signifie « vouloir » ici comme en anglais. Il en va de même pour « enjoy » dans « You want enjoy, you mimba we” (2e partie). Le verbe « enjoy » signifie aussi bien en Mboko talk qu’en anglais, « profiter de la vie », « jouir ». C’est dans le même sens que se comprend la conjonction de subordination « like » dans « Ngry don make rémé and njanga/They don dry like échantillon for Ethiopia » (8e partie). Elle introduit une comparaison, comme en anglais et signifie (en français) « de la même façon que ».
Dans l’énoncé : « Whose side we go nang ? » (2e partie), « whose » est le pronom relatif complément d’objet indirect qui pourrait se traduire en français par « dont », « duquel », et « de qui » ou « à qui », etc. Il est utilisé en Mboko talk, tout comme en anglais, pour ajouter ou prendre de l’information sur la personne ou la chose dont on parle. Il a ainsi le même sens que dans un énoncé anglais suivant : « I am the professor whose flight is taken care of by the conference organising committee ». (« Je suis le professeur dont le billet d’avion a été pris en charge par le comité d’organisation du colloque. ») Un certain nombre d’autres lexèmes du Mboko talk ont ainsi le même sens qu’en anglais, tandis que d’autres, empruntés dans les mêmes conditions, s’en écartent très nettement par l’utilisation.
Certains termes de cette « classe » peuvent même relever du pidgin-english comme on le verra plus bas. Dans le vers « You want damer, you mimba we » (2e partie), « we » est bel et bien le pronom personnel, première personne du pluriel, comme en anglais. Mais, dans le contexte d’emploi, il est utilisé ici à la place de « us », pronom complément de la même personne. On peut relever un nombre relativement important d’emplois du même genre de lexèmes anglais, et notamment ceux des mots-outils comme « for » dans « Ngry don make rémé and njanga, they don dry like échantillon for Ethiopia » (8e partie). « For » est bien une préposition anglaise qui peut signifier « pour », « par », « de », etc., en fonction des contextes. Ici, il est employé dans un contexte où c’est plutôt « from » ou « of » qui étaient appropriés en « bon » anglais.
3) La « dette » du pidgin-english
Quelle que soit son origine, le vocabulaire du Mboko talk est généralement construit sur le même mode morphologique que dans le pidgin-english : en empruntant les mots des autres langues-sources que sont notamment l’anglais, le français, les langues endogènes du Cameroun, le pidgin-english. Ce vocabulaire est aussi constitué des mots empruntés directement au pidgin-english. « Ndingaman », le pseudonyme même de l’artiste est conçu selon la même dynamique. « Ndinga » est un lexème de la langue basa’a du Cameroun qui désigne le joueur de guitare. Cette dernière est en général l’instrument de musique le plus en vue dans un orchestre populaire au Cameroun. La guitare est justement très affectionnée par l’auteur qui la joue à la perfection. Lapiro de Mbanga a ainsi joué de cet instrument dans des orchestres aussi prestigieux que ceux de Fela Anikulapo Kuti ou de Jimmy Cliff.
« Man », quant à lui, peut être rattaché à deux sources : l’anglais et le basa’a. Dans la première hypothèse, il renverrait à « homme » et dans la deuxième « fils de. » Bien sûr, au regard des autres lexèmes analysés ci-dessous et qui sont construits sur le même mode, on aurait plutôt tendance à le rattacher à la langue de Shakespeare. Mais, il n’est toutefois pas exclu que le poète ait voulu jouer de/sur cette ambiguïté, qui comme le reconnaissent d’ailleurs les poéticiens, en rajoute à la littérarité du texte :
The more an essay alludes or fictionalizes, affirme justement Robert Scholes, the more the author adopts a role or suggests one for the reader, the more the language becomes literary, the essay, (or the letter, the prayer, the speech, etc.) becomes.[9]
Sur le même mode est ainsi conçu « donman » qui signifie « homme accompli », « homme qui a réussi », « grande personnalité ». Dans le vers « Bien sûr/ Tara na flo for donman », par exemple (4e partie), « don » du pidgin-english qui signifie « cuit », « bien » ou « bon » et « man », de l’anglais (homme). Pour sa part, le verbe « mimba » (« Complices, mimba we ») est emprunté au pidgin-english qui lui-même l’a emprunté à l’anglais « to remember », « penser à quelque chose/quelqu’un », « se rappeler quelque chose ».
Dans le vers « Ndinga Man, tchouk fire ! » (6e partie), l’expression « tchouk fire » (« Mets le feu ») provient, dans les mêmes conditions, du pidgin-english avec « fire » qui signifie « feu » en pidgin-english et en anglais ; et « tchouk » du pidgin-english. Dans « I want tchop » (6e partie), le verbe « tchop », lui aussi provient du pidgin-english qui lui même l’a emprunté à l’anglais « to chew » : « couper en morceaux », « hacher » ou « mâcher ». Beaucoup d’autres énoncés du corpus contiennent des expressions ou des mots qui relèvent ainsi directement du pidgin-english : « I want gi ticket » ; « Marché Central I go thrower », « Sauveteurs, I tchakara ? » (7e partie), « Ngry don make rémé and njanga » ; « Na say they must raffale other people ? » (10e partie), etc. Les langues camerounaises ne sont évidemment pas en reste.
4) Le vocabulaire emprunté aux langues locales
Une observation liminaire[10] indique que des raisons géolinguistiques et sociolinguistiques pourraient expliquer le recours par le Mboko talk à certaines langues camerounaises plutôt qu’à d’autres, comme langues-sources. Ainsi, les langues locales les plus sollicitées sont généralement de deux ordres : celles dont les locuteurs natifs ou occasionnels sont les plus nombreux à l’image des langues du Grassfield, du basa’a, du fulfulde, de l’haoussa, etc., ou alors les langues dont les locuteurs natifs ou occasionnels, même peu nombreux, sont originaires des zones urbaines ou périurbaines, comme le beti à Yaoundé et dans les régions environnantes, le duala ou le mbo’o à Douala et l’ensemble de la côte.
Ainsi, dans « Whose side wou go nang ? » (2e partie), le verbe « nang » qui signifie « dormir » vient du basa’a, langue parlée par l’une des plus importantes minorités des plus de deux cents entités ethniques qui constituent le pays. Les basa’a se retrouvent, en effet, dans les régions du Littoral et du Centre du Cameroun. Par contre, dans « We no want problem, Tara » (3e partie), « Tara », terme très polysémique, de l’ewondo, langue beti du centre et du sud du Cameroun dans la région de Yaoundé, peut se traduire par « Vieux ». Il peut aussi désigner toute personne digne de respect, quel que soit son âge, ou encore toute personne avec qui le locuteur entretient des relations de confiance.
De même, dans « You want no’tou, you mimba we » (2e partie), l’expression « no’tou » (« honorer les mânes des ancêtres ») proviendrait, selon toute vraisemblance, de la langue nda’nda’ parlée à Bangwa, village d’origine du père de l’auteur, dans la région de l’Ouest du Cameroun qui est l’une des plus peuplées du pays. Il en est de même de « fingong » dans « No be any fingong say : « Me too I go try » (6e partie). Le lexème « fingong » provient lui aussi de la même langue nda’nda’ et peut se traduire littéralement par « vendeur de la patrie », « traître ».
Mais, dans ce contexte, le sens est légèrement atténué et le mot renvoie alors à « homme sans envergure », « homme insignifiant », « homme sans dignité », « quidam », etc. Cette terminologie fut d’ailleurs abondamment utilisée pendant la guerre d’indépendance par les militants du parti nationaliste, l’Union des Populations du Cameroun, UPC, pour désigner ceux de leurs militants ralliés au régime du président Ahidjo, et même parfois tout citoyen « lâche » qui n’adhéraient pas à leurs idéaux et/ou méthodes. Les uns, tout comme les autres d’ailleurs, étaient également « châtiés » comment le montrent de nombreux travaux sur la période dont les études récentes font « Le chef Nneloh des Foto en pays Bamiléké : portée identitaire d’un personnage historique et mythique » de Zacharie Saha et Théodore Ngoufo Sogang », « Mythes, légendes et nationalisme dans l’Ouest Cameroun : le cas de Pangui Kengne alias « Sans Pitié » de Norodom Kiari et Célestine Colette Fouellefak Kana ou encore « Les chansons nationalistes : histoire d’une littérature et littérature d’une histoire » de Gabriel Kuitche Fonkou [11].
De « Eh Mbombo, na whose kind flo you di popam so ? » (5e partie), « Mbombo », est un lexème à la fois du basa’a et du duala, des langues de la côte du Cameroun où se trouve justement la ville de Douala, la capitale économique du pays avec plus de deux millions d’habitants. Il a des contours sémantiques à peu près identiques à ceux de « Tara » évoqués plus haut. Il peut en plus signifier « grand-mère » ou « homonyme ». Il désigne alors celui ou celle avec qui le locuteur partage un nom ou un prénom ou l’ensemble de l’étiquette nominale. De même, dans « Wou no want go for ngata » (2e partie), le lexème « ngata » qui signifie littéralement en duala « attacher un fagot » est employé ici au sens figuré pour désigner un lieu ou l’on est « attaché » de force, retenue contre sa volonté, un lieu où l’on n’est pas libre, une prison.
Le substantif « mbourou » qui signifie « pain » dans « Mbourou for pay location sep nothing » (7e partie) est emprunté au fulfulde. Ce parler est une langue véhiculaire non seulement d’une très grande partie de la région de l’Est, mais aussi et surtout une sorte de lingua franca des trois régions septentrionales dont celle de l’Extrême-Nord, la plus peuplée du pays. « Mola » dans les vers « Ok, Mola !/No be da so for secteur for Peter Botha/Way he bad », est un substantif utilisé dans des nombreuses langues de la côte du Cameroun dont le bakweri parlé à Limbe, le grand port du Sud-Ouest et à Buea, la capitale de la même région. Ce substantif a le même sens que « Tara » ou même « Mbombo » évoqués à l’instant. Il est carrément passé dans tous les parlers urbains du pays.
Ce lexique d’origines si diverses mais bien repérables et dont seulement un échantillon représentatif est analysé ici pour des raisons évidentes, inscrit massivement, comme l’on peut aisément le déduire, les locuteurs et bien entendu les auditeurs potentiels de la chanson et de tout discours en Mboko talk d’ailleurs, dans une communauté culturelle, une « classe » sociale, celle des zones périurbaines des centres urbains du Cameroun. Ce répertoire serait toutefois incapable de traduire entièrement la pensée du créateur ou même de tout énonciateur s’il n’était combiné d’une manière logique pour la communauté de locuteurs, c’est-à-dire, selon une syntaxe.
III- La syntaxe de la recomposition sociale
En linguistique, la syntaxe peut s’entendre comme un ensemble des règles qui régissent l’ordre des mots dans la phrase. Elle peut aussi être comprise comme la description des règles par lesquelles on combine en phrases les unités significatives. Parce qu’elle traite des fonctions, la syntaxe se distingue ainsi de la morphologie qui est l’étude des formes ou des parties du discours, de leurs flexions et de la formation des mots ou dérivation dont un aspect a été emprunté pour l’analyse en relation avec la chanson « Mimba we » faite à l’instant. Entendue comme l’ensemble des combinaisons des unités, la syntaxe du Mboko talk est, à l’image de son lexique, tributaire de celles des langues-sources évoquées plus haut : les langues endogènes camerounaises, le pidgin-english, le français et l’anglais. L’analyse ci-dessous se préoccupe du « dialogue » avec les trois dernières langues.
1) Syntaxe anglaise
Un certain nombre d’énoncés du corpus, comme du Mboko talk en général, est combiné selon les modèles de la syntaxe anglaise classique. Ainsi par exemple du vers « We no want problem, Tara » (3e partie). « No », adverbe de négation marque effectivement la négation dans cet énoncé et occupe la position que la même marque a habituellement dans les énoncés en anglais : entre le pronom et le verbe. On peut le repérer dans un énoncé comme « We do not (ou don’t) serve pork meat in this restaurant ».
Il en est de même de la place de « for » dans le vers suivant : « We want for ndembrè for helep wou own family » (3e partie). Le verbe à l’infinitif en anglais est habituellement introduit par la particule prépositionnelle « to ». Nous avons vu plus haut comment la préposition « for » du pidgin-english remplaçait autant d’autres prépositions dont « to » ou « from » dans le Mboko talk. Dans notre énoncé, elle introduit ainsi les verbes à l’infinitif « for ndembrè » et « for helep », comme en anglais, exactement comme dans la phrase anglaise : « I want to go home ».
Le corpus regorge également d’un nombre important d’occurrences où la possession, par exemple, s’exprime exactement comme en anglais. Il en est ainsi dans les énoncés « Whose side wou gon nang ? » (2e partie), ou encore « Na whose kind flo you di popam so ? ») (4e partie). Dans le premier vers, « whose side » signifie littéralement « le lieu de », « chez » : l’ensemble du vers veut dire « Chez qui allons nous coucher ? » ; tandis que dans le 2nd, « whose kind » se traduirait littéralement par « la qualité de », « quelle qualité », etc. Le vers, lui, signifie : « Quelle genre de sèche grilles-tu ainsi ? » Nous avons, dans les deux énoncés, une expression similaire de la possession que dans l’énoncé en anglais suivant : « Whose car is this ? » (« A qui appartient cette voiture ? »)
2) Les emprunts à la syntaxe française
Contrairement à l’anglais ou au pidgin-english où cette « forme de verbe sans inflexion, qu’elle soit visible ou furtive » comme on dirait en grammaire, est introduite par une préposition (dont « to » ou « for »), l’infinitif peut également être introduit dans le Mboko talk comme dans la langue de Vaugelas. Il en est ainsi de nombreux énoncés du corpus dont ceux qui suivent : « You want soûler »/ » You want enjoy »/ « You want damer », etc. (3e partie). Les divers verbes à l’infinitif ne sont nullement précédés de préposition introductive. Il en est de même plus loin dans le corpus avec « Nkoulouloun, I want tchop /Mokolo, I want gi ticket » (6e partie). En syntaxe anglaise, on aurait évidemment eu « I want to soûler », « I want to enjoy », « I want to gi ticket », etc. dans les exemples cités.
Bien plus, on sait combien la désinence de l’infinitif des verbes du premier groupe (le « –er » en final de verbe) est la plus productive en français contemporain et combien elle marche en plus avec les termes récemment empruntés à d’autres langues[12]. Cette désinence et son mode de fonctionnement sont abondamment exploités par la syntaxe du Mboko talk. Ce modèle de l’infinitif est ainsi visible en fin de verbe du corpus, comme en français, dans « You want booker », « Marché Central I go thrower », etc. C’est d’ailleurs l’un des points de divergence les plus notables entre la syntaxe de cette « langue de la rue » et le pidgin-english par exemple, où la morphologie des verbes est davantage empruntée à l’anglais et aux langues locales camerounaises.
3) L’héritage du pidgin-english
En matière de syntaxe, les procédés emphatiques sont parmi les emprunts les plus visibles que le Mboko talk a « contactés » auprès de cette langue initialement en usage dans le commerce et dans les plantations industrielles qu’est le pidgin-english du Cameroun. Les plus usités dans le corpus, comme dans tout le Mboko talk d’ailleurs, sont constitués par des usages particuliers des présentatifs, des pronoms relais et l’inversion de la structure syntaxique des énoncés.
Dans l’occurrence « Austérité, that be say dollar no must change foot » (9e partie), on assiste justement à l’inversion de la structure syntaxique, avec la mise en relief de l’expression « No must » qui permet ainsi de renforcer l’idée de négation. Ailleurs, l’utilisation de nombreux pronoms relais, elle, permet de marquer l’insistance, comme dans les cas suivants de la même partie :
« Sauvetage na boulot way he no get compression du personnel
Sauvetage na boulot way he no get retraite anticipée
« We way we no ba get ntong for go school for side for Ngoa Ekélé” (9e partie).
Le substantif « boulot » est repris ici par le pronom relatif « way » et le pronom personnel « he » dans les deux premiers exemples ; tandis que dans le dernier cas, le pronom personnel « we » est repris successivement par le pronom relatif « way » et le pronom personnel « we ». Ces procédés syntaxiques et même stylistiques, et bien d’autres, contribuent ainsi à marquer une sorte d’accentuation qui, comme on le sait, n’est pas sans incidence sur le sens général de l’énoncé.
IV- L’altération du discours comme mode d’explication du texte
En tant qu’étude du sens envisagée comme la relation de signification qui unit les mots aux choses ou comme la relation existant entre les signes et leurs utilisateurs, la sémantique traite aussi de la signification et, notamment, de la signification des mots en contexte. Elle peut également se comprendre comme un moyen de représentation des énoncés. Le sens d’un signe linguistique est ainsi constitué par la représentation suggérée par ce signe lors qu’il est énoncé. Cette définition minimale permet justement d’envisager une série de représentations et d’interprétations du discours en Mboko talk qui en rattache les énoncés constitutifs à une communauté identifiable.
Le discours de Lapiro de Mbanga dans « Mimba Wi », comme tout discours d’ailleurs, n’est pas le seul qui a cours au Cameroun à cette période. Il est ainsi nécessairement traversé d’harmonies dialogiques comme le dirait Mikhaïl Bakhtine :
Aussi monologique fût-il, (un ouvrage scientifique ou philosophique par exemple), aussi concentré sur son objet fût-il, un énoncé ne peut pas ne pas être, également, à un certain degré, une réponse à ce qui aura été déjà dit sur l’objet donné, le problème donné, quand bien même le caractère de réponse n’apparaîtrait pas distinctement dans l’expression extérieure du sens… Les harmoniques dialogiques remplissent un énoncé et il faut en tenir compte si l’on veut comprendre jusqu’au bout le style de l’énoncé[13].
Bien que succincte, l’étude de quelques harmoniques dialogiques évidentes entre cette chanson et les autres discours qui lui sont antérieurs ou concomitants, semble en plus susceptible de contribuer à comprendre et à situer cette chanson et partant, le « genre de discours » auquel elle appartient, dans le champ discursif camerounais d’alors.
1) La géographie instantanée de la société camerounaise
« Mimba Wi », comme nombre d’autres chansons de Lapiro de Mbanga, inscrit son discours dans une entité géographique repérable. Déjà, dans « Lapiro de Mbanga », le pseudonyme de l’artiste, Mbanga « situe » les propos du poète dans un itinéraire géographique indentifiable. Mbanga désigne en effet la ville de naissance de l’auteur. Située à quelques encablures et à presque égales distances de Douala et de Kumba, deux des plus grandes métropoles urbaines et commerciales des Cameroun sous-mandat français et sous-mandat britannique, cette ville-carrefour fut aussi un très haut lieu de contestation de la colonisation française et de la lutte pour l’indépendance du Cameroun. Symbole de la résistances des « petits » mis au chômage par le usines, les commerces et les entreprises qui ont fermé en cascade à Douala et Nkongsamba, suite à la crise économique et la mévente des produits agricoles, etc., Mbanga fut, pendant les « années de braises » de la fin de la décennie 80 et du début des années 90, tout aussi en première ligne pour revendications sociales et politiques qui ont abouti à la relative la démocratisation du Cameroun actuel.
On a vu plus haut combien les lexèmes « Mola », « Tara » ou « Mbombo » rattachaient le locuteur aussi bien que l’auditeur à des communautés linguistiques en présence au Cameroun. Il est tout aussi intéressant de remarquer ici comment des lieux géographiques « localisent » le discours. Dans nombre de vers comme ceux qui suivent, la géographie et/ou l’histoire sont des plus idéologiquement pertinentes. Ainsi, dans les énoncés :
Yes, Jacques Chirac for Ngola
Don comot corrigé for ultimatum
[…]Répé for side for Hippodrome don break caisse. (7e partie)
Ngola est le diminutif de Ongola, nom par lequel les Camerounais désignent affectueusement Yaoundé, la capitale du pays ; tandis que Hippodrome est le nom de l’un des plus anciens quartiers de Ngola, Yaoundé. De même, dans les vers « We way we no ba get ntong/ For go school for side for Ngoa Ekélé » (7e partie), Ngoa Ekélé désigne le quartier de Yaoundé qui abrite jusqu’au début des années 90 la seule université du pays et qui renvoyie, par métonymie, à l’Université de Yaoundé ou même à l’enseignement supérieur et/ou professionnel au Cameroun. Les vers suivants obéissent globalement à la même logique :
Nkoulouloun, I want tchop
Mokolo, I want gi ticket.
Gare Routière, I masham ?
Marché Central, I go thrower. (5e partie)
Nkoulouloun, Mokolo, Gare Routière, Marché Central sont des noms de quartiers emblématiques de Douala et Yaoundé, célèbres pour leurs marchés où les vendeurs à la sauvette abondent. Ces localités ont parfois été, elles aussi, aux avant-postes de la lutte pour l’indépendance au début des années 60 et surtout des revendications pour la démocratisation du Cameroun, à la fin des années 80 et au début des années 90. Dans, « Say we helep we don grand for Etoudi for boulot ? », Etoudi, quant à lui, est le nom du quartier qui abrite la Présidence de la République à Yaoundé. Il renvoie, par métonymie, au Palais de l’Unité lui-même, comme on l’a vu plus haut.
La convivialité entre le texte et la réalité discursive contemporaine ne se limite pas seulement entre le texte de Lapiro de Mbanga et l’histoire ou même la géographie locale. Elle investit également les autres discours sociaux avec lesquels il partage le champ de la parole publique, comme le discours publicitaire. Il en ainsi, par exemple, de « Tara » dans « Na whose kind flo you di popam so ? /Na Tara » (4e partie). Le lexème « Tara » employé dans cette strophe ne doit pas du tout être confondu avec son homonyme qui a pour synonyme dans la même chanson « Mbombo ». Il désigne ici une marque de cigarettes et l’artiste en profite pour faire la promotion du produit dont le fabriquant sponsorisa ses tournées au Cameroun en cette fin de la décennie 80. L’album d’où est tiré « Mimba Wi » a justement pour titre Toss Tara[14].
Ailleurs, le texte du corpus entretient des rapports dialogiques plus explicites encore avec d’autres discours artistiques, idéologiques, médiatiques ou politiques, discours qu’il réécrit ou réinterprète à sa guise et à sa manière, et parfois de manière subversive comme on le verra ici même. Car, il semble « assortir de commentaires tendancieux » le discours officiel[15]. La strophe introductive de la chanson qui est aussi un des refrains de l’ensemble, occupe une place toute particulière en ce sens et même dans un certain nombre de textes du répertoire de Lapiro de Mbanga.
A cause de ces multiples dialogues perceptibles entre le corpus et les autres discours qui l’ont précédé ou qui lui sont concomitants, il existe manifestement toute une sémiotique de l’altération que le cadre restreint de la présente réflexion ne permet pas nécessairement de conduire sereinement. Aussi, afin de démontrer succinctement ce que Umberto Eco nomme « l’activité de signification » ou encore le « processus de signification »[16], me contenterai-je ici de relever que le mode d’articulation des discours « étrangers » au discours de Lapiro de Mbanga tient essentiellement de la « reformulation » et du « transcodage », pour emprunter la terminologie de Jean-Peytard[17].
La reformulation, précise l’auteur de Linguistique française et structure du texte littéraire, opère dans les limites d’un domaine, c’est-à dire les messages ne se transforment que dans leur code d’origine. Un message linguistique oral est reformulé dans l’oral, le scriptural dans le scriptural. […] De la comparaison des deux états du message viendront, par analyse, quelques enseignements sur les variations du sens et sur le travail effectué par l’énonciateur. Le transcodage, [lui], opère dans l’intervalle des domaines comme à l’intérieur des domaines, mais toujours par changement de code. […] Le transcodage opère tout autant, en transformant un poème en sonate ou en ballet[18].
L’incipit de la chanson « Mimba Wi » peut ainsi se « lire » comme un transcodage du discours de la presse indépendante renaissante de cette deuxième moitié des années 80.
You want damer, you mimba we
You want soûler, you mimba we
You want no’tou, you mimba we
Ooh mimba we ooh, Ooh mimba we.
(« Quand vous jouez, pensez aussi à nous
Quand vous profitez de la vie, pensez aussi à nous
Quand vous profitez de la vie, pensez aussi à nous
Pensez à nous, pensez à nous ») (Première partie)
2) Au-delà du présent…
L’histoire du discours social de la période de référence[19] montre combien, aussi bien par le dessin de presse que par des articles, les journaux comme Le Messager, Le Combattant, et plus tard Challenge Hebdo, La Nouvelle Expression, Le Libéral, etc. commencent à comparer l’ancien et le nouveau régimes.
En effet, ces journaux, tout comme des intellectuels ou même l’homme de la rue, relèvent régulièrement que, avec l’ancien régime, les « bouffeurs » (les hommes au pouvoir) avaient l’habitude de laisser tomber des miettes dont se contentait alors le peuple ; tandis que le credo du nouveau régime qui affirme pourtant avoir mis la justice sociale et la solidarité nationale au centre de ses préoccupations, semble se traduire, tous les jours, un peu plus, par l’éloignement du petit peuple de la table. Et, pendant ce temps, d’importantes sommes d’argent sont détournées par les pontes du « Renouveau », sans que ni la « rigueur », ni la « moralisation » proclamées fassent quelque chose.
Des milliards en fumée de Patrice Ndedi Penda, par exemple, rend compte des multiples fraudes et malversations qui ont cours au port de Douala, plus même que sous l’ancien régime. Anciens barons du régime défunt reconvertis mais peu convaincus du nouveau régime, les pilleurs se sont très rapidement constitué un nouveau réseau de relations dans les divers rouages de l’administration de l’institution, par divers mécanismes : tribalisme, corruption, cooptation politique, concussion, etc. Aussi se livrent-ils impunément, grâce à des accointances avec la police, les services de douane et même la justice, aux fraudes de toutes sortes, manœuvres qui privent le trésor public des milliards de francs tous les mois, à leur profit et celui de leurs affidés, et au détriment de l’ensemble de la population.
Les strophes suivantes, elles, disent le sentiment d’abandon qu’éprouve le petit peuple et le désir ardent de ce dernier de s’en sortir par les moyens moralement irréprochables, contrairement à la « nouvelle » morale que les hommes de pouvoir semblent vouloir instituer. Aussi en appelle-t-il au bon sens, au sens de la responsabilité voire à la mansuétude des dirigeants :
We no want problem, tara
We want for ndembrè
We di fine da so gari
For helep we own family oooh.
(« Nous ne cherchons pas des histoires, Tara
Nous voulons nous débrouiller
Nous recherchons seulement la pitance
Pour nourrir nos familles ») (3e partie)
Tantôt elles décrivent la situation d’extrême misère et de précarité dans lesquelles vivent les exclus :
Na [my people] that for mboko
Moua for damer no dé
Mbourou for pay location sep nothing
Ngry don make rémé and njanga
They don dry like échantillons for Ethiopia
(« Et voilà mon peuple dans les bidonvilles
Incapable de se nourrir
Incapable d’assurer le loyer des masures
La famine a fait des femmes et des enfants
Des loques dont on a découvert
Quelques échantillons en Ethiopie. ») (7e partie).
Dans tous les cas, le texte de cette chanson entre dans un dialogue très fécond, dans une large mesure, avec les autres discours sociaux qui ont cours en même temps et qui traduisent, assez largement, les sentiments et même les ressentiments d’une frange de plus en plus importante de la population qui s’estime plus ou moins flouée par le discours moralisateur du nouveau pouvoir ou, à tout le moins, qui marque un scepticisme de plus en plus croissant vis-à-vis des intensions réelles du pouvoir. Ces dernières lui semblent tous les jours en contradiction avec les actes des représentants de l’Etat sur le terrain.
Des mots comme ceux de la strophe qui suit traduisent, de manière exemplaire, entre autres, la rumeur populaire relayée par la presse écrite qui veut que la prison camerounaise soit remplie d’innocents ou, à tout le moins, d’hommes, de femmes et mêmes d’enfants qui, bien souvent, n’ont commis que des délits mineurs, alors que les plus grands criminels sont libres et parfois occupent des fonctions en vue.
Whose side wou go nang ééé ?
Wou no want diko
Wou no want go for ngata
Wou want daso for ndembrè
I beg, mimba we ooh”
(« Chez qui allons-nous coucher ?
Nous ne voulons pas mourir
Nous ne voulons par aller en prison
Nous voulons seulement nous débrouiller
Je vous en prie, pensez aussi à nous ») (2e partie)
Même la très officielle Cameroon Tribune parle de cette justice reconnue injuste. En effet, le journal gouvernemental ne laisse pas seulement son rédacteur Moto Moto titrer (tout sobrement, il est vrai) son article à ce sujet : « Changer de cap ». Mais aussi, l’article affirme que les prisons camerounaises regorgent de plus d’innocents que de coupables, comme on peut le lire dans un numéro consacré au quatrième anniversaire de l’avènement du pourvoir du président Biya : Cameroon Tribune N°3664 du 6 novembre 1986. La presse indépendante renaissante, elle, est plus incisive et se fait très souvent l’écho de cette situation paradoxale dans un pays qui dit avoir rompu avec la corruption et qui surtout prétend faire de la justice sociale l’un des ses chevaux de bataille. « Rigueur et moralisation » : tel est d’ailleurs le slogan du nouveau président de la République.
Le journal Le Messager, par exemple, publie régulièrement des articles très critiques sur cette justice « aux ordres ». Tout un dossier est ainsi consacré au sujet dans le numéro 220 du 21 mars 1991 du journal de Pius Njawé dont on peut aisément deviner la teneur en regardant les titres de quelques articles : « La justice camerounaise ambivalente et corrompue » par Jean-Baptiste Sipa, « Lorsque la politique entre par la porte, la justice sort par la fenêtre » de Désiré Ambara, etc.
Même des hommes politiques, à défaut de dénoncer franchement et de chercher à corriger, relèvent les nombreuses tares de cet « appareil de l’Etat complètement pourri » (Le Messager N° 219 du 14 mars 1991) comme la désigne alors Thomas Méloné, député du parti unique présidentiel. Dakolé Daïssala, réputé proche du régime et qui devient d’ailleurs ministre d’Etat, comme on l’a vu au chapitre précédent, révèle justement dans son livre Libre derrière les barreaux, des statistiques ahurissantes sur la prison camerounaise : « En fin des années 80 et début des années 90, sur quelques 25 000 prisonniers officiellement recensés au Cameroun, plus de 60% sont des prévenus, donc présumés innocents[20] ».
Quand on sait que plus du tiers de cette population carcérale est constitué d’adolescents et même de préadolescents qui survivent dans ces prisons surpeuplées, en contacts directs et constants avec des criminels multirécidivistes parfois condamnés à mort, on comprend pourquoi la prison de New Bell de Douala, l’une des plus grande du pays, est baptisée « Université de New Bell[21]. »
La chanson de Lapiro de Mbanga « converse » aussi intensément avec la littérature écrite aussi bien en anglais qu’en français : The Banquet ou Beasts of no Nation de Bate Besong, Mind Searching de Francis Nyamjoh ou No Way to Die Linus T. Asong, Histoire de fou de Mongo Beti ou Plaies, travers, patrie de Isaac Célestin Tchéo, etc. Il est tout à fait intéressant de constater qu’à la même époque, un artiste comme Ndedi Eyango et son groupe « Les Montagnards », chanteur à succès basé à Nkongsamba, ville située, comme par hasard dans le même département du Mungo, ne disent pas autre chose dans « Patou », la chanson-phare de sont tout premier album Soul Botingo :
Innocents en prison,
Où est la liberté
Eyooh
Je n’ai pas de galons
Et je n’ai pas de godasses
Eyooh[22]
3) Mise en mots du discours politique : au-delà du jeu évaluatif
La « mise en scène verbale » d’un discours par un autre, comme le montre la sémio-linguistique, est consubstantielle au « jeu évaluatif », une évaluation implicite ou explicite du discours « relaté » ou « dramatisé », comme le montre Jean Peytard. En effet,
Toute mise en mots du tiers-parlant comme acte de discours relaté comporte une attitude évaluative de la parole relatée. C’est dire que relater les énoncés du tiers-parlant oblige le locuteur à situer ceux-ci dans son discours recteur et à se situer par rapport à eux. Ce double mouvement définit un jeu évaluatif[23].
Cette hypothèse de l’auteur de Syntagme 4. De l’évaluation à l’altération des discours se vérifie largement dans un nombre important d’énoncés qui constituent la trame de la chanson « Mimba Wi ». L’actualité immédiate, nationale ou internationale, n’est ainsi pas épargnée par cette interdiscursivité ou cette relecture. Il en est ainsi de cet extrait :
Ok, Mola !
No be da so for secteur for Peter Botha way he bad èè.
Moua no day for Ngola
Répé for side for Hippodrome don break caisse.
Yes, Jacques Chirac for Ngola don comot corrigé for ultimatum
He say my people they must damer stone
He say sauveteurs must nyong
Them di poum na my people na side by side
Na them that for mboko
Moua for damer no dé (6e partie)
(« Ok, Mola !
Ce n’est pas uniquement en Afrique du Sud
De Peter Botha que les choses vont mal
Il n’y a pas moyen à Yaoundé
Le vieillard du quartier Hippodrome est furibard
Oui, le Jacques Chirac de Yaoundé a déclaré la guerre
Il a décrété que mon peuple doit manger les cailloux
Il a décrété que les vendeurs à la sauvette doivent disparaître
C’est la débandade dans mon peuple
Et voilà mon peuple dans les bidonvilles
Incapable de se nourrir. »)
L’allusion à l’Ethiopie révolutionnaire est toute significative ici : le pays de Mengistu est convoqué en références aux images terribles des corps d’enfants, de femmes et de vieillards horriblement décharnés par la famine qu’une télévision anglaise tourna dans l’Ethiopie révolutionnaire au milieu des années 80 et qui firent le tour du monde. On se souvient que cette horrible catastrophe humanitaire fit plus de 300 000 morts. L’ensemble de ces repères « conviés » par le chanteur sert en même temps d’élément comparant dans la dynamique de réécriture de l’actualité de la capitale camerounaise, sous le règne de Monsieur Emah Basile, le « super-maire » de Yaoundé.
Le Délégué du Gouvernement nommé par le président de la République auprès la capitale camerounaise, est présenté comme un héritier du sinistre Balthasar Johannes Vorster que les médias internationaux ne ménagent alors point. On se souvient que le pays de Walter Sisulu, l’Afrique du Sud de la fin années 80, vit alors sous le système d’Apartheid, avec les injustices et les conséquences sur les populations noires que l’on sait. L’ex-président français, Jacques Chirac, lui, est alors le maire de Paris et Basile Emah celui de Ngola (Yaoundé), la capitale du Cameroun. A cette époque justement, comme le dit ailleurs la chanson, le Cameroun entre ainsi officiellement dans la crise économique :
… That crise économique
Way he don put all man à genou !
(« … Cette crise économique
Qui a mis tout le monde à genoux ») (7e partie)
Afin justement de « combattre » la crise, le maire de la capitale décide d’interdire les petits métiers[24] dont la vente à la sauvette des biens de consommation de toutes sortes dans « sa » ville, Yaoundé, activités qui constituent pourtant le premier employeur incontesté du pays, devant la fonction publique et l’entreprise agro-industrielle paraétatique, Cameroon Development Cooperation. Les « sauveteurs » sont ainsi pourchassés, arrêtés et brutalisés et parfois emprisonnés, sans procès, par les agents communaux et la police nationale. Leurs affaires, quant à elles, sont confisquées tandis que leurs installations précaires sont détruites sans ménagement, très souvent sans sommation, dans les divers marchés de la capitale par les engins des travaux publics de la communauté urbaine de Yaoundé.
Il est sans doute utile de signaler ici qu’à la même période, le représentant du président de la République à la tête de la capitale politique du Cameroun se plaint de ne pas avoir assez de crédit pour acheter le carburant afin d’alimenter lesdits engins pour entretenir la voirie à l’abandon depuis des années. La description que donne un citoyen de la capitale camerounaise, Théodore Ateba Yene, n’est ainsi vraiment pas du genre à faire se bousculer les visiteurs aux portillons de la « Ville aux sept collines ». L’auteur de Cameroun. Mémoire d’un colonisé révèle dans la livraison du 14 mars 1991 du journal indépendant Le Messager, comment « Yaoundé est sale, infecte et invivable[25] ».
Le discours de Lapiro de Mbanga, comme des articles et, par conséquent, des lecteurs de Le Messager, de Challenge Hebdo ou La Nouvelles Expression, interroge cette attitude très originale du responsable politique et administratif qui consiste à combattre la pauvreté en éliminant ainsi les pauvres… Ainsi s’explique, d’une certaine façon, le parallèle établi entre le Yaoundé et Paris, et surtout entre le régime camerounais et le régime d’Apartheid.
La chanson qui ne se limite pas uniquement à la comparaison implicite des deux systèmes, demande aux hommes au pouvoir de « penser aussi au petit peuple ». La reprise systématique de l’expression « mimba we » (« pensez aussi à nous ») dans quasiment tous les vers de la strophe, elle-même refrain de la chanson, est, sur le plan stylistique, un procédé d’insistance sur lequel il n’est point nécessaire d’insister ici. D’un point de vue sémio-linguistique, il s’agit d’une opération d’hétéro-reformulation[26] qui situe l’origine et le sujet-agent de l’altération en même temps qu’elle précise le « jeu évaluatif » induit. Car, comme dirait encore Jean Peytard, toute opération de reformulation ou de transcodage du discours d’autrui procède de l’évaluation de celui-ci. Bien plus :
En relatant le discours des autres, le locuteur manifeste une attitude évaluative sur ces discours. Il convient alors d’en repérer les indices. Mais de surcroit, selon la fréquence et la forme du discours relaté, le locuteur s’évalue lui-même et se situe dans la stratification sociale[27].
Le discours de « Mimba Wi » prend ainsi parfois des allures d’un discours véritablement « subversif » au sens des ordonnances présidentielles de 1966 quand il entreprend de réécrire même des discours de la plus haute autorité de la République, libertés qu’aucun leader d’opinion (local) avant lui ne s’était jamais accordées, pas même les journalistes de la presse privée dont le courage de certains ne pouvait être mis en doute. La raison est d’ailleurs fort simple : implacables, les ordonnances sur la subversion toujours en vigueur sont sans pitié pour les contrevenants. En effet, l’une d’elles stipule clairement :
Article 1er : Quiconque aura, par quelque moyen que ce soit, incité à résister à l’application des lois, décrets, règlements ou ordre de l’autorité publique, sera puni d’un emprisonnement de trois ans et d’une amende de 100 000 à 1 000 000 de francs ou de l’une de ces deux peines seulement.
Article 2 : Quiconque aura, par quelque moyen que ce soit, porté atteinte au respect dû aux autorités publiques ou incité à la haine contre le gouvernement de la République Fédérale du Cameroun ou des Etats fédérés, ou participé à une entreprise de subversion dirigée contre les autorités et les lois de la République ou des Etats fédérés, ou encouragé cette subversion, sera puni d’un emprisonnement de un à cinq ans et d’une amende de 200 000 à deux millions de francs ; s’il y a lieu, des peines plus fortes prévues par les lois et décrets en vigueur.
Article 3 : Quiconque aura émis ou propagé des bruits, nouvelles ou rumeurs ou commentaires, soit assorti de commentaires tendancieux des nouvelles exactes, lorsque ces bruits, nouvelles, rumeurs ou commentaires sont susceptibles de nuire aux autorités publiques, sera puni de peines prévues à l’article 2.
On se souvient d’ailleurs qu’en 1987, des « commentaires » en apparence anodins de la part des universitaires et journalistes camerounais, face à un public de quelques étudiants, avaient conduit les premiers dans les geôles de la police politique. En effet, après une table ronde organisée à l’Université de Yaoundé, le professeur Ambroise Kom en poste à ladite université, le journaliste de Cameroun Tribune, David Ndachi Tagne, et quelques autres panélistes soupçonnés d’avoir mis en doute l’articulation du discours présidentiel avec la réalité quotidienne des citoyens avaient eu à « s’expliquer » pendant des semaines à la terrible Brigade Mixte et Mobile de la police politique de Yaoundé.[28]
Dans le corpus, l’altération va bien au-delà de la simple reformulation ou du transcodage qui impliquent, comme le sait, une évaluation plutôt implicite. Le discours relatant, « Mimba Wi », comme les autres chansons du même album et des autres albums de l’auteur, évalue explicitement le discours relaté en l’interrogeant ouvertement. Cette interrogation subversive qui porte explicitement sur les relations entre ce discours officiel et la réalité des citoyens, est criée à longueur de concerts publics, à l’intérieur et à l’extérieur du Cameroun, en dépit d’une censure tenace et constante jamais officialisée, mais suivie et respectée à la lettre par la radio et la télévision publiques :
Yes,
“Austérité” : that be say dollar no must change foot
Whose side wou own espoir now ?
Me I di mimba say na time any man must ndembrè
For he own secteur for say we tum na that crise économique
Way he don put all man à genou
Intégration nationale na wé thing now ?
Na say they must raffale other people
Or na say all we must put hand
Say we helep we don grand for Etoudi for boulot ? (9e partie)
(« Austérité” veut dire « un sous c’est un sous »
Où est notre part « d’espoir » alors ?
Et moi qui pensais plutôt que chaque citoyen devrait se battre
Afin que, unis, nous vainquions la crise économique
Qui a mis tout le monde à genou !
Que veut dire « intégration nationale »
Cela signifie-t-il qu’il faut tuer les pauvres
Ou alors que tout le monde doit s’unir
Afin d’aider le locataire d’Etoudi à réaliser son projet de société ? »)
Les mots et expressions « austérité », « espoir », « intégration nationale », etc. sont, en effet, extrêmement récurrents dans le discours du président de la République[29]. « Austérité » revient régulièrement dans le discours de Paul Biya, depuis son discours à la deuxième session de l’Assemblée nationale de 1987 lorsqu’il l’emploie la première fois pour indiquer l’attitude à adopter pour sortir le pays de la crise économique. Quant à « espoir », il est le maître-mot du discours de fin d’année de l’année 1988 du même président Biya où il pronostique que la nouvelle année 1989 serait « l’année de l’espoir ». « Je vous souhaite très sincèrement à chacun et chacune d’entre vous une excellente année 1989, placée sous le signe de la santé, du bonheur et de l’espoir[30] ». « Intégration nationale » : l’expression est le credo même du président de la République. Prononcée systématiquement dans tous ses discours à la nation[31], il est tout aussi présent dans Pour le libéralisme communautaire et désigne, selon la définition même du président Biya, le stade suprême de l’unité nationale :
Je considère donc la réalisation de l’intégration nationale, étape supérieure de l’unité nationale, comme l’œuvre historique capitale et prioritaire que j’ai à entreprendre avec l’ensemble du peuple camerounais.[…] Certes, l’unité nationale a fait des progrès indéniables dans notre pays sur la base de certains éléments positifs comme la communauté de race, de territoire, de souvenirs historiques, le bilinguisme… mais cette unité reste encore fragile ; aussi est-il temps de travailler à faire passer du stade de la simple union nationale à celui de d’une véritable intégration nationale, de celui de la simple coexistence actuelle des ethnies à leur transfiguration en une ethnie nouvelle aux dimensions de notre pays, de marcher résolument vers les cimes de la solidarité de notre peuple, vers l’apothéose de la Nation.[32]
Il convient sans doute de rappeler que cette dernière expression fut, pendant un quart de siècle, le credo d’Ahmadou Ahidjo, le premier président du Cameroun et néanmoins adversaire politique de Paul Biya dès le milieu de la décennie 80. C’est d’ailleurs fort du passage du pays « avec succès » du stade d’une nation réunie en 1961 avec l’avènement de la « République Fédérale du Cameroun », à celui d’une nation unifiée en 1972 avec l’avènement de la « République Unie du Cameroun », que le président Biya décide, lui, d’aller plus loin avec la « République du Cameroun ».
L’expression « unité nationale » avait en effet été lancée par le premier président camerounais, Ahmadou Ahidjo, comme une réaction à la profession de foi de son plus grand opposant politique, Ruben Um Nyobè qui, dans sa profession de foi à l’occasion des élections législatives de 1957, fait plus qu’explicitement allusion aux « valets » du colonisateur (dont les membres de l’Union Camerounaise de Ahmadou Ahidjo) qui, selon lui, procèdent à la manière de leurs maîtres, à savoir, diviser les Camerounais, pour mieux les assujettir :
Tout le monde sait, affirmait alors le leader de l’Union des Populations du Cameroun, que notre action constante a toujours consisté à unir. […] Si les autres ont pour devise « diviser pour régner », notre mot d’ordre a toujours été « l’union fait la force.[33]
Un ministre du président Biya, Dakolé Daïssala, qui entend justifier cette « évolution » qualitative par l’échec de la politique du prédécesseur du deuxième président camerounais affirme justement, non sans humour grinçant que : « Ahmadou Ahidjo a été le chantre le plus ému, mais certainement aussi le plus ténu au niveau des résultats palpables et durables de l’unité nationale. »[34]
L’une des constantes de tout cette interdiscursivité dans sa dimension subversive demeure toutefois le fait que le discours relatant indique, par le jeu évaluatif qui lui est consubstantiel, la distance toujours plus grande qui semble, tous les jours, prospérer entre le discours (relaté) des hommes au pouvoir et le quotidien des « petits ». « Austérité » qu’on pourrait comprendre dans la langue de Molière comme la « gestion rigoureuse (de l’économie) pouvant aller jusqu’à certaines restrictions », est repris et cité, sans transcodage ni reformulation, dans sa langue de départ, le français. Et si le « discours rapporté » marque la fidélité du rapporteur au discours qu’il rapporte, comme le stipule la stylistique, il est important de relever que sa traduction consécutive en Mboko talk, toute en image comme c’est souvent le cas dans des langues populaires, n’est pas loin du sens que lui donne habituellement : « ‘Austérité’ : that be say dollar no must change foot[35] ».
Mais, le dire ainsi d’abord en français, dans la langue du pouvoir, c’est marquer bien la différence qui semble apparaître entre le discours et le réel. En effet, si « un sous est un sous », comment expliquer que les gestionnaires d’un pays en faillite continuent à s’acheter, avec les maigres ressources disponibles, des véhicules de luxe, sans commune mesure avec la nécessité de service[36]. Cette « austérité » semble ainsi, au terme de cette traduction-reformulation, comme aux yeux de nombreux observateurs qui s’expriment parfois dans la presse indépendante, fonctionner comme une toile d’araignée qui n’arrête finalement que les faibles.
On peut en dire autant pour « l’intégration nationale » qui, bien que incompatible avec le tribalisme par définition, semble, paradoxalement, sa traduction effective dans la société ambiante fondée sur l’appartenance des individus à des clans ou des ethnies spécifiques, laquelle appartenance structure presque l’ensemble du corps social. Cette « tribalisation » relevée de la société camerounaise trouve d’ailleurs son expression la plus affirmée dans la constitution de 1992 inspirée de cette tendance xénophobe cultivée par une aile très écoutée du parti présidentiel. La nouvelle loi fondamentale du pays exclut ou spolie, en effet, tout à fait officiellement, de nombreux citoyens de certains droits du fait qu’ils sont « allogènes » ou « autochtones », dans leur lieu de résidence, dans leur propre pays !
En tout état de cause, cette relation décalée des discours des « autres » semble indiscutablement fonctionner ici sur le mode de l’ironie au sens où l’entend Philippe Lejeune. En effet, selon l’auteur de « Vallès et la voix narrative », la « soumission feinte au discours de l’autre » ou l’ironie
fonctionne comme une subversion du discours de l’autre : on emprunte à l’adversaire la littéralité de ses énoncés, mais en introduisant un décalage de contexte, de style ou de ton, qui les rende virtuellement absurdes, odieux ou ridicules, et qui exprime implicitement le désaccord total de l’énonciateur[37].
Tout comme la chanson populaire, la presse populaire s’en donne à cœur joyeux et les caricaturistes « font leurs choux gras » des inconsistances du système, à l’image de cette « Une » de l’hebdomadaire indépendant Challenge Hebdo qui montre un président Paul Biya pris de remords de constater comment son propre livre lui demande des comptes au regard de la réalité des Camerounais. L’auteur de Pour le libéralisme communautaire s’en mord les doigts et s’exclame sous le crayon du caricaturiste du journal : « Et dire que c’est moi qui ai écrit ce machin… Je vais porter plainte contre ma conscience. »[38]
Sauvetage na boulot way he no get compression du personnel
Sauvetage na boulot way he no get retraite anticipée
For we own boulot for sauvetage
They no di ask man diplôme and cinq ans d’expérience
For sauvetage, il n’est pas de concours.
Let me I throuer francis : he don bad
(« La vente à la sauvette est une profession
Qui ne connaît point de compression du personnel
La vente à la sauvette est une profession
Qui ne connaît point de retraite anticipée
Pour notre profession de vendeurs à la sauvette
On n’exige à personne des diplômes et cinq années d’expérience
Pour entrer dans la profession, point n’est besoin de concours
Je « massacre » ainsi le français : c’est sérieux »)
On aura sans doute constaté comment les sous-entendus interdiscursifs véhiculés par des allusions perceptibles dans ce texte pourraient faire l’objet d’une sémiotique différentielle que ne permet malheureusement pas la présente analyse. Ce que l’on ne peut ne pas relever ici c’est, non seulement la mise en évidence de la divergence entre les mœurs du petit peuple et celles des dirigeants, mais aussi l’opposition systématique entre les réactions de celui-ci et de ceux-là, au quotidien et face à l’adversité.
En fait, la « compression du personnel » dont il est question dans cet extrait, par exemple, renvoie à l’une des « mesures phares » annoncées par l’Etat pour venir à bout de la crise économique. En effet, obéissant aux injonctions des « experts » de la Banque Mondiale et du Fond Monétaire International qui exigent la « réduction du train de vie de l’Etat » et le « rétablissement des grands équilibres macro-économiques », le gouvernement camerounais décide de « dégraisser » la fonction publique. Il met alors à tour de bras, à la retraite anticipée ou au chômage, un nombre important de fonctionnaires, d’agents de l’Etat et d’employés des sociétés parastatales ou d’économie mixte.
Le mot « concours » que le chanteur dit explicitement, comme « austérité » ou « intégration nationale », en français dans un texte en Mboko talk, me semble bien plus qu’une simple allusion. En fait, dans la langue de Vaugelas, ce mot s’entend comme un « examen destiné à choisir les meilleurs candidats ». Mais, dans le discours politique ambiant dont la chanson se « lit » visiblement comme une « altération » : il renvoie à tout, sauf à une compétition dont les meilleurs sont couronnés. L’accès à des écoles et centres de formation, à la fonction publique et à des postes de responsabilité dans la fonction publique ou dans les entreprises d’Etat, en dépit du discours relaté de la « moralisation des comportements » affichée, se fait essentiellement par des moyens et des méthodes peu orthodoxes dont la corruption apparaît comme la voix royale. Avec un certain recul, on peut aujourd’hui penser que le pays se donnait alors les moyens « objectifs » pour occuper le rang qui fut le sien à la fin des années 90. En effet, en 1999 et 2000, le Cameroun occupe le premier rang des pays les plus corrompus au monde, selon le classement de l’ONG Transparency International. Il reste deuxième en 2001[39].
L’interdiscursivité productive relevée entre « Mimba Wi » et les autres discours avec lesquels la chanson partage le champ discursif national, peut finalement se lire comme une action altérative qui, par le biais du jeu évaluatif induit et interroge à la fois, les discours politiques qui semblent s’instituer comme d’habiles prestidigitations. En tout cas, pour un peuple qui attend sans jamais voir les effets d’une politique dite de « moralisation » de la vie publique, laquelle semble se traduire plutôt par l’enfoncement « sans espoir » des plus pauvres dans la misère et par l’enrichissement insolent et injustifié d’une oligarchie « gloutonne » d’hommes et de femmes du pouvoir, lesdits slogans et les autres discours lénifiants ou dithyrambiques n’apparaissent comme rien moins qu’un ensemble de « valeur dévoyées » qui, par le billet de sa mise en scène verbale institue, par le fait même, ce qu’un intellectuel camerounais appellera plus tard, une « démocratie en trompe-l’œil », à l’usage de l’étranger[40].
Conclusion
Cette brève étude ne prétend évidemment à aucune exhaustivité face à la problématique générale des identités en postcolonies africaines. « Mimba Wi » recèle en son sein un nombre très important d’occurrences formelles et thématiques constantes de l’ensemble du répertoire de Lapiro de Mbanga et même d’un certain nombre d’autres productions culturelles populaires du Cameroun de la période de référence[41]. Le dessein, somme toute modeste de cette réflexion, était de montrer au travers de l’étude du lexique, de la syntaxe ou de la sémantique spécifiques à cette production, comment ces derniers participaient objectivement à l’élaboration et à l’expression d’une identité propre, c’est-à-dire le fait que pour une personne ou pour un groupe d’être reconnu pour tel et sans confusion possible, grâce aux éléments qui l’individualisent, le singularisent.
En tout état de cause, le discours relatant de Lapiro de Mbanga, tout comme des discours relatés dont quelques-uns ont seulement été effleurés ici, renvoient, de manière incontestable, à une période historique pendant laquelle la communauté camerounaise pourrait effectivement se reconnaître par des valeurs précises dans ses pratiques, ses concepts, ses pensées, ses croyances, son art, etc. Que la chanson « Mimba Wi » ait connu le succès que l’on sait à la fin des années 80 et au début des années 90 où, comme on le sait, les revendications identitaires se cristallisent un peu partout en Afrique, me semble justement un champ d’investigation intéressant à étendre.
« Mimba Wi (S.O.S Sauveteurs) » [42]
I
No be so ?
Yes !
No be so ?
Yes !
Ehein ?
Yes ! Yes !
Lapiro katika, Lapiro Ndingaman,
Lapiro katika, Lapiro Ndingaman
Lapiro, Lapiro, Lapiro, Lapiro
II
You want damer, you mimba we
You want soûler, you mimba we
You want no’tou, you mimba we
Ooh mimba we ooh, Ooh mimba we
You want booker, you mimba we
You want enjoy, you mimba we
You want no’tou, you mimba we oh
Ooh mimba we ooh,
Wething we go damer ?
Wething we go soûler
Whose side wou go nang ?
Wou no want diko
Wou no want go for ngata
Wou dey daso for ndembrè
I beg, mimba we ooh
III
Yes !
We no want problem, Tara
We no want go Nkondégui
We di find daso gari
For helep we own family oooh
You want damer, you mimba we
You want soûler, you mimba we
You want no’tou, you mimba we
Ooh mimba we ooh, ooh mimba we
Tara, ooh mimba we
Ooh mimba we, complices
Ooh mimba we
IV
Eh Mbombo,
Na whose kind flo you di popam so ?
Na « Tara »
Ehein ?
Na « Tara »
Tara, give me one
Tara, give me two
Tara, give me three
Tara, give me all
I pompam
I pompam
I pompam
I pompam
Mola pass me mbidi,
Mbombo lef me mégot
Toss, toss, Tara, toss.
Toss, Tara, toss
Toss, Tara, toss
Bien sûr,
« Tara », na flo for don man,
Flo for avenir
Kadem Che, Kadem Blow,
Man for Tombo
My own don Grand
Lapiro, Lapiro, Lapiro,
Lapiro, Lapiro, Lapiro
V
Ndingaman, tchouk fire !
Aller ! Aller ! Aller ! Aller !
Yes ! A Man, I dey
I don show head again
Lapiro Ndingaman.
Na your own mboutoukou this !
No be any fingong say :
“Me too I go try”
Nkoulouloun, I want tchop
Mokolo, I want give ticket.
Gare Routière, I masham ?
Marché Central I go thrower.
Sauveteurs, I tchakala ?
Go before, go before,
Go before, go before
Motion, motion, motion
Ndingaman, no swa !
All complices them day for you back, Tara.
VI
Ok, Mola !
No be da so for secteur
For Peter Botha way he bad.
Moyen no day for Ngola
Répé for side for Hippodrome don break caisse.
Yes, Jacques Chirac for Ngola
Don comot corrigé for ultimatum
He say, my own people they must damer stone
He say, sauveteurs they must nyong
Them di poum na my people na side by side
Na them that for mboko
Moua for damer no dé
Mbourou for pay location sep nothing
Ngry don make rémé and njanga,
They don dry like échantillons for Ethiopia
VII
A Man,
Sauvetage na boulot way
He no get compression du personnel
Sauvetage na boulot way
He no get retraite anticipée
For we own boulot for sauvetage
They no di ask man diplôme
Ana cinq ans d’expérience
For sauvetage, il n’est pas de concours.
(Let me I thrower francis : he don bad !)
We way we no ba get ntong
For go school for side for Ngoa Ekélé
Na for sauvetage we di fine we own gari
For this heure for austérité so
Ah man, for this heure way
Cinq no must change position
Yes,
“Austétérité” : that be say dollar no must change foot
Whose side wou own “espoir” dey now ?
Me I di mimba say na time any man must ndembré
For he own secteur for say we tum na that crise économique
Way he don put all man à genou !
VIII
« Intégration nationale », na wé thing now ?
Na say they must raffale other people
Or na say all we must put hand
Say we helep we don grand
For Etoudi for boulot ?
Just now, if you get baccalauréat or licence
You go boulot for whose side ?
D’ailleurs sep, njo’o Pajero
Ana njo’o Mercedes don bolè from
IX
So now, a man
We di beg da so
We, taximan
We, ba sauveteurs them
We, people for tchouk head
Rémé no dé, répé no dé
Let we, we helep we own skin
Ooh mimba we ooh,
Ooh mimba we ooh, Tara
Ooh mimba we ooh
Ooh mimba we ooh, complices
Ooh mimba we ooh
Ooh mimba we ooh
Ooh mimba we ooh, Tara
Ooh mimba we ooh
« Mimba Wi (S.O.S. Sauveteurs) », Extrait de l’Album Toss Tara, piste 1. Produit par SONODISC, SD& SL.
[1] On peut évoquer ici deux cas, parmi tant d’autres : la chanson « Union Vérité et Démocratie » de Manu Dibango, reprenant le slogan de l’Union Nationale Camerounaise, UNC, parti unique du président Ahidjo a longtemps servi de générique aux émissions du parti de la radio d’Etat ; tandis que « Vingt ans de progrès » composé à l’occasion d’un anniversaire de l’accession du même président Ahidjo au pouvoir par André-Marie Talla a, elle, introduit tous le journaux de la même Radio Cameroun pendant des années.
[2] Interrogé sur les raisons du choix de ce médium, le poète indique que son but est de faire coïncider son phrasé avec la langue des populations en majorité exclues du système d’apprentissage formel des langues officielles, langues du savoir « officiel » et donc langue de prestige et du pouvoir. Lire son entretien dans Cameroon-info.net : http ://www.cameroon-info.net/cmi_show_news.php ?id=12964
[3] Une copie de la chanson suit l’analyse.
[4] « Le lieu où il faut être » !
[5] Lire à ce sujet, Fandio (P.),, « Entrisme et légitimation hégémonique, la place de l’essai dans l’écriture camerounaise », Orées, Montréal, Université Concordia, http ://www.orees.concordia.ca.essai/fandio.shtml
[6] Epasa Moto, Vol.1 n°3, p. 16.
[7] Un certains nombre de travaux portent sur le camfranglais, mais uniquement dans la perspective du contact des langues : cf. Biloa, Nkwescheu Djoum, etc. En plus des articles de Carol Deferral, on peut consulter son ouvrage Pidgin – english du Cameroun, Paris, Peeters (SELAF), 1989. Le site internet offre un lexique intéressant sur le sujet : http ://etounou.free.fr/ ?2007/03/28/39-parler-camerounais-dictionnaire
[8] Une copie de la chanson se trouve à la fin du chapitre.
[9] SCHOLES (R.), “Towards a Semiotics of literature”, Semiotics and Interpretation, New Haven and London, Yale University Press, 1982, p.34.
[10] Dans le cadre du projet évoqué plus haut, les premières analyses corroborent effectivement ces tendances !
[11] Lire Fandio (P.), et Mongi Madini, Figures de l’histoire et imaginaire au Cameroun Actors of History and Artistic Creativity in Cameroon, Paris, Editions l’Harmattan, Coll. « Etudes Africaines », 2007
[12] On a ainsi « scanner » du verbe « to scan », « profiler » du substantif anglo-américain « profiling », « marketer » du substantif anglo-américain « marketing », etc.
[13] Bakhtine (M.), « Les genres du discours », Esthétique de la création verbale, Paris, Gallimard, 1984, p. 300.
[14] J’ai traité de ces « liaisons dangereuses » dans « Nouvelles voies et voix nouvelles de la littérature orale camerounaise », SEMEN N° 18, Université de Franche-Comté, Besançon, 2004
[15] Crime de lèse-majesté prévu et réprimé par les ordonnances de 1966 dont un extrait est cité plus bas.
[16] Eco (U.), Sémiotique et philosophie du langage, p. 23
[17] Peytard (J.), « Le champ sémio-linguistique de l’altération : nouvelles considérations », Syntagme 4. De l’évaluation à l’altération des discours, Annales de l’Université de Besançon, Besançon, 1992, p. 104.
[18] Peytard (J.), « Le champ sémio-linguistique de l’altération : nouvelles considérations », Syntagme 4. De l’évaluation à l’altération des discours, Annales de l’Université de Besançon, Besançon, 1992, p. 106.
[19] Lire à ce propos Fandio (P.), « Ambiguïtés et polyphonies, le mouvement des idées au Cameroun à l’ère de la transition démocratique. », African Diasporas : Ancestors, Migrations and Borders, African Literature Association Annual Series, vol. 14, pp : 426-442
[20] Dakolé Daïssala, Libre derrière les barreaux, Paris, Jaguar, 1993, p. 249
[21] Lire à ce sujet Challenge Hebdo n° 17 du 29 janvier 1991.
[22] “Les problèmes”, Soul Botingo, Toure Jim’s Records, Ref : LP [ATO 082+], repris dans The Very Best Of Prince Eyango, SD, SL
[23] Peytard (J.), « La mise en mots du tiers-parlant comme jeu évaluatif. (Sur le modèle de Mikhaïl Bakhtine », Syntagme 4. De l’évaluation à l’altération des discours, Annales de l’Université de Besançon, Besançon, 1992, p. 74
[24] Selon les statistiques du FMI et du BIT, le secteur informel au Cameroun occupe plus deux tiers de la population active ! Voici ce qu’on peut lire dans « Evaluation de la pauvreté : Les ravages de la pauvreté au Cameroun » : « Le secteur informel avec 90,4% des actifs occupés (dont 55,2% dans le secteur agricole), fournit le plus d’opportunités d’insertion économique ; même si les conditions de travail y sont précaires. Le secteur public suit avec 4,9% et le privé formel avec 4,7%. », http ://www.reperes-cm.com/document.php ?subaction=showfull&id=1192623000&archive=&start_from=&ucat=7&
[25] Ateba Yene (Th.), Le Messager n° 219 du 14 mars 1991
[26] Quand l’agent reformulateur est différent du réalisateur du message d’origine, on est en « hétéro-reformulation », Jean Peytard, « Le champ sémio-linguistique de l’altération : nouvelles considérations », Syntagme 4. De l’évaluation à l’altération des discours, Annales de l’Université de Besançon, Besançon, 1992, p. 103.
[27] Peytard (J.), « La mise en mots du tiers-parlant comme jeu évaluatif », Syntagme 4. De l’évaluation à l’altération des discours, Annales de l’Université de Besançon, Besançon, 1992, p. 82
[28] On peut consulter à ce sujet Fandio (P.), « Ambiguïtés et polyphonies, le mouvement des idées au Cameroun à l’ère de la transition démocratique. », African Diasporas : Ancestors, Migrations and Borders, African Literature Association Annual Series, vol. 14, pp : 426-442
[29] Le Message du Renouveau. Discours et interviews du Président Paul Biya. An I/ The New Deal Message. Speeches and Interviews of President Paul Biya, (Préface de Français Sengat Kwo), Editions Sopecam, Yaoundé, Sd.
[30] Paul Biya, « Message des vœux de nouvel an à la nation : Yaoundé, le 31 décembre 1988 », Anthologie des discours et interviews du président de la république du Cameroun. 1982-2002. Volume II, Yaoundé, Sopécam, 2002, p. 121
[31] Voici par exemple ce que dit le président Biya, lors de sa première visite officielle en sa qualité de chef d’Etat, en France, pays qui regorge du plus important nombre d’opposants au régime de son prédécesseur : « L’œuvre de construction nationale est une œuvre de tous, pour tous […]. Oui, je l’affirme ici [en France] avec force : il n’y a pas et il ne saurait y avoir sur le vaste chantier de l’édification du Cameroun des Camerounais à part, mais des Camerounais à par entière […] qui doivent participer pleinement, sans prévention et sans condition, mais au contraire, dans l’ardeur patriotique et le loyalisme à l’édification de leur pays ». Le Message du Renouveau op. cit., p. 106
[32] Biya (P.), Pour le libéralisme communautaire, repris dans « L’unité, une exigence vitale. En guise de préface », Anthologie des discours et interviews du président de la République. 1982-2002. Volume I. 1982-1986, Yaoundé, SOPECAM, 2002, p. 10.
[33] Cité par Dakolé Daïssala, Libre derrière les barreaux, Paris, Jaguar, 1993, p. 70
[34] Dakolé Daïssala, Libre derrière les barreaux, Paris, Jaguar, 1993, p. 71
[35] « ‘Austérité’ veut dire : un sou est un sou »
[36] La presse parle alors de « Pajerocratie », de Pajero, un véhicule tout-terrain extrêmement onéreux de la marque MITSUBISHI.
[37] Philippe (L.), « Vallès et la voix narrative », Littérature, n° 23, octobre 1976, p. 15
[38] Chalenge Hebdo n° 35 du 5 au 12 juin 1991, p.1
[39] En 2007, le pays de Roger Mila est encore champion d’Afrique de la même « discipline ». Mais ça, c’est un autre débat…
[40] Kom (A), Education et démocratie en Afrique. Le temps des illusions. Paris/Yaoundé, l’Harmattan/ CRAC, coll. « Etudes Africaines », 1996, p. 11.
[41] Quelques mots ont été dits sur le théâtre populaire de la même période au chapitre précédent.
[42] J’ai procédé à cette division afin de faciliter une consultation éventuelle du corpus. J’ai supprimé des animations dans cette version.