Chroniques Créations

Un grand humaniste – Mon grand-père Jean Séguéla (1896-1964)

QU’EST-CE QU’UN HUMANISTE ?

 C’est quelqu’un qui pense que les hommes ont leur destin en main, qu’ils doivent construire par eux-mêmes le monde dans lequel ils vivent, être tolérants avec les autres, libres de leurs actes, sans se référer à une puissance extérieure, religieuse, surnaturelle ou politique. Cela se rapporte aussi à un mouvement de pensée, qu’on a appelé l’humanisme, né au moment de la Renaissance. (Éric Fourreau)

Mon grand-père, Jean Séguéla, grand humaniste, fut aussi un père exceptionnel.

En témoignent les écrits de son fils André, rédigés en 1983, qui rendent un vibrant hommage à son père.

Ils sont reproduits ci-dessous in extenso.

Texte rédigé par André Séguéla :

MON PERE JEAN SEGUELA

Ce fut le meilleur de tous ceux ou celles que j’ai connus de la famille.

Il était honnête, tolérant, aimant son métier, plus que patient avec ma mère, qui n’avait pas le caractère facile.

Très estimé de ses beaux-parents, il n’avait pratiquement pas d’ennemis.

Il aimait la conversation sauf avec les imbéciles qui voulaient toujours avoir raison, il me disait, en parlant de ces gens-là, « Quand tu as un de ces imbéciles en face de toi, n’essaie pas de le convaincre, tu perdrais ton temps, pense à autre chose et attends qu’il s’en aille… »

Le soir à la maison nous recevions au moins 1 jour sur 2 les nombreux amis, mon père était assis à la table, buvant son café et son paquet de tabac gris à côté de la tasse.

Il avait d’ailleurs toujours 2 paquets en service, un à la gare, l’autre à la maison, tout cela à cause de ma mère qui trouvait qu’il dépensait trop d’argent pour le tabac, ce qui était faux. Il n’allait jamais au café.

Il était cheminot dans l’âme et fier de son grade, qui, compte tenu de son origine paysanne était pour lui une réussite.

Je me souviens d’un jour de 1938, qui pour lui fut peut-être le plus grand honneur de sa carrière.

Il venait d’être nommé Chef de Manutention Principal, et espérait avoir la direction du chantier des Messageries, qui se composait des quais A, B, D et F avec 150 agents.

Ce jour-là, à midi 20, il ouvrit la porte de la maison et à ma mère qui lui apportait les sandales (chose qui ne se fait plus depuis la libération des femmes), il annonce d’un air solennel :

« Maria, je suis monté ce matin chez le Chef de Gare. Lundi matin, je prends les Messageries ».

Puis il se mit à table, ma mère lui servit le bouillon (on ne disait pas le potage).

Il rayonnait, c’était pour lui comme si on lui avait donné le commandement d’une armée de Napoléon.

Eté comme hiver, il portait des faux cols amidonnés, et quand il faisait chaud, il étouffait, mais il avait de la tenue.

Sitôt dans la maison, il enlevait les souliers et son faux col, puis se mettait à table.

Après le repas, il faisait une petite sieste de 20 minutes, puis repartait au travail en emportant une petite bouteille de café, qu’il buvait dans l’après-midi.

Chemin faisant il rencontrait d’autres cheminots, d’où nouvelles conversations.

Avec moi, je ne l’ai vu qu’une seule fois en colère, je lui avais mal répondu, je reçus une bonne gifle largement méritée d’ailleurs, j’aimais sortir avec lui car il ne m’imposait jamais ses façons de voir.

Plusieurs fois nous allâmes voir passer le Tour de France qui le passionnait, puis le circuit de Comminges (course de voitures automobiles).

Partout on aimait le recevoir, il était de bonne compagnie et n’essayait jamais d’imposer son point de vue.

Je ne sais pas s’il y a vraiment un Paradis, mais s’il y en a un, mon père doit y être.

Il adorait la politique et j’ai assisté avec lui en 1935 ou 1936 à la Bourse du Travail de Toulouse à la fusion de la CGT dirigée par Léon Jouhaux et la CGTU (communiste) dirigée par Benoît Frachon. Fusion qui aboutit d’ailleurs à la mainmise du parti communiste sur la CGT.

André Séguéla 1983

Ce texte est exceptionnel !

En plus d’un remarquable amour filial, il montre toutes les qualités humaines de Jean Séguéla.

Mon père a eu une immense chance d’avoir un tel père.

Il s’en est inspiré, et a eu un comportement identique avec ses enfants.

C’est pourquoi mon premier texte a été rédigé en son honneur, sous le titre « Un Père en Or »

LA JEUNESSE DE MON GRAND PERE JEAN MARIUS SEGUELA

Jean Marius Séguéla naquit le 4 février 1896 à 9 heures du soir rue Basse à Castelnau d’Estretefonds (Haute Garonne), berceau de la famille Séguéla depuis son origine connue via la généalogie.

Sur son acte de naissance, on trouve les signatures de son père, Pierre Séguéla, âgé de 41 ans et de deux témoins, Louis Déoux, 44 ans, cordonnier, déjà témoin pour la naissance de sa sœur aînée, et Joseph Payet, 44 ans également, propriétaire.

Sa mère, née Guillaumette Justou, âgée alors de 35 ans, était, selon notre cousin Roger Astorg, une femme très intelligente.

Il avait une sœur, Maria Séguéla, épouse Astorg, mère de Roger Astorg, née en 1883, son aînée de 13 ans.

Il fit ses études à l’école primaire de Pompignan, Tarn et Garonne, à la limite de la Haute Garonne, et obtint le Certificat d’Etudes avec le rang de 1er du canton, ce dont il fut toujours très fier, à juste titre.

Il connaissait par cœur les départements et leurs chefs-lieux, pratiquait une très belle écriture, quasiment de la calligraphie, comme on l’enseignait à l’époque, et son orthographe était parfaite.

Il travailla d’abord comme ouvrier agricole, à la presse, une machine qui pressait la paille et le fourrage pour en faire des balles. 

Engagé Volontaire pour 4 ans le 6 mars 1914 à la mairie de Montauban, il fut incorporé au 12ème Escadron du Train des Equipages, 5ème compagnie, 23ème division. 

Le 27 janvier 1917 il est transféré au 112ème régiment d’artillerie lourde en tant que 1er canonnier servant, 19ème batterie 7ème groupe.

Il fit toute la guerre 14/18, fut gazé en 1916 à Verdun, et ne fut démobilisé que le 20 janvier 1919 pour être mis à la disposition de la Cie des Chemins de Fer du Midi (La Claveilles), où il entra en qualité d’Homme d’Equipe à la gare de Toulouse Matabiau.

Toute sa vie il fut handicapé par le fait d’avoir été gazé : quand il faisait de gros efforts, par exemple aux vendanges à St Rustice, il avait le soir de violentes crises d’étouffement. Peut-être faut-il y voir une relation avec sa mort causée par un cancer du poumon en 1964, à l’âge de 68 ans. N’oublions pas qu’il a fumé toute sa vie. Il roulait ses cigarettes et achetait du tabac en paquets.

Sérieux et travailleur, il allait monter en grade jusqu’à sa promotion en 1938 au poste de Chef de Manutention Principal. Il prenait ainsi la direction des Messageries, qui se composait des quais A, B, D et F, avec autorité sur 150 agents. (relire à ce sujet le texte remarquable écrit par son fils André, “Mon Père Jean Séguéla”).

Compte tenu de ses origines paysannes, il était particulièrement fier de sa réussite.

Très jeune il s’était passionné pour la voiture et plus tard pour les courses automobiles.  C’est ainsi qu’il fut indirectement à l’origine de ma naissance (voir ma chronique ” Le Circuit de St Bertrand de Comminges”)

J’ai retrouvé une carte postale qu’il avait envoyée à son beau-frère Pierre Astorg depuis Pibrac où il faisait un pèlerinage avec le curé de Pompignan. Sur sa carte, un seul commentaire, pas sur la Sainte, mais “j’ai vu cinq voitures…”

Il servait comme enfant de chœur, ce qui lui avait donné, un jour, l’idée d’organiser avec un camarade une quête dans le canton. Cette opération fut en réalité “privatisée”, l’affaire finit par se savoir et elle se termina en mini scandale… Mon grand-père avait de l’imagination et l’esprit d’entreprise !

Il épousa Maria Bertrand le 18 mars 1919 à St Rustice (Haute Garonne), village situé à équidistance de Pompignan et de Castelnau d’Estretefonds.

Vu la différence de niveau patrimonial, un contrat de mariage fut signé le 4 mars 1919 devant Me Voirs à Grisolles.  Le père de Maria, Louis Bertrand, était propriétaire/exploitant à St Rustice. Il fut longtemps Adjoint au Maire de St Rustice, qu’il remplaça pendant la guerre de 14/18. Jean Séguéla l’estimait beaucoup.

Pierre Séguéla, le père de Jean, avait été homme d’équipe à la Compagnie du Midi, et travaillé aux gares de Castelnau et Grisolles. A sa retraite il fut garde champêtre à Pompignan. Ce fut un homme très intègre, qualité dont hérita mon grand-père Jean.

Maria avait deux sœurs, Jeanne et Madeleine. Cette dernière disparut en décembre 1920 ; victime de la grippe espagnole, à l’âge de 20 ans.

J’ai retrouvé des échanges de courrier entre Jean et les deux sœurs, Maria et Madeleine. Paradoxalement, on sent plus de chaleur dans les rapports avec Madeleine.

Jean et Maria n’eurent qu’un fils, mon père André, né le 14 février 1921.

Maria et Jean Séguéla, en tenue du 112ème régiment d’artillerie lourde, à l’époque de sa démobilisation et de son mariage.

Roger Séguéla