Il lui avait fait croire un jour à l’aventure, quand elle traînait quelques rêves d’amour, fatiguée d’une vie de couple raisonnable.
Il était beau, intelligent, cultivé, admiré de tous les expatriés de cette capitale encore stable du désert africain. C’était « quelqu’un ». Nombreuses étaient les épouses qui du fond de leur ennui songeaient à devenir son amie. Le regard franc de ses yeux verts, sa stature élégante, son sourire avenant nourrissaient les fantasmes alanguis de leurs sinistres après-midi… Il avait tout : l’éloquence des orateurs ; c’est à lui qu’on demandait de se charger du discours de bienvenue pour honorer une personnalité de passage, mais aussi la voix chaude des poètes musiciens, une voix dont il réjouissait la communauté, certains soirs de concert. Ces dames désœuvrées se pressaient à ces soirées qui s’achevaient, le regard énamouré, dans des murmures mélodieux, qu’elles reprenaient peut-être aussi du fond de leur lit.
Il avait la réputation d’un mari fidèle, ce qui finalement le rendait plus séduisant. Elles étaient sous le charme, mais « elle », était fascinée.
Elle arrivait d’une province française où la petite bourgeoisie menait une vie bien rangée. Comme son mari, elle s’y ennuyait et ne se voyait guère finir ses jours ou tout au moins sa carrière dans le même lycée, y voir vieillir au fil des ans les collègues aigris et le devenir elle-même. Après dix ans de mariage, ils décidèrent de « partir », d’entamer une nouvelle vie, vaguement conscients de la fragilité de leur couple.
Le dépaysement leur réussit quelque temps mais assez vite, chacun fut attiré de son côté. Elle découvrit le théâtre qui devint sa deuxième vocation. Elle joua dans plusieurs pièces, au centre culturel, recueillant un succès qui en fit un personnage bien « en vue » et reconnue. Elle en fut transformée et se découvrit soudain un charme qui égayait la monotonie des jours gris de sa petite vie. Elle n’était plus l’épouse, la mère, ni même la « prof », elle était celle dont on parlait et que les maris de ses amies convoitaient. Elle s’en amusait, bien incapable d’imaginer quelque infidélité.
Et pourtant, au grand désarroi des autres jolies dames de la communauté, c’est elle qu’il désigna comme son amie, attiré, lui confia-t-il plus tard, par son regard…
C’était ce fameux soir où tous les expatriés étaient conviés à l’ambassade pour retirer leur commande d’alcool annuelle. Ils étaient arrivés tous les deux peu avant l’heure de fermeture et presque tout le monde était reparti. Il l’aborda, surpris de son petit colis. Elle buvait donc si peu, ils buvaient donc si peu ? Il l’invita à goûter un de ces alcools qu’elle commanderait sûrement par la suite.
Elle s’entendit, surprise, lui dire oui. Il était seul : sa femme était partie en mission et sa fille dormait chez une amie. L’alcool était fruité, trop sans doute. Il lui tourna la tête assez vite. Lui buvait beaucoup mais n’en paraissait pas affecté, seulement exalté, ce qui accentuait son charme naturel pensait-elle, un charme dont elle apprit plus tard à ses dépens qu’il n’avait de naturel que l’habitude de trop boire. L’air enchanté, il prit sa guitare pour accompagner avec fougue les plus belles chansons de Brel. Elle en avait les larmes aux yeux. Soudain, il posa son instrument et la prit dans ses bras comme une autre guitare d’où il fit de ses doigts caressants monter une musique plaintive, puis de plus en plus claire et chaude d’où perlèrent des gouttes de sons enchantées, qui enfin se décidèrent à couler comme des pleurs de joie, dans une langueur dont on ne revient pas ou seulement après s’être enivré et noyé dans le courant des sens. Encore dans sa jouissance, elle le vit se transformer, passer du regard lunaire de l’émerveillement à la détresse du dégrisement. Elle osa quelques caresses qu’il ne refusa pas, de ses doigts, de sa bouche, doucement, très doucement pour l’apaiser et lui offrir aussi sa part de plaisir par des allers-retours de langue et de doigts mêlés dont elle avait le secret. Il jouit doucement et quand, son sperme avalé, elle releva la tête, inquiète, elle vit qu’il pleurait. Elle voulut lui parler, mais il ne l’entendait pas. D’ailleurs, très vite il lui demanda de partir.
Elle rentra chez elle troublée, agitée même. Qui était donc ce grand homme que tous admiraient, respectaient ou convoitaient ? Quel était son secret ? Son mari ne remarqua rien trop occupé par ses propres affaires.
Le lendemain, ils se rencontrèrent devant l’école française où l’un et l’autre attendaient leurs enfants. Il l’aborda comme si rien ne s’était passé et lui sourit d’un regard clair et chaleureux. Il lui demanda simplement de passer chez lui vers quinze heures. Que cherchait-il ? Son couple à elle battait de l’aile sans doute, mais si elle rêvait d’amour, l’idée de prendre un amant lui répugnait. Quant au couple de ce bel hidalgo, un beau couple, qui en rendait plus d’un jaloux, rien ne laissait présager qu’il puisse s’effilocher : on les voyait partout ensemble, et sa femme semblait fière de paraître à ses côtés. Elle était l’intellectuelle de la communauté, la référence des « gens bien ».
Quand elle sonna timidement chez lui, à l’heure indiquée, elle le trouva plus qu’exalté, surexcité. Craignant que sa fille ne rentre trop tôt de la plage, il lui proposa d’aller faire un tour vers les « dunes ». Aucune force ne lui permit de résister à ses avances. Elle le suivit dans son quatre-quatre. Arrivés derrière les dunes, il se tourna vers elle, lui demanda de dégrafer son pantalon et de caresser délicatement son sexe. Elle s’aperçut qu’il n’avait pas d’érection et c’est une petite chose molle qu’elle dût travailler de ses doigts dociles jusqu’à ce que ça s’allonge sans bien durcir. Alors, elle ajouta la langue, puis la bouche tout en faisant tourner ses doigts autour du gland. Elle sentit le membre se durcir enfin, puis quelques gouttes. Elle précipita le rythme jusqu’à ce qu’il soupira doucement d’aise en éjaculant lentement. Elle releva la tête : il lui souriait simplement. Son exaltation avait laissé place à une mélancolie tendre, trop tendre pour lui prodiguer les gestes de plaisir qui auraient pu la faire exulter. Elle n’en fut pas frustrée ni outragée, ne sachant pas très bien d’ailleurs ce qu’elle venait chercher. Intriguée par le décalage entre le personnage intime et public, elle voulut à nouveau lui parler, le faire parler. Mais il rougit sans rien pouvoir délivrer. Il lui proposa seulement un nouveau rendez-vous, plusieurs rendez-vous-même, dans ce qu’il baptisa leur « cabane à roulettes ». Ce serait le mercredi en fin d’après-midi.
Ils prirent donc l’habitude de se retrouver le mercredi. Elle prétextait une répétition de théâtre quand cela s’avérait nécessaire, mais le plus souvent, les enfants étaient chez des amis et son mari occupé à ses propres affaires…
Pour rien au monde, elle n’aurait manqué ces rendez-vous. Il se découvrit en effet un amant délicieux. Leur cabane à roulettes cachée au milieu des dunes, face à la mer et au soleil couchant, il l’allongeait sur le siège arrière, frôlait ses cheveux, embrassait sa bouche, caressait son visage, l’embrassait à nouveau d’une bouche humide et gourmande qui faisait gonfler son ventre. Elle y sentait bientôt une chaleur diffuse descendre peu à peu jusqu’à son sexe qui s’ouvrait et réclamait des mains pour satisfaire cette moiteur béante du plaisir qui ne demandait qu’à verser. Mais ses mains jouaient avec ses seins qu’elle avait peu sensibles et son désir exaspéré montait, mouillait, lui écartant les orifices, jusqu’à ce qu’enfin lui ouvrant largement les cuisses et lui frôlant le clitoris elle sente couler un liquide chaud et tout son sexe gluant glisser sous ses mains qui ouvraient toujours davantage ce réceptacle de douceurs et d’humeurs qu’il s’était mis à lécher puis à boire jusqu’à ce que sans retenue elle jouisse dans le silence de ce désert de fin d’après-midi. Encore évanescente de plaisir, il la pénétrait alors brutalement, puis faisait durer ses allées et venues, ses sorties, ses caresses, jusqu’à ce que son propre désir mais aussi leur désir commun, n’en puisse plus d’attendre. Et ils jouissaient dans un concert de notes des plus aiguës au plus graves…
Un mercredi, ils étaient à peine revenus de ce plaisir qu’une ombre ternit la lumière de ses yeux verts et les chargea d’une tristesse indicible. Comme d’habitude, il la ramena et la déposa devant chez elle, sans un mot, en lui adressant seulement un regard désenchanté qu’elle ne sut interpréter. Mais il la troubla tellement qu’elle l’empêcha de repartir et le supplia de s’expliquer sur ce qui semblait le tourmenter. Il hésita puis finalement lui apprit que depuis trois mois sa femme le trompait avec « Stéphane », son meilleur ami. Les deux couples d’ailleurs étaient amis et devaient partir un mois l’été en Sardaigne. Longtemps il ne s’était douté de rien alors que la communauté savait, et quand il eut quelques soupçons il refusa d’y croire jusqu’à ce qu’elle lui apprenne son prochain départ avec Stéphane. Elle avait choisi le mercredi soir de la semaine précédente pour le lui annoncer. En une semaine, il avait pris conscience de la distance qui s’était installée entre eux sans qu’il accepte pourtant de la voir. Maintenant il fallait faire face.
L’idée de la solitude le pétrifiait et il chercha à l’attendrir. Elle ne supportait pas de le voir malheureux mais l’idée d’une rupture lui était inconcevable. Elle avait grandi dans l’imagerie de la famille unie et cela primait sur le désintérêt de son mari. Jamais elle ne le rejoindrait comme il avait osé le lui demander. Elle l’aurait bien juré.
Il joua pourtant tellement bien de son charme et du désir qu’elle lui inspirait qu’elle trouva le courage d’annoncer à ses enfants qu’elle partait, sans pouvoir encore aujourd’hui s’expliquer comment.
Un de ses amis lui dit qu’elle le regretterait. Mais il l’avait envoûtée. Aujourd’hui, elle s’accommode, désenchantée, de ce naturel charmeur que lui donnait la boisson qui ravage ou qui dégrise…