Train de nuit Toulouse-Paris.
Un matin de fin décembre 1963.
Le soleil va se lever. Dans mon souvenir il fait beau. Peut être parce que c’est un jour heureux.
Je me réveille, après une nuit somme toute assez sereine, sur mon siège en moleskine verte d’un wagon de seconde classe.
La veille, j’ai pris une décision qui va engager ma vie, et je suis passé à l’action, outrepassant la volonté de ma mère, et profitant de la neutralité bienveillante de mon père.
Je suis pourtant encore mineur, mais le veto n’est pas tombé.
J’ai choisi l’aventure. J’ai pris ma valise et je suis descendu à pied à la gare Matabiau. Pour la première fois, personne ne m’a accompagné.
Ivresse de la liberté!
Je suis calme et déterminé, comme il faut l’être dans les situations extra ordinaires, au sens propre du terme.
Une question trotte dans ma tête, une question qui peut paraître saugrenue dans le contexte :
Portera-t-elle un manteau rouge ?
Il est évident qu’elle portera un manteau rouge.
Pourquoi ?
Parce que il me semble que c’est la mode et que MC ne peut qu’être habillée dans l’air du temps.
Nous nous sommes rencontrés le 13 septembre sur la plage de Pramousquier, près du Lavandou, au camp du Touring Club de France.
Ce furent 5 jours de bonheur intense (voir la chronique Noces à Pramousquier).
Depuis, pour conserver le charme du sortilège, nous nous sommes écrit tous les jours. Le courrier fonctionne encore bien dans les années soixante, et la communication est solide et durable.
Nous projetons de nous retrouver pour le Jour de l’An, chez elle, ou plutôt chez ses parents à Villejuif.
Je suis alors en deuxième année de prépa Hec ; elle fait des petits jobs en attendant de rentrer au ministère des finances.
Intégrer Hec est le but que je me suis fixé, cette école étant susceptible d’assurer mon avenir tout en me rapprochant de MC.
La convergence des objectifs est particulièrement motivante.
Je travaille comme un fou, mon seul dérivatif étant ma lettre quotidienne, écrite entre 11 h et minuit, tout en écoutant “Pour ceux qui aiment le jazz”, l’émission de Frank Ténot et Daniel Filipacchi sur Europe n°1.
Pendant tout le dernier trimestre 63, nous avons évoqué cette rencontre, mais vu que nous étions mineurs tous les deux, elle a 18 ans, moi 19, les jeux n’étaient pas faits d’avance!
Portera-t-elle un manteau rouge ?
La question revient lancinante, au fur et à mesure que le train se rapproche de la gare d’Austerlitz.
Je n’ai aucune idée de sa manière hivernale de s’habiller.
Pendant les quelques jours passés ensemble au bord de la plage, nous étions assez peu vêtus, le minimum pour l’époque, on en était encore au maillot deux pièces pour les femmes.
Tout ce que j’ai retenu, c’est qu’elle avait du goût, malgré ses faibles moyens.
Elle devrait donc porter un manteau rouge!
Ce qui devrait mettre en valeur ses beaux cheveux blonds, sachant que le bronzage estival ne doit plus être qu’un lointain souvenir.
Sur les quelques photos prises en septembre, nous sommes toujours en maillot de bain, et malgré le noir et blanc on peut deviner notre teint hâlé et notre joie de vivre.
Ces photos ont décoré mon bureau, et ont redoublé mon ardeur au travail.
Et toujours cette question : portera-t-elle un manteau rouge ?
Les statistiques le démontrent, les amours de plage se terminent généralement en souvenirs nostalgiques, la distance ayant raison des sentiments.
C’est notre cas, elle habite la région parisienne, et moi Toulouse.
700 kilomètres nous séparent.
Son (beau) père est ouvrier, le mien fonctionnaire. ( Son vrai père possède une imprimerie).
Une analyse objective des paramètres condamne notre idylle.
C’est compter sans notre caractère.
Il est évident que nous aimons affronter les difficultés, et l’avenir le confirmera, nous mènerons une vie animée et mouvementée!
Alors vais-je voir apparaître un manteau rouge ?
Le train rentre dans la gare d’Austerlitz, il longe le quai.
Ma valise à la main, je suis le premier à descendre du wagon, au milieu du train.
Je regarde sur ma gauche, vers la gare, recherchant dans la foule une tache rouge…..
Et comme le chante Nougaro, dans “une petite fille en pleurs, dans une ville en pluie” :
ça y est, je la vois ,
Attends-moi ! Attends-moi !
Je t’aime ! Je t’aime ! Je t’aime !
Rayonnante, magnifique blonde dans un manteau rouge, que je serre bientôt dans mes bras.
Elle porte un manteau rouge !
septembre 1963 – plage de Pramousquier – Marie-Claire et Roger